COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

6 juillet 2005

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

246976-08-0410

 

Dossier CSST :

122892268

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Serge Turgeon, associations d’employeurs

 

Michel Paquin, associations syndicales

 

 

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Lise Paquette

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Aménagement Forestier LF

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 27 octobre 2004, madame Lise Paquette, la travailleuse, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 12 août 2004 par laquelle elle reconnait à la travailleuse le droit à un montant forfaitaire de 2,661.08$ en relation avec une atteinte permanente de 4.4% correspondant à l’indemnité minimale en fonction des séquelles qu’il est possible de déterminer 2 ans après la manifestation de la lésion professionnelle du 22 juillet 2002.

[3]                Une audience est tenue à Val D’Or le 17 février 2005 en présence de la travailleuse et de son représentant.

[4]                Le tribunal a autorisé la production de certains documents et de jurisprudence après l’audience. Ces documents ont été reçus par le commissaire soussigné le 9 mai 2005 et c’est à cette date que le dossier a été pris en délibéré.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative en raison de la réévaluation de sa condition par le docteur Ferland en date du 7 février 2005 qui conclut au diagnostic de hernie discale. La lésion n’a été consolidée ni par le médecin qui a charge ni par le médecin désigné de sorte que l’évaluation des séquelles est prématurée.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. La lésion du 22 juillet 2002 n’a pas été consolidée dans son intégralité. Il est donc prématuré de se prononcer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Le seul exercice permis par la loi est celui prévu à l’article 88 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]  (la Loi) pour établir les séquelles certaines et minimales quitte à les ajuster plus tard. Ce n’est pas l’exercice que la CSST a fait mais elle a plutôt tenté de fermer un dossier de façon prématurée. Sa décision doit donc être annulée.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                Le 22 juillet 2002, la travailleuse subit un accident du travail alors que le véhicule dans lequel elle prend place percute un camion de bois en longueur. Résulte de cet accident une entorse cervicale, une entorse lombaire et une tendinite à l’épaule gauche.

[8]                Le 2 avril 2003, une arthrorésonance de l’épaule gauche démontre plusieurs anomalies.

[9]                Le 11 juin 2003, la radiologiste Lucie Daoust interprète une myélographie lombaire qui ne révèle aucune hernie discale mais de la dégénérescence discale de L3 jusqu’à S1. La tomographie axiale effectuée le même jour est interprétée comme normale sauf quant à une légère arthrose facettaire.

[10]           Le 12 août 2003, une résonance magnétique de la colonne lombaire est interprétée par la radiologiste Laila Morcos. Elle considère qu’il y a discopathie dégénérative à L2-L3 et L4-L5 et plus marquée à L5-S1 amenant un léger rétrécissement des foramens radiculaires droit et gauche.

[11]           Le 25 septembre 2003, la neurologue Louise Roux procède à un électromyogramme. Elle donne l’interprétation clinique et électrophysiologique suivante :

« Les études de conductions nerveuses ont démontré une légère baisse d’amplitude du potentiel moteur pour le nerf sciatique poplité externe gauche. La vitesse de conduction nerveuse motrice est cependant préservée pour ce nerf. L’examen à l’aiguille a été réalisé pour différents muscles au membre inférieur gauche et ceci a montré uniquement des signes neurogènes chroniques pour le muscle soléaire. Les anomalies trouvées sont donc actuellement frustres. Ils peuvent toujours s’inscrire dans le contexte d’une irritation de la racine S1 gauche. Je suggère pour le moment de poursuivre les traitements de physiothérapie. On pourrait également demandé une évaluation en orthopédie puisque la patiente demeure très symptomatique.

 

Je vous remercie de m’avoir référé ce patient/cette patiente et espère que ces renseignements vous seront utiles. »

[sic]

 

 

[12]           Le 16 décembre 2003, la travailleuse subit une acromioplastie de son épaule.

[13]           Le 2 février 2004 une scintigraphie osseuse est interprétée par le nucléiste Jérôme Laufer. Il conclut à une sacro-iliite bilatérale.

