Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

Le 12 juillet 2004

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

227408-03B-0402

 

Dossier CSST :

124919382

 

Commissaire :

Me Geneviève Marquis

 

Membres :

Aubert Tremblay, associations d’employeurs

 

André Chamberland, associations syndicales

Assesseure :

Dre Johanne Gagnon

______________________________________________________________________

 

 

 

Réjean Dumont

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Transport Eugène Nadeau inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 17 février 2004, monsieur Réjean Dumont (le travailleur) dépose par l'intermédiaire de son représentant à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite de la révision administrative le 16 février 2004.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 27 octobre 2003, déclare que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle le 2 juin 2003 et qu'il n'a pas droit aux prestations en conséquence.

[3]                Les parties sont présentes et/ou représentées à l'audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Lévis le 6 juillet 2004.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu'il y a eu aggravation d'une condition personnelle de coxarthrose causée par les risques particuliers de son travail qui consiste à transporter des porcs à l'abattoir et qu'il a donc subi une maladie professionnelle pour laquelle il a droit aux indemnités.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d'employeurs considère que la réclamation du travailleur ne peut être acceptée faute de preuve médicale motivée établissant la relation entre les tâches qu'il a accomplies et la coxarthrose chronique invoquée à compter du 2 juin 2003.

[6]                Le membre issu des associations syndicales estime, au contraire, que la réclamation en litige doit être acceptée compte tenu de la sollicitation très marquée des hanches qui est établie à même la description exhaustive et non contredite des tâches exercées par le travailleur pour transporter des porcs pour le compte du même employeur depuis plus de 30 ans.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle à compter du 2 juin 2003 et s'il a droit aux prestations pour une telle lésion.

[8]                L'article 2 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) définit les notions de lésion professionnelle et de maladie professionnelle dans les termes suivants :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

 

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[9]                Seule une maladie professionnelle est invoquée en l'instance alors que le travailleur n'a connu aucun événement ou circonstance de travail particulière pouvant être associé à la notion d'accident du travail.

[10]           La coxarthrose n'étant pas une maladie énumérée à l'annexe I de la loi, le travailleur invoque une maladie reliée directement aux risques particuliers de son travail suivant l'article 30 de la loi. Cet article se lit comme suit :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[11]           Le travailleur est âgé de 51 ans et transporte des porcs pour l'entreprise Transport Eugène Nadeau inc. (l'employeur) depuis plus de 30 ans lorsqu'il invoque à la CSST une maladie aux deux hanches avec douleurs en progression depuis environ deux à trois ans.

[12]           Le docteur Métivier diagnostique une coxarthrose chronique qu'il invoque à titre de maladie professionnelle évoluant depuis des années chez le travailleur qui est en attente de chirurgie et incapable de travailler à compter du 23 juillet 2003.

[13]           La réclamation du travailleur est refusée par la CSST le 27 octobre 2003. Celle-ci déclare, après étude du dossier, qu'elle ne peut affirmer que la maladie de coxarthrose aux deux hanches du travailleur est caractéristique ou reliée directement aux risques particuliers du travail qu'il a exercé. Le travailleur demande la révision de cette décision le 3 novembre 2003.

[14]           Le 26 novembre 2003, le docteur Lessard procède à une première intervention chirurgicale qui consiste en une prothèse totale de la hanche gauche non cimentée pour une coxarthrose sévère à ce niveau. Une intervention similaire est effectuée par ce chirurgien orthopédiste à la hanche droite du travailleur le 31 mars 2004.

[15]           Le 16 février 2004, la CSST rend une décision à la suite de la révision administrative par laquelle elle confirme le refus de la réclamation du travailleur. Cette décision comporte la description suivante du travail exercé par ce dernier :

[...]

 

Son travail consiste à transporter des porcs pour le compte de l'employeur. Il effectue des trajets longue distance (comté de Charlevoix) environ 2 jours par semaine. Le reste de son temps, il effectue des trajets locaux. Il fait monter les porcs dans son camion et les fait descendre au moyen d'un bâton électrique.

 

[...]

 

 

[16]           La décision du 16 février 2004 résume ainsi les représentations du travailleur :

[...]

 

Au soutien de la demande de révision, le représentant du travailleur allègue que le travailleur attribue ses problèmes à son travail qui est exigeant physiquement. Il effectue ce travail depuis plus de 30 ans. Le travailleur ne voit aucune autre cause que son travail pour expliquer sa lésion.

 

Les notes évolutives au dossier nous indiquent que le travailleur identifie le fait de monter et descendre de son camion de 15 à 20 fois par jour comme étant l'une des causes de sa lésion.

 

[...]

 

 

[17]           Dans son analyse subséquente de la preuve, suivant l'article 30 de la loi, la CSST à la suite de la révision administrative énonce ce qui suit :

[...]

