Léveillé c. Municipalité de Frelighsburg |
2021 QCCS 3249 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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N° : |
455-17-001240-175 |
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DATE : |
2 août 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHARLES OUELLET, J.C.S |
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ISABELLE LÉVEILLÉ et MARCEL TRAHAN |
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Partie demanderesse |
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c. |
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MUNICIPALITÉ DE FRELIGHSBURG |
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Partie défenderesse
et Procureur général du Québec partie mise en cause |
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JUGEMENT |
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APPERÇU
[1] La résidence des demandeurs a été endommagée à la suite de débordements, survenus entre janvier et mars 2014, de la rivière aux Brochets qui borde leur propriété.
[2] Celle-ci est située dans une zone qui est désignée à risque de crues sur une carte qui forme l’annexe C du règlement de zonage de la municipalité de Frelighsburg.
[3] La Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[1], adoptée en application de la Loi sur la Qualité de l’environnement, définit la notion de plaine inondable et autorise 5 moyens alternatifs pour en établir les limites géographiques.
[4] Conformément à l’un de ces cinq moyens, la carte qui constitue l’annexe C du règlement de zonage a été établie par la MRC et intégrée au schéma d’aménagement, puis intégrée telle quelle à la réglementation d’urbanisme de la municipalité.
[5] La carte ne distingue pas les zones de grand courant (récurrence 0-20 ans) et les zones de faible courant (20-100 ans) définies à la Politique. Rien n’indique que la propriété des défendeurs serait située à l’intérieur de limites géographiques délimitant une zone de grand courant aux termes de la Politique.
[6] Selon la position actuelle de Frelighsburg, qui plaide que les erreurs commises à l’endroit des demandeurs par ses inspecteurs en bâtiment successifs ne sont pas génératrices de droit, l’article 198 de la section 2 du chapitre 13 de son règlement de zonage s’applique à la propriété des demandeurs, avec pour résultat que toute construction y est interdite. Le premier article de cette section indique :
« 197 Dispositions d’application
Les dispositions concernant la présente section s’appliquent dans les zones à risque de crues identifiées au plan de zonage contenu à l’annexe « C » et qui correspondent à une récurrence de 0-20 ans. »
(Emphase ajoutée sur le « et » par le soussigné)
[7] Effectivement, à la suite des inondations, les demandeurs ont reçu de la part de trois personnes agissant successivement à titre d’inspecteurs en bâtiment de Frelighsburg (M. Van Beverhoudt, Mme Frican et finalement M. Vasseur), des informations incomplètes, inexactes, contradictoires et trompeuses quant aux exigences de la réglementation municipale pour la réparation ou la reconstruction du bâtiment.
[8] Aucun de ces inspecteurs n’était un fonctionnaire municipal dûment désigné par un règlement pour agir à ce titre, tel que l’exige l’article 119 par. 7 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Les deux premiers ont été désignés par de simples résolutions du conseil. Quant au troisième, M. Vasseur, le maire de Frelighsburg a retiré le dossier des demandeurs des mains de Mme Frican, pour le confier à M. Vasseur de façon exclusive, sans qu’aucun règlement ni résolution ne le désigne à cette fonction.
[9] De façon constante, les demandeurs se sont fait dire que la réparation de la résidence à son emplacement actuel n’était pas possible en raison de la proximité de la bande de protection riveraine. De façon constante également, les demandeurs se sont conformé aux exigences changeantes formulées par la municipalité afin d’être autorisés à reconstruire leur résidence sur leur propriété, plus en retrait de la rivière.
[10] Le 6 février 2015, par l’entremise de M. Vasseur, Frelighsburg informe les demandeurs que, suivant l’article 198 du règlement de zonage, toute construction est interdite sur leur propriété.
[11] M. Vasseur déclarera aussi aux demandeurs que lorsqu’il existe un moyen de forcer les propriétaires à quitter une zone à risque, « on les fait sortir de là ».
[12] La demande comporte plusieurs conclusions présentées subsidiairement les unes aux autres. Vu les possibilités d’un appel, le Tribunal se prononce sur chacune.
[13] En premier lieu, le Tribunal détermine que l’article 198 du règlement de zonage, sur lequel Frelighsburg s’appuie pour interdire la reconstruction de la résidence, ne s’applique pas à la propriété des demandeurs. L’article 197 est clair, cette section s’applique aux zones à risque de crues identifiées à l’annexe « C » et qui correspondent à une récurrence de 0-20 ans. La Politique de protection des rives et du littoral n’est pas directement opposable aux citoyens. Son article 4.2, qui prévoit que toutes les constructions sont en principe interdites dans les plaines inondables identifiées sans que ne soient distinguées les zones de grand courant de celles de faible courant, n’a pas pour effet d’ajouter au règlement de zonage ce qui ne s’y trouve.
[14] Conséquemment, le Tribunal ordonne à Frelighsburg d’émettre un permis pour la construction d’une nouvelle résidence sur la propriété des demandeurs.
[15] Eu égard à la demande subsidiaire pour une indemnité en raison de l’expropriation déguisée, le Tribunal détermine que s’il fait erreur quant à l’inapplicabilité des articles 197 et suivants à la propriété des demandeurs, ces derniers se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent plus rien faire de leur propriété, sauf démolir la maison endommagée et se promener sur le terrain.
[16] Le délai de prescription applicable à cette demande est de trois ans et elle n’est pas prescrite.
[17] Le Tribunal a interrompu son délibéré pour permettre aux demandeurs de modifier les conclusions de leur demande introductive d’instance qui concernent l’expropriation déguisée. Les défendeurs se sont opposé à ces modifications que le Tribunal a autorisées après les avoir entendus. Le Tribunal a scindé l’instance pour que la détermination de l’indemnité puisse avoir lieu subséquemment, si la demande est accueillie.
[18] Le Tribunal conclut qu’en l’espèce la combinaison des fautes commises par les inspecteurs municipaux, ainsi que de l’imposition de limites manifestement arbitraires de la zone à risque de crues à proximité de l’immeuble des demandeurs, a pour effet de stériliser l’usage qui peut être fait de la propriété des demandeurs et constitue une expropriation déguisée, pour laquelle la municipalité devra payer une indemnité aux demandeurs suivant l’article 952 C.c.Q.
[19] En ce qui concerne la demande que les dispositions du règlement de zonage soient déclarées nulles ou inopposables aux demandeurs, le Tribunal la rejette parce qu’elle n’a pas été faite dans un délai raisonnable.
[20] La demande en dommage est soumise quant à elle à la courte prescription de six mois. Seuls les dommages causés par le dernier refus de permis de construction en date du 13 juin 2017 ne sont pas prescrits. Ces dommages s’élèvent à 100 000 $.
[21] La demande en dommages pour abus de procédures est rejetée. La municipalité a agi abusivement vis-à-vis les demandeurs au moment des faits qui fondent la poursuite, mais elle n’a pas adopté un comportement procédural abusif par la suite.
CONTEXTE
[22] On peut résumer comme suit les conclusions articulées par la demande introductive d’instance, avec ses modifications à ce jour :
-déclarer que Frelighsburg applique de façon trop restrictive sa réglementation, ou subsidiairement que les dispositions réglementaires en cause sont inopérantes et inopposables aux demandeurs, et en conséquence autoriser ceux-ci à démolir leur résidence actuelle et déclarer qu’ils ont droit à l’émission d’une autorisation aux fins de la reconstruire;
Ou, subsidiairement
-déclarer que les demandeurs sont victimes d’expropriation déguisée, ordonner à Frelighsburg de procéder à la reprise de leur immeuble et fixer une seconde instruction pour déterminer le montant de l’indemnité payable aux demandeurs ;
Et, en toute hypothèse,
-déclarer que Frelighsburg a agi malicieusement et abusivement vis-à-vis les demandeurs, d’une façon qui constitue une atteinte intentionnelle à leur droit de jouir librement et de disposer de leurs biens garanti par la Charte québécoise, condamner Frelighsburg à leur payer des dommages et intérêts et au remboursement de frais d’expertise pour un montant total de 172 520, 78 $ ainsi que rendre « toute autre ordonnance utile et/ou nécessaire »;
[23] Ils demandent aussi qu’en raison d’une conduite qu’ils jugent abusive, Frelighsburg soit condamnée à leur rembourser les frais d’avocats qu’ils ont engagés.
[24] La position de Frelighsburg est la suivante :
- l’immeuble des défendeurs est situé dans une zone à risque de crues définie par son règlement de zonage, faisant en sorte que les interdictions et contraintes prévues aux articles 198 et suivants du règlement s’appliquent.
- l’article 198 de son règlement de zonage qui mentionne que «Dans les zones à risque de crues sont interdits toutes les constructions, tous les ouvrages à l’exception : (…) » fait en sorte qu’il lui est impossible d’émettre un permis pour la construction d’une nouvelle résidence, au même endroit ou ailleurs sur le terrain des demandeurs.
-elle pourrait autoriser des travaux de réparation du bâtiment existant, suivant l’article 238 de son règlement de zonage qui prévoit la possibilité d’« effectuer les travaux de réparation et d’entretien courants nécessaires pour maintenir en bon état une construction dérogatoire protégée par droits acquis», à la condition que les réparations soient assorties de mesures d’immunisation, conformément à l’article 198 par. 1 de son règlement de zonage, dont notamment un remblai pour rehausser le bâtiment, mais encore Frelighsburg ne s’accorde pas avec le Procureur général quant à la légalité de la construction -inévitable compte tenu de la localisation du bâtiment- d’une partie de ce remblai dans la bande de protection riveraine. Frelighsburg soutient que son conseil municipal a le pouvoir d’accorder ou de refuser une demande de dérogation mineure pour construire le remblai dans la bande de protection riveraine, alors que le Procureur général soutient l’inverse. Soulignons qu’à l’audience l’avocate de Frelighsburg affirme que la réglementation ne prévoit nulle part la condition, imposée par le troisième inspecteur municipal au dossier, que la bâtisse à réparer ait conservé plus de 50 % de sa valeur pour que sa réparation puisse être autorisée ;
-il ne saurait être question d’expropriation déguisée puisque Frelighsburg ne s’est pas approprié à son bénéfice l’immeuble des demandeurs et que, d’autre part, les restrictions imposées à son usage ne découlent pas des agissements de Frelighsburg mais bien plutôt du fait que les lieux sont à risque d’inondation et que, dans ce cas, la Politique de la protection des rives, du littoral et des plaines inondables ainsi que le schéma d’aménagement l’oblige à imposer ces restrictions. Le Procureur général renchérit sur ce point, ajoutant que contrairement à la situation examinée par la Cour d’appel dans Ville de Saint-Rémi c. 9120-4883 Québec inc.[2], l’interdiction de construire stipulée dans le règlement de zonage de la municipalité est expressément autorisée par l’article 113 par. 16 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (LAU).
-Frelighsburg plaide que toutes les demandes des demandeurs sont prescrites ou n’ont pas été intentées dans un délai raisonnable.
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[25] Les demandeurs ont acquis la propriété en 2013. La demande introductive comporte des reproches eu égard à la validité du permis de construction émis en 1974 lors de la construction initiale de la maison, et aussi en ce qui concerne la conformité avec ce permis des travaux alors effectués. Ces reproches n’ont pas été repris à l’audience. Le Tribunal traite donc courtement des circonstances de l’émission du premier permis de construction, sans s’y attarder davantage.
[26] La demande de permis de construction pour l’érection de la résidence fut déposée le 4 novembre 1994 par les propriétaires de l’époque. Le lot sur lequel elle sera construite n’est alors pas encore inclus dans la zone à risque de crues suivant la réglementation.
[27] À la suite d’un avis de motion donné le 7 novembre 1994, un règlement est adopté le 7 décembre 1994 qui modifie le zonage de telle façon que le lot en question est maintenant inclus dans cette zone à risque de crues.
[28] La construction étant autorisée par la réglementation telle qu’elle existait à la date du dépôt de la demande de permis, le permis de construction fut délivré dès le 10 novembre 1994 et le bâtiment fut plus tard construit. Frelighsburg reconnaît aux propriétaires actuels - les demandeurs - des droits acquis quant au bâtiment. La preuve ne supporte pas les autres reproches des demandeurs, eu égard à la légalité de la construction initiale.
