Décision

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Stinson c. Ville de Gatineau

2021 QCCS 3049

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

 

N° :

550-17-007888-140 / 550-17-007988-148

 

DATE :

 Le 20 juillet 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

550-17-007888-140

DAVID STINSON

et

MANON PELLETIER, personnellement et en reprise d’instance pour

ROBERT BLAIN

et

CHERYL LYTTLE

Demandeurs

 

c.

VILLE DE GATINEAU

Défenderesse

 

et

PATRICK MOLLA

Défendeur/demandeur en garantie

 

et

MÉLINA CRAIG

et

ALARY, ST-PIERRE & DUROCHER, ARPENTEURS GÉOMÈTRES

et PRO-DEMINTY INSURANCE COMPANY

Défenderesse en garantie/demanderesse en arrière garantie

 

c.

VILLE DE GATINEAU

Défenderesse en arrière garantie

 

550-17-007988-148

PATRICK MOLLA

et

AUDREY BOUCHARD

et

PATRICK MOLLA, es qualité de tuteur au mineur Tommy Molla

et

PATRICK MOLLA, es qualité de tuteur au mineur Evan Molla

Demandeurs

 

c.

VILLE DE GATINEAU

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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APERÇU

[1]           Il s’agit d’une audition commune sur la seule question suivante[1] :

La détermination de la légalité de la résolution du Conseil municipal de la Ville de Gatineau autorisant la dérogation mineure et du sort réservé à la résidence sise au 79, Fraser.

LES PROCÉDURES

[2]           Saisie d’une demande en jonction d’instance de trois dossiers, dont seuls les deux premiers sont fixés devant le soussigné, la juge Suzanne Tessier fait un résumé détaillé des procédures judiciaires et de leurs conclusions qu’il y a lieu de reproduire intégralement[2] :

[6]         Le dossier 550-17-007888-140 (dossier Stinson et al c. la Ville et Molla).

[7]         Le 6 octobre 2014, des voisins mécontents intentent un recours contre la Ville de Gatineau et contre Patrick Molla dans le dossier 550-17-007888-140. Ils soulèvent entre autres qu’ils subissent un préjudice quotidien relié aux dimensions et à la position de la résidence construite par Molla en ce qu’ils ont perdu intimité et rompu l’harmonie du quartier. Ils allèguent également que le mur de soutènement construit aux abords de la rivière leur cause préjudice.

[8]         Le cœur du litige sont les reproches formulés à l’égard de la Ville d’avoir accordé une dérogation mineure, car elle ne serait pas conforme à toutes les dispositions des règlements de construction, de zonage et de lotissement et que la dérogation n’est pas mineure de par sa nature. Ils soutiennent que la Ville a commis un abus de pouvoir en adoptant la résolution et constitue selon ces derniers un changement de zonage déguisé.

[9]         Les conclusions de leur demande visent tant la Ville de Gatineau que Patrick Molla.

[10]       En ce qui concerne la Ville, ils demandent :

a) de casser la résolution adoptée par le conseil municipal de la ville de Gatineau du 8 juillet 2014 octroyant une dérogation mineure à la résidence du [...];

b) de faire respecter sa réglementation de zonage en respectant une distance de 15.67 mètres de la rue (règlement 502-2005);

c) de faire respecter sa réglementation de zonage 502-2005 en démolissant le troisième étage de la résidence du [...].

[11]       En ce qui concerne Molla, ils demandent :

a)  la démolition du [...] aux frais du défendeur dans la mesure où il est prouvé que ce dernier a rehaussé son terrain situé dans une zone d’inondation 0-20 ans;

b)  de rendre sa résidence conforme à la réglementation de la Ville, à ses propres frais, en implantant sa résidence à une distance de 15.67 mètres de la rue et de se conformer à la grille de spécification du règlement de zonage en démolissant le troisième étage de la résidence;

c) d’ordonner la démolition du [...] aux frais du défendeur s’il n’existe aucun autre remède utile afin de rendre l’immeuble conforme aux règlements de la Ville.

