Université McGill |
2013 QCCLP 41 |
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[1] Le 27 juillet 2012, l’Université McGill (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 27 avril 2012 et déclare que l’employeur doit être imputé du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Emmanuel Gaillard, le travailleur, le 26 mars 2012.
[3] L’employeur renonce à la tenue d’une audience. Le 13 décembre 2012, il transmet une argumentation écrite. C’est à cette date que la cause est mise en délibéré.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande que le coût des prestations d’assistance médicale versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle du 26 mars 2012, soit transféré aux employeurs de toutes les unités.
LA PREUVE
[5] Le travailleur occupe un poste d’associé de recherche au département de génie mécanique pour le compte de l’employeur. Le 26 mars 2012, il se coupe au 3e doigt de la main gauche lorsque la lame de son couteau exacto glisse alors qu’il s’affaire à sectionner un tube en plastique souple.
[6] Le même jour, il consulte un médecin qui remplit une attestation médicale dans laquelle il retient le diagnostic de lacération du 3e doigt de la main gauche, tout en indiquant de ne pas utiliser le bras gauche. Par la suite, le 4 avril 2012, le travailleur voit le docteur Zadeh qui suggère des travaux légers.
[7] Par ailleurs, le dossier contient un échange de courriels entre le travailleur et madame Mary Stone du département des ressources humaines chez l’employeur. Dans un courriel du 30 mars 2012, le travailleur écrit à cette dernière qu’il n’a pas manqué d’heures de travail à l’exception de la journée de l’accident. Il mentionne également que bien qu’il ne peut utiliser sa main gauche, il travaille de la main droite.
[8] Le 24 avril 2012, madame Stone demande au travailleur un aperçu des tâches qu’il effectue dans le cadre de son travail. Celui-ci lui répond qu’il écrit ses articles sur l’ordinateur sans utiliser sa main gauche et que pour la supervision des tests en laboratoire, il reçoit l’aide d’étudiants. Dans un courriel du 10 mai 2012, le travailleur résume sa capacité à exécuter ses tâches de la façon suivante :
Concerning my work, I am able to do 100% of my normal tasks :
- Writing articles and preparing presentations on my computer (without using my left hand).
- Conduct experimental tests (with help from students present in the laboratory).
[9] Par la suite, la CSST rend une décision dans laquelle elle impute à l’employeur le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur le 26 mars 2012. Dans sa contestation de cette décision, l’employeur précise qu’à titre d’associé à la recherche, le travailleur supervise des étudiants, effectue des expériences et écrit des articles de recherche.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[10] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le coût des prestations d’assistance médicale en relation avec la lésion professionnelle subie par le travailleur le 26 mars 2012, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
[11] Le principe de base en matière d’imputation est édicté par l’alinéa premier de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[12] Toutefois, la loi prévoit certaines exceptions à ce principe général d’imputation dont celles prévues à l’article 327 de la loi :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[13] Dans le présent dossier, l’employeur invoque le second paragraphe de l’article 327 de la loi et soutient que la lésion professionnelle du travailleur ne l’a pas rendu incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée où celle-ci est survenue soit le 26 mars 2012. L’employeur prétend que le travailleur a exécuté l’essentiel de ses tâches d’associé de recherche.
[14] La présente requête soulève la question de déterminer quelle interprétation le tribunal doit donner à l’expression « son emploi » énoncée à l’article 327 de la loi. À cet égard, deux courants jurisprudentiels animent la Commission des lésions professionnelles. La première approche privilégiée par le tribunal retient que la notion « de son emploi » doit recevoir la même interprétation peu importe dans quelle section de la loi se retrouve cette notion. Dans cette perspective, cette voie jurisprudentielle considère que pour bénéficier de l’exception prévue au second paragraphe de l’article 327 de la loi, le travailleur doit être capable d’exécuter toutes les tâches de son emploi habituel.
[15] Dans la décision Hôpital général juif Mortimer B. Davis[2], la Commission des lésions professionnelles illustre cette interprétation somme toute restrictive de la notion de « son emploi », de la façon suivante :
[28] La Commission des lésions professionnelles estime, d’abord, que les termes identiques retrouvés aux différents chapitres de la loi doivent recevoir la même interprétation3. Or, les expressions « capable » ou « incapable d’exercer son emploi » sont utilisées à maintes reprises par le législateur tout au long de la loi.
[29] Ainsi, plusieurs dispositions du chapitre portant sur le versement de l’indemnité de remplacement du revenu reprennent les termes « capable » ou « incapable d’exercer son emploi »4. Le chapitre de la réadaptation est également assez prolifique en ce qui concerne l’utilisation des termes « son emploi », « capacité d’exercer son emploi » ou « incapable d’exercer son emploi »5. Or, il ressort de ces dispositions législatives que le mot « emploi » couvre les tâches exercées ou le travail particulier exécuté par une travailleuse chez son employeur. Ce terme implique donc une notion de contenu dont il faut tenir compte avant de statuer sur l’application du second alinéa de l’article 327 de la loi au cas en l’espèce.
