[1] Les appelants portent en appel le jugement rendu le 3 juillet 2018 par la Cour supérieure, district de Trois-Rivières (l’honorable Jacques Babin), accueillant la demande conjointe en irrecevabilité et en rejet des intimées et rejetant la demande introductive d’instance au motif que le recours est prescrit.
[2] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Rochette et Dutil, LA COUR :
[3] ACCUEILLE en partie l’appel à la seule fin de remplacer le paragraphe [60] du jugement de première instance par ce qui suit :
[60] ACCUEILLE la demande en rejet en
vertu des articles
[4] CONDAMNE les appelants aux frais de justice en appel.
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MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
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[5]
Les appelants, Thérèse Lacour et Marcel Nadeau, se pourvoient contre un
jugement rendu le 3 juillet 2018 par l’honorable Jacques Babin de la Cour
supérieure, district de Trois-Rivières. Ce jugement accueille la demande
conjointe en irrecevabilité (art.
LE CONTEXTE
[6] Le litige concerne des vices affectant la résidence des appelants en bordure du fleuve Saint-Laurent à Trois-Rivières qui fut construite par Turcotte et livrée en janvier 2001.
[7] On ne saurait mieux décrire le contexte du litige qu’en reproduisant les allégations de la demande introductive d’instance des appelants datée du 12 août 2016, telle que modifiée le 27 octobre 2017, et visant l’intimée Turcotte à titre de défenderesse :
1.- Les demandeurs sont propriétaires d'un emplacement situé au 3010, rue A à Trois-Rivières en vertu de leur contrat d'achat publié le 9 novembre 1994 sous le numéro 368 938 du Bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Champlain; […]
2.- Le 10 mars 2000, ils ont signé un contrat d'entreprise avec la défenderesse par lequel ils lui donnaient le mandat de construire leur nouvelle résidence sur cet emplacement qui fut terminée en janvier 2001; […]
3.- Environ vers 2003, les demandeurs ont alors constaté une fissure entre le garage et la maison du côté est ainsi que des petites fissures dans le crépi;
4.- À ce moment, les demandeurs avisèrent la défenderesse qui les rassura;
5.- En 2004, une autre fissure apparue autour du cadre de la porte de service, côté est de leur maison et le mortier se détachait également des briques;
6.- De nouveau, les demandeurs communiquèrent alors avec la défenderesse, mais là encore, le problème n'était pas grave, de l'avis de la défenderesse;
7.- Par la suite, les demandeurs envisagèrent alors le projet d'agrandir leur résidence du côté ouest de leur maison, mais la fissure qui avait été découverte à la jonction du garage et de la maison s'était agrandie;
8.- Les demandeurs communiquèrent alors avec la défenderesse qui ne voulait plus construire l'agrandissement sans connaître plus précisément l'origine des désordres affectant cette propriété;
9.- La défenderesse s'adressa alors à un ingénieur en structure et une fois l'enquête terminée, elle avisa les demandeurs que la situation avait été jugée sans gravité et qu’il s'agissait d'un mouvement normal de l'immeuble;
10.- Entre 2005 et 2010, les demandeurs constatèrent que les fissures élargissaient toujours un peu plus;
11.- En octobre 2010, les demandeurs constatèrent la présence de fissures polygonales sur le solage de l'agrandissement laissant présager un problème de pyrrhotite;
12.- Les demandeurs demandèrent alors à la défenderesse de vérifier les fissures sur le logis principal étant donné leur progression ;
13.- La défenderesse donna alors instruction à l'arpenteur-géomètre Jean Pinard de faire un relevé établissant la progression des fissures ;
14.- Le 30 août 2010, les demandeurs transmirent une lettre à la défenderesse pour lui signaler des fissures dans le solage de leur propriété tout en lui demandant de venir examiner l'objet de leur plainte; […]
15.- Le 12 octobre 2012, les demandeurs transmirent une nouvelle lettre à la défenderesse pour lui signaler les problèmes qui s’aggravaient; […]
