Simard c. Moisan |
2006 QCCS 5121 |
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J.B. 3588 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-021288-036 |
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DATE : |
Le 12 octobre 2006 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN-FRANÇOIS BUFFONI, J.C.S. |
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PAUL SIMARD |
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PIERRE SIMARD |
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Demandeurs |
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c. |
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Cal N. Moisan |
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André Moisan |
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Claudette Côté |
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Pierre Bourgie |
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Marc DeSerres |
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Jean-Luc Lussier |
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Mylène Trudel |
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Les Héritiers de feu Vincente Alcindo |
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Jacques Patry |
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Me Richard Lewin, c.a. |
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Charles Logue, c.a. |
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4017625 Canada Inc. |
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9133-0050 Québec Inc. |
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Gestion Cartonam Inc. |
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Importateur et exportateur de papier Phildrey Ltée |
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Ranlac Inc. |
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Gestion Cartoncal Inc. |
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2645-7549 Québec Inc. |
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Gestion Moisandré Inc. |
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Fiducie André Moisan |
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Heenan Blaikie, s.r.l. |
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Harel Drouin-Pkf, s.e.n.c. |
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Welch & Company llp |
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Samson Bélair Deloitte & Touche llp |
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Défendeurs |
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et |
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Investissements Calnar Inc. (anciennement SPB Canada Inc.) |
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9161-3117 Québec Inc. (anciennement Les Emballages Novotel Inc.) |
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Mises en cause |
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JUGEMENT (Demande d’autorisation d’intenter une action dérivée et Requête en rejet d'action) |
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[1] Y a-t-il lieu d’autoriser les demandeurs, actionnaires minoritaires d’une compagnie de droit québécois, à exercer une action dérivée contre les défendeurs? Faut-il au contraire rejeter cette action pour cause de frivolité?
[2] À l’été 2003, les demandeurs, qui détiennent chacun environ 4,5% du capital-actions de la première mise en cause, mieux connue sous son ancienne dénomination de SPB Canada Inc., engagent contre les défendeurs une requête introductive d’instance portant recours en oppression doublé d’une action dérivée.
[3] Dans le volet «oppression», les demandeurs recherchent la protection de la Cour contre les mesures oppressives et l’abus de droit dont ils seraient victimes de la part des défendeurs.[1]
[4] Dans le volet «action dérivée», ils lui demandent l’autorisation d’intenter au nom et pour le compte des deux sociétés mises en cause une action dérivée contre les mêmes défendeurs pour faire cesser l’abus de droit dont elles feraient l’objet de la part de ces derniers et pour exiger réparation quant aux dommages que SPB Canada a subis par les divers agissements abusifs et illégaux de ces défendeurs à son endroit.[2]
[5] Invoquant le refus injustifié des mises en cause de poursuivre les défendeurs, les demandeurs prient le tribunal de leur accorder l’autorisation de le faire à leur place.
[6] Les défendeurs s’y opposent. Certains d’entre eux demandent formellement le rejet de l’action dérivée.
[7] Après une brève introduction concernant la notion d’action dérivée, ce jugement abordera les questions suivantes :
· L’autorisation du tribunal est-elle nécessaire pour intenter une action dérivée à la place d’une société de droit québécois?
· Si oui, les demandeurs remplissent-ils les conditions requises?
· Si oui, le tribunal doit-il en l’occurrence accorder cette autorisation?
· En toute hypothèse, doit-il rejeter l'action pour cause de frivolité?
[8] En droit des compagnies, il est bien connu que la compagnie possède une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires. C’est pourquoi, en principe, un actionnaire n’a pas de recours personnel contre l’auteur d’un dommage causé à une compagnie. Il appartient à cette dernière de prendre action.
[9] Mais qu’arrive-t-il si la compagnie refuse ou néglige de prendre une telle action?