[14]           Le 8 mars 2004, la physiothérapeute indique que la travailleuse considère son état stable alors que la douleur à l’épaule est toujours aussi intense et que la douleur lombaire a augmenté depuis qu’elle a fait du vélo stationnaire.

[15]           Le 16 mars 2004, la docteure Nathalie Kouncar, orthopédiste, mentionne que l’évolution est lente et qu’une capsulite s’est ajoutée aux autres diagnostics.

[16]           Le 24 mars 2004, la travailleuse rencontre le docteur Yves Ferland, orthopédiste, à la demande de la CSST (article 204 de la Loi). La travailleuse mentionne la présence de douleurs résiduelles au niveau de l’épaule gauche, la chirurgie ayant amélioré son état d’environ 10%. Elle a subi une arthro-distensive de l’épaule gauche la semaine précédente. Elle a toujours des douleurs lombaires avec paresthésie au niveau des membres inférieurs.

[17]           Les mouvements de la colonne cervicale sont diminués en rotation droite, en inclinaison gauche, en inclinaison droite et en extension. Les mouvements de l’épaule gauche sont diminués dans toutes les directions sauf en extension et en adduction au niveau actif. Au niveau passif, la rotation interne est bilatéralement égale de même que l’extension et l’adduction. Le test de Neer est positif à gauche de même que le Jobe. Au niveau lombaire, les mouvements de flexion antérieure, d’extension et d’inclinaison gauche sont limités.

[18]           En conclusion, il estime que la travailleuse demeure avec une capsulite de l’épaule gauche et des douleurs chroniques aux niveaux cervical et lombaire de même qu’au niveau de l’épaule. Bien que les limitations de mouvements existent à tous les niveaux, l’examen neurologique est négatif. Il émet un diagnostic de séquelles douloureuses post entorse cervicale et lombaire chez une patiente porteuse d’une discopathie dégénérative multi-étagée lombaire. Une capsulite à l’épaule gauche est également diagnostiquée chez une patiente ayant subi une arthroscopie et débridement d’une lésion de type « SLAP » ainsi qu’une acromioplastie. La lésion à l’épaule n’est pas consolidée mais il mentionne qu’il devrait y avoir consolidation de l’entorse cervicale et de l’entorse lombaire en date du 24 mars 2004.

[19]           Il accorde 2% de déficit anatomo-physiologique pour une entorse cervicale avec séquelles fonctionnelles objectivées et 2% de déficit anatomo-physiologique pour une entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées. Il est trop tôt selon lui pour déterminer l’atteinte permanente à l’épaule gauche. Il croit qu’aucun autre traitement n’est nécessaire pour le rachis cervical et lombaire mais que d’autres arthro-distensives devraient être effectuées à l’épaule gauche avec physiothérapie intensive. Des limitations fonctionnelles permanentes sont émises pour la colonne cervicale et la colonne lombo-sacrée. Quant à l’épaule, la travailleuse aura besoin de limitations fonctionnelles qui devront être réévaluées lors de la consolidation. Par contre, il émet des limitations temporaires dans l’attente des limitations finales.

[20]           Le 6 mai 2004, le docteur Sylvain Aubry produit un rapport complémentaire par lequel il se dit d’accord avec l’évaluation du docteur Ferland quant aux 3 diagnostics d’entorse cervico-dorsale, d’entorse lombaire et de capsulite de l’épaule.

[21]           Le 26 mai 2004, le docteur S. Aubry mentionne la présence d’un syndrome de douleurs chroniques et prescrit de la morphine et du Neurontin.

[22]           Le 6 juillet 2004, la docteure Kouncar mentionne que la capsulite gauche est en voie de résolution. Une deuxième série d’arthro-distensives est suggérée.

[23]           Le 11 août 2004, un formulaire intitulé « acheminement des cas d’APIPP » est complété par l’agente Denise Deschênes. Ce formulaire contient notamment l’extrait suivant :

« Le travailleur sera-t-il évalué dans une autre spécialité pour cette lésion? Si oui, attendre tous les REM avant de déterminer l’APIPP.