16.- Inquiets de cette situation, les demandeurs ont requis les services de l'ingénieur Jacques Gagné de la firme Jacques Gagné Experts-Conseils inc. qui produisit un rapport en date du 2 septembre 2014;
17.- L'ingénieur Jacques Gagné émit alors l'opinion que les désordres affectant la résidence des demandeurs étaient occasionnés par la présence d'un saule pleureur au coin arrière droit de la résidence et c'est à ce moment que les demandeurs furent avisés des raisons expliquant les désordres causés à leur maison;
18.- Ainsi, le saule pleureur était à une distance trop rapprochée avec le bâtiment et la défenderesse a fait défaut de considérer la présence de ce saule pleureur;
19.- Les désordres occasionnés à la maison des demandeurs sont dus à la présence de ce saule pleureur qui a entraîné l'affaissement des fondations;
20.- Les fondations doivent donc être réparées, les planchers remis au niveau alors que tous les revêtements muraux intérieurs doivent également être réparés;
21.- Par conséquent, les demandeurs réclament de la défenderesse les montants suivants :
a) 250 000,00 $ en dommages et intérêts correspondant au coût des réparations afin de remettre le bâtiment en bon état;
b) 1 092,26 $ correspondant au coût d'abattage du saule pleureur du 28 novembre 2013;
c) 1 006,03 $ correspondant au coût de la facture du 23 octobre 2013 de Vistech;
d) 919,80 $ correspondant au coût de la facture du 31 octobre 2016 de Gouttières R. Léveillé inc.;
22.- Les demandeurs réclament chacun de la défenderesse la somme de 25 000,00$ pour troubles, inconvénients subis, perte de jouissance de la propriété, stress.
[8] Turcotte appelle alors en garantie SNC-Lavalin au motif que c’est cette dernière qui fut mandatée par elle pour vérifier la capacité portante du sol et pour émettre des recommandations en prévision de la construction de la résidence des appelants.
[9]
Le 4 avril 2018, Turcotte et SNC-Lavalin déposent une demande conjointe
en irrecevabilité (art.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[10]
Le juge de première instance note que le délai de prescription
applicable est celui de trois ans (art.
[11] Procédant à l’application de ce principe, le juge conclut que « même s’ils n’avaient pas une connaissance totale de la cause exacte de leur préjudice »[3], les appelants connaissaient l’ampleur des dommages bien avant le 12 août 2013, soit trois ans avant l’introduction de leur recours.
[12] Le juge affirme que, dans la mise en demeure envoyée à l’intimée Turcotte le 12 octobre 2012, les appelants rapportent de façon claire tant l’ampleur des problèmes affectant leur résidence que le fait que ceux-ci s’aggravent depuis 10 ans. Ainsi, le juge conclut que puisque les dommages s’étaient déjà manifestés de façon appréciable avant cette mise en demeure, le recours des appelants était prescrit lorsqu’ils l’ont entrepris le 12 août 2016[4].
[13] Le juge s’attarde ensuite à la connaissance par les appelants de la cause du préjudice.
[14] Il constate qu’à l’automne 2012, le représentant de l’intimée Turcotte leur a conseillé de poursuivre et les appelants étaient alors prêts à entamer leur recours, tel qu’il appert de l’aveu même de l’appelante Thérèse Lacour lors de son interrogatoire au préalable[5] :
[37] Même plus, à l’automne 2012 Turcotte leur a même conseillé de le poursuivre.
[38] Cela appert de la page 68 de la transcription de l’interrogatoire au préalable de la demanderesse, alors qu’elle déclare :
R. Mais un jour, M. Turcotte, Jacques Turcotte m’a dit : « Vous n’avez pas d’autre choix de vous retourner contre nous si, nous, nous voulons nous retourner contre les ingénieurs et les spécialistes que nous avons consultés ». Voilà. Il nous a dit ça. « Vous n’avez pas d’autre choix que de vous retourner contre nous ».
[Soulignement du juge de première instance]
[39] Et dès après madame Lacour indique qu’elle était effectivement sur le point d’entreprendre des démarches avec son avocat, Me Michaud.
[40] Mais ce n’est que quatre ans plus tard que des procédures judiciaires seront instituées, ce qui apparaît non seulement inexplicable, mais tout à fait déraisonnable.
