LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 18 février 1997
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE : Me Santina Di Pasquale
DE MONTRÉAL
RÉGION: MONTÉRÉGIE ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR : Michel Lesage, médecin
DOSSIER:
75721-62-9512
DOSSIER CSST:
003429552 AUDIENCE TENUE LE : 27 janvier 1997
DOSSIER BR:
61945533
À: Montréal
__________________________________________________
RICHARD VALLÉE
379, rue Duvernay
Verchères (Québec)
J0L 2R0
PARTIE APPELANTE
et
ÉRECTION BRETON LIMITÉE
Direction des Ressources humaines
500, rue Sagard
Saint-Bruno-de-Montarville (Québec)
J3V 4P6
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA
SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTÉRÉGIE
Directeur régional
25, boul. Lafayette
Longueuil (Québec)
J4K 5B7
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 21 décembre 1995, monsieur Richard Vallée (le travailleur) en appelle auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'une décision majoritaire du Bureau de révision de la région Montérégie (le bureau de révision) datée du 23 novembre 1995.
Par cette décision, le bureau de révision confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 4 mai 1995 et déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 29 mars 1995 et que l'article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] ne s'applique pas.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision, d'appliquer l'article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] et de déclarer que le travailleur n'est pas en mesure d'occuper l'emploi convenable.
OBJECTION PRÉLIMINAIRE
En début d'audience, le procureur de la Commission soulève que la Commission d'appel est saisie d'un appel d'une décision de la Commission qui porte sur une question de la rechute, récidive ou aggravation. Alors, même si le bureau de révision s'est interrogé sur l'application de l'article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] (la loi) de façon subsidiaire, la Commission prétend que la Commission d'appel n'a pas la compétence pour se prononcer sur l'application de l'article 51 de la loi dans ce dossier. Le procureur de la Commission ajoute que la décision qui déterminait l'emploi convenable a été contestée hors délai et cette contestation n'a pas fait l'objet d'une enquête et audition devant le bureau de révision. Par conséquent, on ne peut indirectement remettre en question la décision qui a déterminé l'emploi convenable. Finalement, le rapport médical qui a été produit par le travailleur le 29 mars 1995 n'est pas suffisamment précis pour donner lieu à l'application de l'article 51 de la loi.
La Commission d'appel a pris cette objection préliminaire en délibéré et a entendu toute la preuve sous réserve de la décision qui sera rendue.
LES FAITS
Le travailleur est victime d'un accident du travail le 16 novembre 1989. Lors de cet accident, il s'inflige une fracture de Colles, luxation secondaire et postérieure du semi-lunaire, luxation cubitale secondaire des os du carpe et luxation postéro-latérale au niveau de la quatrième articulation interphalangine proximale au membre supérieur droit. Cette lésion professionnelle a été consolidée le 1er octobre 1990, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
Le 21 novembre 1990, le docteur Jacques Tremblay, médecin qui a charge du travailleur, émet les limitations fonctionnelles suivantes:
«Les limitations fonctionnelles permanentes qui affectent ce travailleur au travail comprennent l'interdiction de soulever des poids de plus de 10 kilos, d'effectuer des mouvements répétitifs de son coude et de son poignet droits, d'effectuer des mouvements de préhension répétitive de sa main droite, de se tenir en équilibre dans les hauteurs, ainsi que de travailler à l'extérieur par temps froid hivernal sous moins 10E Celcius. Ce patient est donc devenu, suite à son accident de travail inapte au travail de monteur d'acier dans le domaine de la construction, et devra être soumis à la réadaptation sociale en vue d'un emploi convenable, compte tenu des limitations fonctionnelles ci-décrites. Il est à noter que le patient a déjà travaillé comme laitier, ainsi qu'il détient un diplôme dans le domaine de la soudure, travail qu'il pourrait effectuer au sol. Ces éléments pourront donc être retenus en vue de sa réadaptation sociale». [sic]
Le 20 décembre 1990, la Commission établit l'atteinte permanente du travailleur à 21,20% et le travailleur est déclaré, par la suite, admissible en réadaptation.
Par décision datée du 5 septembre 1991, la Commission a retenu l'emploi d'estimateur-évaluateur automobile comme emploi convenable. Afin de le rendre capable d'exercer cet emploi, la Commission a autorisé une formation académique. Cependant, le travailleur n'a pas réussi dans sa formation académique et cet emploi convenable a été abandonné.