 

            Commentaires particuliers :

 

f-41 qui consolide une partie de la lésion et le médecin traitant est d’accord avec cela, de plus nous sommes à 2 ans de la lésion.   (évaluation provisoire) »

 

 

[24]           Le 12 août 2004, la CSST rend une décision laquelle est à la base de la contestation de la travailleuse :

« Il est toujours médicalement impossible de déterminer toutes les séquelles de votre lésion, deux ans après sa manifestation. Cependant, la CSST peut vous verser une indemnité qui correspond au montant minimal, en fonction des séquelles qu’il est possible de déterminer. Cette indemnité sera ensuite rajustée à la hausse, s’il y a lieu, dès qu’il sera médicament possible de déterminer toutes les séquelles de votre lésion.

 

Pour le moment, vous avez donc droit à un montant forfaitaire de 2661.08$ qui vous sera versé à la fin des délais de contestation, si ni vous ni votre employeur ne décidez d’en appeler de cette décision. Le montant de l’indemnité a été calculé en tenant compte de votre âge au moment de l’événement.

 

À ce montant seront ajustés les intérêts courus depuis la date de votre réclamation pour lésion professionnelle. »

 

 

[25]           Le 7 février 2005, le docteur Yves Ferland revoit la travailleuse à la demande de la CSST. Suite à son examen objectif, il note une dégradation des douleurs lombaires et l’examen physique démontre une radiculopathie S1 droite avec hypoesthésie de la face plantaire du pied droit et perte du réflexe achiléen, trouvailles non mentionnées à l’examen du 24 mars 2004. Au diagnostic, il indique «éliminer hernie discale L5-S1 chez patiente ayant discopathie dégénérative multi-étagée ». Il mentionne aussi que la capsulite à l’épaule gauche post acromioplastie est consolidée en date de son examen mais que le problème lombaire quant à lui n’est pas consolidé.

[26]           Il suggère un déficit anatomo-physiologique de 2% pour l’épaule et des traitements de physio de même qu’une résonance magnétique et un electromyogramme pour le dorso-lombaire. Il réitère les limitations fonctionnelles émises en mars 2004 pour le lombaire et le cervical et émet des limitations fonctionnelles permanente pour l’épaule gauche.

[27]           Le 15 mars 2005, une résonance magnétique est interprétée par la radiologiste Laila Morcos. Elle retient de cet examen qu’il existe une discopathie dégénérative lombaire étagée mais qui prédomine nettement en L4-L5 où elle est associée à une hernie discale postéro-médiane et discrètement postéro-latérale gauche sans conflit radiculaire ni sténose significative cependant. Son rapport est cependant contradictoire puisque à l’étude niveau par niveau, elle mentionne qu’une toute petite hernie discale postéro-médiane existe à L2-L3 et qu’il n’y a pas de hernie franche à L4-L5. Il semble que ce soit plutôt en L5-S1 qu’une composante herniaire franche soit notée.

[28]           Le seul témoin entendu à l’audience est la travailleuse qui n’est pas retournée au travail depuis le 22 juillet 2002.

[29]           Elle a vu le docteur Ferland à la demande de la CSST pour une première fois le 24 mars 2004 et il a consolidé ses lésions lombaire et cervicale sans nécessité de nouveaux traitements. Elle a continué à recevoir des traitements de physiothérapie pour son épaule cependant.

[30]           Son médecin traitant, le docteur Aubry, a émis des rapports médicaux concernant une rechute de novembre 2004 qui est toujours sous étude et pour laquelle elle n’a reçu aucune décision. Les traitements de physiothérapie ont recommencé depuis cette époque au niveau du dos.

[31]           Elle éprouve toujours des douleurs au niveau cervical.

[32]           À la lumière de cette preuve, la Commission des lésions professionnelles doit décider du bien-fondé des décisions rendues par la CSST les 12 août et 7 octobre 2004 à l’effet de verser à la travailleuse une indemnité pour préjudice corporel évaluée d’après les séquelles médicalement déterminées 2 ans après la survenance de la lésion.