[15] Le juge discute ensuite du rapport de l’expert Gagné, dans lequel ce dernier identifie un saule pleureur à proximité de la résidence comme la cause du préjudice. Il recommande d’ailleurs aux appelants de l’abattre avant la fin de l’été 2013, ce qui fut effectivement fait à l’automne 2013. Le juge retient de ce rapport et de l’interrogatoire de Thérèse Lacour que les appelants connaissaient les conclusions et les recommandations de l’expert dès juin 2013, soit plus de trois ans avant l’introduction de leur action[6].
[16]
Enfin, le juge rejette la défense d’impossibilité d’agir soumise par les
appelants. Ces derniers soutenaient que les propos rassurants du représentant
de Turcotte auraient mené à une impossibilité d’agir au sens de l’article
[17] Le juge accueille donc la demande en irrecevabilité et en rejet et rejette l’action des appelants.
LES QUESTIONS SOULEVÉES EN APPEL
[18] Les appelants identifient deux questions en appel qu’ils formulent comme suit dans leur mémoire :
(1) Est-ce que le point de départ de la prescription apparaît de façon suffisamment claire et évidente à la lecture de la demande introductive d'instance permettant au Tribunal, au stade d'une demande en irrecevabilité, de rejeter la demande sans permettre aux parties d'être entendues sur le fond?
(2) Au stade d'une demande en irrecevabilité, l'interrogatoire de l'appelante Thérèse Lacour et du rapport de l'ingénieur Jacques Gagné, déposés par l'intimée, pouvaient-ils être considérés?
[19]
De fait, ce que les appelants soutiennent, c’est que le juge de première
instance se serait prononcé uniquement sur la demande en irrecevabilité (art.
[20] Quoique cela ne soit pas identifié précisément comme une question en appel dans leur déclaration d’appel, les appelants ajoutent dans leur mémoire que le juge aurait aussi erré en ne retenant pas leurs prétentions portant sur l’impossibilité d’agir.
ANALYSE
[21]
La prétention des appelants selon laquelle le juge de première instance
s’est seulement prononcé sur la demande en irrecevabilité des intimées n’est
pas fondée. Au contraire, il ressort clairement du jugement de première
instance que le juge s’est prononcé tant sur le moyen d’irrecevabilité (art.
[22] La demande des intimées est intitulée « Demande conjointe […] en irrecevabilité et en rejet de la demande introductive d’instance » (soulignement ajouté) et réfère dans son titre à la fois aux articles 51 et s. et 168 C.p.c. La structure de cette procédure prévoit d’ailleurs une section pour l’irrecevabilité et une autre sur le caractère manifestement mal fondé de la demande des appelants.
[23]
Le jugement entrepris est lui aussi divisé de la même manière. Dans les
paragraphes 24 à 36, le juge analyse les allégations dans la demande des
appelants ainsi que les pièces au soutien de celle-ci pour conclure que le
recours est prescrit à sa face même. Dans les paragraphes 37 à 59, il
analyse sommairement la preuve au dossier, dont l’interrogatoire préalable de
Thérèse Lacour et le rapport de l’expert Gagné, ce qui constitue une analyse
usuelle dans le cadre d’une demande en rejet en vertu des articles
[24]
Même si le juge n’emploie pas le mot « abus », il est évident
qu’il s’est prononcé selon les articles
[25]
L’article
[26] Plus particulièrement, les articles 51 et s. reprennent, tout en les élargissant, les articles 75.1 et 75.2 de l’ancien C.p.c. abrogés par les amendements de 2009[10]. L’article 75.1 permettait de demander le rejet d’une demande en justice si un interrogatoire démontrait qu’elle était « frivole ou manifestement mal fondée », tandis que l’article 75.2 permettait au tribunal d’octroyer, en plus du rejet, des dommages-intérêts compensatoires lorsque l’acte de procédure était jugé « abusif ou dilatoire ».
[27]
Le législateur a tout de même conservé le moyen d’irrecevabilité prévu à
l’article
[28]
Rien n’empêche d’invoquer la prescription tant comme un moyen
d’irrecevabilité fondé sur l’article
[29] Dans le premier cas, l’irrecevabilité (168 C.p.c.) doit se décider en fonction des allégations et des pièces à l’appui de la demande en justice, tenues pour vraies au plan factuel; elle est sujette à un principe de prudence selon lequel, autant que possible, on doit éviter de mettre fin prématurément à un procès, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d’une action sans que la demande soit examinée au fond[12].