La Commission a donc déterminé, en date du 19 avril 1994, un autre emploi convenable en ces termes:
«[...]
Vous avez manifesté beaucoup d'intérêt pour un travail de laitier à l'intérieur d'une entreprise que vous souhaitez acquérir. Il nous fallait alors évaluer la faisabilité de ce projet et c'est ce qui a été fait depuis quelques semaines.
Considérant que:
-vous fournissez vous-même une partie du capital;
-cet emploi respecte votre capacité résiduelle de travail;
-vous avez déjà une expérience de 8 ans dans ce domaine;
-l'étude comptable est positive;
-vous pouvez retrouver votre autonomie financière préaccidentelle,
la CSST est consentante à participer financièrement à la création de votre entreprise pour un montant de 33 000,00$ conformément à l'article 178 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles.
En résumé nous retenons l'emploi convenable de laitier au salaire estimé de 36 000,00$ par année. Nous fixons la date de capacité à occuper cet emploi au 25 avril 1994. Toutefois vous continuerez de recevoir votre indemnité de remplacement du revenu jusqu'au 29 mai 1994 en guise de fonds de roulement». [sic]
Le travailleur a commencé à occuper son emploi convenable le 23 mai 1994. Il pensait être capable de faire le travail de laitier et il était content puisqu'il connaissait le métier pour l'avoir exercé pendant huit ans. Cependant, il s'est rendu compte qu'il n'était plus capable de faire ce travail. Au début, il travaillait cinq jours par semaine. Après cinq mois, il a été obligé de modifier sa façon de travailler puisqu'il avait de plus en plus de douleurs. Il a décidé de travailler trois jours par semaine. À partir d'octobre 1994, il a été obligé d'engager quelqu'un pour l'aider. Il n'était plus capable de faire le chargement du camion qui se fait à Sorel et la livraison des caisses. En effet, il explique que son travail de laitier consiste à manipuler des caisses de lait pesant 18,5 kilos. Il livre également des grosses bouteilles d'eau. Il déclare desservir plus de clients privés, mais il indique desservir également des restaurants.
Le travailleur explique que son premier employé est resté avec lui environ un an. N'ayant plus les moyens de le payer, il a dû le laisser partir. Par la suite, monsieur Marcel Groulx s'est offert pour l'aider. Il le fait bénévolement et il ne lui paie que ses dîners. Il s'occupe de charger et de décharger son camion et le travailleur reste dans le camion et complète les documents nécessaires. Il continue à gérer son commerce, mais il n'effectue plus le travail physique.
Le 29 mars 1995, le travailleur consulte le docteur Fowles. Le docteur Fowles écrit ce qui suit sur un rapport médical:
«# 2 os avant bras (D)
1989 - pas soulever
physique 10 kilos, ni
manoeuvres répétitives». [sic]
On retrouve également au dossier une note manuscrite qui n'est pas datée et qui se lit ainsi:
«Louise,
Le T nous fera parvenir une RTR, ne peut plus exercer son emploi actuel, avait bénéficié d'un programme de réadaptation, vérifier s'il est exigible à une aide parce qu'il travaille pour lui-même et a dû engager un employé pour faire le travail à sa place.
Merci Lise Thibault». [sic]
Le 30 mars 1995, le travailleur produit une Réclamation du travailleur. Il écrit ce qui suit sur la formule de réclamation:
«Depuis février 1995, j'ai de plus en plus mal au poignet droit, à travailler au froid, à manipuler des caisses de lait qui pèse 19 kilos à vérifier lors de mes livraisons ou lorsque je charge mon camion.
J'ai consulté un médecin qui me dit que mon travail est trop exigeant compte tenu de mes limitations fonctionnelles». [sic]
Dans les notes évolutives du 10 avril 1995 on peut lire:
«Reçu RTR + rapport médical.
Dossier transmis en consol.
Louise Leduc
agente d'indemnisation». [sic]
Les notes évolutives du 25 avril 1995 se lisent ainsi:
«[...]