[10] Par exception à la règle suivant laquelle nul ne peut plaider au nom d’autrui, tant la common law [3] que le droit commun québécois par le biais du pouvoir de contrôle de la Cour supérieure [4] offrent un recours similaire à l’action oblique de notre Code civil et connu sous le nom d’action dérivée.
[11] Paradoxalement, les demandeurs répondent à cette question par l’affirmative et certains défendeurs par la négative.[5]
[12] La difficulté provient du fait que le droit fédéral et le droit québécois ne s’expriment pas de la même façon.
[13] Le premier paragraphe de l’article 239 précité de la loi fédérale dispose :
239. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le plaignant peut demander au tribunal l'autorisation soit d'intenter une action au nom et pour le compte d'une société ou de l'une de ses filiales, soit d'intervenir dans une action à laquelle est partie une telle personne morale, afin d'y mettre fin, de la poursuivre ou d'y présenter une défense pour le compte de cette personne morale.
239. (1) Subject to subsection (2), a complainant may apply to a court for leave to bring an action in the name and on behalf of a corporation or any of its subsidiaries, or intervene in an action to which any such body corporate is a party, for the purpose of prosecuting, defending or discontinuing the action on behalf of the body corporate.
[14] La loi fédérale assujettit donc le droit de prendre une action dérivée à l’autorisation du tribunal.
[15] En revanche, les textes législatifs québécois ne requièrent pas expressément une telle autorisation.
[16] Selon un courant de pensée, que favorisent les demandeurs, les tribunaux québécois ont commencé à modeler les divers recours en oppression de droit québécois sur ceux de droit fédéral. Dans cette logique, il serait opportun de traiter l’action dérivée de droit québécois de la même façon que sa cousine fédérale, en y attachant les mêmes avantages et les mêmes conditions. En conséquence, l’autorisation du tribunal serait nécessaire.
[17] Selon un autre courant de pensée, la différence entre les textes suggère au contraire que si l’autorisation est requise en droit fédéral, elle ne l’est aucunement en droit québécois. Citant une jurisprudence québécoise à titre illustratif,[6] certains défendeurs soutiennent qu’il suffit que l’actionnaire prenne lui-même une action directe contre le tiers et mette en cause la compagnie. Et le jugement au fond avalisera la démarche si le demandeur s’est déchargé de son fardeau de preuve.
[18] Avec égards, et sans répudier le louable objectif d’harmonisation qui guide le premier courant de pensée, le tribunal préfère le second.
[19] Lorsque le législateur québécois veut assujettir l’exercice d’une action à une autorisation judiciaire, il le fait explicitement, comme en matière de recours collectif.[7]
[20] Or, le tribunal ne connaît aucune règle expresse ou implicite ni aucune autorité exigeant une telle autorisation.
[21] Cette exigence n’existe pas non plus en matière d’action oblique,[8] proche parente de l’action dérivée et qui, comme elle, fait exception à la règle que nul n’est admis à plaider pour autrui.
[22] Le tribunal conclut que l’exercice de l’action dérivée en droit québécois des compagnies n’est pas assujetti à l’autorisation judiciaire.
[23] Pour ce motif, la demande d’autorisation formulée aux sous-paragraphes 363-a), e) et f) [9] de la Requête introductive d’instance est inutile.
[24] La raison pour laquelle les demandeurs insistent tant pour obtenir l’autorisation de la Cour semble résider dans la vingtaine d’autres conclusions du volet «action dérivée»[10] qui, bien au-delà de la simple demande d’autorisation, visent en fait diverses ordonnances de sauvegarde, lesquelles sont naturellement du ressort souverain du tribunal.
[25] Or, il se trouve que ces demandes d’ordonnances de sauvegarde font, pour l’essentiel, double emploi avec une demande actuellement pendante dans le volet «recours en oppression» et dont les plaidoiries restent à produire.
[26] Comme il n’a jamais été question que présent débat sur le volet «action dérivée» ouvre la porte à un dédoublement du débat parallèle engagé mais non terminé portant sur les (mêmes) ordonnances de sauvegarde, il serait à la fois prématuré et contre-productif d’en traiter ici.