[12]       Le dossier 550-17-007988-148 (dossier Molla c. la Ville de Gatineau).

[13]       Le 28 octobre 2014, Patrick Molla et Audrey Bouchard et Patrick Molla en qualité de tuteur déposent une demande en dommages et intérêts  contre la Ville de Gatineau et estiment que le comportement de la Ville leur a causé d’importants préjudices et se sont vus, bien malgré eux, entrainés dans un tourbillon médiatique.

[14]       Peu après l’acquisition du […], ils obtiennent un permis de construction afin de construire un mur de soutènement sur la partie longeant la rivière et un permis autorisant la construction de la résidence convaincus que les plans respectaient la réglementation municipale en vigueur. Pendant la construction, les citoyens se plaignent au conseil d’urbanisme, mécontents de l’érection du bâtiment.

[15]       Le 19 septembre 2013, les responsables du service d’urbanisme de la Ville constatent que le permis de construction a été accordé en violation des règlements municipaux applicables. Toutefois la Ville n’avise pas immédiatement Patrick Molla et al de cette situation.

[16]       Ce n’est qu’en octobre 2013 qu’ils sont avisés par un fonctionnaire de la Ville qu’une erreur technique était survenue lors de l’émission de permis. Subséquemment, ils sont réquisitionnés d’obtenir un certificat de localisation et apprennent par la suite que le comité consultatif d’urbanisme recommande au conseil municipal d’accepter la demande de dérogation mineure et que la prochaine étape n’était qu’une formalité administrative. La construction se poursuit normalement et la famille aménage dans leur résidence en construction en février 2014.

[17]       En juin 2014, ils apprennent qu’une demande de dérogation mineure sera présentée au conseil municipal et que les citoyens de la rue [...] ont l’intention de s’y opposer. Il est précisé que les demandeurs ou un de leurs mandataires n’ont jamais présenté la demande de dérogation mineure à la Ville de Gatineau.

[18]       À partir de ce moment, ils sont pris plus ou moins dans un étau, entre les citoyens et la Ville. Leur résidence fait l’objet de couverture médiatique, ils sont ostracisés dans leur voisinage et sont l’objet de curiosité faisant en sorte qu’ils perdent toute quiétude et tranquillité d’esprit.

[19]       Ils estiment qu’ils ont été dans l’obligation de mandater des procureurs pour les représenter dans le cadre du recours intenté par les citoyens qui découlent des fautes commises et admises par la Ville, mais aussi et surtout par l’acharnement et l’obstination de la Ville à faire porter aux résidents du Chemin [...] et aux demandeurs les conséquences des fautes et des décisions de la Ville.

[20]       Ils allèguent que les représentants du service d’urbanisme de la Ville ont agi de façon malhonnête en laissant la construction se poursuivre, tout en connaissant les conséquences d’une telle décision. Ils sont d’autant plus outrés que les représentants de la Ville ont agi par choix délibéré en protégeant leurs intérêts au détriment d’un citoyen et des concitoyens résidant sur le chemin [...].

[21]       Ils demandent des dommages compensatoires et punitifs de 3 630 000 $ majorés des intérêts au taux légal et de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du C.c.Q. à compter du 5 juin 2014. La réclamation se détaille comme suit :

Coût de la construction de la résidence, incluant le terrain 2 950 000 $,

Frais d’intérêts 50 000 $,

Frais de relocalisation 40 000 $

Indemnité pour perte de temps 15 000 $,

Honoraires extrajudiciaires 75 000 $,

Atteinte à la réputation 100 000 $,

Perte de jouissance des lieux 100 000 $,

Dommages exemplaires 50 000 $,

Troubles et inconvénients pour les quatre demandeurs 250 000 $.