[30]
Dans le deuxième cas (art.
[31]
Lorsque le tribunal est saisi d’une demande fondée à la fois sur
l’article
La
demande en irrecevabilité en vertu de l’article
[32]
L’analyse du moyen d’irrecevabilité par le juge de première instance fut
malheureusement déformée par sa conclusion de droit voulant que le délai de
prescription du droit d’action des appelants ait commencé dès que le préjudice
s’est manifesté de façon appréciable. Il faut nuancer considérablement les
propos du juge à cet égard, lesquels semblent confondre le moyen d’action fondé
sur le régime particulier de la responsabilité présumée de l’entrepreneur en
construction prévu à l’article
[33]
Le point de départ du délai de prescription est énoncé à l’article
2880. […] Le jour où le droit d’action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive. |
2880. (…) The day on which the right of action arises determines the beginning of the period of extinctive prescription. |
[34] Ainsi, le délai de prescription commence à courir le jour où le droit d’action se cristallise, c’est-à-dire au moment où tous les éléments nécessaires pour soutenir l’action entreprise sont réunis[15]. En définitive, le point de départ de la prescription extinctive correspond au jour où le justiciable « a une connaissance raisonnablement suffisante des éléments constitutifs de son droit d’action »[16]. Ces éléments constitutifs peuvent varier selon le régime de responsabilité en cause.
[35]
N’eût été la prescription, le recours des appelants aurait pu se fonder
sur le régime de la responsabilité présumée de l’entrepreneur, de l’architecte
et de l’ingénieur énoncé aux articles
2118. À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.
|
2118. Unless they can be relieved from liability, the contractor, the architect and the engineer who, as the case may be, directed or supervised the work, and the subcontractor with respect to work performed by him, are solidarily liable for the loss of the work occurring within five years after the work was completed, whether the loss results from faulty design, construction or production of the work, or defects in the ground. |
2119. L’architecte ou l’ingénieur ne sera dégagé de sa responsabilité qu’en prouvant que les vices de l’ouvrage ou de la partie qu’il a réalisée ne résultent ni d’une erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans qu’il a pu fournir, ni d’un manquement dans la direction ou dans la surveillance des travaux.
|
2119. The architect or the engineer may be relieved from liability only by proving that the defects in the work or in the part of it carried out by him do not result from any error or defect in the expert opinions or plans he may have supplied or from any failure in the direction or supervision of the work.
|
L’entrepreneur n’en sera dégagé qu’en prouvant que ces vices résultent d’une erreur ou d’un défaut dans les expertises ou les plans de l’architecte ou de l’ingénieur choisi par le client. Le sous-entrepreneur n’en sera dégagé qu’en prouvant que ces vices résultent des décisions de l’entrepreneur ou des expertises ou plans de l’architecte ou de l’ingénieur.
|
The contractor may be relieved from liability only by proving that the defects result from an error or defect in the expert opinions or plans of the architect or engineer selected by the client. The subcontractor may be relieved from liability only by proving that the defects result from decisions of the contractor or from the expert opinions or plans of the architect or engineer.
|
Chacun pourra encore se dégager de sa responsabilité en prouvant que ces vices résultent de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction.
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Each may, in addition, be relieved from liability by proving that the defects result from decisions imposed by the client in selecting the land or materials, or the subcontractors, experts, or construction methods.
|
2121. L’architecte et l’ingénieur qui ne dirigent pas ou ne surveillent pas les travaux, ne sont responsables que de la perte qui résulte d’un défaut ou d’une erreur dans les plans ou les expertises qu’ils ont fournies.
|
2121. An architect or an engineer who does not direct or supervise work is liable only for the loss occasioned by a defect or error in the plans or in the expert opinions he supplied. |
[36] Ce régime particulier de responsabilité présumée protège le propriétaire à la fois contre l’effondrement complet de l’ouvrage et la dégradation d’une partie de celui-ci[17]. Comme le notent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, « [e]st suffisante une menace sérieuse et réelle d’effondrement, par exemple, lorsqu’il y a apparition de fissures ou de lézardes importantes, d’infiltrations d’eau, etc. »[18].
