Décision

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Hôpital Maisonneuve-Rosemont

2009 QCCLP 8622

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

15 décembre 2009

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

362820-62-0811

 

Dossier CSST :

131235095

 

Commissaire :

Jean-François Clément, Juge administratif en chef

 

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Hôpital Maisonneuve-Rosemont

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 12 novembre 2008, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 16 avril 2008 et déclare que la totalité du coût des prestations versées dans le cadre de la lésion professionnelle subie par Marie Tremblay (la travailleuse) le 28 janvier 2007 doit être imputée au dossier de l'employeur.

[3]                Une audience était prévue à Boucherville le 17 novembre 2009, l'employeur y a renoncé préférant déposer une argumentation écrite.  Le délibéré a donc débuté le jour prévu pour l’audience.

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 28 janvier 2007 doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si l'employeur a droit au transfert de coût qu’il réclame alléguant la notion d’accident attribuable à un tiers prévue à l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[6]                Les critères permettant de conclure qu’un accident est attribuable à un tiers et qu’il en résulte une imputation injuste ont été précisés par une formation de trois juges dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2].

[7]                Un employeur invoquant ces dispositions doit démontrer :

1.        qu’il y a eu accident du travail;

 

2.        que cet accident est « attribuable à un tiers »;

 

3.        qu’il y a présence d’un « tiers »; et

 

4.           qu’il y aurait injustice du fait d’imputer les sommes découlant de la   lésion professionnelle à l'employeur.

 

 

[8]                La travailleuse occupe un emploi d’infirmière chez l'employeur lorsqu’elle subit un accident du travail le 28 janvier 2007. En descendant de sa voiture dans le stationnement du Pavillon Rosemont, elle glisse sur une plaque de glace et chute au sol en position agenouillée.

[9]                Gestiparc inc. est mandatée par la fondation de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont pour gérer l’ensemble des stationnements de cette institution. Gestiparc voit donc à la bonne marche des opérations auprès de l’entreprise Guimax inc. qui procède à l’entretien comme tel.

[10]           La réclamation de la travailleuse est acceptée à titre d’accident du travail en lien avec un diagnostic de fracture de la rotule du genou gauche.

[11]           La première condition permettant un transfert de coûts est donc manifestement respectée puisque la travailleuse a subi un accident du travail.

[12]           La firme Gestiparc inc. qui s’occupe de la gestion du stationnement où est survenu l’accident et l’entrepreneur Guimax inc. sont également des tiers au sens de l’affaire Ministère des Transports déjà citée puisqu’il s’agit de personnes autres que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier.

[13]           Pour déterminer si l’accident du travail du 28 janvier 2007 est attribuable à  Gestiparc inc. et/ou Guimax inc., le tribunal doit déterminer à la lumière de la preuve si les agissements ou les omissions de ces entreprises s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, ceux qui ont contribué non seulement de façon significative mais plutôt de façon majoritaire à sa survenance, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %.

[14]           Il s’agit en somme de déterminer si ces entreprises en sont le principal auteur.

[15]           Le tribunal ne croit pas bénéficier de la preuve que l’accident est bel et bien attribuable au gestionnaire du contrat d’entretien et/ou à l’entreprise procédant à l’entretien.

[16]           Rien ne démontre que ces personnes seraient les principaux auteurs ou la principale cause de la survenance de l’événement. En effet, rien dans la preuve ne démontre que la travailleuse n’a pas elle-même contribué à son malheur. Aucune preuve ne relate le genre de souliers qu’elle portait, la démarche qu’elle empruntait, le fait qu’elle portait ou non des paquets dans les mains, etc.

[17]           Le tribunal ne peut pas simplement présumer que l’accident serait attribuable aux personnes responsables de l’entretien des lieux sans que des circonstances de l’événement indiquent l’absence de contribution majoritaire du travailleur lui-même ou de son employeur, et ce, aussi étanche que puisse être le contrat liant les parties.

[18]           L’employeur n’a présenté aucune preuve dans le présent dossier, ayant renoncé à l’audience. L’argumentation déposée au dossier ne constitue pas une preuve et la preuve documentaire au dossier est insuffisante pour pouvoir conclure dans le sens voulu par l’employeur.

[19]           En effet, la lettre de la conseillère en gestion de l’indemnisation, en plus de constituer un témoignage écrit, demeure vague. Elle réfère à des conditions météorologiques qui devaient nécessiter un épandage d’abrasif sans spécifier plus amplement les faits. Elle rapporte aussi les propos de la travailleuse quant à l’absence d’abrasif de sorte qu’il s’agit de double ouï-dire. Il s’agit d’un témoignage écrit d’une personne qui rapporte les propos d’une autre personne.