[29] En 2013, les demandeurs habitent Brossard. Marcel Trahan souffre d’un syndrome de stress post-traumatique complexe - pour lequel il recevra plus tard, de façon rétroactive, des indemnités de l’IVAC - ainsi que d’un syndrome d’Asperger. Avec son épouse, la demanderesse, il cherche un endroit paisible en milieu rural pour s’établir, dans le but notamment de réduire son anxiété.
[30] Le 13 décembre 2013, ils font l’acquisition de la propriété en cause où ils emménagent peu après. Ils sont informés avant l’achat qu’elle est située dans une zone à risque de crues. Les vendeurs les informent également avoir déjà été victimes d’une inondation et avoir par la suite bétonné les ouvertures du sous-sol et déménagé au rez-de-chaussée les chambres qui s’y trouvaient.
[31] La maison repose pour partie sur des fondations standards et pour partie sur un vide sanitaire. L’intention des demandeurs au moment de l’achat est de construire plus tard un 2e étage pour ensuite condamner le sous-sol.
[32] Le 10 janvier 2014, un embâcle se forme sur la rivière aux Brochets et la propriété est inondée. L’eau monte au-dessus des murs de fondation et entre dans le sous-sol en quantité. Il y a alors 24 pouces d’eau dans le sous-sol de la résidence.
[33] L’embâcle est brisé le 14 janvier et l’eau se retire du terrain dans l’heure qui suit. Les demandeurs constatent qu’au sous-sol un tuyau d’un diamètre de 4 pouces s’est déboîté durant l’inondation et que la fausse sceptique s’est en partie déversée dans le vide sanitaire. Ils retirent les matériaux souillés du sous-sol et du vide sanitaire, passent les surfaces à l’eau de javel et épandent de la chaux sur le concassé du vide sanitaire.
[34] Le 29 janvier 2014, le ministre de la Sécurité publique déclare la municipalité de Frelighsburg zone sinistrée (arrêté ministériel pièce P-10).
[35] Début février 2014, Marcel Trahan entre en contact avec l’inspecteur municipal de Frelighsburg, Gabriel Van Beverhoudt, pour s’informer quant aux travaux qu’il peut effectuer, compte tenu de la réglementation particulière en zone inondable.
[36] L’inspecteur municipal Van Beverhoudt lui dit qu’aucun travail ne peut être exécuté dans la bande riveraine de 10 m. À ce moment, la maison est à 3,44 m de la limite de la bande riveraine.
[37] Van Beverhoudt exige aussi qu’à l’occasion des travaux, qu’il s’agisse de réparation ou de reconstruction, le niveau du rez-de-chaussée soit haussé pour atteindre celui de la limite de la zone inondable au chemin public. À la lumière d’un plan de niveau que le Ministère de la Sécurité publique fait préparer (pièce P-11), qui est disponible à compter du 24 février 2014, Marcel Trahan et M. Van Beverhoudt constatent tous les deux qu’il est nécessaire de soulever la maison d’au moins 5 pieds pour atteindre le niveau exigé.
[38] Ce dernier explique à Trahan qu’en raison de la pente réglementaire du remblai qui doit être construit pour surélever la maison au niveau exigé, le remblai devra se prolonger à l’intérieur de la bande riveraine, ce qui est interdit selon les explications de l’inspecteur Van Beverhoudt. La réparation ou la reconstruction au même endroit est donc impossible.
[39] L’inspecteur suggère de relocaliser la maison plus loin de la rivière afin que le remblai n’atteigne pas la bande riveraine. Il explique au demandeur qu’il n’y a aucun empêchement à déménager ou encore reconstruire la maison plus loin sur son terrain, à la condition qu’elle conserve la même superficie au sol et qu’aucun travail ne soit effectué dans la bande riveraine.
[40] Le 17 mars 2014, les demandeurs fournissent des plans pour la construction d’une nouvelle résidence, située en retrait de la rivière et construite sur un remblai, tel qu’exigé. L’inspecteur municipal se charge d’acheminer les plans au Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de la municipalité. Les demandeurs sont alors convaincus, c’est d’ailleurs ce que leur dit M. Van Beverhoudt, que l’approbation du CCU et ensuite du conseil municipal sont les seules conditions qui restent à remplir pour obtenir le permis de construction.
[41] Le terrain des demandeurs sera inondé à deux autres reprises, à la fin mars et en avril 2014. L’eau de la rivière s’infiltre à nouveau à l’intérieur des fondations de la maison en quantité. Une partie de la berge est érodée. La distance qui la sépare de la partie la plus rapprochée de la maison passe de 13,44 m à 10,40 m. La maison n’est alors plus qu’à 40 cm de la bande riveraine.
[42] Sauf des travaux d’urgence, les demandeurs ne sont pas autorisés à entreprendre des travaux de réparation.
[43] Le 17 avril 2014, le CCU émet un avis favorable quant aux plans de la nouvelle résidence des demandeurs, après avoir requis et obtenu des précisions de leur part.
[44] Le 5 mai 2014, le conseil municipal adopte la résolution 523-05-14 qui se lient ainsi :
« Procès-verbal du Conseil de la Municipalité de Frelighsburg
Frelighsburg, le 5 mai 2014
[…]
RÉS 523-05-14 ÉMISSION DU PERMIS NO. 14-004 AIRE PIIA
Il est proposé par le conseiller Jean Lévesque
Appuyé du conseiller Charles Barbeau
Résolu à l’unanimité
QUE : Le conseil municipal autorise l’émission du permis de construction 14-004 en faveur de la propriété de Marcel Trahan, située au [...], conformément aux recommandations détaillées au procès-verbal du CCU du 17 avril 2014.
ADOPTÉ
[…] »[3]
(Emphases dans le texte original)
[45] Les demandeurs sont présents à la réunion ordinaire du conseil municipal à l’occasion de laquelle cette résolution est adoptée. Ils sont sous l’impression, tel que l’inspecteur municipal Van Beverhoudt le leur a expliqué, que suite à cette résolution, ce dernier leur émettra le permis sans délai. À la fin de la réunion, ils remercient les membres du conseil municipal, dont certains les félicitent.
[46] Deux semaines plus tard, n’ayant pas reçu le permis de construction, Monsieur Trahan appelle à la municipalité pour savoir ce qu’il en est. On lui apprend que Monsieur Van Beverhoudt est remplacé par Madame Anne-Marie Frican qui occupe désormais la fonction d’inspecteur municipal.
[47] Fin mai 2014, le permis n’est toujours pas émis. Madame Frican demande des informations additionnelles aux demandeurs quant à la construction : type de remblai, type de toiture, distance entre l’extrémité de l’abri d’auto et la limite de la bande de protection riveraine. Les informations lui sont transmises dans les 24 heures de la demande.
[48] Mme Frican demande par la suite à M. Trahan de lui fournir un nouveau plan d’implantation du bâtiment sur lequel la distance entre la limite de la bande de protection riveraine et les fondations de l’abri d’auto serait de 7, 5 m plutôt que les 7,2 m indiqués au plan d’implantation précédemment fourni par les demandeurs. Le nouveau plan lui est transmis sans délai.
[49] Début septembre 2014 - quatre mois après la résolution P-14 - Mme Frican informe M. Trahan que, contrairement à ce que lui avait dit M. Van Beverhoudt (et qu’elle n’avait jamais démenti jusqu’alors), l’émission du permis pour la construction de la nouvelle résidence est assujettie à l’obtention préalable d’une autorisation de dérogation mineure de la part du conseil municipal. Elle assure cependant M. Trahan qu’il ne s’agit que d’une formalité. Elle l’invite à compléter une demande de dérogation mineure, à partir d’un formulaire.
[50] Le 16 septembre 2014, Madame Frican rédige une lettre (pièce P-15) qui fait état notamment de ce qui suit :
-la propriété des demandeurs est entièrement située en zone à risque de crues. « La distinction 0-20 ans (zone de grand courant) et 20-100 ans (zone de faible le courant) n’est pas cartographiée à ce jour dans les données cadastrales. »
- La reconstruction de la propriété en cause est interdite par l’article 198 du règlement de zonage dont des extraits sont cités dans la lettre.
-Le remblayage, à titre de mesure d’immunisation de résidences existantes, doit se limiter à une protection immédiate autour de la construction visée et la pente du remblai ne doit pas être inférieure à 1/3 (rapport vertical/ horizontale).
-« La résidence se situant actuellement à la limite de la bande riveraine de la Rivière aux Brochets d’une largeur de 10 mètres, tout remblai est interdit conformément aux mesures de protection applicables pour les rives et le littoral. »
-La résidence n’est pas admissible à une dérogation octroyée par la MRC « selon l’article 200 Constructions, ouvrages et travaux admissibles à une dérogation ».
-La résidence bénéficie de droits acquis.
-Suivant l’article 238 du règlement de zonage (dont des extraits sont cités dans la lettre), Monsieur Trahan a « la possibilité de reconstruire sur les mêmes fondations sa résidence sinistrée, mais ne peut relocaliser sur son terrain la résidence étant donnée la non-constructibilité du terrain en zone de crues. Les mesures d’immunisation doivent être respectées afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes. »
-« Un dernier aspect à considérer est le fait que Monsieur Trahan est à 10,40 mètres de la Rivière aux Brochets et donc à 40 cm de la bande riveraine. » La lettre cite l’article 228 du règlement de zonage qui interdit toutes constructions à l’intérieur de cette bande.
-«Considérant l’ensemble des éléments cités précédemment, M. Trahan, étant donné le droit acquis de l’usage résidentiel, a la possibilité de faire une demande de dérogation mineure, afin de pouvoir relocaliser et immuniser sa nouvelle résidence, si le fait de conserver l’existant ne satisfait pas aux mesures d’immunisation en vigueur. Cette demande doit être soumise au Comité consultatif en urbanisme et au Conseil municipal.»
[51] Comme suggéré par Mme Frican, Monsieur Trahan fait le 17 septembre 2014 une demande de dérogation mineure (pièce P-16) pour être autorisé à construire la nouvelle résidence en retrait de la rivière et, par la suite, à démolir leur résidence actuelle. La demande mentionne entre autres :
«Étant donné le droit acquis d’utilisation résidentielle, de permettre de relocaliser une nouvelle fondation plus loin de la rivière au brochets, ce qui permettrait une immunisation de la maison tout en restant à l’extérieur de la bande de protections riveraines. »
(transcription littérale)
[52] La demande de dérogation mineure est présentée au CCU le 2 octobre 2014, et ensuite au conseil municipal le 6 octobre 2014. Monsieur Trahan est présent à l’assemblée ordinaire du conseil municipal le 6 octobre 2014. Le conseil municipal décide alors que «La demande est suspendue et mise à l’étude » (pièce P-17, à la page 414).
[53] Le ou vers le 14 novembre 2014, à la demande de la municipalité, les demandeurs rencontrent le maire, 6 conseillers ainsi que la directrice générale de Frelighsburg. Ces derniers leur posent différentes questions sur le projet de reconstruction auxquelles les demandeurs répondent. La seule information qu’ils refusent de dévoiler est le montant du financement hypothécaire qu’ils ont demandé à leur institution pour reconstruire la maison, au motif que cette information est confidentielle et ne concerne pas le conseil, ce avec quoi la directrice générale de la municipalité se dit en accord.
[54] À l’issue de cette rencontre, les représentants de la municipalité disent aux demandeurs qu’ils vont continuer à étudier leur demande.
[55] Le 1er décembre 2014 - soit 10 ½ mois après la première inondation- le conseil municipal rejette la demande de dérogation mineure. La résolution (No. 646-12-14, pièces P-19) adoptée par le conseil municipal se lit ainsi :
RÉS 646-12-14 DEMANDE DE DÉROGATION MINEURE RELATIVE AU [...]