[37]
L’article
2925. L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans. |
2925. An action to enforce a personal right or movable real right is prescribed by three years, if the prescriptive period is not otherwise determined. |
[38] Dans les cas où les dégradations se révèlent graduellement ou tardivement, l’article 2926 prévoit alors la règle suivante :
2926. Lorsque le droit d’action résulte d’un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois. |
2926. Where the right of action arises from moral, bodily or material injury appearing progressively or tardily, the period runs from the day the injury appears for the first time. |
[39] Dans l’affaire Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida[20], la Cour suprême du Canada devait traiter des articles 1688 et 2259 de l’ancien Code civil du Bas-Canada (« C.c.B-C. »), qui énonçaient ce qui suit :
1688. Si l’édifice périt en tout ou en partie dans les cinq ans, par le vice de la construction ou même par le vice du sol, l’architecte qui surveille l’ouvrage et l’entrepreneur sont responsables de la perte conjointement et solidairement.
|
1688. If a building perish in whole or in part within five years, from a defect in construction, or even from the unfavorable nature of the ground, the architect superintending the work, and the builder are jointly and severally liable for the loss. |
2259. L’action en indemnité en vertu de l’article 1688 doit être introduite dans les cinq ans de la perte.
Si cependant le vice en est un qui se manifeste graduellement, la prescription commence à courir à l’expiration des cinq années mentionnées dans l’article 1688. |
2259. The action for indemnity under article 1688 must be taken within five years from the date of the loss.
If, however, the defect is one which is only gradually revealed, prescription shall begin to run from the expiration of the five years mentioned in article 1688. |
[40]
Sous la plume du juge Beetz, la Cour suprême concluait alors que
lorsqu’un vice énoncé à l’article
[41]
Malgré que les articles
[…] Si donc la perte
prévue à l’article
[42]
Dans le dossier dont nous sommes saisis, la demande introductive
d’instance des appelants énonce que les travaux de construction de leur
résidence ont été terminés en janvier 2001 et que les préjudices affectant
celle-ci se sont manifestés graduellement. La période maximale pour invoquer le
régime particulier de responsabilité présumée de l’entrepreneur en vertu de
l’article
[43]
Ne pouvant plus se prévaloir du régime de la responsabilité présumée de
l’article
1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.
|
1458. Every person has a duty to honour his contractual undertakings.
|
Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. |
Where he fails in this duty, he is liable for any bodily, moral or material injury he causes to the other contracting party and is bound to make reparation for the injury; neither he nor the other party may in such a case avoid the rules governing contractual liability by opting for rules that would be more favourable to them. |
[44]
Le recours sous le régime général de la responsabilité contractuelle se
prescrit par trois ans, tel que le prévoit l’article
[45] L’action en justice n’est pas une expédition de pêche et « l'on ne poursuit pas quelqu'un dans le but de découvrir qu'il nous a causé préjudice, mais bien parce que l'on est, déjà, raisonnablement certain qu'il a commis une faute ayant causé préjudice »[26]. Tel que le signalait le juge Chamberland dans S.C. c. Archevêque catholique romain de Québec, une affaire portant sur la responsabilité extracontractuelle, mais dont les principes s’appliquent tout autant sous le régime général de la responsabilité contractuelle[27] :
Le délai de prescription ne peut pas commencer à courir avant le jour où, pour la première fois, le détenteur du droit à exercer pouvait effectivement prendre une action en justice, c'est-à-dire à compter de ce jour où, pour la première fois, il connaissait, ou pouvait raisonnablement connaître, les trois éléments nécessaires à l'exercice de son recours (la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice). Ce n'est, en définitive, qu'à compter de ce moment que les conditions juridiques du droit de poursuite se trouvent enfin réunies et que la cause d'action se cristallise.