[22]       Ils demandent également de prendre acte que Madame Bouchard offre de céder le [...] à la Ville dans l’éventualité où le Tribunal condamne la Ville au remboursement des coûts de construction de la résidence y incluant le coût du terrain et des aménagements. Dans l’éventualité où la démolition du [...] n’était pas ordonnée, il demande la somme de 500 000 $ pour perte de la valeur importante en raison des stigmates qui y sont attachés.

[23]       La position de la Ville selon les procédures est que l’erreur initiale émane des professionnels mandatés par Patrick Molla en ce qu’ils ont fait défaut d’appliquer l’article 116 du règlement de zonage et l’agent de bâtiment de la Ville a omis de le considérer. Son analyse l’a mené à conclure que ces erreurs auraient des conséquences désastreuses si la résolution était annulée et la réglementation appliquée sans aucune flexibilité. Si des dommages devaient être octroyés aux demandeurs, ce qui est nié, l’architecte et l’arpenteur-géomètre devraient en être aussi responsables compte tenu de leur erreur professionnelle respective, réduisant d’autant la responsabilité de la Ville. 

[24]       Le dossier 550-17-008638-155 : (Molla c Gaudet et Martin).

[25]       Le 22 octobre 2015, Patrick Molla, Audrey Bouchard et Patrick Molla en qualité de tuteur déposent une demande en dommages et intérêts contre Louis Gaudet et Ninon Martin, leurs voisins, dans le dossier 550-17-008638-155. Il est reproché aux défendeurs de les avoir insulté publiquement, d’avoir été le porte-parole et tête dirigeante du groupe de citoyens qui ont déposé des plaintes à l’encontre du [...], d’avoir mobilisé la population et fait des sorties publiques médiatisées et pénétré sur leur propriété. Ils demandent compensation pour les préjudices qu’ils ont subis qui découlent de la mauvaise foi, de harcèlement et de troubles de voisinage dont ont fait preuve les défendeurs.

[26]       Ils réclament 105 000 $ pour atteinte à la réputation, perte de jouissance des lieux, dommages exemplaires, troubles, stress et inconvénients pour les quatre demandeurs. De plus, ils réclament une condamnation de rembourser les honoraires extra-judiciaires encourus dans ce dossier.

[3]           Le présent jugement portera uniquement sur la légalité de la dérogation mineure et les remèdes appropriés, le cas échéant[3].

[4]           Suite au décès de Robert Blain, le 24 septembre 2020, Manon Pelletier comparait en reprise d’instance.

PREUVE DES DEMANDEURS stinson, pelletier, blain et lYttle

            Jean-François Tremblay

[5]           Il est professeur et conseiller en relations industrielles; le 12 juin 2014, la Ville de Gatineau (« la Ville ») le mandate pour qu’il effectue une enquête administrative dont le mandat se résume comme suit[4] :

1)         Analyser le processus décisionnel menant de l’émission du permis, jusqu’à la présentation du dossier au comité plénier du 10 juin 2014;

2)         Porter un jugement sur la qualité des agissements des différents intervenants en fonction des niveaux hiérarchiques et des responsabilités de chacun;

3)         Identifier si les informations du dossier ont été transmises :

                         - Aux bonnes personnes;

                         - Avec tous les détails nécessaires;

                         - Au moment approprié.

4)         Investiguer pourquoi les travaux en cours n’ont pas été arrêtés le 3 mai 2014 alors que le permis de construction est alors échu;

5)         Recommander les mesures appropriées pour améliorer le processus décisionnel;

[6]           Il analyse plus d’une cinquantaine de documents et plus de 30 courriels.

[7]           Il rencontre huit témoins, tous fonctionnaires de la Ville, dans le cadre de son enquête et il les enregistre, ce qui facilite ses références textuelles aux témoignages.

[8]           Il détruit toujours ces enregistrements à la fin de son mandat.