CONSIDÉRANT la demande de permis de construction de M. Marcel Trahan et Mme Isabelle Léveillé pour une nouvelle résidence sise sur le lot [...];
CONSIDÉRANT les dommages causés sur la résidence actuelle par l’inondation survenue au mois de janvier 2014 et l’embâcle au mois d’avril 2014;
CONSIDÉRANT la situation précaire pour les résidents suite à ces évènements et la dégradation de leur qualité de vie;
CONSIDÉRANT le projet d’une nouvelle construction en retrait de la rivière aux Brochets et de la bande riveraine;
CONSIDÉRANT que le projet de nouvelle construction conserve la même superficie que l’existant et que le plan d’implantation propose un projet hors des fondations actuelles:
CONSIDÉRANT les plans et documents soumis par les propriétaires qui intègrent les mesures d’immunisation sans empiéter dans la bande riveraine;
CONSIDÉRANT la demande de dérogation mineure No. 14-022 présentée au Comité consultatif d’urbanisme afin d’accorder le nouveau plan d’implantation;
CONSIDÉRANT le zonage en zone à risque de crues pour la totalité du terrain des propriétaires;
CONSIDÉRANT l’érosion notable de la rive de la rivière aux Brochets:
CONSIDÉRANT l’article 145.2 de la Loi sur l'aménagement et l’urbanisme;
CONSIDÉRANT l’article 198 Mesures relatives aux zones à risque de crues du règlement de zonage No. 124-2010 en vigueur;
CONSIDÉRANT l’article 200 Constructions, ouvrages et travaux admissibles à une dérogation du règlement de zonage.No. 124-2010 en vigueur;
CONSIDÉRANT l’article 239 Extinction des droits acquis relatifs à une construction du règlement de zonage No. 124-2010 en vigueur;
CONSIDÉRANT le projet non-conforme à l’ensemble des règlements en vigueur;
CONSIDÉRANT le risque de nouveaux événements climatiques importants;
CONSIDÉRANT le précédent catastrophique d’une personne emportée par les eaux lors d’une inondation de l’année 1998 en sortant de sa résidence sise dans une zone à risque de crues de la municipalité de Frelighsburg;
CONSIDÉRANT que le Conseil municipal désire protéger ses citoyens en matière de sécurité publique;
CONSIDÉRANT que la Municipalité s’inscrit dans une démarche durable et mesure les risques à court, moyen et long terme;
POUR CES Il est proposé par le conseiller Charles Barbeau
MOTIFS : Appuyé du conseiller Jean Lévesque
Résolu à l’unanimité des conseillers présents
QUE La Municipalité de Frelighsburg refuse la demande de dérogation mineure pour le [...], propriété de Monsieur Marcel Trahan et de Madame Isabelle Léveillé, dont le projet est de construire sur leur propriété, une nouvelle résidence en zone à risque de crue.
COPIE CERTIFIEE CONFORME
DONNÉ À FRELIGHSBURG
CE 3 DÉCEMBRE 2014
Annie Pouleur
Directrice générale
Secrétaire-trésorière »
(Emphase dans le texte original)
[56] Le 4 décembre 2014, les demandeurs demandent par écrit à Madame Frican ce qui suit (P-20) :
« Bonjour Anne-Sophie,
Ce courriel est pour demander l’émission du permis de construction telle qu’approuvé par le CCU et par la résolution 53-05-14 du conseil municipal tenu le 5 mai 2014 à l’emplacement actuel selon l’usage dérogatoire par droit acquis.
Les mêmes installations septiques seront utilisé ainsi que les mêmes raccordements.
Je contracte moi même les travaux.
Un permis de démolition va être requis.
Marcel Trahan
(numéro de téléphone) »
(transcription littérale)
[57] Dans les jours qui suivent, Monsieur Trahan se présente à l’Hôtel de Ville pour rencontrer l’inspectrice municipale Sophie-Anne Frican, qui refuse de le rencontrer. Elle l’informe que le maire, Monsieur Jean Ducharme, ne l’autorise plus à communiquer avec lui et que pour toute question qui relève de la fonction de l’inspecteur municipal, les demandeurs devront dorénavant s’adresser à Monsieur Jean Vasseur[4].
[58] Ouvrons ici une parenthèse. M. Jean Vasseur est le président et l’âme dirigeante de la société Gestim inc., laquelle dispense des services d’urbanisme à la municipalité de Frelighsburg. Il a témoigné en ce sens et des résolutions autorisant le paiement de factures mensuelles de Gestim inc. apparaissent dans les procès-verbaux des réunions du conseil municipal au dossier de la cour, accompagnées de la description « Hon prof mensuels en urbanisme » (voir notamment P-17, résolution no. 611-10-14, à la page 412, ligne 3585). Les pièces produites comportent des inscriptions suivant lesquelles certains des règlements d’urbanisme de la municipalité ont été rédigés par Gestim inc. Monsieur Van Beverhoudt et Mme Frican sont des salariés de Gestim inc. Aucun d’eux ne témoigne au procès.
[59] M. Vasseur est le seul témoin que Frelighsburg a fait entendre au procès. La directrice générale de la municipalité avait été annoncée comme témoin par Frelighsburg, mais elle ne l’a pas fait témoigner.
[60] M. Vasseur se décrit comme « inspecteur et chef d’entreprise ». Il dit que son rôle consiste à donner des conseils à ses employés et au besoin à les remplacer. Il est évident qu’à Frelighsburg, tout au moins, son rôle va beaucoup plus loin.
[61] Revenons à la séquence des événements.
[62] Le 7 janvier 2015, les demandeurs rencontrent M. Vasseur.
[63] Il leur dit d’entrée de jeu qu’il ne peut émettre le permis parce que le formulaire de la municipalité n’a pas été utilisé pour en faire la demande. M.Trahan est étonné, puisque la seule occasion où on lui a demandé d’utiliser un formulaire jusqu’à cette date est au moment où il a fait une demande de dérogation mineure. Vasseur lui dit aussi que de toute façon, la demande sera refusée.
[64] Le 13 janvier 2015, les demandeurs qui ne lâchent pas prise se plient à l’exigence de M. Vasseur et lui acheminent un formulaire signé par eux qui réitère la même demande (pièce P-21). À ce moment, Vasseur comprend très bien que ces derniers demandent d’être autorisés à reconstruire suivant les plans approuvés par la résolution municipale du 5 mai 2014, mais à l’emplacement de la résidence actuelle, compte tenu que dans sa lettre P-15 du 16 septembre 2014, Mme Frican indique que la municipalité leur reconnaît un droit acquis à reconstruire la résidence, et que la résolution P-16 du 1er décembre 2014 rejetait leur demande de dérogation mineure aux fins de reconstruire la résidence plus en retrait de la rivière.
[65] Une seconde rencontre a lieu avec Vasseur dans les jours qui suivent le dépôt du formulaire.
[66] M. Trahan témoigne qu’à l’occasion de l’une des deux rencontres susdites, il ne peut préciser laquelle, M. Vasseur lui dit qu’une dérogation mineure pour déménager la maison plus loin sur la propriété pourrait être envisagée, mais qu’alors aucun permis ne serait émis pour réparer ou rénover la maison déménagée, puisque, selon les dires de Vasseur, cela permettrait de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. Lors de son témoignage en chef, Vasseur ne nie pas avoir dit cela, mais reformule ses propos différemment et tente de les rationaliser.
[67] Vasseur ne pouvait ignorer qu’une telle solution était impossible, la maison nécessitant d’importantes réparations. En raison de l’écoulement du temps - rappelons que de février à novembre 2014 les demandeurs se sont fait dire par les inspecteurs municipaux que la construction d’une nouvelle résidence serait autorisée et que la réparation de la maison existante était interdite en raison de la proximité de la bande riveraine - des travaux de décontamination très importants sont devenus nécessaires[5]. Déplacer la maison sans pouvoir la réparer est un non-sens.
[68] En ce qui concerne la possibilité de réparer la maison sur place, M. Vasseur représente que ceci ne peut pas être autorisé si le bâtiment a perdu plus de 50 % de sa valeur (une exigence qu’il répétera dans sa lettre du 6 février 2015 P-22) et que les travaux devront inclure des mesures d’immunisation incluant la construction d’un remblai pour élever le bâtiment. Vasseur représenta qu’il serait nécessaire d’obtenir une autorisation de dérogation mineure pour construire le remblai d’immunisation qui devra inévitablement se prolonger dans la bande de protection riveraine.
[69] Encore ici, Vasseur savait très bien que cette avenue n’était pas réaliste. Le refus du conseil, au motif de sécurité publique, d’autoriser quelques semaines plus tôt une dérogation mineure pour reconstruire, avec un remblai et les autres mesures d’immunisation exigées par la réglementation, à plus ou moins 27 mètres de la rivière, ne permettait pas de croire sérieusement qu’il autoriserait une dérogation aux fins de réhabiliter la résidence existante qui se trouve alors à seulement 10,4 mètres de la rivière, donc à un endroit beaucoup plus exposé au risque. Dans sa défense, Frelighsburg plaide spécifiquement qu’une dérogation mineure ne peut pas être autorisée relativement aux contraintes imposées en raison du zonage « à risque de crues » (par. 41 à 44 de la défense). Elle plaide spécifiquement que l’article 145.2 de la LAU empêche d’accorder une dérogation mineure dans une zone à risque de crue établie au règlement de zonage. Le procureur général soutient la même chose. La résolution P-19 allègue l’article 145.2 LAU dans ses « considérant ».
[70] M. Trahan témoigne qu’à la fin des discussions avec M. Vasseur, celui-ci finit par dire qu’il n’y avait pas de solution possible et que, de toute façon, lorsqu’il existe un moyen de forcer des propriétaires à quitter une zone à risque, « on les fait sortir de là ».
[71] Sur ce dernier point les témoignages de Messieurs Trahan et Vasseur sont contradictoires. M. Vasseur ne reconnaît pas avoir tenu ces propos.
[72] Le Tribunal préfère le témoignage de Monsieur Trahan à celui de M. Vasseur. Le premier s’efforce de faire preuve de la plus grande précision et sa sincérité a impressionné le Tribunal.
[73] Avec égards, le témoignage de M. Vasseur était davantage calculé que spontané. Autant Monsieur Trahan faisait tous les efforts pour rapporter les faits avec justesse et précision, autant chez M. Vasseur la volonté de témoigner de façon à éviter de se mettre les pieds dans les plats transparaissait.
[74] M. Vasseur est dans une position délicate. Lui-même et ses employés ont induit les demandeurs en erreur à plusieurs reprises, pendant de longues périodes, ce qui a causé des dommages considérables à ces derniers et les a amenés à intenter deux poursuites contre la municipalité, cliente de Vasseur, dont celle-ci est la seconde (infra).
[75] M. Vasseur qui œuvre dans le domaine municipal depuis de nombreuses années, n’ignore sans doute pas que lui-même, et dans une moindre mesure ses employés Van Beverhoudt et Frican, ont agi à titre d’inspecteur en bâtiment sans avoir été investis de cette fonction conformément à la loi.
[76] L’article 119, par. 7 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme stipule :
« SECTION IV
PERMIS ET CERTIFICATS
119. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement:
[…]
7° désigner un fonctionnaire municipal responsable de la délivrance des permis et certificats. »
[77] Questionnée par le Tribunal à savoir si Van Beverhoudt, Frican ou Vasseur sont des fonctionnaires responsables désignés par un règlement suivant cette disposition, la procureure de Frelighsburg informe le Tribunal qu’il n’y a pas de règlement, mais qu’une résolution aurait été adoptée. À la demande du Tribunal, celle-ci lui fût transmise sans objection pendant le délibéré. Il s’agit de la résolution 808-10-15, adoptée le 5 octobre 2015 (soit 10 mois après que Vasseur se soit saisi du dossier des demandeurs suivant les instructions du maire), qui désigne Jean Vasseur « inspecteur en bâtiment en titre » ainsi que Madame Évelyne Tremblay « au titre d’inspectrice adjointe ».
[78] Le premier paragraphe de la résolution se lit:
«CONSIDÉRANT QUE l’Inspectrice en bâtiment, Madame Anne-Sophie Frican, a remis sa démission au mois d’août dernier à la firme d’inspection municipale Gestime inc. ».
[79] L’avocate de Frelighsburg fait valoir que la désignation de l’inspecteur municipal par résolution plutôt que par règlement est une irrégularité couverte par l’article suivant de la LAU :
« 246.1. L’inobservation, par un organisme compétent ou une municipalité ou par l’un de ses membres du conseil ou fonctionnaires, d’une formalité prévue par la présente loi n’invalide pas un acte, à moins qu’elle ne cause un préjudice sérieux ou que la loi n’en prévoie l’effet, notamment en disposant que la formalité doit être respectée sous peine de nullité ou de rejet de l’acte.