[46]
Ce principe s’impose tout autant lorsque le préjudice se
manifeste graduellement ou tardivement. En effet, la règle énoncée à l’article
[47] Les articles 2880 al. 2 et 2926 C.c.Q. sont donc nécessairement complémentaires l'un de l'autre. Le premier, contenu dans le chapitre général dans le titre portant sur les dispositions générales du régime de la prescription, en se référant au « droit d'action », présuppose que tous les éléments constitutifs de la responsabilité civile contractuelle se sont manifestés avant que ne commence à courir la prescription. Le second, contenu dans le titre de la prescription extinctive, constitue une application particulière de la règle précédente lorsque le préjudice se manifeste graduellement ou tardivement, permettant ainsi de retarder le départ du délai de prescription dans un tel cas; ce qui ne signifie pas, cependant, que la faute et le lien de causalité ne doivent pas eux aussi être présents et connus pour que ce délai puisse courir[29].
[48] Dans leur procédure introductive d’instance, les appelants reconnaissent qu’ils subissent un préjudice qui s’est manifesté de façon appréciable depuis plusieurs années. Par contre, ce qu’ils soutiennent aussi dans cette procédure, c’est qu’ils n’auraient appris la faute contractuelle de Turcotte et le lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi que lors de la production du rapport de l’expert Gagné, le 2 septembre 2014. À cet égard, il y a lieu de reproduire à nouveau les paragraphes 16 à 19 de la demande introductive d’instance des appelants :
16.- Inquiets de cette situation, les demandeurs ont requis les services de l'ingénieur Jacques Gagné de la firme Jacques Gagné Experts-Conseils inc. qui produisit un rapport en date du 2 septembre 2014;
17.- L'ingénieur Jacques Gagné émit alors l'opinion que les désordres affectant la résidence des demandeurs étaient occasionnés par la présence d'un saule pleureur au coin arrière droit de la résidence et c'est à ce moment que les demandeurs furent avisés des raisons expliquant les désordres causés à leur maison;
18.- Ainsi, le saule pleureur était à une distance trop rapprochée avec le bâtiment et la défenderesse a fait défaut de considérer la présence de ce saule pleureur;
19.- Les désordres occasionnés à la maison des demandeurs sont dus à la présence de ce saule pleureur qui a entraîné l'affaissement des fondations;
[49]
Ainsi, si l’on s’en tient à la demande introductive d’instance et aux
pièces à son soutien, il n’est pas manifeste que le recours en responsabilité
contractuelle des appelants est prescrit en date de l’introduction de cette
demande le 12 août 2016. En effet, les appelants laissent entendre dans cette
procédure qu’ils n’ont appris la faute de Turcotte et le lien de causalité
entre cette faute et le préjudice que le 2 septembre 2014. Le juge de première
instance a donc erré en rejetant le recours sur le fondement de son
irrecevabilité en vertu de l’article
[50]
Toutefois, cette erreur ne décide pas de l’appel, vu la preuve
subséquente versée au dossier sous forme d’interrogatoire au préalable qui
permettait au juge de première instance de rejeter le recours conformément aux
articles
La demande
de rejet en vertu des articles
[51] L’interrogatoire préalable de l’appelante Thérèse Lacour est pertinent. Elle y affirme que le représentant de Turcotte, à l’automne 2012, a encouragé les appelants à intenter une poursuite judiciaire et que ces derniers étaient alors en mesure d’intenter leur recours[30] :
Q- Est-ce qu'à partir de 2012, 2013, 2014, est-ce que vous avisez à de nouvelles reprises M. Turcotte du fait que les fissures, des nouvelles problématiques que vous voyez?
R- Écoutez, à partir du moment où on a engagé, quand même, avec Me Michaud, une procédure...
Q- Des démarches.
R- Des démarches, on va dire, oui, c'est ça, on a avisé... un maximum de discrétion, mais il y avait comme des liens on peut peut-être pas dire de grande amitié avec les Turcotte, mais quand même, suffisamment pour qu'on s'inquiète de la santé de son papa qui est décédé depuis, etc. Donc, il nous arrivait de nous rencontrer. On parlait pas normalement de ces problèmes. Mais un jour, M. Turcotte, Jacques Turcotte m'a dit : « Vous n'avez pas d'autre choix de vous retourner contre nous si, nous, nous voulons nous retourner contre les ingénieurs et les spécialistes que nous avons consultés ». Voilà. Il nous a dit ça. « Vous n'avez pas d'autre choix que de vous retourner contre nous ».
Q- Puis ça, à ce moment-là, vous aviez déjà commencé vos démarches avec...
R- On était sur le point.