[33]           Il s’agit là de la seule question dont le tribunal est saisi de sorte que les allégations de la travailleuse à l’effet que la CSST voulait fermer prématurément son dossier concernant son cou et ses épaules en requérant une évaluation en vertu de l’article 204 de la loi ne sauraient être traitées par le présent tribunal.

[34]           La travailleuse a subi une lésion professionnelle le 22 juillet 2002, de sorte qu’au moment de sa décision du 12 août 2004, le délai prévu à l’article 88 de la Loi était dépassé. Cet article se lit comme suit :

88. La Commission établit le montant de l'indemnité pour préjudice corporel dès que les séquelles de la lésion professionnelle sont médicalement déterminées.

 

Lorsqu'il est médicalement impossible de déterminer toutes les séquelles de la lésion deux ans après sa manifestation, la Commission estime le montant minimum de cette indemnité d'après les séquelles qu'il est médicalement possible de déterminer à ce moment.

 

Elle fait ensuite les ajustements requis à la hausse dès que possible.

__________

1985, c. 6, a. 88; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[35]           À cette époque, il n’est nullement contesté que le médecin qui a charge de la travailleuse était le docteur Sylvain Aubry. c’est lui qui a complété les rapports médicaux à compter du 10 juillet 2003, c’est à lui que la docteure Louise Roux, neurologue, adresse son rapport du 23 septembre 2003, c’est à lui que le nucléiste adresse son rapport du 2 avril 2004 et c’est à lui que la CSST adresse un rapport complémentaire à remplir en date du 21 avril 2004. C’est donc lui, à l’époque pertinente aux présentes, qui établit le plan de traitements, suit la travailleuse, a été choisi par elle et assure le suivi de son dossier[2].

[36]           Comme le lui permet l’article 204 de la Loi, la CSST a demandé au travailleur de se présenter chez le docteur Yves Ferland qui a rédigé une expertise en date du 24 mars 2004. Il a constaté que les conditions lombaire et cervicale de la travailleuse étaient consolidées mais non pas la condition à l’épaule. Il a émis des constatations médicales en conséquence.

[37]           La CSST a respecté la Loi en transmettant copie de ce rapport en compagnie d’un rapport complémentaire à remplir au médecin qui a charge, le docteur Aubry. Ceci est prévu à l’article 205.1 de la loi :

205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

[38]           Ce rapport complémentaire pouvait servir au docteur Aubry à fournir à la CSST une opinion étayée pour appuyer ses conclusions initiales. Ce n’est pas ce qu’il a fait.

[39]           Il a plutôt choisi de se ranger à l’opinion du docteur Ferland comme il en avait le droit, tel que reconnu par la jurisprudence. Ainsi, un médecin qui a charge peut, lors de la réception du rapport d’un médecin désigné, non seulement étayer un avis contradictoire mais aussi se rallier s’il estime qu’il représente la réalité. Le médecin qui a charge aurait pu refuser d’entériner les conclusions du docteur Ferland, il aurait pu exiger de revoir la travailleuse avant de se prononcer tout comme il aurait pu ne pas répondre du tout. Il a cependant choisi de répondre et de se ranger aux conclusions du docteur Ferland sans juger qu’il soit nécessaire de revoir la travailleuse qu’il avait déjà vue auparavant. C’est le choix qu’il a exercé et ce choix lie la CSST et le présent tribunal.

[40]            L’article 205.1 encourage le médecin du travailleur à exprimer son opinion lors de la réception d’un tel rapport. Si la contradiction perdure, la CSST peut transmettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale mais si le médecin du travailleur entérine les conclusions du médecin désigné, la CSST devient liée par lesdites conclusions[3].

[41]           Il s’agit là d’une simple modalité d’application de l’effet liant du rapport du médecin qui a charge prévu à l’article 224 de la loi :

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[42]           Il est certain qu’un travailleur ou une travailleuse a le choix du médecin qui aura charge de lui ou d’elle au sens de la loi. L’article 199 de la loi est clair à ce sujet :

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 

1°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.(nos soulignés)

 

 

[43]           Une fois son médecin choisi, le travailleur ou la travailleuse doit cependant vivre avec les conclusions d’ordre médical qu’il émet et ne peut pas les remettre en question lorsqu’elles ne font pas son affaire. La jurisprudence a déterminé depuis longtemps qu’un travailleur ne peut pas contester les conclusions médicales de son propre médecin[4].

