Bolduc et Constructions Bissonnette MRGC inc. |
2010 QCCLP 396 |
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[1] Le 26 mai 2008, monsieur Jean-Pierre Bolduc (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 22 mai 2008.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a rendue le 26 mars 2008 à l’effet de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 28 mars 2008 au motif que le travailleur, sans raison valable, a omis de se soumettre à un examen médical demandé par son propre médecin.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Lévis le 8 décembre 2009. Bien que dûment convoqué, Les Constructions Bissonnette M.R.G.C. inc. (l’employeur) n’est pas représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision en litige et de rétablir le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du 28 mars 2008 au 24 juin 2008 alors que ce n’est pas sans raison valable qu’il a omis de se présenter à l’évaluation médicale prévue auprès de son médecin.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des associations syndicales considèrent bien fondée la requête du travailleur. Celui-ci a fait au préalable toutes les démarches requises afin d’obtenir la permission spéciale de se présenter à l’examen médical le 25 mars 2008. C’est à la suite d’un changement de politique applicable au Centre de détention qui n’autorise plus désormais les escortes pour les expertises en lien avec la CSST que le travailleur a été avisé, le jour de l’examen, de l’impossibilité de se rendre au rendez-vous et qu’il a déposé une plainte à ce sujet. Ce n’est donc pas sans raison valable mais plutôt à cause d’un imbroglio administratif hors de son contrôle que le travailleur a omis de se soumettre à l’examen médical dont la date avait été reportée au 25 mars 2008 de concert avec le médecin qui a charge, la CSST et le Centre de détention. Le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu doit donc être rétabli pour la période du 28 mars 2008 au 24 juin 2008 inclusivement.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider du bien-fondé de la suspension, le 28 mars 2008, du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur avait droit au présent dossier.
[7] L’article 142 paragraphe 2 (a) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) stipule ce qui suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° […]
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
[…]
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[8] La preuve révèle que le travailleur œuvre pour le compte de l’employeur depuis 1985. Il exerce le métier de charpentier-menuisier.
[9] Le 8 février 2006, le travailleur subit au travail une chute d’une hauteur d’environ quatre pieds et atterrit sur le côté droit. Il s’ensuit des contusions multiples au thorax en plus d’une bursite et d’une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.
[10] Le 21 août 2006, le docteur Lirette prescrit une intervention chirurgicale au niveau de l’épaule droite du travailleur. Cette intervention est effectuée par ce chirurgien orthopédiste le 12 mars 2007. Le travailleur suit des traitements de physiothérapie tant avant qu’après l’intervention chirurgicale précitée.
[11] Vers la mi-juillet 2007, le travailleur est incarcéré au Centre de détention de Québec. Il poursuit ses traitements ainsi que le suivi médical auprès du docteur Lirette, selon la politique alors en vigueur au Centre de détention.
[12] Le 19 septembre 2007, le docteur Lirette remplit un rapport final. Il établit au 20 octobre 2007 la date prévisible de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur qui en conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le docteur Lirette entend produire lui-même le rapport d’évaluation médicale se rapportant aux séquelles permanentes et limitations fonctionnelles.
[13] Le 18 décembre 2007, le travailleur ne peut se présenter au rendez-vous avec le docteur Lirette pour l’évaluation médicale faute d’accompagnateur disponible au Centre de détention, lequel n’avait pas été avisé de ce rendez-vous au préalable.
[14] Aucune suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur n’est alors effectuée par la CSST qui considère l’omission du travailleur attribuable à un imbroglio.
[15] Le rendez-vous pour l’évaluation médicale est alors reporté au 25 mars 2008, comme en attestent les documents émanant de la CSST et du Centre de détention.
[16] Le 27 février 2008, le travailleur avise la CSST qu’il a demandé et obtenu la permission spéciale de se rendre à son rendez-vous avec le docteur Lirette aux fins de l’évaluation précitée. La CSST avise alors le travailleur qu’elle suspendra le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu s’il ne se rend pas au rendez-vous.
[17] Le 20 mars 2008, la CSST est informée par le Centre de détention que le travailleur ne pourra se rendre au rendez-vous prévu avec le docteur Lirette compte tenu d’une nouvelle politique de l’établissement qui n’autorise plus l’accompagnement des détenus pour de telles évaluations mais seulement pour le suivi médical.
[18] Le 25 mars 2008, le travailleur qui connaît le mois et non pas la date du rendez-vous est avisé que celui-ci est annulé. Il dépose alors une plainte écrite à ce sujet.
[19] Le 26 mars 2008, la CSST suspend le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 28 mars suivant. Le travailleur conteste cette décision que confirme la CSST à la suite d’une révision administrative, d’où la requête dont la Commission des lésions professionnelles est actuellement saisie.
[20] Au soutien de sa requête, le travailleur reprend devant le présent tribunal la teneur des documents émanant de la CSST ainsi que du Centre de détention attestant des démarches effectuées afin d’obtenir l’évaluation médicale auprès du docteur Lirette qui avait été reportée en mars 2008.
[21] Le travailleur souligne, en outre, avoir revu le docteur Lirette en mai 2008 à la suite de douleurs accrues à l’épaule droite et d’une cervicobrachialgie, et ce, à la demande du docteur Bissonnette qui l’avait examiné au Centre de détention.