 

Enfin, les mouvements effectués par le travailleur lorsqu'il monte et descend de son camion ne sont pas des mouvements à risque susceptibles de développer une telle pathologie. Le travailleur n'a pas démontré que les structures concernées sont sollicitées de façon telle à engendrer une telle pathologie. De plus, l'absence de répétition de mouvements, les tâches variées, l'absence de cadence imposée, les temps de repos compensatoire, l'absence de force et l'absence de posture contraignante, ne permettent pas à la Révision administrative de conclure que le diagnostic de coxarthrose chronique est relié directement aux risques particuliers de ce travail. La littérature médicale nous enseigne que le diagnostic de coxarthrose réfère davantage à une condition personnelle de dégénérescence qu'à une maladie professionnelle en l'absence d'hypersollicitation des structures concernées. La Révision administrative ne peut retenir l'argument à l'effet que de monter et descendre du camion de 15 à 20 fois par jour puisse être à l'origine de la lésion du travailleur. La Révision administrative ne remet pas en question que le métier du travailleur soit exigeant physiquement. Cependant, le travailleur bénéficie de temps de repos appréciable entre chaque fois qu'il monte et descend de son camion durant une journée de travail. Ainsi, la Révision administrative ne peut établir de relation entre la lésion du travailleur et son travail.

 

[...]

 

 

[18]           Une description plus complète des tâches du travailleur est présentée par ce dernier et corroborée par l'employeur à l'audience.

[19]           Il appert que le travailleur doit, en premier lieu, trier les porcs qu'il doit conduire ensuite à l'abattoir. Pour ce faire, il doit entrer dans les bâtiments et enclos comportant en moyenne 300 à 1 500 porcs afin de sélectionner et de sortir, un à un, ceux qui sont prêts et qui ont atteint un poids de 86 à 88 kilos. Le travailleur utilise alors un grand panneau de bois qu'il tient tout en le déplaçant de chaque côté de son corps de façon à pouvoir avancer et se protéger des coups qu'il reçoit régulièrement en passant entre les porcs et en dirigeant l'un d'entre eux vers la sortie. Les porcs montent souvent les uns sur les autres, obligeant le travailleur à forcer davantage pour prendre celui qu'il choisit. Certains porcs montent même sur le travailleur qui doit les repousser en forçant de côté avec le panneau appuyé sur lui. Il arrive fréquemment que le travailleur tombe au sol devant la force d'impact des coups provenant des porcs qui offrent souvent une forte résistance.

[20]           Après avoir ainsi trié et sorti 10 à 15 porcs dans une allée, le travailleur doit les embarquer à bord du camion spécialement conçu pour ce type d'entreprise. Il s'agit d'un camion muni d'une boîte de 30 pieds, avec système hydraulique, qui comporte deux étages divisés en deux sections chacun. Chaque étage mesure environ 4 ½ pieds de hauteur. La tâche s'avère particulièrement difficile en hiver, les porcs n'étant pas disposés à affronter le froid alors qu'ils ont été élevés à la chaleur. Le travailleur obtient l'aide du cultivateur ou d'une autre personne à l'occasion.

[21]           Le travailleur répète l'opération, pendant parfois plus d'une heure, afin de remplir les quatre sections de la boîte du camion contenant 30 porcs chacune pour un total de 120 porcs par voyage destiné à l'abattoir. Une fois arrivé sur place, le travailleur décharge les porcs en entrant lui-même à l'intérieur du camion en se faisant une place jusqu'au fond de chaque section afin de faire tourner les porcs en direction de la sortie à l'aide d'un bâton électrique. Il demeure penché en plus de faire des torsions vu la hauteur réduite de l'habitacle et les gestes qu'il doit effectuer. Il doit également se protéger alors qu'il reçoit à nouveau des coups à cette occasion.

[22]           Le travailleur souligne qu'il adopte de nouveau des positions contraignantes pour laver les différentes sections de la boîte du camion. Il précise, en outre, qu'il descend du camion en sautant, et ce, plusieurs fois par jour sans emprunter les marches.

[23]           Les voyages quotidiens à l'abattoir qu'effectue le travailleur avec le camion sont au nombre de six ou sept. L'horaire de travail est de l'ordre d'environ 60 heures par semaine, réparties sur cinq ou six jours. Les trajets locaux durent de 15 à 45 minutes.

[24]           Il n'y a pas vraiment de temps de repos entre les voyages, si ce n'est parfois lors de l'attente d'une autorisation pour décharger à l'abattoir. Le travailleur ne prend pas d'heure de dîner. Il mange son lunch sur la route à bord du camion.

[25]           Le travailleur déclare aimer ce travail qu'il exerce pour l'employeur depuis 1971 et qu'il espère reprendre aussitôt sa convalescence terminée en septembre prochain. Il a quitté à regret, à l'été 2003, n'étant plus capable de marcher sans l'usage de béquilles.

[26]           Le travailleur affirme, en outre, que l'investigation médicale qu'il a subie au niveau des mains, des pieds et du rachis lombaire à la suite de la suggestion émise par la docteure Godbout en novembre 2003 n'a démontré aucune maladie inflammatoire sous-jacente mais seulement une petite hernie discale non significative. Aucun des nombreux membres de sa famille (il a neuf frères et sœurs) n'a présenté de tels problèmes, en particulier au niveau des hanches. Le travailleur n'a pas lui-même d'antécédent de lésion incapacitante autre que celle présentement en litige.

