Décision

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  JL2514

 

 

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-082248-033

 

 

 

DATE :

Le 6 octobre 2004

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GILSON LACHANCE

 

______________________________________________________________________

 

 

SAGHAR EMAMI

 

 

Partie demanderesse

 

 

c.

 

 

MANOUCHEHR BAHAMIN

 

 

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Saghar Emami (Emami) poursuit en dommages Manouchehr Bahamin (Bahamin) suite au refus de Bahamin de se marier civilement.

[2]                La réclamation est de 69 000,00$ ainsi répartie:

-           perte de réputation                                                     15 000,00$

-           inconvénients du déménagement                             10 000,00$

-                      dépenses pour meubles, bague et préparatifs

de mariage                                                                  14 000,00$

            -           voies de fait, menaces, expulsion                             15 000,00$

            -           dommages exemplaires                                            15 000,00$.

 

FAITS

[3]                Vers le début de janvier 2002, Bahamin rencontre Emami lors d'un voyage à Téhéran Iran.  Ils se fréquentent à plusieurs reprises durant le séjour.

[4]                Ils avaient plusieurs points en commun puisqu'ils étaient tous deux iraniens, citoyens canadiens, divorcés et avaient fait un séjour en France.

[5]                Bahamin a parlé de son désir de fonder un foyer.

[6]                Tous deux étaient d'accord qu'il fallait se connaître bien avant un mariage éventuel.

[7]                Après son retour à Montréal, Bahamin a parlé au téléphone, à plusieurs reprises, avec Emami restée à Téhéran.  Elle décida de le rejoindre à Montréal.

[8]                Le 6 mars 2002, lors de son arrivée à Montréal, Bahami invita Emami à vivre chez lui et elle accepta.

[9]                Elle s'occupa de son renouvellement de passeport.

[10]            Une semaine après l'arrivée d'Emami à Montréal, soit vers le 13 mars 2002, Bahamin proposa la demanderesse en mariage laquelle accepta tel qu'allégué au paragraphe 5 de la requête introductive d'instance.  Pour la demanderesse, il s'agissait d'un mariage légal. 

[11]            Ils convinrent d'aller à Washington pour obtenir l'approbation de la personne la plus âgée de la famille.

[12]            Le 31 mars 2002, ils se fiancèrent.

[13]            Bahamin n'avait pas de bague de fiançailles.

[14]            Les bagues avaient été commandées de Téhéran.

[15]            De toute façon, il est clair qu'il y a eu consentement de la part des deux pour des fiançailles.

[16]            Avant le mariage, les parties ont consulté à deux reprises le notaire Racki pour un contrat de mariage d'après Emami ou pour des informations sur les conséquences légales de vivre ensemble d'après Bahamin.

[17]            Bahamin choisit le célébrant.

[18]            Le 27 avril 2002, les parties procédèrent à la cérémonie du mariage en présence de témoins et l'officier, Sheykh Seboweh.

[19]            Les parties ont signé un registre dudit officier pour les mariages portant le numéro vingt-neuf (29) en sa présence et celle de deux (2) témoins.  Subséquemment, l'officier a fourni un document intitulé «Marriage Contract».

[20]            Les parties ont admis lors de l'audition que Sheykh n'était pas un célébrant selon l'article 366 C.c.Q.  Il est un ministre du culte et ne peut que célébrer des mariages religieux et accorder des divorces religieux.

[21]            Emami témoigne qu'elle pensait se marier religieusement et civilement.

[22]            Bahamin savait qu'ils étaient mariés que religieusement.

[23]            Bahamin a refusé de faire les démarches pour que le mariage ait une valeur légale.

[24]            En mai, Emami est partie pour l'Iran pour régler des problèmes personnels et a été de retour le 25 juillet.

[25]            Le 9 septembre 2002, une chicane a eu lieu entre les parties pour un motif contesté.

[26]            Emami prétend avoir été frappée par Bahamin avec des oreillers.

[27]            Les policiers sont venus.

[28]            La policière, Nathalie Leduc, a déclaré qu'Emami avait déjà fait ses valises à leur arrivée.  Il lui a semblé qu'elle quittait d'un commun accord. 