[...]
[37] Enfin, il est vrai que, dans les décisions déposées par le représentant de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles accepte des transferts de coûts lorsque, lors de l’assignation temporaire, la travailleuse conserve certaines ou « l’essentiel » de ses tâches. Cependant, la soussignée ne partage pas ce point de vue.
[38] Elle est d’avis que, conformément au libellé de l’article 327 de la loi, la travailleuse doit être en mesure d’exercer « son emploi » avec toutes les tâches habituelles qu’il comporte.
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3Voir à ce sujet l’affaire Centre hospitalier de Beauceville et CSST, C.A.L.P. 70554-03-9506, le 3 mai 1996, J.-G. Roy.
4Voir, entre autres, les articles 44, 46, 47, 48, 49, 53, 57, 59 et 60.
5Voir, à titre d’exemples, les articles 166, 168, 169,170, 171, 172, 173, 176 et 177.
[16] De son côté le second courant jurisprudentiel au sein de tribunal considère que l’interprétation de la notion de « son emploi » doit tenir du contexte dans lequel elle est évoquée, soit celui des dispositions de la loi relatives au financement. Dans cette perspective, cette approche jurisprudentielle considère que pour bénéficier d’un transfert d’imputation au sens du paragraphe 2 de l’article 327 de la loi, le travailleur doit être capable d’exécuter les tâches de son emploi sans que celui-ci en soi dénaturé.
[17] Dans la décision Hôpital Jean-Talon[3], la Commission des lésions professionnelles établit le cadre d’analyse de ce second courant jurisprudentiel de la façon suivante :
[10] La Commission des lésions professionnelles a maintes fois interprété les dispositions précitées, notamment quant au concept de la « capacité d’exercer son emploi ».
[11] Les principes suivants se dégagent du courant jurisprudentiel majoritaire sur la question :
- Pour permettre l’application desdites dispositions, il n’est pas nécessaire que la victime ait été capable d’exercer toutes et chacune de ses diverses tâches à la suite de sa lésion professionnelle. Il suffit que la preuve démontre que celle-ci a été en mesure d’accomplir « l’essentiel » de son travail habituel, et ce, même si elle a été temporairement incapable d’exécuter certaines de ses tâches, dans la mesure où son travail ne s’en est pas trouvé dénaturé3;
- L’existence d’une assignation temporaire n’est pas un facteur déterminant4, la durée de la période de consolidation de la lésion, non plus5;
- Lorsque la travailleuse peut « accomplir la quasi-totalité de ses tâches habituelles » et que celles dont elle est incapable peuvent « l’être facilement par des collègues, sans mettre en péril leur affectation ou leur prestation de travail », il y a lieu de conclure à sa capacité d’exercer son travail au sens de l’article de la loi concerné ; ce qui est, d’ailleurs, « essentiellement une question de fait »6;
- Il en est de même lorsque la victime obtient l’aide de ses collègues de travail, pour des tâches plus lourdes, si cette aide est fournie sans que cela « affecte leur prestation de travail »7;
- Le travailleur sera également considéré capable d’exercer son travail, pour les fins de l’application des dispositions ici en cause, lorsqu’il n’est pas remplacé par un autre et qu’on lui permet simplement de « travailler à son rythme et de prendre des pauses supplémentaires »8;
- La recommandation du médecin traitant « d’effectuer des travaux légers » et « l’assistance occasionnelle d’une technicienne », pour un contremaître à Hydro Québec, ne constituent que des ajustements qui n’ont pas pour effet de « dénaturer l’essentiel de son emploi »9.