[9]           Il n’identifie pas les témoins dans son rapport pour ne pas être confronté à une situation de mutisme et pour éviter qu’ils soient ostracisés par la production de son rapport qui contient 15 recommandations.

Manon Pelletier

[10]        La demanderesse, avec son époux, Robert Blain (« Blain »), veuve depuis le 24 septembre 2020, habite au 77, chemin Fraser.

[11]        Elle est voisine des demandeurs David Stinson (« Stinson ») et Cheryl Lyttle (« Lyttle ») qui habitent au 81, chemin Fraser.

[12]        Un terrain vacant sépare leur propriété pendant plus de 20 ans jusqu’à l’achat et la construction du 79, chemin Fraser par le défendeur Patrick Molla (« Molla »).

[13]        En mai et juin 2013, des lignes orange sont peinturées sur le terrain vacant pour situer la maison à construire.

[14]        Stinson et Blain vont à la Ville pour vérifier si tout est conforme.

[15]        Ils retournent à la Ville à la suite de l’installation de poutres de métal.

[16]        Aux deux visites, la Ville confirme que tout est conforme.

[17]        Suite aux élections du 3 novembre 2013, un nouveau conseil est élu et le nouveau conseiller municipal du quartier, Richard M. Bégin (« Bégin »), vient leur annoncer qu’il y a un problème.

[18]        Ils apprennent par la suite que la marge avant est problématique.

[19]        Ils apprennent que l’erreur de la Ville doit être corrigée par une dérogation mineure à la séance du conseil prévue le 10 décembre 2013 et cette question est retirée de l’ordre du jour.

[20]        Le 10 février 2014, ils assistent à une réunion d’information organisée par Bégin.

[21]        Madame Liliane Moreau (« Moreau ») ne peut répondre à toutes les questions, ce qu’elle fera trois mois plus tard[5].

[22]        Blain, son mari, est stressé, nerveux et parle constamment du dossier et des délais.

[23]        Plus sa maladie évolue, plus c’est difficile.

[24]        Ils acceptent que la grosse machinerie passe sur leur terrain et permettent que des matériaux y soient entreposés.

[25]        Ils passent plus de temps à leur chalet pendant la construction.

[26]        Elle décrit les désagréments causés par cette grosse maison : perte d’ensoleillement le matin côté garage, bruit du filtreur de la piscine, installation de vignes rampantes qui sont laides et perte d’intimité.

[27]        Elle s'interroge sur le fait que la Ville n’ait pas ordonné l’arrêt des travaux.

[28]        Elle était certaine que la Ville n’approuverait pas la demande de dérogation mineure.

[29]        La réunion du 10 février 2014 porte sur des questions techniques, surtout sur la grosseur de la maison, le nombre de pieds carrés de la mezzanine, de la marge avant et non de la dérogation mineure.

[30]        Elle apprend alors que la Ville n’a pas ordonné l’arrêt des travaux, car la construction était trop avancée.

[31]        La Ville considère la mezzanine comme étant un troisième étage dans l’évaluation municipale.

Cheryl Lyttle et David Stinson

[32]        Ils demeurent au 81, chemin Fraser depuis 1997. Stinson achète le terrain de son père et y construit la maison actuelle.

[33]        Le 79. chemin Fraser est alors un terrain vacant. En mai 2013, les arpenteurs posent des repères (lignes de peinture orange) pour le pourtour de la maison à construire.

[34]        Stinson et Blain prennent rendez-vous avec les employés de la municipalité pour discuter de la grandeur de la maison à construire, car les lignes sont trop près de leur terrain et de la rue.

[35]        Durant l’été, les fondations et la structure en acier sont mises en place.

[36]        Une deuxième rencontre est faite avec les représentants de la Ville qui leur confirment une deuxième fois que les plans sont conformes à la règlementation municipale.

[37]        Stinson a déjà discuté avec Blain pour acheter le terrain vacant, mais il était trop petit pour une construction.