[44]           Ainsi, le tribunal ne peut retenir l’argument à l’effet que la travailleuse avait le droit indéniable de choisir le médecin qui remplirait son rapport d’évaluation médicale. En effet, un médecin qui a charge a toute autorité pour poser les actes prévus par la Loi tant que son mandat n’a pas été révoqué ou qu’il n’a pas été remplacé par un autre médecin qui a charge. Tant qu’un médecin conserve le statut de médecin qui a charge, ses actes lient le travailleur ou la travailleuse qui a retenu ses services.

[45]           D’ailleurs, le droit prétendument indéniable à ce qu’un rapport d’évaluation médicale soit complété n’existe pas dans la réalité, et ce de la volonté même du législateur.

[46]           Par exemple, en donnant l’opportunité au membre du Bureau d'évaluation médicale de donner son avis sur tous les sujets prévus à l’article 212, le législateur crée une situation où il est probable qu’aucun rapport d’évaluation médicale ne sera produit. L’article 221 se lit comme suit :

221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

[47]           Ainsi, par exemple, si un médecin désigné par l’employeur produit un rapport qui contredit le diagnostic, la date de consolidation et la nécessité des soins décrétés par le médecin qui a charge, le dossier sera transmis au Bureau d'évaluation médicale. Or, le membre du Bureau d'évaluation médicale pourra alors décider de se prononcer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles alors qu’aucun rapport d’évaluation médicale n’aura jamais été produit par le médecin du travailleur. Ceci illustre donc qu’il ne s’agit pas d’un droit fondamental qui existe dans tous les cas.

[48]           Donnons un autre exemple. Un médecin qui a charge produit une attestation médicale régulière dans laquelle il se prononce sur la consolidation et le diagnostic. L’employeur fait voir le travailleur par un médecin désigné qui se prononce sur les 5 points de l’article 212. Un rapport complémentaire est transmis au médecin du travailleur qui se rallie à l’avis du médecin désigné. Encore là, il s’agit d’un exemple de dossier où aucun rapport d’évaluation médicale n’aura été produit. On ne peut donc pas penser qu’il s’agisse là d’un droit fondamental et inaliénable puisque le législateur lui-même a prévu, par l’effet de certaines dispositions législatives, qu’il n’en soit pas toujours ainsi.

[49]           Le fait que le docteur Aubry se soit dit d’accord avec le docteur Ferland sans avoir procédé à un nouvel examen de la travailleuse n’a pas pour effet d’invalider son accord[5]. Le médecin de la travailleuse la suivait déjà, et l’avait examinée en plus de la diriger vers d’autres spécialistes. Il avait en main le dossier de la travailleuse et a pu prendre connaissance de l’examen du médecin désigné par la CSST. Le tribunal estime que la réponse inscrite au rapport complémentaire est claire et c’est tout ce qui importe en l’espèce. Si le docteur Aubry a jugé que l’examen du docteur Ferland était fiable et complet, rien ne l’empêchait de s’en remettre aux conclusions de ce médecin expert. La Loi n’exigeait pas du médecin du travailleur qu’il l’examine à nouveau avant de produire son rapport complémentaire puisqu’il avait en sa possession le dossier de la travailleuse et l’expertise du docteur Ferland[6].

[50]           L’article 205.1 permet au médecin d’étayer son rapport afin de contredire celui du médecin expert. Il s’agit là d’une volonté du législateur de permettre au médecin du travailleur de s’expliquer plus longuement qu’il ne peut le faire sur une petite attestation médicale et de faire contrepoids auprès du Bureau d'évaluation médicale devant l’avis habituellement très détaillé du médecin désigné. Cependant, lorsqu’un médecin se rallie à l’opinion du médecin désigné, nul n’est besoin d’étayer son rapport ou son opinion puisqu’en se rangeant à l’avis du médecin désigné, il épouse son opinion et sa motivation par le fait même.