[27]           Madame Danielle Gilbert, qui est administrateur de Transport Eugène Nadeau inc. et épouse de monsieur Nadeau, confirme les tâches exposées par le travailleur à l'audience ainsi que le contexte de travail particulier auquel il est soumis. Elle qualifie ce travail de très exigeant au plan physique. Madame Gilbert précise que son mari, en tant que propriétaire de l'entreprise, a repris lui-même ce travail à temps plein en raison de l'absence du travailleur qu'ils espèrent temporaire. Elle insiste, en particulier, sur les pressions que subit le travailleur lorsqu'il doit repousser les porcs de côté à l'aide d'un panneau afin de se protéger. Elle ajoute que l'entreprise n'a jamais eu recours à un autre employé à temps plein depuis l'embauche du travailleur en 1971.

[28]           Madame Gilbert dit avoir elle-même observé au fil des ans l'apparition de douleurs qui se manifestaient surtout aux jambes du travailleur. Ce dernier s'est mis ensuite à courber. Ce n'est qu'à l'été 2003, le travailleur ayant de la difficulté à marcher, qu'il y a eu investigation en faveur d'un problème localisé aux hanches.

[29]           À la lumière des informations obtenues à l'audience, la Commission des lésions professionnelles constate que les tâches qu'exerce le travailleur depuis 1971 pour trier les porcs, puis les embarquer et les débarquer du camion comportent d'importantes sollicitations au niveau des hanches.

[30]           La description exhaustive de ce travail qui est désormais mise en preuve par le travailleur et confirmée par son employeur suggère un lien probable entre les tâches accomplies et les problèmes manifestes aux deux hanches du travailleur.

[31]           Bien que la coxarthrose soit effectivement associée à une condition personnelle de dégénérescence, la preuve révèle que ce sont les conditions de travail particulières auxquelles le travailleur a été soumis qui ont accéléré l'évolution de cette condition.

[32]           Comme l'indique le rapport d'examen du 13 novembre 2003 de la docteure Godbout, radiologiste, le travailleur est jeune pour présenter une arthrose aussi sévère.

[33]           En l'absence d'autre condition personnelle pouvant expliquer le phénomène de dégénérescence prématuré observé au niveau des hanches du travailleur, il appert que ce sont plutôt les mouvements répétés de protection avec effort à l'aide d'un panneau placé en appui sur les hanches pour contrer les coups et assauts de porcs de 200 livres qui en sont responsables. Il y a alors une abduction de la hanche ainsi qu'une rotation interne ou externe selon la position du travailleur par rapport à l'animal. À cela s'ajoutent les chutes fréquentes du travailleur au sol de même que les sauts pour descendre du camion. Il y a également d'autres postures contraignantes pour les hanches, en particulier lors du débarquement des porcs à même les sections basses du camion où le travailleur demeure en flexion antérieure pour faire tourner les porcs vers la sortie. Qui plus est, ce travail fort exigeant au plan physique est exercé pendant de longues heures successives par le travailleur qui bénéficie de bien peu de périodes de repos.

[34]           Il existe dès lors une preuve probable à l'effet que la maladie du travailleur a été précipitée par les risques particuliers de son travail tels que mis en preuve à la Commission des lésions professionnelles.

[35]           La CSST n'a certes pas conclu en ce sens alors que la description de tâches qu'elle a obtenue s'avère très limitée et non représentative de l'ensemble du travail accompli par le travailleur depuis plus de 30 ans. Cela ressort tant du dossier que des faits ainsi que de la motivation figurant à la décision en litige du 16 février 2004.

[36]           Il y a tout lieu de croire que l'état du dossier, tel que constitué avant l'audience, n'était pas non plus de nature à permettre au travailleur d'obtenir une opinion médicale à l'appui de ses prétentions.

[37]           Même en l'absence d'une opinion médicale motivée mise en preuve sur la relation causale, celle-ci étant avant tout une question d'ordre juridique, la Commission des lésions professionnelles conclut à une prépondérance de preuve en faveur du lien invoqué par le travailleur entre l'arthrose qu'il présente aux hanches et les risques particuliers du travail qu'il a exercé de façon intensive depuis plus de 30 ans. Ce sont les circonstances de travail particulières auxquelles le travailleur a été soumis qui ont aggravé ou à tout le moins rendu symptomatique cette lésion.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête logée par le procureur de monsieur Réjean Dumont (le travailleur) le 17 février 2004;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite de la révision administrative le 16 février 2004;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle à compter du 2 juin 2003 et qu'il a droit aux prestations pour cette lésion.

 

 

__________________________________

 

Me Geneviève Marquis

 

Commissaire

 

 

Me Jean-Berchmans Grondin

 

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Stéphane Larouche

PANNETON, LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 

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