1993, c. 3, a. 87; 2010, c. 10, a. 111. »
[80] Il s’agit de bien plus que de formalités non respectées. Au moment où le maire retire le dossier des demandeurs des mains de Madame Frican pour le confier à M. Vasseur (décembre 2014), et au moment où ce dernier refuse par écrit le permis de construction demandé (le 6 février 2015, infra), Vasseur n’est désigné pour agir à titre d’inspecteur municipal ni par règlement tel qu’exigé par la LAU, ni même par une résolution du conseil municipal. Il n’est pas non plus un fonctionnaire municipal. Il est un chef d’entreprise, comme il le dit lui-même. Ce n’est qu’au mois d’août 2015 que Sophie Frican, à qui le maire a interdit de traiter les demandes des demandeurs depuis décembre 2014, démissionne de ses fonctions d’inspectrice municipale et ce n’est qu’en octobre, comme déjà vu, que M. Vasseur est désigné pour agir à ce titre au moyen d’une simple résolution.
[81] Ironiquement, sans mentionner aucun de ces faits, qui ne seront révélés qu’à la suite de questions du Tribunal, Frelighsburg plaide ce qui suit dans sa défense (emphases ajoutées):
« 37. La délivrance d’un permis de construction par la Municipalité en vertu de sa règlementation d’urbanisme découle de l’exercice d’un pouvoir lié;
38. Le permis de construction ne peut être délivré que par le fonctionnaire désigné à cette fin, et seulement si la demande est conforme à la règlementation d’urbanisme adoptée par la Municipalité;
39. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme [L.R.Q., c. A-19.1, ci-après « LAU »] prévoit que :
« 120. Le fonctionnaire désigné en vertu du paragraphe 7° de l’article 119 délivre un permis de construction ou un certificat d’autorisation si:
1° la demande est conforme aux règlements de zonage et de
construction et, le cas échéant, au règlement adopté en vertu de l’article 116 et au règlement adopté en vertu de l’article 145.21;
(...) »
40. Les dispositions du Règlement sur les permis et certificats de la Municipalité, pièce D-9, sont au même effet; »
[82] Mais revenons au témoignage de M. Vasseur. Il dit « on m’a mandaté pour analyser la demande de permis » des demandeurs de décembre 2014. Il était alors en congé de paternité qui se terminera début janvier 2015. Lors des rencontres de janvier et février 2015 avec les demandeurs, il leur dit que la construction d’une nouvelle résidence est interdite en zone inondable, que cependant il pourrait leur délivrer un permis pour la rénovation de la résidence à son endroit actuel, mais que vu l’ampleur des travaux, la réglementation municipale exige la construction d’un remblai pour surélever le bâtiment, remblai qui allait « fort probablement empiéter dans la bande riveraine ».
[83] Il témoigne qu’il applique l’article 197 du règlement de zonage comme voulant dire que, pour toutes les zones à risque de crues identifiées à la carte jointe comme annexe C au règlement de zonage, les contraintes qui sont énoncées à la Politique pour les zones de récurrence 0-20 ans s’appliquent. Ces contraintes sont reproduites à l’article 198 du règlement de zonage.
[84] En réponse aux questions de l’avocate de Frelighsburg, il témoigne que cette exigence vient de l’article 4.2 al. 1 de la Politique, dont il fait à haute voix lecture devant le Tribunal :
« 4.2. Mesures relatives à la zone de grand courant d’une plaine inondable
Dans la zone de grand courant d’une plaine inondable ainsi que dans les plaines inondables identifiées sans que ne soient distinguées les zones de grand courant de celles de faible le courant sont en principes interdits toutes les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux, sous réserve des mesures prévues aux paragraphes 4.2.1 et 4.2.2 »
[85] Il témoigne ensuite que les zones à risque de crues définies à la carte jointe comme annexe C au règlement de zonage ont été établies par la MRC sans distinguer les zones à récurrence 0-20 ans et 20-100 ans, et qu’ensuite cette carte a été intégrée au règlement de zonage de Frelighsburg, en application du troisième moyen autorisé par la Politique pour déterminer les limites de la plaine inondable, à son article 2.4, dont il fait également la lecture devant la Cour :
« 2.4. Plaine inondable
Aux fins de la présente politique, la plaine inondable et l’espace occupé par un lac ou un cours d’eau en période de crue. Elle correspond à l’étendue géographique des secteurs inondés dont les limites sont précisées par l’un des moyens suivants :
(…)
-une carte intégrée à un schéma d’aménagement et de développement, à un règlement de contrôle intérimaire ou à un règlement d’urbanisme d’une municipalité ;
(…) »
[86] Finalement, Vasseur témoigne avoir informé les demandeurs que des discussions étaient en cours entre la municipalité, la MRC et le ministère de l’Environnement[6] concernant la possibilité de modifier le schéma d’aménagement de la MRC et les règlements de la municipalité pour permettre le déplacement de la construction existante à un autre endroit sur leur terrain.
[87] Effectivement, la pièce D-11 (liasse) fait voir un échange de courriels qui débute par un courriel du 2 décembre 2014 - donc le lendemain de la résolution qui rejette la demande de dérogation mineure - émanant de la MRC Brome-Missisquoi, adressé à une préposée de la «Direction régionale de l’analyse et de l’expertise Estrie et Montérégie » du « MDDELCCC », qui mentionne notamment :
«(…) Je me demandais si tu connaissais des cas où il est possible pour un citoyen de déplacer sa maison sur son terrain afin d’améliorer sa situation. J’essaie d’évaluer les options avant qu’il y ait poursuite judiciaire. »
(Emphases ajoutées)
[88] Dans l’un des courriels échangés, la préposée du MDDELCCC se dit d’avis que la réglementation actuelle ne permet pas «le déplacement d’un bâtiment principal sur un même lot en zone de grands courants » , ajoutant «…bien que la Politique soit muette à ce sujet, le MDDELCCC, dans une perspective d’amélioration de la situation et de diminution du risque, se montre favorable à ce que le déplacement d’un bâtiment principal soit considéré comme une modernisation de la construction permise en vertu du paragraphe a) de l’article 4.2.1 de la Politique si certaines conditions sont rencontrées (…) »[7], en conséquence de quoi la préposée du MDDELCCC écrit penser que des modifications au schéma d’aménagement et à la réglementation municipale visant à permettre le déplacement d’un bâtiment en zone de « grands courants » seraient possibles, à la condition de respecter les conditions posées par le MDDELCCC qu’elle énonce dans son courriel.
[89] Le contenu précis des échanges que nous venons d’énoncer n’a pas été révélé par Vasseur aux demandeurs. À ce jour, la réglementation de Frelighsburg est demeurée inchangée.
[90] Le 6 février 2015, Vasseur signe, à titre d’ « inspecteur », une lettre adressée aux demandeurs qui mentionne « nous pouvons d’ores et déjà vous informer que la demande doit être rejetée parce qu’elle vise une construction interdite dans cette zone en vertu du règlement de zonage de la municipalité[8] ».
[91] Comme déjà dit, au moment où il signe cette lettre il n’est pas inspecteur en bâtiment pour Frelighsburg. L’inspectrice est Mme Frican, qui démissionnera six mois plus tard et sera ensuite remplacée par M. Vasseur en vertu d’une simple résolution du conseil municipal.
[92] La lettre P-22 mentionne aussi que si la destruction n’est que partielle et que le bâtiment n’a pas perdu plus de 50 % de sa valeur, il serait possible d’envisager de le rénover, « à certaines conditions ». Lors de son témoignage, M. Vasseur dit que la réglementation de Frelighsburg ne comporte aucune disposition exigeant que le bâtiment ait conservé plus de 50 % de sa valeur. Il ne fournit pas d’explication pour avoir posé cette exigence. L’avocate de la municipalité dit elle aussi que cette exigence de 50 % de la valeur ne se retrouve nulle part dans la réglementation de la municipalité.
[93] Au printemps 2015, les demandeurs éprouvent des problèmes de santé en raison de l’insalubrité de la résidence qui n’a toujours pas fait l’objet de travaux. Ils constatent des indications de la présence croissante d’humidité dans la structure, de champignons et de moisissure. Ils continuent d’habiter la résidence pendant la période estivale en ouvrant généreusement les fenêtres.
[94] Les revenus du couple sont alors de 42 000 $ par an, c’est-à-dire trop élevés pour bénéficier de l’aide juridique, et trop faibles pour défrayer une poursuite complexe contre la municipalité. Au printemps 2015, M. Trahan reçoit de l’IVAC une indemnité rétroactive à la suite de sévices subis lorsqu’il était jeune, ce qui permet aux demandeurs de consulter en vue de faire valoir leurs droits.
[95] En septembre 2015, ils font effectuer par une firme spécialisée une inspection du bâtiment ainsi qu’une analyse microbiologique des surfaces et de l’air ambiant à l’intérieur de la résidence. Le rapport (P-31) obtenu en octobre 2015 révèle la présence anormale d’humidité ainsi qu’un « profil fongique anormal » de l’air intérieur et des surfaces du bâtiment qui nécessitent des mesures correctives importantes, pour lesquelles un protocole de décontamination des structures est proposé dans le rapport.
[96] Les demandeurs font l’acquisition d’un VR à l’automne 2015 et ils vont passer l’hiver dans le Sud. À leur retour, ils vivent dans le VR stationné sur leur terrain mais font acte de présence dans la résidence régulièrement dans le but d’éviter de perdre leurs droits acquis.
[97] Des négociations ont lieu au cours de l’année 2015 entre les procureurs de Frelighsburg et ceux des demandeurs, sans succès.
[98] Le 30 juin 2016, les demandeurs intentent une première poursuite contre Frelighsburg (455-17-001157-163). Ils recherchent alors des conclusions de nature déclaratoire, l’émission d’une ordonnance à la municipalité de leur « remettre le permis de construction émis par le Conseil municipal le 5 mai 2014 » ainsi qu’une condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 365 607,81 $ à titre de dommages-intérêts. La demande introductive d’instance comporte un ensemble de demandes subsidiaires qui comprennent différentes conclusions déclaratoires ainsi qu’une demande de dommages-intérêts au montant de 494 634,89 $.
[99] Le 27 mars 2017, les demandeurs produisent un désistement. Dans leur demande introductive d’instance au présent dossier[9] ainsi qu’à l’audience, les demandeurs font valoir que ce désistement fait suite à une demande de rejet de la municipalité sur la base de la prescription ainsi qu’à un arrêt de la Cour d’appel[10] prononcé quelques jours avant le désistement, soit le 10 mars 2017. Selon cet arrêt, en l’absence d’un contrat dûment consenti par résolution du Conseil municipal, seuls le régime de responsabilité extracontractuelle et sa courte prescription sont applicables.
[100] Le jugement de la Cour supérieure dans cette affaire[11], que les demandeurs entendaient invoquer jusqu’à ce qu’il soit renversé par la Cour d’appel, avait écarté la courte prescription extracontractuelle dans une affaire où il estimait que la responsabilité de la Ville de Québec découlait d’une entente de partenariat conclue avec la demanderesse, en dépit du fait que cette entente n’avait pas été ratifiée par une résolution du conseil municipal.
[101] Le 7 juin 2017, les demandeurs font une nouvelle demande pour l’émission d’un permis de construction, afin d’être autorisés à reconstruire la résidence en retrait de la rivière, suivant les plans de construction qui avaient été fournis à l’appui de leur demande d’avril 2014. Il est utile de reproduire la lettre qui accompagne cette nouvelle demande[12] :
« Municipalité de Frelighsburg
A l’attention de M. Jean Vasseur, Inspecteur municipal
2, Place Hôtel de Ville
Frelighburg, QC
JOJ ICO
Objet : Nouvelle demande de permis pour reconstruire notre résidence
Monsieur Vasseur,
Faisant suite au désistement produit suite à l'audience tenue à la Cour supérieure du district de Bedford en mars dernier, nous procédons ce jour avec le dépôt d'une nouvelle demande de permis pour reconstruire notre résidence selon les plans qui ont été déposés à la municipalité en avril 2014, lesquels ont par la suite été amendés pour permettre la reconstruction de façon à ce que les mesures d'immunisation proposées ne s'étendent dans la bande de protection riveraine.