[51]           Il ne faut pas oublier que même dans le cas de contradiction entre le médecin qui a charge et le médecin désigné, l’article 205.1 fournit la possibilité de déposer un rapport étayé sans en imposer l’obligation. Il devient encore moins obligatoire pour un médecin qui a charge qui décide de se rallier à l’opinion du médecin désigné d’étayer ses conclusions. Le tribunal le rappelle, tout ce qui compte c’est que la réponse du médecin du travailleur à l’avis du médecin désigné par la CSST soit claire[7].

[52]           En conséquence, le médecin qui a charge avait la possibilité de se déclarer d’accord avec le rapport du médecin désigné et c’est ce qu’il a fait[8].

[53]           De plus, rien dans le témoignage de la travailleuse ou dans le reste du dossier indique que le docteur Aubry n’aurait pas donné copie de son rapport complémentaire à la travailleuse. D’ailleurs, le formulaire rempli par le docteur Aubry contient une copie couleur or pour le travailleur, ce qui facilite sa transmission.

[54]           En conséquence, le tribunal retient que l’avis émis par le docteur Aubry dans son rapport complémentaire du 6 mai 2004 est clair et valide et qu’il liait donc la CSST au sens de l’article 224 de la loi. En conséquence, la CSST ne pouvait que constater, à compter du 22 juillet 2004, qu’il était médicalement impossible de déterminer toutes les séquelles de la lésion professionnelle du 22 juillet 2004, la lésion à l’épaule n’étant toujours pas consolidée.

[55]           Le tribunal convient que le premier alinéa de l’article 88 mentionne qu’on doive attendre la consolidation totale de la lésion avant d’établir ou d’évaluer les séquelles de la lésion professionnelle. En effet, elles ne peuvent être médicalement déterminées avant la consolidation de la lésion.

[56]           Ce principe souffre toutefois une exception prévue au deuxième alinéa de l’article 88 qui doit s’interpréter de concert avec le premier alinéa. Le législateur a décidé que lorsque 2 ans après la survenance de la lésion il était toujours médicalement impossible de déterminer toutes les séquelles, la CSST devait en estimer le montant minimum quitte à faire les ajustements à la hausse plus tard. Le législateur désirait donc octroyer à un travailleur ou une travailleuse victime d’une lésion, un genre d’acompte sur son indemnité pour préjudice corporel pour ne pas le faire attendre indéfiniment. Le tribunal comprend difficilement comment et pourquoi un travailleur pourrait s’en plaindre.

[57]           Le tribunal estime donc que la CSST avait raison d’appliquer le deuxième alinéa de l’article 88 de la Loi dès le 22 juillet 2004 et c’est ce qu’elle a fait.

[58]           La travailleuse ne remet nullement en question le calcul de l’indemnité et le tribunal ne voit aucune raison pour intervenir à ce sujet. En effet, on doit conclure qu’à cette époque les séquelles concernant l’entorse cervicale et l’entorse dorso-lombaire étaient déterminées de sorte qu’une atteinte permanente de 4.4% devait être octroyée pour un montant de 2,661.08$ avec les intérêts depuis la réclamation.

[59]           Cette façon de procéder ne brime en rien les droits de la travailleuse qui aura droit aux ajustements requis aussitôt que l’atteinte sera complètement établie.

[60]           Le représentant de la travailleuse mentionne que l’évaluation avait été mal faite puisque ultérieurement, une hernie discale a été découverte. Ceci ne change en rien la présente décision puisque la découverte ultérieure, si découverte il y a, d’une hernie discale devra être étudiée par la CSST afin de savoir si ce diagnostic est en relation avec l’événement initial.

[61]           L’évaluation des séquelles permanentes dans n’importe quel dossier n’empêche pas le fait que par la suite, une détérioration de l’état de santé puisse survenir et que de nouvelles séquelles soient octroyées.