[38]        Ils rencontrent ensuite leur nouveau conseiller municipal, Bégin, qui les informe qu’une demande de dérogation mineure sera présentée le 17 décembre 2013.

[39]        Les travaux de construction ne sont jamais interrompus.

[40]        Stinson demande à nouveau que la Ville fasse cesser les travaux et cette dernière répond que les travaux sont trop avancés et que Molla pourrait les poursuivre.

[41]        Stinson assiste à la réunion d’information du 11 février 2014 et déplore que les réponses de Moreau soient envoyées une centaine de jours plus tard[6].

[42]        Les deux témoignent des inconvénients suivants suite à cette construction qui s’apparente à un édifice commercial : perte d’ensoleillement, perte d’intimité, mur trop près de leur fenêtre, trois étages, ascenseur en face de leur fenêtre, création d’un tourbillon (vortex).

[43]        Ils plantent des arbres à l’arrière pour retrouver une intimité et érigent une clôture. Ils changent leur fenêtre du côté ouest.

[44]        Lyttle, qui prend la parole lors de la séance du conseil le 8 juillet 2014, se fait dire par le maire que la maison allait demeurer et qu’il ne considérerait pas la démolition.

[45]        Lyttle aimait sa maison, plus maintenant.

[46]        Ils ne peuvent plus s’asseoir sur leur porche en raison du mur d’une dizaine de mètres de hauteur.

[47]        Lyttle et Stinson déplorent la perte d’ensoleillement et leur intimité.

Louis Gaudet

[48]        Il habite au 91, chemin Fraser où il construit sa maison en 2009.

[49]        Depuis 1980, il habite chez ses parents dans la maison voisine.

[50]        Lorsqu’il voit la maison de Molla en construction, il s'interroge sur la volumétrie.

[51]        Il rencontre Bégin et s’adresse au conseil sur cette question le 17 décembre 2013, de même que le 10 juin 2014 et le 8 juillet 2014.

[52]        Il assiste à la réunion du 11 février 2014 organisée par Bégin qui veut améliorer les relations de la Ville avec les citoyens et s’interroge sur la volumétrie de la maison.

[53]        Les voisins se questionnent sur la volumétrie et il devient leur porte-parole auprès des médias.

[54]        En 2013, il demande un permis pour des travaux de terrassement.

[55]        La Ville réalise que sa maison ne respecte pas la règle d’insertion et suggère qu’une demande de dérogation mineure de 13 à 7 mètres soit présentée suite à l’erreur de la Ville, ce qu’il accepte.

[56]        Il cosigne la demande et paie les frais qui lui seront remboursés.

[57]        Cette demande est accordée le 15 novembre 2016 par le conseil[7].

Jonathan Chauret

[58]        Employé de la Ville depuis le 12 mai 2003, il est actuellement coordonnateur au Service d’urbanisme.

[59]        Le 16 octobre 2012, il émet aussi un certificat d’autorisation pour la stabilisation de la rive : protection de la rive et du littoral[8].

[60]        Il a plusieurs rencontres, discussions et échanges de courriels avec l’architecte, Mélino Craig, avant l’émission du permis[9].

[61]        C’est lui qui délivre le permis de construction à Molla le 2 mai 2013[10].

[62]        La mezzanine n’est pas un étage, ayant une superficie de 38 % de l’étage supérieur, la norme maximale réglementaire étant de 40 %.

[63]        L’aire de la maison au sol est de 29 % et respecte la norme maximale réglementaire de 30 %.

[64]        Au cours des années, il n’a jamais appliqué l’art. 116 du Règlement de zonage dans le contexte d’une analyse de dossier.

[65]        L’art. 116 s’applique lorsqu’un propriétaire veut se construire plus près de la rue. Cette règle ne s’applique pas si un propriétaire veut se construire à plus de sept mètres.