Croyant toujours qu'il s'agisse de la meilleure solution possible à long terme, tant pour nous-mêmes que pour la municipalité, nous vous demandons spécifiquement que la municipalité accorde le permis demandé nonobstant l'existence de l'article 198 de son règlement de zonage, comme elle a le pouvoir de le faire. Si une telle demande nous était refusée, nous n'aurions alors d'autre choix que de nous adresser à la Cour supérieure pour faire déclarer inopérant à notre égard l'article 198 de ce règlement, et ce, vu le contexte dans lequel nous nous trouvons et qui nous empêchent à toutes fins pratiques de pouvoir bénéficier de notre propriété en y faisant les travaux requis.
Nous savons que la municipalité a proposé par le passé que nous procédions avec la rénovation de notre résidence à l'endroit où elle se trouve mais comme vous le savez cette solution n'est pas viable pour plusieurs raisons :
- La résidence est située trop près de la bande de protection riveraine et risque d'être inondée à cet endroit encore une fois;
- Les mesures d'immunisation ne peuvent être placées s'il n'y a pas d'ouvrage de protection de la rive : ce qui nécessiterait des travaux importants et par ailleurs non souhaitables pour l'écoulement naturel des eaux;
- Les coûts associés aux mesures de protection de la rive et d'immunisation de la propriété sont disproportionnés par rapport à la valeur réelle de cette propriété;
- La maison actuelle a, depuis trois ans, subis d'importants dommages causés par des moisissures qui n'ont pas été prises en compte, ni par le Ministère de la sécurité publique, ni par la municipalité.
Reconstruire notre maison à une distance d'environ 12.5 mètres (41 pieds) de la bande de protection riveraine nous permettrait de conserver notre propriété, d'y faire aménager notre résidence suivant les normes d'aujourd'hui et avec les mesures de protection pour prévenir toute inondation de celle-ci.
Alors, nous vous demandons de bien vouloir considérer notre demande et de nous accorder le permis demandé, et ce, nonobstant i'existence de l'article 198 du règlement, lequel, à toutes fins pratiques nous place dans une situation où nous sommes privés de la jouissance de notre bien.
Vous remerciant de votre attention, nous demeurons disponibles pour discuter avec vous de ce qui précède à votre plus proche convenance.
Marcel Trahan & Isabelle Leveillé »
(transcription littérale)
[102] Le 13 juin 2017, Évelyne Tremblay, agissant comme «Inspectrice adjointe en bâtiment » informe les demandeurs que leur dernière demande est refusée « parce qu’elle est non conforme à l’article 198 du règlement de zonage.[13]».
[103] Le 17 juillet 2017, les demandeurs intentent leur demande en la présente instance. La demande introductive d’instance sera modifiée plusieurs fois.
[104] L’instruction a lieu le 14, 15, 16, 17 et 18 septembre 2020. Le 3 février 2021, le Tribunal suspend son délibéré et adresse aux procureurs des demandeurs une lettre soulignant des lacunes dans la preuve documentaire.
[105] Le 19 février 2021, le Tribunal tient une audition avec les procureurs des parties. Le délibéré est suspendu jusqu’au jugement interlocutoire du 6 juillet 2021 qui autorise des modifications à la demande introductive d’instance et scinde l’instance, de façon à ce que, pour l’hypothèse où le moyen alléguant l’expropriation déguisée était retenu, une instruction soit tenue subséquemment pour établir l’indemnité.
ANALYSE
[106] Nous allons examiner l’une après l’autre chacune des demandes alternatives présentées par les demandeurs.
Déclarer que Frelighsburg applique trop sévèrement sa réglementation, autoriser les demandeurs à démolir la résidence actuelle et à en construire une nouvelle et déclarer que les demandeurs ont droit à l’émission d’un permis pour ce faire et ordonner à la municipalité d’émettre le permis.
[107] Frelighsburg fait valoir que la délivrance du permis de construction est un « pouvoir lié » en ce sens que, suivant l’article 120, paragraphe 1, de la LAU, le fonctionnaire responsable désigné par règlement ne peut pas émettre le permis lorsque la demande n’est pas conforme aux règlements de zonage. Elle a raison. Il en découle que l’inspecteur ne peut refuser d’émettre un permis lorsque la demande est conforme à la réglementation. Et que la municipalité doit s’assurer de désigner par règlement, un fonctionnaire responsable de l’émission des permis.
[108] Depuis l’intervention de M. Vasseur et jusqu’à ce jour, la position de Frelighsburg- par opposition à celle de ses inspecteurs en bâtiment Van Beverhoudt et Frican- est que les demandeurs ne peuvent reconstruire une résidence, ni construire quoi que ce soit, sur leur propriété en raison de l’article 198 de son règlement de zonage qui interdit toute construction et tout ouvrage dans les zones à risque de crues (sauf pour les exceptions qu’il énonce, dont aucune ne s’applique aux demandeurs)[14].
[109] L’article 198 de son règlement de zonage, qui est la pierre angulaire de la prétention de Frelighsburg sur ce point, se situe dans la section 2 (Dispositions relatives aux zones à risque de crues) du chapitre 13 (Dispositions relatives à la protection du milieu naturel) du règlement de zonage (pièce P-42). Comme déjà dit, cette section débute par les dispositions suivantes :
« 197 Dispositions d’application
Les dispositions concernant la présente section s’appliquent dans les zones à risques de crues identifiées au plan de zonage contenu à l’annexe « C » et qui correspondent à une récurrence de 0-20 ans. »
(Emphase ajoutée)
[110] En argument, la procureure de Frelighsburg soutient qu’il faut lire cet article avec la Politique sur la protection des rives, du littoral et des plaines inondables et avec le schéma d’aménagement, lequel reproduit mots à mots plusieurs dispositions de la Politique.
[111] Le Tribunal a demandé à la procureure de Frelighsburg comment, puisque qu’aucune évaluation n’a jamais été faite pour distinguer les zones où la récurrence des débordements de la rivière aux Brochets est de 0-20 ans (zones de grand courant) de celles où elle est plutôt de 20-100 ans (zones de faible courant), il est possible de soutenir que la zone dans laquelle se situe la propriété des demandeurs, bien qu’elle soit identifiée à l’annexe C du règlement de zonage, correspond également (c’est, après tout, le sens de la conjonction « et ») à une zone de récurrence d’inondations de 0-20 ans.
[112] En réponse à cette interrogation du Tribunal, Frelighsburg soutient, en substance, la même chose que M. Vasseur lors de son témoignage, c’est-à-dire que l’article 197 est au même effet que l’article 4. 2 de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables, que nous citons à nouveau :
« 4.2 Mesures relatives à la zone de grand courant d’une plaine inondable
Dans la zone de grand courant d’une plaine inondable ainsi que dans les plaines inondables identifiées sans que ne soient distinguées les zones de grand courant de celles de faible courant sont en principe interdit tous les constructions, tous les ouvrages et tous les travaux, sous réserve des mesures prévues aux paragraphes 4.2.1 et 4.2.2. »
[113] Ainsi, poursuit la procureure de Frelighsburg, les mots « et qui correspondent à une récurrence de 0-20 » tel qu’utilisés à l’article 197 du règlement de zonage, auraient le sens des mots suivants, par lesquels ils pourraient être remplacés : « et ces dispositions correspondent aux dispositions des normes de la Politique de la protection des rives, du littoral et des plaines inondables à l’égard des zones de grand courant de récurrence 0-20 ans ».
[114] Avec égards, ce n’est pas ce que l’article 197 de règlement de zonage dit.
[115] D’une part, les mots « et qui correspondent à une récurrence de 0- 20 ans » seraient parfaitement inutiles s’ils avaient le sens que plaide Frelighsburg, puisque les normes énoncées par de la Politique à l’égard des zones de récurrence 0-20 ans apparaissent toutes aux articles 198 et suivants du règlement de zonage.
[116] D’autre part, en langue française, l’article 197 dit clairement que cette section du règlement s’applique aux zones à risque de crues qui à la fois sont identifiées comme telles à l’annexe C et qui ont une récurrence de crues de 0-20 ans.
[117] Ainsi, cette section du règlement ne s’applique pas à la propriété des demandeurs.
[118] Monsieur Van Beverhoudt et Madame Frican n’ont pas témoigné. Nous pouvons cependant constater que ni l’un ni l’autre n’ont donné à l’article 197 le sens que lui donne M. Vasseur ainsi que Frelighsburg.
[119] Avec égards, l’erreur de M. Vasseur, qui était palpable lors de son témoignage, est de faire comme si la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables avait un effet normatif opposable directement aux citoyens. Il réfère d’ailleurs au texte de celle-ci pour justifier son refus d’émettre le permis de construction. Or,- à tout le moins en ce qui concerne les usages résidentiels qui, comme celui-ci, ne requièrent pas de certificat d’autorisation du ministre de l’Environnement -[15] pour avoir un effet contraignant quant à l’usage de leur propriété par les citoyens, les normes précises que la Politique prévoit et les contraintes très sévères qu’elle énonce doivent être d’abord intégrées au schéma d’aménagement de la MRC et ensuite être dûment intégrées, par la municipalité ou exceptionnellement par le ministre, dans la règlementation d’urbanisme de la municipalité locale, laquelle leur donne alors force de loi[16].
[120] Il est évident que Monsieur Vasseur, et à sa suite la municipalité elle-même, ont tenté de pallier les lacunes de leur réglementation en faisant l’application directe aux demandeurs de la Politique ministérielle.
[121] Pour ces raisons, le Tribunal conclut que les demandeurs ont droit à l’émission d’un permis de construction pour la construction d’une résidence conforme aux plans qui ont été approuvés par la résolution du 5 mai 2014, à un endroit, sur leur propriété, suffisamment éloigné de la rivière pour éviter tout empiètement dans la bande de protections riveraines de 10 m. Une demande de permis à cet effet a été faite le 7 juin 2017 et refusée le 13 juin 2017.
[122] Étant donné la possibilité d’un appel de cette conclusion, le Tribunal se prononce également sur les autres arguments et les autres demandes formulés par les demandeurs.
[123] Ceux-ci plaident que la discrétion judiciaire attribuée par l’article 227 LAU peut être exercée sans devoir attendre qu’une demande formelle en démolition et cessation d’un usage dérogatoire soit intentée contre eux. Ainsi, le Tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser à l’avance une construction dérogatoire dans certaines circonstances. Cet article se lit comme suit :
« 227. La Cour supérieure peut, sur demande du procureur général, de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation:
1° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec:
a) un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;
b) un règlement prévu à l’un ou l’autre des articles 79.1 à 79.3, 116 et 145.21;
c) un règlement ou une résolution de contrôle intérimaire;
d) un plan approuvé conformément à l’article 145.19;
e) une entente visée à l’article 145.21, 165.4.18 ou 165.4.19;
f) une résolution visée au deuxième alinéa de l’article 145.7, 145.34, 145.38,
165.4.9 ou 165.4.17 ou au troisième alinéa de l’article 145.42;
2° d’une intervention faite à l’encontre de l’article 150;
3° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec les dispositions d’un plan de réhabilitation d’un terrain approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en vertu de la section IV du chapitre IV du titre I de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2).
Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction conforme à la résolution, à l’entente, au règlement ou au plan visé au paragraphe 1° du premier alinéa ou pour rendre conforme au plan métropolitain applicable, aux objectifs du schéma applicable ou aux dispositions du règlement de contrôle intérimaire applicable l’intervention à l’égard de laquelle s’applique l’article 150 ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.