[…]
Q- Et ça c’est … à quel moment vous me dites « M. Turcotte m’a dit “vous n’avez pas le choix de…” »
R- Ben, c’est là où j’arrive pas à me souvenir exactement, mais je sais que c’était au moment où nous commencions à penser aux procédures. Et lui nous a dit… Parce qu’en même temps, nous nous sommes aussi retournés contre les Turcotte à propos de la pyrrhotite. Donc, il y a un mois, là, il y a, entre… nous faisons partie du recours collectif. Donc, entre les procédures du recours collectif avec Me Soucy et puis… C’est pratiquement au même moment, là, que les choses se sont décidées.
Q- Puis si on essaie…
R- C’est brouillé, là.
Q- D’accord. Donc, c’était avant ou après que vous ayez eu votre rapport de M. Gagné?
R- Non, c’est avant.
Q- Avant d’avoir reçu le rapport de M. Gagné?
R- Avant. C’est avant d’avoir le rapport, qu’il nous a dit ça : « Vous n’aurez pas le choix de vous retourner contre nous. Ne vous inquiétez pas - il a dit -, parce que nous, on se retourne contre… » Parce que… Alors c’est là que nous avons… nous nous sommes dits, mais pourquoi il veut se retourner contre les ingénieurs qui ont… qu’il avait consultés pour la structure des fondations? Et l’interprétation qui est arrivée c’est que pour eux, la cause serait certainement au niveau du terrain, d’où le fait qu’ils fassent venir M. Pinard qui fait des relevés de terrain.
Q- Donc on se situe, quoi, un peu après l’envoi de votre lettre d’octobre 2012?
R- Je le sais pas, là. Honnêtement, je le sais pas. Mais c’est dans cette période-là.
[Soulignement ajouté]
[52] Le rapport de l’expert Gagné s’explique d’ailleurs mieux à la lumière de l’interrogatoire au préalable de Thérèse Lacour. Plusieurs éléments du rapport laissent entendre que les appelants connaissaient les conclusions de celui-ci dès juin 2013, mais cette hypothèse ne s’est vraiment confirmée que lors de l’interrogatoire au préalable.
[53] En effet, l’expert Gagné affirme dans son rapport avoir pris connaissance des préjudices subis à la résidence lors d’une visite de celle-ci le 3 décembre 2012[31]. Le pied de page de chaque page du rapport indique la date de « juin 2013 ». C’est seulement à la dernière page qu’il est indiqué, en note manuscrite, le 2 septembre 2014 près de la signature et du sceau d’ingénieur[32]. Enfin, le rapport ne laisse place à aucun doute quant à l’antériorité de la principale recommandation de l’expert[33] :
Nous recommandons de couper le saule pleureur dans les plus brefs délais soit avant la fin de l'été 2013. […]
[Soulignement ajouté]
[54] Thérèse Lacour reconnaît que cette recommandation fut reçue bien avant la date de signature du rapport et, de fait, elle confirme que les appelants ont fait arracher l’arbre en novembre 2013, soit environ dix mois avant la signature du rapport final[34].
[55]
Le juge de première instance conclut donc que les appelants connaissaient
l’existence de tous les éléments de leur droit d’action à l’encontre de
Turcotte dès l’automne 2012, lorsque le représentant de cette dernière les
incite à poursuivre. Il conclut aussi que c’est au plus tard en juin 2013 que
les appelants ont eu connaissance des résultats et des recommandations de
l’expertise de Gagné. Ces conclusions sont fondées sur la preuve. Le juge de
première instance était donc justifié de rejeter l’action en vertu des articles
[56]
Cela étant, il faut noter que les appelants ont instruit leur appel
comme s’il s’agissait d’un appel de plein droit, ce qui est permis lorsqu’une
demande en justice est rejetée en vertu de l’article
La suspension de la prescription et l’impossibilité d’agir
[57] La prétention des appelants qu’ils étaient dans l’impossibilité d’agir ne peut être retenue, vu que la preuve révèle sans ambiguïté que le représentant de Turcotte leur a recommandé de poursuivre à l’automne 2012. Toute prétendue impossibilité d’agir qui aurait résulté des assurances des représentants de Turcotte antérieures à l’automne 2012 n’est donc pas pertinente puisque le recours des appelants serait de toute façon prescrit depuis.
