Drescher c. Boucher |
2016 QCRDL 40730 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Laval |
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No dossier : |
297703 36 20160922 G |
No demande : |
2086669 |
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Date : |
29 novembre 2016 |
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Régisseure : |
Marie-Louisa Santirosi, juge administrative |
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Peter Drescher |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Robert Boucher |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande la résiliation du bail et l'éviction du locataire, essentiellement parce que le locataire ne se gêne pas pour fumer alors que le locateur est atteint de cancer causé par la cigarette et que la fumée secondaire nuit à sa condition.
[2] Le locateur invoque d’autres problèmes de comportement, tels que le va-et-vient au logement, harcèlement envers sa famille, tenue indécente, caractère imprévisible, état d’ébriété, dommages suite à l’installation de câbles et fils électriques sans autorisation.
[3] Il s’agit d’un bail d’une durée indéterminée ayant débuté en 2007. Le loyer est de 400 $ et ne fut jamais augmenté.
[4] L’unité, une garçonnière de deux pièces et demie, est située au sous-sol d’un duplex. Le locateur habite le rez-de-chaussée et sa fille le second étage.
[5] Le locateur et propriétaire est âgé de 81 ans. Il a perdu sa femme d’un cancer et subit le même genre de problème de santé.
[6] Le locateur a déjà été un grand fumeur. Il n’avait donc aucune difficulté à tolérer la fumée secondaire provenant du logement du locataire. Il a modifié ses habitudes de vie, ne fume plus et est suivi en oncologie. Son médecin le réprimande et lui souligne que ses vêtements dégagent une forte odeur de cigarette alors que pour bénéficier des traitements, il doit non seulement ne pas fumer, mais également habiter un environnement exempt de fumée.
[7] Le locateur ne fumant plus, il explique que les odeurs proviennent du logement du locataire.
[8] Il remet un document de son médecin daté du 17 novembre 2016 qui se décline ainsi :
« To whom It May Concern
MR Peter Drescher is followed in the oncology clinic at the Lakeshore General Hospital.
He is bothered by smoke from cigarettes permeating his apartment. He is allergic and sensitive to this and this letter is to recommend that any measures taken to stop this will help and improve his recovery. »
[9] La lecture de la lettre mentionne la sensibilité du patient à la fumée secondaire, des allergies à ces émanations et les traitements suivis en oncologie.
[10] Le locateur, et avant lui son épouse, ont chacun tenté de convaincre le locataire de fumer à l’extérieur, sans succès.
[11] Le 15 septembre 2016, le locateur lui fait parvenir une mise en demeure :
« Mr Robert Bouche, I would like to inform you to please move out by September 30, 2016. The ongoing problems can’t be tolerated your constant smoking is deteriorating my health. Your drug problems and drug dealer coming to the house have compromised our safetey. The harassment you have towards my family. Furthermore your rent is often late. Therefore you need to vacate […]. So please reply in 48 hours or I will take recourse with the Regie. » (sic)
[12] Le harcèlement mentionné à la lettre concerne des différends entre le locataire et sa fille.
[13] Elle témoignera entre autres que sa voiture fut vandalisée et croit le locataire responsable, dénonce qu’il laisse traîner des bouteilles de bière vides devant la porte d’entrée du bachelor, vidéos et photos à l’appui, indique qu’il se chamaille et insulte son jeune fils âgé de six ans. En un mot, elle lui reproche son absence de civisme.
[14] Le locataire réplique à la lettre du locateur la même journée en invoquant des problèmes avec sa cuisinière.
« M. Peter Dresher Je dois vous avertir que l’ai parlé à la regie du logement pour le problème de la cuisinière et de l’eau chaude dans la cuisine à vous de la réparé ou on va allé plus loin dans les procédure » (sic)
[15] Le locataire aurait également installé sans autorisation des câbles reliant son logement à sa télévision qui longent la bâtisse.
[16] La fille du locateur remet un compte rendu d’un technicien de Bell Canada, qui indique que le branchement par satellite maison (« homemade ») pourrait être illégal.
[17] Le locataire témoigne qu’il n’a jamais eu maille à partir avec le locateur ou son épouse. Les problèmes ont débuté lorsque sa fille a pris la place du fils du propriétaire au second étage et tenté d’imposer un règlement sur la cigarette.
[18] Lorsque la soussignée lui demande s’il serait disposé à fumer à l’extérieur, le locataire réplique que le problème ne se poserait pas si locateur installait un ventilateur comme il lui a suggéré. Il refuse tout compromis et surtout de geler l’hiver en fumant à l’extérieur. Le locataire consomme environ 20 cigarettes par jour.
[19] Il admet boire entre trois ou quatre bières par jour, habituellement avant le souper, ce qui lui semble raisonnable. Ensuite, il écoute la télévision. Il ne reçoit presque jamais, dément consommer des drogues.