Elle peut aussi ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction compatible avec les dispositions du plan de réhabilitation mentionné au paragraphe 3° du premier alinéa ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain. »
[124] L’attribution de discrétion judiciaire par l’utilisation du mot « peut » dans cette disposition, ainsi que les paramètres de l’exercice de cette discrétion, sont mis en lumière notamment dans l’arrêt Municipalité de Les Éboulements c. Tremblay[17], dans lequel la Cour d’appel fait, aux paragraphes 40 à 44, une revue de la jurisprudence pertinente pour ensuite conclure :
« [53] Somme toute, une application rigide et aveugle de la réglementation entraînait, pour la mise en cause, une injustice qui justifiait, exceptionnellement, de faire jouer la discrétion judiciaire, d’accueillir la requête mais de rejeter la demande de déplacement et de démolition de sa résidence. »
[125] Les demandeurs font valoir qu’ils font face à une application injuste, rigide et aveugle de la réglementation et que les critères élaborés par la Cour d’appel pour l’exercice de la discrétion judiciaire qui découle de l’article 227 LAU sont satisfaits. Ils soulignent aussi que la Cour supérieure a, dans une affaire[18], utilisé la discrétion que lui reconnaît l’article 227 LAU pour rejeter une demande d’ordonnance de démolition, au motif que de faire droit à cette demande équivalait à empêcher toute utilisation de la propriété et constituerait de l’expropriation déguisée. Or, disent-ils, l’interdiction à laquelle ils font face de faire toute construction et tout ouvrage sur leur propriété constitue précisément une expropriation déguisée.
[126] Les demandeurs ajoutent qu’il serait insensé qu’ils se voient obliger, avant de pouvoir demander au Tribunal d’exercer sa discrétion remédiatrice, d’entreprendre la construction d’une résidence sur leur terrain sans avoir pu obtenir le permis nécessaire, aux fins de provoquer un recours en démolition contre eux.
[127] Les demandeurs plaident encore que, dans au moins deux affaires[19], la Cour supérieure a utilisé la discrétion prévue à l’article 227 LAU pour accueillir une demande de faire déclarer nul un avis de révocation de permis de construction émis par la municipalité et pour autoriser la partie demanderesse à terminer les travaux entrepris sur la base du permis initialement émis.
[128] Avec égards, le soussigné ne souscrit pas à cet argument. En raison notamment de la formulation même de l’article 227 LAU, le Tribunal estime que la préexistence d’un usage ou d’une construction dérogatoire est l’une des conditions requises pour que le juge puisse exercer la discrétion dont il est investi par cette disposition. Cette discrétion lui permet de refuser d’ordonner la démolition de l’ouvrage dérogatoire lorsque les circonstances le justifient. Un parallèle peut être observé avec la discrétion qui provient de la Common law et qui permet au juge de s’abstenir d’émettre une injonction en dépit du fait que la demande satisfait aux critères établis par la loi.
[129] Rien dans l’article 227 LAU, ni ailleurs, n’autorise le juge à permettre la construction d’un bâtiment qui est interdite par un règlement valide. Avec égards, le soussigné estime que, s’il agissait de la sorte, il irait à l’encontre de principes aussi fondamentaux que la séparation des pouvoirs et la règle de droit.
[130] La préexistence d’une construction dérogatoire suffit à distinguer les jugements Tétreault et Pellerin, cités par les demandeurs, de la présente affaire. Soulignons aussi que dans Tétreault, la municipalité avait intenté une demande reconventionnelle en démolition, ce qui pouvait sans doute justifier la juge de recourir à la discrétion de l’article 227 LAU, une nuance qu’avec égards le jugement Pellerin, qui s’appuie sur Tétreault, semble omettre.
[131] Cette prétention est rejetée.
Subsidiairement, déclarer inopérants ou inopposables aux demandeurs les articles 198, 239, 240 et 241 du règlement de zonage et autoriser les demandeurs à procéder à la démolition de la résidence actuelle et à la construction d’une nouvelle résidence.
[132] La LAU attribue à la municipalité le pouvoir d’adopter l’article 198 de son règlement, lequel interdit, avec certaines exceptions, toute construction dans les zones à risque de crues (art. 113 par. 16). Nous ne sommes donc pas dans une situation d’absence complète de compétence, et ce n’est pas ce que les demandeurs plaident.
[133] Leur demande prend plutôt assise dans la notion d’abus de pouvoir.
[134] Cette demande fait appel à l’exercice du pouvoir inhérent de la Cour supérieure de sanctionner l’illégalité des actes de l’Administration. Elle doit être intentée dans un délai raisonnable[20]. De façon générale, le délai considéré a priori raisonnable est de 30 jours, bien que le Tribunal puisse exercer sa discrétion pour reconnaître à un délai plus long un caractère raisonnable, lorsque le demandeur démontre des motifs qui le justifient[21].
[135] En tout état de cause, la demande est soumise au délai de prescription de 10 ans de l’article 2922 C.c.Q.[22].
[136] En l’espèce, le règlement de zonage a été modifié pour inclure cette propriété dans la zone à risque de crues le 7 novembre 1994. Les demandeurs ont acheté la propriété à la fin de l’année 2013 et ils étaient alors conscients qu’elle est dans une zone à risque de crues suivant la réglementation municipale.
[137] La lettre de Madame Frican, en date du 16 septembre 2014, leur confirme que l’article 198 du règlement de zonage interdit toute nouvelle construction dans cette zone. De façon contemporaine, Madame Frican disait aux demandeurs que la demande de dérogation mineure, qui était nécessaire pour qu’ils puissent reconstruire, était une formalité.
[138] Le 1er décembre 2014, leur demande de dérogation mineure pour être autorisé à construire une nouvelle résidence ailleurs sur leur propriété, est refusée par le conseil municipal.
[139] Les discussions qu’ils ont eues avec M. Vasseur en janvier et début février 2015, ainsi que les correspondances échangées par la suite, confirment l’existence des dispositions que les demandeurs veulent faire déclarer inopposable à leur égard. Lors de ces discussions, il devient évident que Frelighsburg a l’intention de « faire sortir [les demandeurs] de là [leur propriété située en zone à risque d’inondation] », pour reprendre les propos adressés par M. Vasseur aux demandeurs à ces occasions.
[140] Ils intentent une première poursuite en justice le 30 juin 2016, dont ils se désistent le 27 mars 2017. Le désistement met fin à l’instance et remet les choses en état (article 213 C.p.c.).
[141] Ils intentent la présente demande le 7 juin 2017. Même en faisant l’hypothèse, la plus favorable aux demandeurs, que la computation du délai raisonnable applicable aux demandes de nullité et d’inopposabilité ne débute qu’au moment du refus de leur demande de dérogation mineure[23], c’est-à-dire le 1er décembre 2014, le Tribunal estime que le délai de presque 3 ans écoulé avant qu’ils n’intentent la présente poursuite ne peut être qualifié de raisonnable.
[142] Cette demande est rejetée.
En toute hypothèse, condamner Frelighsburg à payer des dommages aux demandeurs
[143] La courte prescription de 6 mois s’applique.
[144] Seuls les dommages consécutifs au refus d’émettre le permis de construction en date du 13 juin 2017 ne sont pas prescrits. Ces dommages sont les troubles, inconvénients ainsi que l’accroissement des coûts de construction pour avoir dû attendre 4 ans pour obtenir ce permis auquel les demandeurs avaient droit. Ils ont dû se loger ailleurs pendant tout ce temps.
[145] Même si l’augmentation récente du coût des matériaux, en tant que phénomène, est possiblement de connaissance judiciaire, sa durée est inconnue et son effet en l’espèce n’a pas été quantifié par la preuve. Par contre, les troubles, ennuis et inconvénients et les coûts généraux d’écoulant de l’impossibilité d’habiter la résidence et de jouir de la propriété pendant quatre ans peuvent être évalués à partir de la preuve. Le Tribunal détermine que le quantum de ces dommages s’établit à 25 000 $ par an, soit en l’espèce 100 000 $.
Subsidiairement, déclarer que les demandeurs sont victimes d’expropriation déguisée et ordonner que soit procédé à la détermination de l’indemnité à laquelle ils ont droit.
[146] Si, contrairement à ce qu’estime le soussigné, les contraintes stipulées aux articles 197 et suivants du règlement de zonage sont applicables à la propriété des demandeurs, alors le Tribunal conclut que ces derniers sont victimes d’expropriation déguisée. Voici pourquoi.
[147] La demande d’indemnité prend assise sur l’article 952 C.c.Q. et l’abus de pouvoir. Les demandeurs soutiennent que Frelighsburg a exercé abusivement les pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi, d’une façon qui a eu pour effet de stériliser leur droit de propriété.
[148] Cette dernière, appuyée dans ses prétentions par le procureur général, soutient que les interdictions et contraintes auxquelles les demandeurs font face résultent plutôt de l’application de la Politique de la protection des rives, du littoral et des plaines inondables adoptée par le ministre de l’Environnement ainsi que de la Loi, en conséquence de quoi aucune indemnité n’est payable. Frelighsburg ajoute qu’en tout état de cause, ce n’est pas elle qui dicte l’interdiction de construire, c’est plutôt la situation des lieux qui l’exige[24].
[149] Avant de faire l’analyse de ces prétentions respectives, nous allons d’abord examiner les questions du délai raisonnable et de la prescription, ainsi que la question de la stérilisation factuelle et réelle du droit de propriété des demandeurs.
L’obligation de diligence et le délai raisonnable
[150] L’article 952 C.c.Q. prévoit le droit à une indemnité lorsque ses conditions d’application sont satisfaites[25].
[151] Il en résulte que la réclamation de l’indemnité à laquelle les demandeurs ont droit n’est pas assujettie à l’obligation de diligence, et au délai raisonnable corrélatif, qui sont propres aux recours en nullité et en inopposabilité en raison du fait que ces derniers font appel à l’exercice discrétionnaire de pouvoirs inhérents de la Cour supérieure[26].
La prescription
[152] Dans le jugement Habitations Germat inc. c. Ville de Lorraine précité, le juge Sansfaçon, alors juge à la Cour supérieure, est d’avis que le recours qui prend assise sur l’article 952 C.c.Q. n’est pas assujetti à la courte prescription stipulée à l’article 586 de la Loi sur les cités et ville (ici 1112.1 du Code municipal), mais plutôt à la prescription de trois ans énoncée à l’article 2925 C.c.Q., et que cette prescription ne peut commencer à courir avant le jour où le citoyen prend objectivement conscience qu’il a subi un préjudice, c’est-à-dire la perte des principaux attributs de son droit de propriété[27]. Le soussigné fait sienne l’opinion alors exprimée par le juge Sanfaçon.
[153] En l’espèce, les demandeurs se sont fait dire par l’inspecteur municipal Van Beverhoudt, qui était la personne chargée par Frelighsburg d’émettre les permis de construction, qu’il serait en mesure de leur émettre le permis de construction d’une nouvelle résidence, en retrait de la rivière, une fois obtenue la résolution du conseil autorisant l’émission du permis.
[154] M. Van Beverhoudt s’est occupé de présenter le dossier au CCU, lequel a ensuite acheminé la demande au conseil municipal. La résolution autorisant l’émission du permis, comme déjà vu, fut adoptée à la séance du conseil tenue le 5 mai 2014 (P-14). Les demandeurs y assistaient. Ils ont alors exprimé leurs remerciements aux membres du conseil municipal et certains de ces derniers les ont félicités.
[155] On peut se demander pourquoi l’inspecteur municipal a soumis une demande au CCU d’évaluer la conformité de la construction projetée avec les paramètres du PIIA, pourquoi ce dernier a donné un avis favorable, et finalement pourquoi le conseil municipal a autorisé l’émission du permis de construction, si tous étaient d’avis que l’article 198 du règlement de zonage, qui interdit toute construction, s’appliquait à la propriété des demandeurs.
[156] Les demandeurs quant à eux étaient fondés de croire ce que leur disait M. Van Beverhoudt, d’autant que la reconstruction à l’endroit proposé semblait être la solution idéale. La preuve démontre qu’il n’y a pas eu d’eau à cet endroit lors des inondations, les mesures d’immunisation exigées par la réglementation étaient mises en place (remblai et autres), la condition posée par l’inspecteur municipal que la surface de la nouvelle maison n’excède pas celle de l’ancienne était respectée et la résolution du conseil autorisait l’émission du permis de construction en termes exprès.
[157] Les demandeurs n’avaient alors aucune raison d’intenter une poursuite pour expropriation déguisée contre la municipalité.
[158] Quelques mois après l’entrée en scène de Madame Frican, en remplacement de Monsieur Van Beverhoudt, les demandeurs se font dire par cette dernière au début du mois de septembre 2014 qu’une autorisation de dérogation mineure est nécessaire, mais qu’il ne s’agit que d’une formalité.