(T) a commencé en mai 94 son commerce, avant il ne travaillait pas. N'a jamais consulter entre 90-11-21 et le 95-03-29, aucun examen ou test n'a été fait. Le Dr Fowles n'a pas référé le (T) pour des Rx(?) ou autres ne doit pas le revoir. Lui explique que je vais présenter le dossier au B.M. mais qu'il est fort possible que nous ne puissions accepter sa réclamation. Il n'y a pas de détérioration objective, c'est plutôt le travail selon le (T) qui n'est pas approprié, lui demande qui a orienté la conseillère vers ce type de travail. M. m'informe qu'il avait déjà fait se travaille, il en a parlé à la conseillère car c'est un travail qu'il aime. L'avise que je vais le rap. dès que possible». [sic]
Par décision datée du 4 mai 1995, la Commission refuse la réclamation du travailleur pour la rechute, récidive ou aggravation du 29 mars 1995. Le travailleur conteste cette décision, mais elle est confirmée par le bureau de révision le 23 novembre 1995, d'où le présent appel.
On retrouve au dossier un deuxième rapport du docteur Fowles, daté du 31 mai 1995, lequel se lit ainsi:
«Ne doit pas: soulever plus que 20 livres, pas mouvements répétitifs avec coude ou poignet
(D): pas mouvements de préhension répétitifs main
(D): pas travailler au réfrigérateur». [sic]
Finalement, un troisième rapport émanant du docteur Fowles et daté du 19 décembre 1995 a été déposé à l'audience. Le docteur Fowles écrit sur ce rapport:
«Restriction: Ne doit pas soulever plus que 10 kilos avec le MSD, ni faire des mouvements répétitifs avec le coude et poignet D car peut comporter un danger pour sa santé». [sic]
A également témoigné à l'audience monsieur Marcel Groulx. Monsieur Groulx aide le travailleur depuis mars 1995. Il le fait bénévolement. Il s'occupe de charger et décharger le camion. Le travailleur s'occupe du travail clérical et de la gestion de l'entreprise. Monsieur Groulx travaille trois jours par semaine, huit heures par jour. Il fait la livraison surtout à Montréal-Nord et la clientèle est surtout résidentielle. Il ne livre que chez trois commerçants.
A également témoigné à l'audience madame Danielle Saint-Pierre, conseillère en réadaptation à la Commission. Elle déclare avoir tenu compte des limitations fonctionnelles du travailleur dans la détermination de l'emploi convenable. Elle souligne que le travailleur désirait exercer le métier de laitier et, en se basant sur un rapport d'un ergothérapeute daté du 20 mai 1991, elle a conclu que le travailleur pouvait exercer l'emploi de laitier. Les conclusions de ce rapport se lisent ainsi:
«Les limitations fonctionnelles du client se situent au niveau de:
-son incapacité d'effectuer un emploi qui exige des mouvements répétitifs de l'avant-bras droit (pronation/supination;
-son incapacité d'effectuer un emploi qui exige des mouvements répétitifs du poignet droit contre forte résistance (flexion, extension, déviation radiale/cubitale);
-son incapacité d'effectuer un emploi qui exige des mouvements précis et rapides des doigts de la main droite;
-son incapacité d'effectuer un emploi qui exige du soulèvement et de la manutention de charges de plus de 10 kg avec le bras droit.
Nous recommandons pour M. Vallée, un travail léger, où des mouvements répétitifs du poignet contre très peu ou aucune résistance pourront être effectués; il pourra soulever des charges jusqu'à 25 kg utilisant une prise bilatérale, mais toujours en évitant la supination de l'avant-bras droit. Il pourra soulever des charges jusqu'à 10 kg au-dessus des épaules, utilisant une prise bilatérale.
Nous suggérons que le client utilise le membre supérieur gauche quand l'activité semble être trop exigeante pour le poignet droit, ainsi qu'une prise bilatérale quand c'est possible». [sic]
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit décider, dans un premier temps, si elle a compétence pour analyser la preuve et rendre une décision relativement à l'application de l'article 51 de la loi.
Or, la décision de la Commission du 4 mai 1995, qui est à l'origine du présent litige, déclare que le travailleur n'a pas subi de rechute, récidive ou aggravation le 29 mars 1995. Cette décision a été contestée et le bureau de révision se prononce à la fois sur la question de la rechute, récidive ou aggravation et analyse la preuve en vue de l'application de l'article 51 de la loi pour conclure que le travailleur n'a pas rencontré les critères énoncés à cet article pour bénéficier de la reprise de l'indemnité de remplacement du revenu.