[27] Il y donc lieu de rejeter ces conclusions au motif de dédoublement inutile.
[28] Vu la réponse négative donnée à la question 1, il n’est ni nécessaire ni utile de répondre aux questions 2 et 3.
[29]
Certains défendeurs invoquent le fait que des interrogatoires tenus en
vertu du Code de procédure civile démontreraient que le volet «action dérivée»
est frivole ou manifestement mal fondé et qu'il devrait dès lors être rejeté
conformément à l'article
[30] Même si l'on retenait pour les fins de la discussion que ces interrogatoires font ressortir des faiblesses dans le volet «action dérivée», il n'a pas été démontré que ce dernier était dans son ensemble frivole ou manifestement mal fondé.
[31] Pour ce motif, la requête en rejet échoue.
[32] REJETTE au motif d’inutilité la demande d’autorisation d’exercer une action dérivée formulée aux sous-paragraphes 363-a), e) et f) de la Requête introductive d’instance;
[33] REJETTE au motif de dédoublement inutile le sous-paragraphe 363-g) et tous ses sous-alinéas de même que les paragraphes 364 à 380 de la Requête introductive d’instance;
[34]
REJETTE la requête en rejet fondée sur l'article
[35] LE TOUT, frais à suivre.
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__________________________________ Jean-François Buffoni, j.c.s. |
Me Lucien Bouchard |
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Davis, Ward & Associés |
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Mes Guy Paquette, Chantal Perreault et Julie Bouthillier |
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Paquette Gadler et associés |
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Pour Paul Simard et Pierre Simard |
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Mes Jacques Jeansonne et Marie-France Tozzi |
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Deslauriers, Jeansonne |
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Pour Cal N. Moisan, André Moisan, Claudette Côté, Mylène Trudel, Les héritiers de feu Vincente Alcindo, 9133-0050 Québec Inc., Jacques Patry, 4017625 Canada Inc., Gestion Cartonam Inc., Importateur et Exportateur de Papier Phildrey Ltée, Ranlac Inc., Gestion Cartoncal Inc., 2645-7549 Québec Inc., Gestion Moisandré Inc. et Fiducie André Moisan |
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Me Pierre Fournier |
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Fournier et associés |
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Pour Investissements Calnar Inc. (anciennement SPB Canada Inc.) et 9161-3117 Québec Inc. (anciennement Les Emballages Novotel Inc.) |
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Me Charles Bertrand |
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Duplesses Robillard |
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Pour Pierre Bourgie, Marc DeSerres et Jean-Luc Lussier |
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Me Catherine Lemonde |
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Bélanger, Longtin, s.e.n.c. |
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Pour Charles Logue, c.a. et Welch & Company LLP |
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Me Guy Poitras |
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Gowling Lafleur Henderson, s.r.l. |
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Pour Harel Drouin-PKF, s.e.n.c. |
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Me Jean Tremblay |
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Gilbert, Simard, Tremblay |
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Pour Heenan Blaikie s.r.l. et Me Richard Lewin, c.a.. |
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Mes Marianne Ignacz et Marie-Christine Hivon |
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Ogilvy, Renault |
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Pour Samson Bélair Deloitte & Touche |
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Dates d’audience : |
11, 12 et 13 septembre 2006 |
Prise en délibéré : |
3 octobre 2006 |
[1] Requête introductive d’instance des demandeurs dans sa version du 12 septembre 2006, paragraphe 1.
[2] Ibid., paragraphe 2.
[3] Codifiée
notamment à l’article
[4] Codifié
à l’article
[5] D’autres défendeurs ne se prononcent pas.
[6] Lagacé
c. Lagacé,
[7] Art.
[8] Art.
[9] Il n’y a pas de sous-paragraphes b), c) ou d).
[10] Sous-paragraphe 363-g) et tous ses sous-alinéas et paragraphes 364 à 380 de la Requête introductive d’instance.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.