Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Centre du camion (Beauce) inc.

2010 QCCLP 1930

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

9 mars 2010

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

384591-03B-0907

 

Dossier CSST :

132896911

 

Commissaire :

Jean-François Clément, Juge administratif en chef

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Centre du camion (Beauce) inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

DÉCISION

 

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 21 juillet 2009, Centre du camion (Beauce) inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 juin 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 21 avril 2009 et déclare que le coût des prestations attribuables à la lésion professionnelle subie par monsieur Gino Lachance (le travailleur) en date du 19 février 2008 doit être imputé au dossier de l’employeur.

[3]                Une audience était prévue à Lévis le 5 mars 2010 et l’employeur y a renoncé, préférant déposer une argumentation écrite. Le délibéré a donc débuté à cette date.


L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que tous les coûts inhérents à la lésion professionnelle subie par le travailleur en date du 19 février 2008 doivent être transférés à l’ensemble des employeurs.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert d’imputation qu’il demande en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[6]                L’employeur allègue plus particulièrement le fait que l’accident survenu le 19 février 2008 serait attribuable à un tiers.

[7]                Le travailleur occupe un emploi de mécanicien lorsqu’il subit un accident du travail le 19 février 2008. Il installe alors le moteur d’un chariot élévateur chez un client de son employeur.

[8]                À un certain moment, un mécanicien de l’entreprise cliente de l’employeur met le véhicule en marche, d’où la lésion professionnelle.

[9]                La CSST accepte la réclamation du travailleur en lien avec un diagnostic de fracture ouverte à l’index gauche.

[10]           Les critères permettant de conclure qu’un accident est attribuable à un tiers et qu’il en résulte une imputation injuste ont été précisés par une formation de trois juges administratifs dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2].

[11]           Quatre éléments différents doivent donc être prouvés par l’employeur.

1.      Qu’il y a eu « accident du travail »

2.      Qu’il y a présence d’un « tiers »

3.      Que l’accident est « attribuable » à ce tiers

4.      L’effet « injuste » de l’imputation.

[12]           La première condition est manifestement présente. Le travailleur a bel et bien subi un accident du travail le 19 février 2008.

[13]           La deuxième condition est aussi remplie. Le mécanicien de la compagnie Canam, laquelle est cliente de l’employeur, tout comme la compagnie Canam elle-même, sont des personnes autres que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier.

[14]           La troisième condition consiste à vérifier si l’accident est bel et bien « attribuable » à ce ou ces tiers. Un accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon majoritaire à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %.

[15]           En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal ou les principaux auteurs pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.

[16]           L’affidavit signé par le travailleur en date du 22 février 2010 révèle qu’au moment de l’accident, il travaillait à installer un moteur sur un chariot élévateur en compagnie d’un mécanicien de Acier Canam inc. Alors que le travail était presque terminé, le contremaître a attribué une autre tâche à l’autre mécanicien qui travaillait avec le travailleur. Ce dernier est donc demeuré à l’arrière du chariot élévateur afin de terminer son travail.

[17]           Un autre mécanicien de Canam s’est déplacé dans la cabine du chariot élévateur pour y effectuer un autre travail.

[18]           Afin de pouvoir terminer ses tâches, le travailleur a dû s’absenter quelques instants pour aller chercher des attaches dans l’entrepôt du client. Il est revenu quelques minutes plus tard pour fixer les accessoires au moteur avec les attaches.

[19]           Alors que sa main gauche se trouvait à l’intérieur du système de ventilation du moteur, l’autre mécanicien qui était alors dans la cabine a mis le moteur en marche dans le but de se servir du système hydraulique dans le cadre de la réparation qu’il était en train d’effectuer.

[20]           Avant de mettre le moteur en marche, ce mécanicien n’a pas vérifié si le travailleur était toujours à l’arrière du chariot élévateur.

[21]           Le tribunal estime que l’accident est bel et bien attribuable majoritairement au mécanicien à l’emploi de Canam. Ce dernier avait vu le travailleur effectuer des tâches près du moteur du chariot élévateur et il est clair qu’il aurait dû vérifier si le travailleur y était toujours ou l’aviser avant de faire partir le moteur.

[22]           Reste la question de l’injustice de l’imputation. La formation de trois juges administratifs dans l’affaire Ministère des Transports résume comme suit la preuve qui doit être effectuée en cette matière.