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3Centre d’hébergement et de soins de longue durée Biermans-Triest, C.L.P. 207522-72-0305, 25 février 2004, P. Perron ; Min. de la santé et des services sociaux, C.L.P. 228211-01A-0402, 30 septembre 2004, R. Arseneau ; Externat Sacré-Cœur, C.L.P. 255130-64-0502, 11 janvier 2006, J.-F. Martel ; Hôpital Sainte-Justine, C.L.P. 278264-71-0512, 20 juin 2006, M. Denis ; Alimentation René-Laliberté, C.L.P. 301609-61-0610, 14 mai 2007, M. Duranceau ; Paul Albert Chevrolet Cadillac, C.L.P. 312702-02-0703, 29 janvier 2008, H. Thériault ; Couche-Tard inc. (dépanneurs), C.L.P. 377024-03B-0905, 5 octobre 2009, J.-L. Rivard ; Société de transport de Montréal, C.L.P. 363504-61-0811, 23 octobre 2009, L. Nadeau ; Productions Éloïze inc., C.L.P. 374006-71-0903, 20 novembre 2009, G. Tardif ; International Rive-Nord inc., C.L.P. 366320-61-0812, 7 décembre 2009, G. Morin ; Globocam (Anjou) inc. C.L.P. 385638-64-0908, 9 avril 2010, R. Daniel ; Cegertec Experts Conseils inc.; C.L.P. 410183-02-1005, 15 juillet 2010, J.-M. Hamel. CONTRA : Hôpital Ste-Justine, C.L.P. 254008-71-0501, 23 octobre 2006, C. Racine ; Hôpital Général Juif Mortimer B. Davis, 2007 QCCLP 2113 ; Innovaplast inc., 2009 QCCLP 5999 ; Institut de Cardiologie de Montréal, 2009 QCCLP 7548 ; Aliments Asta inc., 2009 QCCLP 8913 .
4Hôtel-Dieu de Lévis et CSST, C.L.P. 117404-03B-9906, 25 mai 2000, R. Jolicoeur ; Service de police de la CUM, C.L.P. 150928-63-0011, 28 août 2001, N. Lacroix ; Programme Emploi-Service, C.L.P. 242489-72-0408, 23 février 2005, C. Racine ; Globocam (Anjou) inc. citée à la note 3.
5Groupe de sécurité Garda inc., 2009 QCCLP 1176 .
6Hôpital Laval et Blanchette, [1998] C.L.P. 59 . Voir aussi : Provigo Québec inc., 2010 QCCLP 2802 (horaire de travail coupé de moitié, à 4 heures par jour, durant l’assignation temporaire)
7Gestion Conrad St-Pierre inc., 2007 QCCLP 5458
8Ganotec inc., 2009 QCCLP 269
9Hydro-Québec, 2010 QCCLP 7876
[18] Par ailleurs, dans la décision Collège de Lévis[4], la Commission des lésions professionnelles retient également cette interprétation en écrivant :
[33] En effet, de l’avis du présent tribunal, il faut retenir de cette disposition qu’elle vise les cas où un travailleur a pu continuer à exécuter son travail habituel, qu’il a reçu toute la rémunération normale reliée à cet emploi, qu’il n’a pas été remplacé dans son travail et qu’il n’a pas été affecté à d’autres tâches. En somme, il faut que le travailleur accomplisse l’essentiel de ses tâches et que son travail ne soit pas dénaturé par les quelques aménagements qui peuvent être requis.
[19] Dans le dossier sous étude, la Commission des lésions professionnelles juge que l’employeur doit bénéficier de l’exception prévue au second paragraphe de l’article 327 de la loi.
[20] Le tribunal considère que depuis la date de son accident le travailleur a continué à exercer son emploi d’associé à la recherche. À ce titre, il a poursuivi son travail de supervision en laboratoire et de rédaction de recherche. Certes, le travailleur ne peut utiliser au cours de cette période son bras gauche pour la rédaction de rapports de recherche. Toutefois, la preuve révèle, notamment l’échange de courriels, qu’il utilise un ordinateur et la main droite pour cette tâche. Or, ce n’est pas parce qu’un travailleur emprunte un autre mode opératoire pour effectuer ses tâches que cela signifie qu’il n’exerce pas son emploi.
[21] Quant à la tâche de supervision en laboratoire, selon la preuve, le travailleur bénéficie d’une aide des étudiants pour certaines activités en laboratoire. La Commission des lésions professionnelles croit que cette aide technique de la part d’étudiants ne fait pas en sorte que le travailleur n’exerce plus la tâche de supervision en laboratoire. De fait, la notion de supervision implique une notion de contrôle des activités effectuées en laboratoire. Or, la preuve ne permet pas de conclure qu’en ne pouvant utiliser son bras gauche, le travailleur ne pouvait exécuter la tâche de supervision en laboratoire.
[22] De plus, même si l’aide apportée par les étudiants modifie un tant soit peu, les tâches du travailleur, en considérant le second courant jurisprudentiel, le tribunal estime que le travailleur exerce quant même l’essentiel de son emploi d’associé de recherche.
[23] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles juge que le coût de l’assistance médicale en lien avec la lésion professionnelle subie par le travailleur, le 26 mars 2012, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’Université McGill, l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût de l’assistance médicale en lien avec la lésion professionnelle subie par monsieur Emmanuel Gaillard, le travailleur, le 26 mars 2012, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités.
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Philippe Bouvier |
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Madame Geneviève Leroux |
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UNIVERSITÉ MCGILL |
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Représentante de la partie requérante |
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