[159] La résolution qui refuse la demande de dérogation mineure est adoptée par le conseil le 1er décembre 2014.
[160] Les demandeurs formulent le 4 décembre 2014 une nouvelle demande de permis de construction, cette fois-ci pour reconstruire suivant les plans autorisés par la résolution du 5 mai 2014, mais à l’endroit de la résidence actuelle, qui est lourdement endommagée.
[161] Ce n’est que lors des rencontres avec M. Vasseur en janvier et février 2015 que les demandeurs peuvent réaliser qu’ils sont en train de perdre l’usage de leur propriété, et encore dans sa lettre du 6 février 2015, qu’il signe faussement à titre d’« inspecteur », M. Vasseur refuse l’émission du permis de construction demandé le 4 décembre précédent mais continue d’alimenter un faux espoir quant à la possibilité de rénover « à certaines conditions ». Il leur parle aussi d’éventuelles discussions relatives à des modifications au schéma d’aménagement et au règlement de zonage. Nous savons aujourd’hui que ces discussions, motivées par le désir d’éviter des poursuites, n’aboutiront jamais.
[162] La présente action, intentée au mois de juillet 2017, se situe bien à l’intérieur des trois années de la date où les demandeurs ont objectivement pu savoir qu’ils allaient, en bout de course, être privés des attributs de leur droit de propriété.
La demande n’est pas prescrite.
La stérilisation du droit de propriété
[163] La résidence ne peut plus être habitée sans des travaux importants de décontamination et de réfection. La réglementation exige que les travaux soient accompagnés de mesures d’immunisation, dont la construction d’un remblai pour relever de 5 pieds le niveau de la maison, selon la preuve. Le bâtiment est à moins de 50 cm de la limite de la bande riveraine. Le remblai va déborder amplement dans celle-ci.
[164] En plaidoirie, l’avocate de Frelighsburg soutient que les demandeurs devraient demander une dérogation mineure pour être autorisés à empiéter ainsi dans la bande de protection riveraine. Leur droit de propriété n’est donc pas stérilisé dit-elle.
[165] Et Monsieur Vasseur de témoigner que la condition qu’il posait dans sa lettre du 6 février 2015, suivant laquelle la maison ne peut être réparée si elle a perdu plus de 50 % de sa valeur, ne repose finalement sur aucun règlement de la municipalité.
[166] Or, de toute façon, la municipalité a déjà refusé une demande de dérogation mineure pour permettre la reconstruction à plus de 7 mètres de la limite de la bande de protection riveraine, en s’appuyant lourdement sur la notion de sécurité publique, allant jusqu’à référer explicitement dans sa résolution même à un incident tragique survenu en 1998 à l’occasion d’un débordement de la rivière aux Brochets.
[167] Dans sa défense écrite, Frelighsburg plaide spécifiquement que les dispositions restrictives en cause sont édictées pour des raisons de sécurité publique (par. 69 de la défense) et que l’article 145.2 de la LAU lui interdit d’accorder des dérogations mineures lorsque l’occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique (par. 42 de la défense, ainsi que point 12 du plan d’argumentation de Frelighsburg daté du 10 septembre). Le procureur général soutient pour sa part que les villes ne peuvent accorder de dérogation mineure « dans les plaines inondables » (exposé sommaire des moyens de défense, par. 31).
[168] Peut-on imaginer un instant que Frelighsburg va considérer qu’une dérogation mineure qui aura pour effet direct de rendre à nouveau habitable la résidence située non pas à plus de 7 mètres de la bande de protection, mais bien à 40 cm de celle-ci, ne porte pas atteinte à la sécurité publique? Et qu’advient-il de l’article 145.2 al. 2 de la LAU que Frelighsburg plaide elle-même en l’instance? Et quelle sera la validité d’une telle dérogation mineure, si elle était accordée?
[169] Malgré tout, faisant écho à l’argument de l’avocate de Frelighsburg selon qui il reste aux demandeurs cette possibilité de demander une dérogation mineure pour empiéter dans la bande riveraine et ainsi pouvoir réparer la résidence existante, l’avocate qui représente le procureur général affirme que la municipalité n’a pas le pouvoir d’adopter une dérogation mineure qui autorise d’empiéter dans la bande de protection riveraine, mais s’empresse d’ajouter que c’est cependant à la municipalité qu’il revient d’en juger, puisque c’est elle qui a la juridiction d’autoriser ou pas une dérogation mineure.
[170] Cette invitation à peine voilée à fermer les yeux sur l’illégalité d’une proposition formulée par Frelighsburg, dans le but d’inciter le Tribunal à conclure qu’il reste une solution aux demandeurs pour tenter d’éviter que leur droit de propriété soit stérilisé est, disons-le, surprenante de la part du procureur général du Québec.
[171] La réalité est tout autre. Tel que l’a déclaré M. Vasseur alors qu’il agissait à la demande du maire de Frelighsburg, lorsqu’il y a une possibilité de faire sortir quelqu’un d’une zone à risque, « on les fait sortir de là ». Et c’est exactement ce que Frelighsburg fait.
[172] De plus, en tout temps pertinent, et vraisemblablement en date des présentes, Frelighsburg ne dispose pas de fonctionnaire responsable désigné conformément à la loi pour émettre les permis de construction.
[173] La preuve convainc le Tribunal qu’il est illusoire de penser que les demandeurs peuvent obtenir des autorisations ayant une quelconque valeur légale[28] aux fins de réparer ou reconstruire leur résidence, ou faire quelle qu’autre construction sur leur propriété. La seule utilisation qu’ils peuvent maintenant en faire est de s’y promener. La restriction imposée par le règlement, tel quel l’applique Frelighsburg, équivaut à une négation de l’exercice du droit de propriété[29].
Une stérilisation qui découle de l’exercice abusif des pouvoirs dont est investie la défenderesse Frelighsburg
[174] Il vaut de citer ici les extraits suivants de l’arrêt de la Cour Suprême Lorraine (Ville) c. 2646-8926 Québec inc. auquel nous avons déjà référé :
[27] Il est acquis qu’une expropriation dite déguisée, dans la mesure où elle s’effectue sous le couvert d’un règlement de zonage, constitue un abus commis dans l’exercice du pouvoir de réglementation confié à l’organisme en la matière . En restreignant la jouissance des attributs du droit de propriété sur un bien à un point tel que leur titulaire s’en trouve exproprié de facto, une administration municipale déroge alors aux fins voulues par le législateur lorsqu’il a délégué à cette dernière le pouvoir de « spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés ».
[28] Partant, le demandeur qui entend contester un règlement de zonage qu’il estime abusif doit intenter son recours dans un délai raisonnable. Il importe d’ailleurs de préciser que la récente codification de l’obligation d’agir dans un délai raisonnable mentionnée à l’art. 529 al. 3 du C.p.c. n’est pas de nature à altérer ou modifier les principes de common law qui régissent cette notion...
[…]
[45] Non seulement convient-il de conclure que la Cour supérieure a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire en sanctionnant le caractère déraisonnable du délai qui s’est écoulé avant que soit intentée la demande en nullité, mais il faut également conclure que cette demande était d’ores et déjà prescrite, comme l’avait soulevé la Ville en première instance (par. 33-34).
[46] Cela dit, l’issue du présent pourvoi ne porte pas à conséquence sur les conclusions recherchées par la Société sur lesquelles le juge Emery n’a pas statué, y compris celle qui a trait à la réclamation d’une indemnité pour cause d’expropriation déguisée. Même si un demandeur ne satisfait plus aux conditions d’ouverture d’un pourvoi en contrôle judiciaire, il n’est pas pour autant privé du droit de solliciter, dans les cas qui le permettent et si la preuve étaye sa demande, le paiement d’une indemnité pour cause d’expropriation déguisée.
[Citations omises, emphases ajoutées]
[175] Le Tribunal estime que plusieurs illégalités, dont l’effet combiné constitue un véritable exercice abusif de ses pouvoirs par Frelighsburg, ont été commises en marge de la présente affaire.
[176] Nous les examinerons dans un premier temps. Ensuite, nous traiterons de la causalité entre l’exercice abusif des pouvoirs et la stérilisation de droit de propriété des demandeurs.
[177] Il n’est pas contesté que les travaux nécessaires pour rendre la résidence existante à nouveau habitable sont des « travaux majeurs » au sens de l’article 198 par. 1 du règlement de zonage. Comme déjà dit, Frelighsburg exige, en application de cette disposition, qu’une éventuelle réparation de la résidence soit accompagnée de travaux d’immunisation, dont la mise en place d’un remblai destiné à surélever la maison, ce qui est impossible, comme déjà vu, sans empiéter dans la bande riveraine, une chose elle aussi interdite.
[178] M. Van Beverhoudt estimait que la reconstruction ailleurs sur le terrain était possible. Madame Frican, jusqu’à ce qu’elle se voit interdire par le maire d’exercer, vis-à-vis les demandeurs, ses fonctions d’inspecteur en bâtiment, tenait une position mitoyenne sur ce point, suivant laquelle la reconstruction serait autorisée moyennant une autorisation de dérogation mineure qui devait n’être qu’une formalité selon ses dires.
[179] Tel que vu, le maire l’a remplacée par Monsieur Vasseur avec le résultat que l’on sait. La municipalité, par son maire et par Vasseur agissait alors en toute illégalité.
[180] Nul besoin d’insister beaucoup sur le fait qu’il s’agit là d’un comportement abusif et illégal.
[181] Le Tribunal estime que l’exigence qui découle des articles 119 et 120 de la LAU, que l’inspecteur en bâtiment soit un fonctionnaire désigné par règlement, assure à celui-ci une protection contre les pressions et l’ingérence politique quant à l’exercice de ses fonctions. À l’époque où l’inspecteur municipal était désigné par simple résolution, il était qualifié d’officier municipal et la Cour d’appel avait reconnu « qu’il n’existe aucun lien de subordination entre les diverses catégories d’inspecteurs et le conseil municipal »[30].
[182] En l’espèce, Monsieur Van Beverhoudt et Madame Frican n’ont jamais été des fonctionnaires de la municipalité et n’ont pas été désignés par règlement. Ils n’ont jamais pu bénéficier de la protection relative que ce statut procure contre l’ingérence. Au contraire, ils étaient les employés d’une société, dirigée par M. Vasseur, dont le conseil municipal pouvait cesser de requérir les services urbanistiques en tout temps pour n’importe quel motif. Il nous semble que cela ouvre la porte toute grande à l’influence impropre dans l’application de la règlementation par l’inspecteur.
[183] Le maire de la municipalité n’aurait pas pu interdire de faire son travail à un fonctionnaire dûment désigné à titre d’inspecteur en bâtiment par un règlement municipal adopté conformément à la LAU. Il a pu le faire sans difficulté lorsqu’il a ordonné à Madame Frican de ne plus parler avec les demandeurs, pour confier cette tâche exclusivement à Monsieur Vasseur.
[184] Un autre élément mérite d’être souligné au chapitre du comportement abusif de Frelighsburg. Il s’agit de la délimitation des zones à risque de crues, telles qu’elles apparaissent à l’annexe C du règlement de zonage. Ces zones ont été établies suivant l’un des moyens autorisés par l’article 2.4 de la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables laquelle tout à la fois définit la plaine inondable et dicte les moyens pour en préciser les limites.
[185] Comme déjà vu, l’article 2.4 de la Politique définit la plaine inondable comme étant :
« […] l’espace occupé par un lac ou un cours d’eau en période de crue. Elle correspond à l’étendue géographique des secteurs inondés dont les limites sont précisées par l’un des moyens suivants :
[…]
-une carte intégrée à un schéma d’aménagement et de développement, un règlement de contrôle intérimaire ou un règlement d’urbanisme d’une municipalité ;
[…] »
(Emphases ajoutées. Pour alléger, nous n’avons reproduite que le moyen, parmi ceux énumérés à l’article 4.2, qui a été utilisé par Frelighsburg pour définir les zones à risque de crue à l’annexe C de son règlement de zonage).