[29]            L'atmosphère était calme, pas agressive et relativement amicale.

[30]            Emami ne s'est pas plaint d'avoir reçu des coups et aucun signe de violence n'a été constaté.

[31]            Suite à l'intervention d'un ami commun, les parties se sont réconciliées le 12 ou 13 septembre 2002.

[32]            Emami a voulu retourner aux études mais elle n'a pas pu obtenir d'aide gouvernementale.

[33]            Le 17 février 2003, les parties ont cessé de vivre ensemble d'une façon définitive.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[34]            1°         Est-ce qu'il y a eu fiançailles?

            2°         Est-ce qu'il y a eu promesse de mariage civil?

3°        Quand Emami a-t-elle appris qu'il n'y avait pas de mariage civil mais uniquement religieux?

            4°         Est-ce qu'il y a eu faute de la part de  Bahamin?

            5°         Est-ce qu'Emami a droit à des dommages?

            6°         Est-ce qu'il y a eu des voies de fait, menaces, expulsion?

            7°         Est-ce que la demanderesse a droit à des dommages exemplaires?

            8°         Qu'en est-il des objets achetés par la demanderesse?

 

ANALYSE

            1°         Est-ce qu'il y a eu fiançailles?

[35]            Bahamin a téléphoné à Washington pour fixer une rencontre avec la personne la plus âgée.

[36]            Le 31 mars 2002, les fiançailles ont eu lieu.

[37]            D'après Bahamin, il n'y avait rien de prévu et il a été étonné qu'il y ait fiançailles (voir interrogatoire de Bahamin du 29 mars 2004, page 11 et suivantes).

[38]            Les photos laissent voir que Bahamin était consentant.  Il a échangé des anneaux prêtés mais qui devaient être remplacés par d'autres.  Sur les photos des fiançailles, il semble très heureux.

[39]            Son attitude postérieure laisse voir qu'il était d'accord avec ces fiançailles puisqu'il  a organisé le mariage religieux.

[40]            De plus, au paragraphe 24 de sa défense, Bahamin reconnaît que les parties se sont fiancées à Washington.

[41]            Donc, il y a eu vraiment des fiançailles.

 

2°         Est-ce qu'il y a eu promesse de mariage civil?

[42]            La religion musulmane voit d'un mauvais œil le concubinage surtout en Iran.

[43]            Au Canada, la pression sociale est moins forte.

[44]            Il s'est écoulé environ trois (3) semaines entre l'arrivée d'Emami et les fiançailles et environ un (1) mois et trois semaines entre l'arrivée d'Emami et le mariage.

[45]            Ce délai court vient appuyer la version de Bahamin qu'il a accepté un mariage religieux pour les convenances.  Il n'a jamais parlé de mariage civil.

[46]            Il aurait fallu alors que Bahamin ait changé d'idée car tous deux reconnaissent qu'ils étaient d'accord qu'il fallait mieux se connaître avant de fonder un foyer.  Pour le défendeur, le délai minimum était d'un (1) an.

[47]            De la preuve, le Tribunal conclut qu'il n'y a pas eu promesse de mariage civil par Bahamin. 

[48]            Le défendeur résume bien les raisons du mariage religieux lors de l'interrogatoire du 29 mars 2004 (interrogatoire p. 15 et 16):

"On a décidé de rester un peu de temps ensemble pour se connaître, mais, madame Emami, par après, elle a dit qu'elle peut pas rester sans avoir un mariage religieux parce que sa tante, ma mère, elles ne voient pas ça très bien, c'est contre leurs coutumes.

Pour cela, nous avons décidé de faire un mariage religieux mais pas légal pour que le reste puisse nous accepter dans notre communauté."

 

3°        Quand Emami a-t-elle appris qu'il n'y avait pas mariage civil mais uniquement religieux?