[339]    Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

 

- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340]    Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

 

[341]    Aucune règle de droit ne doit être appliquée aveuglément. On ne saurait faire abstraction des faits propres au cas particulier sous étude. C’est au contraire en en tenant compte que le tribunal s’acquitte de sa mission qui consiste à faire la part des choses et à disposer correctement et équitablement du litige déterminé dont il est saisi219. »

________________________

219          Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 9 juillet 2006, J.-F. Martel ; Entreprises D.F. enr., [2007] QCCLP 5032 .

 

 

[23]           Le tribunal estime qu’il fait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur qu’un mécanicien se blesse en réparant des moteurs. Les activités de l’employeur font en sorte que certains de ses mécaniciens se rendent chez des clients pour réparer de l’équipement ou des véhicules.

[24]           Le fait de se blesser en réparant un moteur est donc inhérent à l’ensemble des activités de l’employeur.

[25]           Le tribunal ne croit pas que la preuve permette de conclure que les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel peuvent être qualifiées d’extraordinaires, d’inusitées, de rares ou d’exceptionnelles.

[26]           Le fait qu’une personne mette en marche un moteur sans vérifier les conséquences possibles de son geste peut certes démontrer de la négligence ou de l’insouciance de la part de cette personne mais on ne peut pas conclure qu’un tel événement soit extraordinaire ou inusité.

[27]           Le fait qu’un mécanicien se blesse parce qu’un collègue de travail est négligent n’a rien de rare ou d’exceptionnel.

[28]           On ne peut parler de piège ou de guet-apens et aucune preuve ne démontre qu’une règle législative quelconque a été enfreinte.

[29]           Dans l’affaire Serv. & Construction Mobile ltée[3], un mécanicien pour une entreprise spécialisée dans l'installation d'équipement électronique subit une lésion professionnelle. Alors qu'il répare une distributrice à essence chez un détaillant, un automobiliste le heurte malgré le périmètre de sécurité qu'il avait installé autour de la distributrice. Le juge administratif constate que 'employeur exploite une entreprise spécialisée dans l'installation d'équipement électronique et les travaux d'électricité. Ses activités supposent, notamment, la réparation de distributrices à essence dans des stations-service. Par conséquent, il est de la nature même du travail de technicien pétrolier d'avoir à travailler à l'extérieur.

[30]           L'une des contraintes afférentes a trait à la circulation de voitures automobiles à proximité du lieu de travail et bien qu'un périmètre de sécurité soit installé, les travailleurs demeurent exposés à la survenance d'accidents attribuables à des automobilistes. Il n'est donc pas injuste que l'employeur soit imputé des coûts d'un accident qui est susceptible de se produire dans le cours des activités de son entreprise. En effet, ce dernier n'a pas démontré en quoi la lésion est attribuable à une situation qui sort des risques inhérents à ses activités. L'employeur dans ce dossier a donc été imputé de la totalité des coûts découlant de la lésion professionnelle.

[31]           Dans Produits forestiers St-Alphonse inc. et Maxi-Tour inc.[4], le travailleur, un mécanicien dans une scierie, avait reçu mandat de rallonger la passerelle centrale de la benne à écorces. Il s'affairait à couper le garde-corps situé à l'extrémité de la passerelle qu'il devait rallonger afin de pouvoir s'exécuter. Le garde-corps constitue le point de retenue de cette extrémité de la passerelle. Celle-ci s'est effondrée subitement de ce côté, entraînant le travailleur dans une chute de cinq mètres. Le tribunal affirme que même s’il avait conclu que l'accident était attribuable au tiers, la demande de l'employeur n'aurait pas été accueillie puisque l'accident résulte clairement d'un risque particulier inhérent à la nature de l'ensemble de ses activités.

[32]           Au surplus, les probabilités qu’un semblable accident survienne sont indéniables.

[33]           Rien dans la preuve ne démontre la mauvaise foi du tiers ou le fait qu’il aurait agi sciemment. Le tribunal estime qu’il a plutôt oublié la présence du travailleur ou négligé de s’en informer. Pareille négligence n’est pas exceptionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

REJETTE la requête de Centre du camion (Beauce) inc., l’employeur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 juin 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que tous les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 19 février 2008 doivent être imputés au dossier de l’employeur.

 

 

 

__________________________________

 

            Jean-François Clément

 

 

 

 

Me Lise Turcotte

Béchard, Morin et ass.

Procureure de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           [2007] C.L.P. 1804

[3]          353851-31-0807 , 2009-04-16, Carole Lessard.

[4]          161709-01C-0105, 2004-07-30, Louise Desbois .

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.