La Commission d'appel, après avoir analysé l'ensemble de la preuve, conclut que la Commission n'aurait jamais dû traiter le présent dossier comme s'il s'agissait d'une demande de rechute, récidive ou aggravation. En effet, le travailleur n'a jamais déclaré que son état s'était aggravé. Il dit dans sa réclamation qu'il a consulté un médecin qui lui a dit que son travail était trop exigeant compte tenu de ses limitations fonctionnelles. De plus, on retrouve une note au dossier adressée à «Louise» et en vérifiant les notes évolutives du 10 avril 1995, la Commission d'appel constate que «Louise» est une agente d'indemnisation et elle a reçu la réclamation du travailleur à cette date, ainsi que le rapport du médecin. La note adressée à Louise a donc été prise antérieurement au dépôt de la réclamation du travailleur. Le travailleur avait indiqué à madame Lise Thibault, à l'époque, qu'il ne pouvait plus exercer son emploi actuel.
De ces écrits, la Commission d'appel déduit que le travailleur a communiqué avec la Commission pour dire qu'il n'était plus capable de faire le travail et non pas pour les aviser qu'il avait été victime d'une rechute, récidive ou aggravation. Le dossier a été, de toute évidence, traité comme une rechute par erreur. Qui plus est, le rapport qui a été envoyé avec la réclamation du travailleur ne fait aucune mention d'une rechute, récidive ou aggravation. Le docteur Fowles répète les mêmes limitations fonctionnelles qui avaient été émises par le médecin qui avait charge du travailleur. C'est donc à bon droit que le bureau de révision, malgré qu'il était saisi d'une décision de la Commission qui déclarait que le travailleur n'avait pas subi de rechute, récidive ou aggravation, a décidé d'analyser la preuve afin de vérifier de l'applicabilité de l'article 51 de la loi.
À l'audience, devant la Commission d'appel, le représentant du travailleur ne soutient pas que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation. Il admet n'avoir aucune preuve pour soutenir une telle prétention. Par contre, il demande à la Commission d'appel d'appliquer l'article 51 de la loi.
Considérant l'ensemble de la preuve, la Commission d'appel est convaincue que le travailleur n'a jamais prétendu avoir été victime d'une rechute, récidive ou aggravation. Il a informé la Commission qu'il n'était pas capable d'exercer l'emploi convenable et la Commission a considéré sa demande comme une allégation de rechute, récidive ou aggravation. La Commission d'appel est saisi d'un appel d'une décision de la Commission qui déclare qu'il n'a pas subi une rechute, récidive ou aggravation. Cependant, à la face même du dossier, il appert que ce que le travailleur invoquait c'était son incapacité d'effectuer l'emploi convenable. Les motifs pour lesquels le travailleur a fait sa réclamation sont clairs et les parties ne sont pas prises par surprise lorsque le travailleur demande de statuer sur l'applicabilité de l'article 51 de la loi. D'ailleurs, le procureur de la Commission s'est présenté à l'audience avec la conseillère en réadaptation, ce qui laisse la Commission d'appel à croire qu'il s'attendait à ce que le débat devant la Commission d'appel porte sur l'emploi convenable.
Qui plus est, la Commission d'appel, en vertu de l'article 400 de la loi, peut confirmer ou infirmer la décision portée devant elle et, dans ce dernier cas, elle peut rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu. La décision portée devant elle en appel est la décision du bureau de révision. Par cette décision, le bureau de révision confirmait la décision de la Commission qui déclarait que le travailleur n'a pas subi de rechute, récidive ou aggravation. Cependant, le bureau de révision statuait également quant à l'applicabilité de l'article 51 de la loi, puisque les éléments de preuve au dossier permettent justement de statuer sur cette question. Dans ces circonstances, la Commission d'appel est convaincue qu'elle est non seulement compétente pour se prononcer sur l'applicabilité de l'article 51 de la loi, mais qu'en plus, elle a le devoir de le faire.
Le procureur de la Commission prétend que le travailleur tente indirectement de remettre en cause l'emploi convenable qui a été déterminé et qui n'a pas été contesté dans le délai imparti.
La Commission d'appel n'a aucune intention de remettre en cause une décision de la Commission qui est devenue finale. Cependant, elle doit apprécier la preuve afin de déterminer si l'article 51 de la loi s'applique au travailleur. Cette disposition se lit ainsi:
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
En l'instance, le travailleur a commencé à occuper à plein temps l'emploi convenable de laitier le 23 mai 1994. À partir du mois d'octobre 1994, il a engagé un employé pour l'aider étant incapable d'effectuer les tâches de laitier. Il a gardé la gérance de son commerce, mais n'effectuait plus le travail physique à partir d'octobre 1994. Toutefois, le travailleur a consulté un médecin seulement en date du 29 mars 1995.