[62]           Ce que le tribunal retient, c’est que lors de l’évaluation intérimaire de l’été 2004, il n’y avait pas de hernie discale clinique et radiologiquement, il y avait en 2003 une petite hernie L4-L5 qui est disparue en 2005 et il n’y avait pas de hernie à L5-S1 alors qu’il y en a une en 2005. Tout ceci devra donc être étudié par la CSST et le tribunal comprend du témoignage de la travailleuse qu’une demande de rechute a été déposée à ce sujet.

[63]           Ainsi, le fait qu’à l’été 2004 les séquelles minimales aient été évaluées en lien avec une entorse cervicale et une entorse lombaire accompagnées de séquelles objectives n’empêchera pas la reconnaissance ultérieure d’autres séquelles s’il y a lieu.

[64]           Le tribunal n’est pas d’accord avec les propos du représentant de la travailleuse lorsqu’il mentionne que la CSST « peut » verser une indemnité intérimaire. Même si elle emploie cette formulation dans sa décision du 12 août 2004, l’article 88 de la Loi ne permet aucune discrétion, la CSST devant estimer le montant minimum de l’indemnité pour préjudice corporel 2 ans après la survenance de la lésion selon les séquelles qu’il est médicalement possible de déterminer à ce moment. C’est ce qu’elle a fait en l’espèce, les séquelles lombaire et cervicale ayant été établies par le médecin qui a charge suite à l’expertise du médecin désigné par la CSST.

[65]           Ainsi, pendant la période de 2 ans qui suit la lésion professionnelle, le montant de l’indemnité pour préjudice corporel ne sera établi que dès que toutes les séquelles de la lésion seront médicalement déterminées au niveau de tous les sites lésés. Cependant, 2 ans après la lésion, une exception à ce principe existe puisque la CSST devra alors estimer le montant minimum de l’indemnité d’après les séquelles médicalement déterminables à ce moment. Les ajustements à la hausse seront faits par la suite si requis. La CSST a donc bien agi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de madame Lise Paquette, la travailleuse;

CONFIRME la décision rendue par la CSST le 7 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les séquelles médicalement déterminables 2 ans après la lésion sont de 4.4%;

DÉCLARE que la travailleuse a droit à une indemnité intérimaire de 2,661.08$ à laquelle s’ajoutent les intérêts courus depuis la réception de la réclamation.

RÉSERVE les droits de la travailleuse quant aux ajustements requis au niveau de l’atteinte permanente s’il y a lieu.

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

Robert Roussy

9069-6949 Québec inc. (R.D.D.S.)

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3001

[2]          Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand

[3]          Briceus et Les Teinturiers Concorde, 105960-73-9810, 8 février 1999, L. Boudreault; Grignano et Récital Jeans inc. [2000] C.L.P. 329 ; Lussier et Berlines RCL inc., 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault; Fortin et Société Groupe Embouteillage Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 .

[4]          Carrière et Industries James Maclaren inc., [1995] C.A.L.P. 817 ; Racine et H. St-Jean enr. [1994] 678, révision rejetée [1994] C.A.L.P. 778 , requête en révision judiciaire rejetée [1994] C.A.L.P. 889 [C.S.]

[5]          Lussier et Berlines RCL inc, déjà citée

[6]          Dhaliwal et Gusdorf Canada ltée, 168883-72-0109, 10 mai 2002, Y. Lemire; Morin et Forage Orbit inc., 225507-08-0401, 9 juillet 2004, G. Morin, révision rejetée, 28 octobre 2004, M. Carignan.

[7]          Ferguson et Industries de Moulage Polytech inc., 155516-62B-0102, 3 octobre 2001, A, Vaillancourt; Morin et 1970-0374 Québec inc., 135078-08-0003, 9 octobre 2001, L. Boudreault; Fox et Commission scolaire South Shore, 152348-62-A-0012, 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée le 25 juin 2003, N. Lacroix; Bacon et Général Motors du Canada ltée, [2004] C.L.P. 941 ; Jalbert et Supermarché St-Raphael inc., 218556-04-0310, 28 octobre 2004, L. Collin.

[8]          Guillemette et Kruger inc., 162565-09-0106, 17 janvier 2002, Y, Vigneault.

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