[20]           La travailleuse a-t-elle été imprudente ou fait une fausse manœuvre? Rien ne l’indique. De plus, le simple fait qu’il y ait de la glace sur un stationnement de l’employeur ne suffit pas à conclure à la négligence de la personne devant entretenir les lieux et ainsi à sa contribution majoritaire.

[21]           Dans l’affaire Raynald April inc. et F.F. Soucy inc.[3], la Commission des lésions professionnelles a refusé un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi même si le travailleur avait chuté sur une plaque de glace située sur un terrain appartenant à un tiers. Dans cette affaire, la juge décide que l’employeur savait pertinemment qu’il y avait régulièrement présence de glace à cet endroit et qu’il n’avait rien fait à cet égard.

[22]           Dans le présent dossier, rien ne prouve non plus que l’employeur du travailleur n’aurait pas été négligent. Aucune preuve n’a été apportée en ce sens. Comme l’employeur a une responsabilité très importante en matière de santé et sécurité de ses travailleurs, il lui revient de voir à prévenir les accidents et la preuve est muette quant à son intervention dans ce dossier, notamment pour s’assurer du bon entretien des lieux.

[23]           C’est à l’employeur que revient le fardeau de preuve et il devait établir que ni lui ni sa travailleuse ne sont majoritairement responsables de l’accident. Il ne suffit pas d’alléguer « la faute » ou « la responsabilité » d’un tiers, encore faut-il prouver le contexte pour permettre de conclure qu’il s’agit là de la cause majoritaire de l’accident[4].

[24]           De plus, l’employeur devait démontrer au moyen d’une preuve prépondérante que l’état dans lequel se trouvait la chaussée résultait d’un défaut d’entretien ou d’un entretien inadéquat de la part de la tierce partie. Les conditions météorologiques doivent être prises en considération aux fins d’apprécier le degré de contribution d’une tierce partie à la survenance d’un accident du travail à l’occasion d’une chute causée par une surface extérieure mouillée ou glacée. Il n’y a pas d’automatisme en cette matière. La simple présence d’une plaque de glace en hiver au Québec sur un terrain quelconque n’entraîne pas nécessairement une conclusion que l’accident est attribuable à une négligence d’entretien du propriétaire du terrain en cause[5].

[25]           Ainsi, rien dans la preuve ne démontre que le tiers aurait fait défaut d’appliquer des abrasifs. Le fait qu’une chute survienne ne permet pas automatiquement de conclure en ce sens. Ni le travailleur ni l’employeur n’ont témoigné sur le fait que les lieux avaient été mal entretenus, que leurs appels de service n’avaient pas été honorés, etc.

[26]           La preuve au dossier démontre qu’il avait neigé peu de temps avant l’événement. On ne peut s’attendre à ce qu’un entretien immédiat se fasse et cela n’est pas suffisant pour conclure à un manquement des personnes affectées à l’entretien.

[27]           Comme la jurisprudence le mentionne, il faut prouver plus que l’existence d’une plaque de glace : il faut aussi démontrer qu’elle résulte d’un défaut d’entretien ou d’un entretien inadéquat de la tierce partie.

[28]           La présence de glace au sol en elle-même ne résulte pas du fait du propriétaire ou du gestionnaire des lieux. Il s’agit d’une conséquence du climat québécois, d’un phénomène naturel. La participation du tiers dans la survenance de la lésion doit donc s’évaluer au niveau des mesures prises pour entretenir les lieux, selon les circonstances factuelles propres au dossier. La seule allégation, la seule preuve d’une chute d’un travailleur sur la glace n’est pas suffisante pour conclure que le tiers responsable de l’entretien a fait défaut d’entretenir adéquatement sa propriété et qu’il est en conséquence majoritairement responsable de l’accident du travail subi par le travailleur.

[29]           Au surplus, le tribunal ne peut aucunement conclure que l’imputation des coûts au dossier de l’employeur serait injuste.

[30]           La notion d’injustice s’ajoute à celle d’accident attribuable à un tiers, de sorte que le seul fait qu’une tierce partie puisse ou non être responsable d’un accident ne suffit pas à démontrer l’injustice. La décision Ministère des Transports est très claire là-dessus.

[31]           L’employeur opère un hôpital, ce qui fait en sorte que les gens qui y travaillent doivent inévitablement accéder à leurs lieux de travail après s’être rendus à l’établissement de l'employeur à l’aide du transport en commun, d’un véhicule automobile, etc.

[32]           La travailleuse en l’espèce venait de stationner son véhicule dans le stationnement mis à sa disposition par son employeur contre paiement de frais retenus à même sa rémunération.

[33]           Il fait donc partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l'employeur qu’un employé qui arrive au travail glisse ou chute .