[186] Le schéma d’aménagement, à l’article 9.2.2, indique ce qui suit :
«La délimitation des zones à risques de crues est basée sur l’observation directe du terrain, la photo interprétation et la consultation directe auprès des citoyens touchés par de telles crues. L’inclusion des zones à risques de crues au schéma d’aménagement et de développement vise à pallier le manque de carte officielle des zones d’inondation. »
[187] La preuve démontre que l’annexe C du règlement de zonage est une reproduction, à l’identique, de la carte jointe par la MRC à son schéma d’aménagement.
[188] Les pièces p-44 a) à d) permettent de constater que les limites des zones inondables, dans le secteur de l’immeuble des demandeurs, défient toute logique et n’ont clairement pas été établies de façon à« préciser » les limites de l’étendue géographique des secteurs inondés par la rivière aux Brochets en période de crues, contrairement à ce que prescrit la Politique.
[189] À ce sujet, le Tribunal a accueilli une objection à ce que M. Trahan témoigne de son opinion, à la façon d’un expert. Il a cependant été autorisé à témoigner des faits qu’il connait.
[190] L’on voit par exemple sur le plan P-44 a) des bâtiments dont une moitié est en zone inondable, et l’autre non. Ou encore deux bâtiments situés côte à côte, à quelques mètres de l’un de l’autre dont l’un est en zone inondable alors que son voisin, situé 2 mètres plus bas, ne l’est pas.
[191] Sur le plan P-44 b), on voit que les résidences des voisins des demandeurs sont exclues de la zone à risque de crues au moyen des limites rectilignes qui ne sont reliées à aucun changement de dénivellation et qui ne correspondent certainement pas à la limite de l’étendue géographique du secteur inondé par la rivière aux Brochets en période de crues. L’avocate de Frelighsburg plaide qu’il y a « peut-être des fossés à cet endroit ». Cet argument défie la logique lui aussi. Ces fossés hypothétiques devant nécessairement se déverser dans la rivière aux Brochets adjacente en raison des courbes de niveau indiquées sur les plans, ils ne sont d’aucune aide pour endiguer son débordement.
[192] L’adoption d’un règlement de zonage entraine nécessairement une discrimination des usages, ce qui est légal dans la mesure où la disposition habilitante l’autorise. Ici, la Politique autorise la municipalité à préciser les limites de l’étendue géographique des secteurs inondés par la rivière aux Brochets en période de crues.
[193] Ceci dit, le Tribunal est bien conscient que l’étendue géographique des secteurs inondés en période de crues est fonction de plusieurs facteurs en outre de la seule topographie. On peut penser spontanément au débit (volume / temps), à la vitesse du courant, à la présence d’embâcles, etc. Le Tribunal est aussi conscient que l’obligation des préciser les limites de l’étendue géographique des secteurs inondés engendre des difficultés. Le Tribunal doit donc être prudent.
[194] Par contre, la règle de droit s’oppose à ce que la mise en application de la Politique ministérielle serve de prétexte à la négation arbitraire ou abusive des droits des demandeurs et des autres propriétaires.
[195] La Politique délègue à Frelighsburg de préciser les limites de l’étendue géographique des secteurs inondés par la rivière aux Brochets en période de crues, pas d’établir arbitrairement des limites en fonction des endroits où Frelighsburg estime souhaitable d’appliquer les contraintes énoncées par la Politique. Ce sont là deux choses très différentes.
[196] Dans la société contemporaine, le droit de propriété n’est ni absolu ni sacro-saint. Bien souvent cependant, la résidence est l’actif principal qu’un justiciable réussit à acquérir au cours de sa vie active. Et ce droit ne peut lui être retiré par l’Administration sans que celle-ci n’y soit autorisée par la loi :
« 947. La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi.
Elle est susceptible de modalités et de démembrements.
[…]
952. Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. »
[Emphases ajoutées]
[197] Or, sous prétexte de préciser les limites de l’étendue géographique des secteurs inondés par la rivière lorsqu’elle est en crue, tel que prévoit la Politique, Frelighsburg procède en fait au découpage de zones inondables au moyen de limites arbitraires.
[198] À titre d’exemple, il est de connaissance judiciaire que les planchers des bâtiments du village de Frelighsburg sont au niveau, et que ces bâtiments ne sont jamais inondés pour moitié seulement, pas plus qu’un bâtiment ne peut être inondé sans que son voisin immédiat, situé à quelques mètres de distance et 2 mètres plus bas, ne le soit aussi.
[199] Le fait que la première moitié du bâtiment et le premier voisin seraient soumis aux contraintes sévères d’usage- définies en principe pour les zones de grand courant par-dessus le marché- alors que l’autre moitié du même bâtiment et le second voisin ne seront soumis à aucune de ces contraintes, relève de l’arbitraire.
[200] Il en va de même de la propriété des demandeurs qui est soumise à ces contraintes alors que ses voisins en sont exemptés tout comme si les inondations s’arrêtaient suivant des lignes droites disposées géométriquement autour de certaines résidences, pour les épargner elles seulement.
[201] Les pièces P-44 a) à d) ont été mises en preuve le premier jour du procès et Monsieur Trahan a témoigné sur celles-ci. L’audition a duré 5 jours. Il aurait été facile à la municipalité de présenter une preuve pour expliquer, si elles avaient été explicables, les incohérences importantes démontrées entre ce que prescrit la Politique et ce que la carte qui forme l’annexe C du règlement de zonage établit.
[202] Elle ne l’a pas fait. Le Tribunal estime que la preuve établit, suivant une probabilité de plus de 50 %, que les limites des zones à risque de crues dans le voisinage de la propriété des demandeurs, ne sont pas établies conformément à la Politique de la protection des rives, du littoral et des plaines inondables, sur laquelle Frelighsburg prétend s’être appuyée pour les établir.
[203] Eu égard à la causalité, le Tribunal estime que c’est l’application erratique du règlement de zonage, lequel prévoit des limites de zones inondables établies arbitrairement, par des inspecteurs en bâtiment illégalement désignés se contredisant entre eux, qui a stérilisé, dans la réalité pratique, le droit de propriété des demandeurs.
[204] Il en résulte que, si le Tribunal avait conclu que Frelighsburg est justifiée d’appliquer les articles 197 et suivants de son règlement de zonage aux demandeurs, il aurait également conclu que ces derniers sont privés de leur droit de propriété par l’exercice abusif de ses pouvoirs par Frelighsburg, et qu’ils ont droit à une indemnité établie suivant l’article 952 C.c.Q. Il aurait tenu une seconde instruction pour déterminer le montant de l’indemnité.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[205] ACCUEILLE en partie la demande;
[206] DÉCLARE que la section 2 du chapitre 13 du règlement de zonage de Frelighsburg ne s’applique pas à la propriété des demandeurs;
[207] DÉCLARE que les demandeurs ont droit à l’émission du permis demandé le 7 juin 2017 suivant la règlementation applicable;
[208] ORDONNE à la partie défenderesse d’émettre un permis de construction conformément à la demande en date du 7 juin 2017;
[209] AUTORISE les demandeurs à procéder à la démolition de la résidence actuelle et aux travaux de leur résidence selon les termes de la demande en date du 7 juin 2017;
[210] DÉCLARE que la municipalité défenderesse est responsable des dommages causés aux demandeurs et qui résultent de son refus de permis demandé en date du 7 juin 2017;
[211] CONDAMNE la défenderesse Frelighsburg à payer aux demandeurs les dommages de 100 000 $, plus intérêts et indemnité additionnelle depuis la réception de la mise en demeure le 4 juillet 2017;
[212] CONDAMNE la défenderesse Frelighsburg aux frais de justice, y compris tous les frais d’expertise relatifs à la préparation des rapports P-30, P-31 et P-32 ainsi que les frais de réparation et de présence à la Cour de l’expert, avec intérêt et indemnité additionnelle à compter de ce jugement;
[213] REJETTE sans frais les demandes en déclaration de nullité et d’inopposabilité ainsi que la demande en déclaration d’abus de procédure;
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__________________________________ CHARLES OUELLET, J.C.S. |
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Maître Paul-Claude Bérubé Maître Marie-Pierre Bérubé |
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Bérubé & Associés Avocats s.a. |
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Procureurs de la partie demanderesse |
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Maître Élaine Francis |
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Vox Avocats inc. |
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Procureure de la partie défenderesse
Maître Karine Godhue Bernard, Roy (Justice-Québec) |
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Procureure de la partie mise en cause
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[1] Q-2, r.35
[2] 2021 QCCA 630
[3] Pièce P-14, page 361
[4] Mme Frican n’a pas témoigné. La preuve de cette déclaration extrajudiciaire de Mme Frican n’a pas fait l’objet d’objection. Le Tribunal estime qu’il ne s’agit pas de ouï-dire au motif que la déclaration est celle de la représentante de la défenderesse jusque-là responsable d’autoriser la demande de permis de construction des demandeurs. S’il s’agit de ouï-dire, le Tribunal n’avait pas à soulever lui-même l’irrecevabilité de cette preuve et l’absence d’objection a permis son introduction : CFM Systèmes inc. c. Morin 2015 QCCA 758, par 7
[5] P-32 et témoignage de M. Trahan en contre-interrogatoire le 14 septembre 2020 à compter de 11 heure
[6] Il s’agit en fait du « Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques », ou encore MDDELCCC
[7] Courriel du 2 décembre 2014, 11:15, par Isabelle Piché (MDDELCCC) à Nathalie Grimard (MRC Brome-Missisquoi), pièce P-11 en liasse
[8] Pièce p-22
[9] Paragraphes 82 et 83
[10] Ville de Québec c. GM Développement Inc. 2017 QCCA 385
[11] 2015 QCCS 2501, Honorable Simon Ruel
[12] Pièce P-23
[13] Pièces P-23 et P-24
[14] Paragraphes 29 à 32 de la défense de Frelighsburg.
[15] Règlement relatif à LQE, Q2R3, Art.1 par.3
[16] Voir Stéphane Sansfaçon, développements récent en droit municipal 2007, Quelques difficultés rencontrées en matière de règlements municipaux portant sur la protection des rives, du littéraire et des plaines inondables, notamment aux pages 41 à 49. Voir aussi 6169970 Canada inc. c. Québec (Procureur général) 2013 QCCA 696 par. 55 à 57; Ministère de l’Environnement c. Marina L’Escale inc. CA, 10 mai 2000, AZ-50076091, opinion du Juge Beauregard, par.40. et Lorne Giroux, Les interrelations entre le droit de l’environnement et le droit de l’aménagement du territoire (1988) 48 R. du B. 468
[17] 2004 CanLII 1209 (QC CA)
[18] Municipalité D’Entrelacs c. Sacafuro, 2011 QCCS 1892
[19] Tétreault c. Ville de Lac-Brome, 2015 QCCS 712 et Pellerin c. Ville de Louiseville 2017 QCCS 399
[20] Ville de Lorraine c. 2646-8926 Québec inc. (2018) 2 R.C.S. 577 aux paragraphes 26 à 34 ainsi que 35 et 36
[21] Road to Home Support c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 2187, par 33, Mallat c. Autorité des marchés financiers de France, 2021 QCCA 1102, pars. 57 à 65
[22] Ville de Lorraine, précité
[23] Au moins pour la demande de nullité, qui repose sur une question de compétence plutôt que sur une application abusive de la règlementation, le délai a possiblement commencé à courir plus tôt : Wendover-et-Simpson (Corporation municipale c. Filion [1992] R.D.I. 263 (C.A.), p. 267
[24] Notes et autorités de Frelighsburg, 10 septembre 2020, lettre de l’avocate du procureur général, 27 mai 2021
[25] Habitations Germat inc. c. Ville de Lorraine 2018 QCCS 5781 (juge Sansfaçon), aux par. 12 à 19
[26] Lorraine (ville) c. 2646-8926 Québec inc., 2018 CSC 35, précités, par. 37 et 46
[27] Habitations Germat inc. c. Ville de Lorraine, précité, aux par. 20 à 29 ainsi que 31 à 47
[28] Bien sûr, dans l’hypothèse que les articles 197 et suivants du règlement de zonage s’appliquent à la propriété.
[29] Ville de St-Rémy c. 9120-4883 Québec inc. précité par.25
[30] Pothier c. Municipalité de Notre-Dame-de-Merci, J.E. 98-659 (CA), page 27.
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