[22] C’est toutefois le docteur Fradet qui, à la demande de la CSST, a procédé à l’évaluation médicale du travailleur peu après sa sortie du Centre de détention le 18 juin 2008. Ce chirurgien-orthopédiste a fixé au 25 juin 2008 la date de consolidation de la lésion professionnelle à l’épaule droite avec un déficit anatomophysiologique de 1 % et des limitations fonctionnelles telles que décrites au rapport du 25 juin 2008 dont les conclusions auraient été confirmées ensuite par le docteur Lirette en tant que médecin qui a charge du travailleur.
[23] À même l’état de la preuve qui lui a été présentée, la Commission des lésions professionnelles considère que ce n’est pas sans raison valable que le travailleur a omis de se présenter au rendez-vous avec le docteur Lirette, tel que reporté au 25 mars 2008, en vue de procéder à l’évaluation médicale prévue à la loi.
[24] C’est en raison d’un changement de politique intervenu au Centre de détention que le travailleur, lequel avait demandé et obtenu au préalable la permission spéciale de se rendre au rendez-vous avec un accompagnateur afin de subir l’évaluation dont la date du report avait été convenue tant avec le médecin qui a charge, la CSST qu’avec le Centre de détention, a été empêché de se soumettre à un tel examen.
[25] Qui plus est, ce n’est que le jour même prévu pour l’évaluation médicale que le travailleur, n’en connaissant pas la date précise, a été informé que le rendez-vous était annulé. La plainte qu’il a immédiatement déposée s’avérait forcément tardive et inutile en vue de remédier à la situation dans les circonstances.
[26] Il s’agit d’un imbroglio administratif hors du contrôle du travailleur et encore plus flagrant que celui survenu lors du premier rendez-vous fixé avec le docteur Lirette en décembre 2007 en vue de procéder à l’évaluation médicale en cause.
[27] La Commission des lésions professionnelles en conclut que la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu n’était pas justifiée en l’espèce. Le versement de cette indemnité doit être rétabli pour toute la période où il a été suspendu, à savoir du 28 mars 2008 au 24 juin 2008 inclusivement.
[28] Le tribunal se doit de souligner, de surcroît, que contrairement à ce qu’indiquent les notes évolutives de la CSST du 8 mai 2008, celle-ci n’était pas tenue de maintenir la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à défaut d’obtenir une modification de la date de consolidation de la lésion professionnelle.
[29] La poursuite du droit à l’indemnité de remplacement du revenu était fonction plutôt des besoins de réadaptation du travailleur découlant de l’atteinte permanente et surtout des limitations fonctionnelles dont il demeurait porteur en raison de sa lésion professionnelle suivant la teneur du rapport final de son médecin.
[30] L’article 47 de la loi énonce en effet ce qui suit :
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 47.
[31] L’article 132 prévoit par ailleurs en ces termes le moment où la CSST cesse de verser l’indemnité de remplacement du revenu :
132. La Commission cesse de verser une indemnité de remplacement du revenu à la première des dates suivantes :
1° celle où elle est informée par l'employeur ou le travailleur que ce dernier a réintégré son emploi ou un emploi équivalent;
2° celle où elle reçoit du médecin qui a charge du travailleur un rapport indiquant la date de consolidation de la lésion professionnelle dont a été victime le travailleur et le fait que celui-ci n'en garde aucune limitation fonctionnelle, si ce travailleur n'a pas besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 132.
(Notre soulignement)
[32] Le travailleur avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu de même qu’au versement de celle-ci après la consolidation de sa lésion professionnelle dont la date a au surplus été reportée au 25 juin 2008 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles telles qu’établies dans le cadre des conclusions ultérieures du docteur Fradet auxquelles a souscrit le docteur Lirette.
[33] Tel que précisé antérieurement, la suspension du paiement de cette indemnité n’était pas justifiée suivant les prescriptions de l’article 142 de la loi puisque l’analyse des faits bien particuliers du présent cas démontre que ce n’est pas sans raison valable que le travailleur a omis de se présenter à un examen médical prévu par la présente loi.
[34] L’article 143 de la loi prévoit que l’indemnité dont le paiement a été suspendu peut être versée rétroactivement. La suspension du paiement d’une indemnité constitue en effet une mesure incitative et non punitive.
143. La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.
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1985, c. 6, a. 143.
[35] Il est évident que le travailleur n’avait aucunement l’intention de se soustraire à ses obligations en vertu de la loi. Toute la preuve révèle, bien au contraire, qu’il a tout fait pour répondre aux exigences du Centre de détention qui lui permettait d’obtenir, sur permission spéciale, une telle évaluation médicale de la part de son médecin. Le changement de politique intervenu depuis au sein de cet établissement n’est d’aucune façon imputable au travailleur et constitue une raison valable expliquant l’omission de ce dernier de se soumettre à l’examen requis par la présente loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Pierre Bolduc (le travailleur);
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la CSST, à la suite d’une révision administrative le 22 mai 2008;
DÉCLARE que la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 28 mars 2008 n’était pas justifiée;
RÉTABLIT le paiement de cette indemnité pour la période du 28 mars 2008 au 24 juin 2008 inclusivement.
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Geneviève Marquis |
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M. Jean-Pierre Devost |
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CABINET-CONSEIL |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.