[34]           L’employeur mentionne que le fait qu’un travailleur tombe sur une plaque de glace ne constitue pas un risque particulier relié à son activité.

[35]           Le tribunal ne peut retenir cette prétention. Les accidents du travail ne font jamais partie des activités d’un employeur. La question qu’on doit se poser est plutôt si l’événement tel qu’il survient s’inscrit dans les risques inhérents de l’entreprise. Or, il est évident qu’une infirmière doit se rendre à l’établissement de l'employeur après avoir stationné son véhicule. L’activité exercée au moment de l’accident s’inscrit de toute évidence dans les risques inhérents aux activités de l'employeur.

[36]           Dans l’affaire Groupe P.F. Brisson Peinture inc.[6], un peintre avait subi un accident du travail dans le cadre d’un déplacement. Selon la juge Langlois, le fait de se déplacer entre le bureau de l’employeur et le lieu de travail habituel fait partie des risques inhérents se rattachant à l’activité économique de l’employeur qui est la rénovation. L’activité de déplacement est directement reliée à l’exercice même de l’activité principale de l’employeur. Elle affirme qu’au-delà de la description de la classification de l’employeur, il faut vérifier les activités réelles impliquées dans l’exploitation de l’entreprise. Ces principes s’appliquent parfaitement en l’espèce.

[37]           Selon la décision Ministère des Transports déjà citée, la notion de risque inhérent doit être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur et qui en est inséparable ou intrinsèque. Dans le cas de l’employeur, il ne s’agit pas seulement de l’opération d’un hôpital mais aussi de la nécessité que ses employés accèdent à leur lieu de travail.

[38]           Dans un jugement récent, l’honorable Yves Alain de la Cour supérieure du Québec[7] accueille une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles en lien avec l’interprétation de l’article 326 de la loi. Le juge rappelle que ce qu’on doit considérer en cette matière c’est l’activité effectuée au moment de l’accident, à savoir si elle constitue ou non une activité normale de l’employeur. Le risque auquel a été confronté l’employeur dans le présent dossier, tout comme l’accident subi par sa travailleuse, constitue clairement un risque inhérent auquel s’expose quotidiennement l’employeur lorsque ses employés arrivent au travail.

[39]           Le fait pour les travailleurs de l'employeur d’accéder à leur lieu de travail est lié d’une manière étroite et nécessaire à ses activités, en étant inséparable, comme on l’indique dans la décision Ministère des Transports.

[40]           Finalement, le tribunal ne voit rien d’extraordinaire, d’inusité, de rare ou d’exceptionnel dans le fait pour une infirmière de glisser sur une plaque de glace à l’entrée de l’hôpital où elle travaille. La présence de glace en hiver au Québec n’est certainement pas un guet-apens ou un piège, à moins de circonstances particulières nullement en preuve en l’espèce.

[41]           Manifestement, les probabilités qu’un semblable accident survienne sont indéniables.     

[42]           L’employeur réfère le tribunal à de la jurisprudence, notamment à l’affaire Assurances Générales Caisses Desjardins inc. et Déneigement Transport Excavation LR[8].

[43]           Avec égards, le tribunal ne peut partager l’affirmation contenue dans cette décision voulant que le fait de glisser sur une surface glacée ne constitue pas un risque relié de manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur dans cette cause. Le tribunal s’est déjà exprimé à ce sujet.

[44]           On doit regarder si l’activité pratiquée par le travailleur lors de l’événement s’inscrit dans un risque inhérent à l’ensemble des activités de l'employeur et non pas se demander si le fait de subir un accident du travail fait partie d’un tel risque.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

REJETTE la requête de Hôpital Maisonneuve-Rosemont, l'employeur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 octobre 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que tous les coûts inhérents à la lésion professionnelle du 28 janvier 2007 doivent être imputés au dossier de l'employeur.

 

 

 

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Jean-François Clément

 

 

 

 

Me Stéphanie Rainville

MONETTE, BARAKETT ASS.

Procureure de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           [2007] C.L.P. 1804

[3]           C.L.P. 224967-01A-0401, 3 février 2006, L. Desbois.

[4]           Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., C.L.P. 126248-62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix.

[5]           Aliments Lesters ltée et Tremblay, C.L.P. 157950-61-0103, 15 mars 2002, G. Morin.

[6]           C.L.P. 282887-07-0602, 26 juillet 2006, M. Langlois, requête en révision rejetée, 13 février 2007, A. Suicco; requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, 550-17-003064-076, 12 novembre 2007, j. Pierre C. Gagnon.

[7]           C.S.S.T. c. C.L.P. et Fernand Breton 1995 inc., C.S. Québec, 200-17-010640-084, 14 avril 2009.

[8]           C.L.P. 363015-31-0811, 2 juin 2009, J.-L. Rivard

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