[20] Le locataire admet installer un câble, car il n’a plus les moyens de payer pour une soucoupe et souligne qu’il s’agit d’une antenne et d’une installation réglementaire. Il nie endommager l’immeuble.
[21] Il s’agit de l’essentiel de la preuve.
Analyse des faits et application du droit
[22] En l’instance, le locateur avait le fardeau de prouver que le comportement du locataire déborde le cadre de la tolérance normale entre voisins et que son comportement cause un préjudice sérieux.
[23] La démonstration qu’il se promène habillé de manière indécente, se trouve en état d’ébriété, harcèle la famille du locateur ou cause des dommages à l’immeuble n’est pas probante et ne sera pas retenue.
[24] En ce qui concerne les bouteilles de bière, le Tribunal émettra une ordonnance pour que ce dernier les ramasse. Il lui sera interdit de les laisser traîner à l’extérieur de son logement.
[25] La question de la fumée de cigarette est plus délicate.
[26] Le locateur a déjà manifesté une tolérance pour l’habitude du locataire de fumer. Il a cependant le droit de retirer cette permission compte tenu des circonstances. Une tolérance ne devient pas un droit en vertu du bail et elle ne confère aucun droit acquis. En terme plus simple, la tolérance n’est pas génératrice de droit.
[27] Le locataire considère que le locateur a simplement à prendre des mesures correctives pour ne plus être incommodé par la fumée.
[28] Selon l’argumentation du locataire et de son procureur, si un locateur peut lors de la conclusion d’un bail inclure une clause interdisant de fumer à l’intérieur du bâtiment et du logement, en se fondant sur son droit de gérance[1], il ne pourrait modifier ses règles en cours de bail sans contrevenir aux droits du locataire.
[29] D’une part, le locataire ne peut forcer le locateur à cloisonner de manière hermétique son logement, ce qui serait de toute façon très malsain, ou améliorer la ventilation pour compenser son habitude de vie.
[30] Le locateur peut exiger qu’il ne fume plus à l’intérieur du logement et s’il refuse, le locateur peut obtenir la résiliation du bail.
[31] Dans l’affaire Koretski c. Fowler[2] concernant la validité d'une clause interdisant la cigarette dans un bail de logement, l'honorable juge Barbe de la Cour du Québec soulignait ceci :
« Quant à la senteur de cigarettes, il faut noter que la société devient de plus en plus sévère à l'égard des fumeurs; le Législateur a décrété des zones d'interdiction de fumer; il semble bien qu'un locateur pourrait édicter une telle prohibition dans ses logements puisqu'un fumeur ne peut quand même pas obliger ses voisins à être des fumeurs passifs, d'autant plus que la science médicale a maintenant établi que la cigarette et la fumée étaient une cause de cancer ».
[32] Dernièrement, le législateur a resserré la réglementation concernant la fumée de cigarettes, appuyant la connaissance populaire sur les conséquences néfastes de la fumée secondaire et les tribunaux se sont montrés ouverts à sévir contre les fabricants.
[33] En l’instance, le changement est demandé par le locateur parce que les circonstances sont différentes que lors de la location.
[34] La fumée de cigarette constitue un risque majeur pour la santé du locateur et contrecarre ses traitements en oncologie. Il ne s’agit donc pas simplement d’une question d’odeur ou de ventilation.
[35] Le locataire a l’obligation d’user du logement avec diligence en vertu de l’article 1855 C.c.Q. La diligence inclut celle d’user de discernement lorsqu’une habitude de vie porte atteinte à la sécurité et la santé d’un autre.
[36] Possiblement qu’une personne ordinaire pourrait vivre dans les conditions décrites par le locateur, mais en ce qui le concerne, et selon la déclaration de son médecin, cette habitude constitue pour ce dernier une menace sérieuse.
[37] Le locateur subit un préjudice sérieux de l’habitude de vie du locataire.
[38] Il sera ordonné au locataire de ne plus fumer à l’intérieur du logement, et ce, en vertu de l’article 1973 C.c.Q. À défaut pour le locataire de se conformer à l’ordonnance, le locateur pourra obtenir la résiliation du bail.
[39] La soussignée tient à souligner la vulnérabilité du locateur en raison de son état de santé, la perte de son épouse, mais également en raison de son âge. Il est louable que sa fille soit présente à ses côtés pour le supporter dans ces moments difficiles. Le locateur a donné un mandat à cette dernière pour gérer conjointement avec lui. Le locataire doit réaliser cette nouvelle réalité et s’ajuster en conséquence.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL
[40] ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
[41] ORDONNE au locataire de cesser de fumer à l’intérieur de son logement;
[42] INTERDIT au locataire de fumer ou laisser un tiers fumer dans son logement;
[43] INTERDIT au locataire de laisser des bouteilles de bière ou autres bouteilles traîner à l’extérieur de son logement;
[44] CONDAMNE le locataire aux frais judiciaires de 81 $.
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Marie-Louisa Santirosi |
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Présence(s) : |
le locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
23 novembre 2016 |
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AVIS :
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