L'article 51 de la loi prévoit qu'un travailleur doit abandonner son travail convenable dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer et, selon l'avis du médecin qui a charge, pour avoir droit à une reprise de l'indemnité de remplacement du revenu.
La Commission d'appel considère que le travailleur en l'instance a abandonné son emploi à partir d'octobre 1994 puisque, après cette date, il ne faisait que de la gestion. Il a, à toutes fins pratiques, abandonné son emploi, puisqu'il a abandonné la majorité des tâches se rapportant au travail de laitier. Il conserve la gestion du commerce, puisqu'il en est le propriétaire. Dans ces circonstances, la Commission d'appel est d'avis que le travailleur a abandonné son emploi en octobre 1994.
Le travailleur a-t-il abandonné son travail sur l'avis du médecin qui a charge?
Ce n'est que le 29 mars 1995 que le travailleur consulte le docteur Fowles. Le docteur Fowles réitère sur son rapport les mêmes limitations fonctionnelles qui avaient été émises par le médecin qui avait charge du travailleur. Il est vrai que le premier rapport du docteur Fowles ne dit pas clairement que le travailleur n'est pas en mesure d'occuper l'emploi convenable, puisque cet emploi comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur. La Commission d'appel ne croit pas qu'il soit nécessaire que le rapport du médecin reprenne textuellement les termes d'une disposition de la loi pour être valide. En l'instance, la preuve non contredite démontre clairement que l'emploi convenable ne respectait pas les limitations fonctionnelles du travailleur. Bien que la Commission d'appel n'a pas à statuer sur la détermination de l'emploi convenable, cette preuve permet à la Commission d'appel de comprendre la raison pour laquelle le docteur Fowles n'a pas jugé nécessaire d'en dire plus. Finalement, dans son rapport daté du 19 décembre 1995, le docteur Fowles répète pour la troisième fois que le travailleur «ne doit pas soulever des poids de plus de 10 kilos, ni faire de mouvements répétitifs avec le coude et le poignet, car peut comporter danger pour sa santé». Or, même si le travailleur voulait exercer l'emploi de laitier, il incombait à la Commission de s'assurer que cet emploi respectait les limitations fonctionnelles qui avaient été émises par le médecin qui avait charge du travailleur et qui lient la Commission.
La Commission d'appel considère que l'avis du docteur Fowles est suffisamment clair et permet de conclure que le travailleur n'est pas en mesure d'occuper l'emploi convenable, car cet emploi comporte un danger pour sa santé.
La Commission d'appel est d'avis que le travailleur rencontre les critères énoncés à l'article 51 de la loi et récupère donc son droit à l'indemnité de remplacement du revenu. Cependant, puisque le rapport du docteur Fowles date du 29 mars 1995, le travailleur n'a droit à l'indemnité de remplacement du revenu qu'à partir de cette date. Qui plus est, le travailleur a déclaré à l'audience que la personne, qui l'aide actuellement, le fait bénévolement. Par conséquent, le droit du travailleur de recevoir l'indemnité de remplacement du revenu sera conditionnelle à sa perte réelle de revenu, qui devra être établie par la Commission, en collaboration avec le travailleur.
En terminant, la Commission d'appel tient à souligner que le travailleur a intérêt à collaborer avec la Commission dans l'élaboration d'un nouveau plan de réadaptation. La Commission d'appel constate, à la lecture du dossier, que le travailleur n'a pas toujours collaboré avec les intervenants de la Commission, ce qui a probablement eu pour effet que le présent litige se retrouve devant la Commission d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
ACCUEILLE l'appel de monsieur Richard Vallée, le travailleur;
INFIRME la décision du bureau de révision du 23 novembre 1995;
DÉCLARE que l'article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chapitre A-3.001] s'applique à monsieur Richard Vallée, le travailleur, et qu'en conséquence, il récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu à partir du 29 mars 1995, cependant, cette indemnité sera réduite des revenus reçus par monsieur Richard Vallée, le travailleur, pendant cette même période;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour l'élaboration d'un nouveau plan de réadaptation qui tient compte des limitations fonctionnelles de monsieur Richard Vallée, le travailleur.
_______________________________
Santina Di Pasquale
Commissaire
Monsieur Normand Nault
3730, rue Crémazie est
Bureau 205
Montréal (Québec)
H2A 1B4
Représentant de la partie appelante
PANNETON, LESSARD
(Me André Breton)
25, boul. Lafayette
5ième étage
Longueuil (Québec)
J4K 5B7
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.