[49]            Dans la requête introductive d'instance, la demanderesse, au paragraphe 16, indique qu'elle l'aurait appris que vers la fin de mai 2002.  Le paragraphe se lit comme suit:

"Toutefois, vers la fin de mai 2002, lors d'une discussion sur la nécessité de faire enregistrer ce mariage auprès de l'ambassade iranienne pour fins de passeports, le défendeur a admis à la demanderesse, pour la première fois, que le mariage ne pouvait être enregistré auprès de l'ambassade, puisque le mariage civil n'était pas complété;"

[50]            La demanderesse témoigne au procès lors de l'interrogatoire principal que le Sheykh avait déclaré, devant elle et sa cousine, que Bahamin devait passer dans les (2) jours pour officialiser légalement le mariage.  Elle avait besoin d'un passeport iranien et ça prenait l'acte de mariage.

[51]            Lors du contre-interrogatoire, Emami a prétendu qu'elle croyait être mariée religieusement et civilement et qu'elle était son épouse.

[52]            Le Tribunal croit plus la version du défendeur qui est constante à celle de la demanderesse qui a changée.

 

4°         Est-ce qu'il y a eu faute de la part d'Emami?

[53]            Dans la cause Dame Lili Gourd c. Thomas Louis Simard([1]), le juge de première instance a tenu responsable monsieur Simard des dommages subis par la demanderesse en raison de sa mauvaise foi.

[54]            La Cour d'appel a renversé cette décision([2]) en déclarant:

"Je crois qu'il n'y a aucune faute à mettre fin, à un moment quelconque, au concubinage qui est un état précaire contraire à l'état normal du mariage."

"Il faut rapprocher de la faute de la victime l'acceptation d'un risque par cette victime."

[55]            Dans le présent cas, Bahamin a accepté un mariage religieux parce que la parenté et leurs amis n'acceptaient pas vie homme-femme sans mariage religieux.  Il désirait mieux connaître Emami et il avait suggéré de demeurer ensemble l, 2, 3 ans avant le mariage légal.

[56]            Bahamin vivait seul depuis huit (8) ans, lui qui était divorcé.  Emami était également divorcée.

[57]            Il est clair que le peu de temps écoulé entre la première rencontre et le mariage n'était pas suffisant pour vraiment se connaître.

[58]            Lorsqu'il s'aperçoit qu'il y a incompatibilité, il n'a plus d'obligation. 

[59]            De plus, madame avait une attitude et un langage qui ne correspondaient pas aux attentes du défendeur.

 

5°         Est-ce qu'Emami a droit à des dommages?

[60]            Vu qu'il n'y a pas eu de mariage civil, il ne peut être question de divorce sauf s'il s'agit d'un divorce religieux pour lequel Emami a payé 300,00$ pour l'obtenir.

[61]            Depuis le début, les parties avaient convenu qu'il fallait se connaître mieux avant de fonder un foyer.

[62]            Bahamin a respecté cette entente.  Il a fourni un gîte à Emami de mars 2002 à la rupture définitive.  Elle voulait un appartement plus grand et elle considérait que la maison de Bahamin était de la "merde".

[63]            Bahamin lui a dit n'avoir pas les moyens de lui fournir une plus grande maison.

[64]            Le défendeur lui a versé 1 710,00$ pour défrayer son gîte après son départ.

[65]            Le défendeur n'a pas à verser de dommages à la demanderesse.

 

6°         Est-ce qu'il y a eu des voies de fait, menaces, expulsion?

[66]            Suite à une plainte de la demanderesse, Manouchehr Bahamin a été accusé de la plainte criminelle suivante:

"Le ou vers le 17 février 2003, à Montréal, district de Montréal, a sciemment proféré, transmis, fait recevoir par une personne une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à "Kmami Saghar", commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'art. 264.1 (1) a)  (2) b) du Code criminel."

[67]            Après plusieurs remises non dues au défendeur, Bahamin a été acquitté.

[68]            Il ne faut pas considérer cet acquittement dans le présent dossier où le fardeau de la preuve est différent.

[69]            Par contre, de la preuve, le Tribunal conclut qu'il n'y a pas eu de preuve prépondérante de voies de fait et menaces.

[70]            Quant à l'expulsion, le tribunal considère qu'on ne peut plaider l'art. 1960 C.c.Q. puisque la demanderesse vivait chez le défendeur sans aucune obligation de la part de Bahamin de la recevoir.