[58] De plus, outre le fait que les appelants n’invoquent pas l’impossibilité d’agir dans leur procédure introductive d’instance, la suspension d’un délai de prescription pour un tel motif requiert la preuve d’un véritable obstacle qui empêche d’agir[37]. Le fardeau d’établir la preuve de cette impossibilité d’agir appartient à celui qui l’invoque[38]. Tel que l’a conclu le juge de première instance, il n’y a aucune telle preuve au dossier[39]. Les propos prétendument rassurants du représentant de Turcotte concernant les fissures ne constituent pas une conduite qui peut raisonnablement mener à une impossibilité d’agir chez les appelants, surtout lorsqu’on tient compte du fait que ce même représentant les a encouragés à poursuivre à l’automne 2012. Il n’y a pas ici une ignorance chez les appelants qui résulte d’une faute du débiteur permettant d’alléguer l’impossibilité d’agir menant à la suspension du délai de prescription[40].
CONCLUSIONS
[59]
Pour ces motifs, je propose d’accueillir en partie
l’appel à la seule fin de préciser que le recours est rejeté sur le fondement
des articles
[60] ACCUEILLE la demande en rejet en
vertu des articles
[60] Vu cette conclusion peu favorable aux appelants, je propose aussi que ces derniers soient condamnés à payer les frais de justice en appel.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Jugement de première instance, par. 17-21.
[2] Id., par. 22.
[3] Id., par. 25.
[4] Id., par. 26-31.
[5] Id., par 37-40.
[6] Id., par. 41-48.
[7] Id., par. 55-59.
[8]
9105-3975 Québec inc. c. Andritz Hydro Canada inc.,
[9]
Gauthier c. Charlebois (Succession de),
[10] Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, L.Q. 2009, c. 12.
[11]
Gauthier c. Charlebois (Succession de),
[12]
9213-1705 Québec inc. c. Geitzen,
[13]
Gauthier c. Charlebois (Succession de),
[14]
Brousseau c. Montréal (Ville de),
[15]
Monopro Ltd. c. Montreal Trust, [2000] J.Q. n° 1040 (QL),
[16]
Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la
santé,
[17]
Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La
responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Yvon Blais,
2014, n° 2-281, p. 316; Constructions GSS Gauthier 2000 inc. c. Scaffidi
Argentina,
[18]
Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La
responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Yvon Blais,
2014, n° 2-283, p. 317-318. Voir aussi : Distribution Couche-Tard inc.
c. Constructions Loracon inc.,
[19] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Yvon Blais, 2014, n° 2-336 et 2-337, p. 345-346; Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson Lafleur, 2013, n° 2472-2473.
[20]
Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida,
[21] Id., p. 42.
[22]
Assistance aux femmes de Montréal c. Habitations Alexandre inc.,
[23]
Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La
responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Yvon Blais, 2014, n°
2-337, p. 346. Voir aussi Édith
Lambert, La prescription (art.
[24]
Turcotte c. Lavoie,
[25]
Monopro Ltd. c. Montreal Trust, [2000] J.Q. n° 1040 (QL),
[26]
Dufour c. Havrankova,
[27]
S.C. c. Archevêque catholique romain de Québec,
[28]
Gingras c. Québec (Cité), [1947] J.Q. n° 13 (QL),
[29]
April c. Seltzer, succession, [1997] J.Q. n° 3694 (QL),
[30] Notes sténographiques de l’interrogatoire préalable de Thérèse Lacour, 9 mai 2017, p. 68-70.
[31] Pièce R-2 : Rapport d’expertise de Jacques Gagné, juin 2013, p. 2.
[32] Id., p. 15.
[33] Id., p. 14.
[34] Notes sténographiques de l’interrogatoire préalable de Thérèse Lacour, 9 mai 2017, M.A., p. 62-64.
[35]
2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest inc.,
[36] Linda’s Fashion & Co. c. Shtern,
[37] C.c.Q., art. 2904.; Pellerin Savitz
s.e.n.c.r.l. c. Guindon,
[38]
F.B. c. Therrien (Succession de),
[39] Jugement de première instance, par. 55-59.
[40]
Nadeau c. Nadeau,
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