[71]            L'expulsion a eu lieu suite à une chicane et des argents ont été remis à Emami pour qu'elle puisse se trouver un endroit pour la nuit.

[72]            L'article 392 C.c.Q. ne peut s'appliquer puisque les parties ne sont pas des époux.

 

7°         Est-ce que la demanderesse a droit à des dommages exemplaires?

[73]            La Charte des droits et libertés de la personne n'a pas été transgressé dans ses paragraphes 1, 4 et 7 qui se lisent comme suit:

"1.  Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégralité et à la liberté de sa personne.            

4.  Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

7.  La demeure est inviolable."

[74]            Il n'y a donc pas lieu d'accorder des dommages exemplaires.

[75]            L'arrêt St-Ferdinand([3]) a quelque peu modifié l'état du droit sur le sujet en adoucissant l'interprétation.

[76]            Le juge Baudoin a résumé comme suit la lecture qu'il faut maintenant faire du second alinéa de l'article 49 de la Charte:

"La Cour Supérieure, dans un souci de compromis, a adopté une interprétation de la notion d'atteinte intentionnelle qui peut être qualifiée d'intermédiaire.  Si, d'une part, la Cour favorise une interprétation libérale de la Charte, en revanche elle considère que ni la faute lourde et à fortiori ni la simple négligence ne constituent une atteinte intentionnelle.  Pour la Cour, il y a atteinte intentionnelle            lorsque l'auteur a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences négatives,  immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables.([4])

[77]            Dans le présent cas, il ne peut être question de dommages exemplaires.

 

8°         Qu'en est-il des objets achetés par la demanderesse?

[78]            Le 1er juin 2004, la demanderesse, par son avocat, a réclamé les objets lui appartenant et qui étaient entre les mains du défendeur, tel que décrits ci-après:

"-          2 end tables;

-                      2 table lamps;

-                      1 long table lamp;

-                      1 coffee table base;

-                      1 mirror;

-                      1 candle stick;

-                      1 one volume Koran;

-                      2 curtains;

-                      2 flower pots;

-                      all her personal belongings including shoes, dresses and clothing."

Le procureur réclamait le retour de ces objets avant le 8 juin 2004.

[79]            Le 2 juin 2004, le procureur de Bahamin reconnaissait que son client était en possession d'objets appartenant à la demanderesse et Bahamin était disposé à les lui remettre.

[80]            Bahamin est toujours en possession des objets que la demanderesse n'a pas récupérés parce qu'elle désire maintenant de l'argent plutôt que les objets.

[81]            La demanderesse a droit d'obtenir la possession des objets que le défendeur n'a jamais refusé de lui remettre.  Elle n'a pas droit à l'argent.

[82]            Le Tribunal n'a pas eu de preuve de la détérioration des objets.

[83]            Pour les autres dépenses, leur achat constitue l'apport de madame, c'est sa contribution à un mariage religieux.

[84]            Le Tribunal conclut que les fiançailles et le mariage religieux ont eu lieu pour permettre aux deux parties de vivre ensemble suivant la loi musulmane.

[85]            POUR TOUTES CES RAISONS, le Tribunal REJETTE la demande avec dépens.

 

 

 

 

 

__________________________________

GILSON LACHANCE J.C.Q.

 

Me James Nazem

COHEN NAZEM LEVY SOUSSON

Procureur de la partie demanderesse

 

 

Me Normand St-Amour

Procureur de la partie défenderesse

 

Date d’audience :

Les 9 et 10 juin 2004 et 2 juillet 2004

 



[1]  Dame Lili Gourd c. Thomas Louis Simard, 500-05-016587-73.

[2] Thomas Louis Simard c.  Dame Lili Gourd, 500-09-001487-768, page 9.

 

[3] Québec (Curateur public) c. Syndicat National des employés de l'Hôpital St-Ferdinand (1996) 3 RCS p. 211.

[4] Jean-Louis BAUDOIN, La responsabilité civile, 6e éd. , Yvon Blais, Cowansville, p. 284.

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