[66]        En 2013, il n’y a pas de restriction pour aménager une terrasse sur toute la superficie d’un toit. Il n’y a pas de limite pour la hauteur d’un étage, comme dans une construction commerciale.

[67]        Ainsi, si le plafond est à 20 pieds du plancher, c’est considéré comme un étage.

[68]        Il informe Molla de l’erreur et non pas les voisins, car ce n’était pas la pratique de la Ville.

[69]        La grille de zonage ne fait pas mention de l’art. 116[11]. La règle d’insertion ne change pas le maximum de 30 % de l’aire de la maison au sol.

[70]        Une mezzanine n’est pas un étage selon le règlement en vigueur. Si on avait appliqué la règle d’insertion, la forme de la maison aurait dû être modifiée et non la superficie.

[71]        L’art. 116 s’applique à un bâtiment principal projeté et non à un bâtiment déjà construit.

[72]        Ainsi, en construisant selon la règle d’insertion, il est possible de réduire subséquemment la marge avant lors d’un agrandissement ou d’une modification au bâtiment.

Marc Chicoine

[73]        Il est directeur adjoint au Service de l’urbanisme et développement durable pour la Ville depuis 2008 et à l’emploi de la Ville depuis 2002.

[74]        Il obtient un Bac en urbanisme de l’Université de Montréal en 1991.

[75]        L’erreur est constatée par Moreau le 18 septembre 2013 et il en est informé le 25 septembre 2013 ainsi que Marie-Claude Martel (« Martel »).

[76]        Il est convenu de consulter le contentieux. Il parle d’une suspension des travaux ou d’une dérogation mineure.

[77]        On convient de préparer un projet de dossier au Comité d’analyse des projets (CAP) prévu le 6 octobre 2013[12] pour une éventuelle présentation au Comité consultatif d’urbanisme (CCU) prévue le 28 octobre 2013.

[78]        Il est convenu de procéder à une demande de dérogation mineure sans demander l’arrêt des travaux.

[79]        Une présentation est proposée par l’équipe de Moreau pour la séance du Conseil municipal prévue le 17 décembre 2013.

[80]        Ce point prévu à l’ordre du jour du 17 décembre 2013 est reporté, à la demande du conseiller Bégin devenu le nouveau président du CCU depuis le 19 novembre 2013.

[81]        Bégin ne remet pas en question la forme, la superficie et le volume du bâtiment.

[82]        On se demande si on ne devrait pas ajouter à la règlementation un contrôle volumétrique d’un bâtiment.

[83]        Bégin reçoit un courriel de Blain qui se questionne sur le bâtiment, sa grosseur et le toit plat.

[84]        Bégin ne remet jamais en question la marge d’insertion de l’art. 116.

[85]        En 2017, la Ville modifie l’art. 116 qui s’appliquera dorénavant aux agrandissements en plus des bâtiments projetés.

[86]        En 2018, l’art. 116 est modifié pour assurer un meilleur contrôle volumétrique.

[87]        La demande est retirée de la séance du Conseil prévue le 10 juin 2014 pour tenter de trouver une solution.

[88]        Vu l’ampleur du mur latéral, la Ville demande d’ajouter des plantations, ce mur respectant la marge de 1,5m.

[89]        De 2010 à 2020, près de 80 demandes de dérogation mineure concernant l’art. 116 sont présentées au Conseil[13].

[90]        L’avis public pour la séance du 10 juin 2014 vise aussi deux autres demandes de dérogation mineure concernant l’art. 116, dont le 520, rue Aylmer, pour réduire la moyenne d’alignement - autre terme pour la marge - de 27 mètres à 11 mètres[14].

[91]        Quant à la demande de dérogation mineure de Louis Gaudet, ses deux voisins signent une lettre d’approbation.

[92]        Une dérogation mineure est une mesure d’exception selon la définition prévue à la règlementation.

[93]        Questionné sur l’analyse des projets préparés par Alexandre Labelle[15] qui contient la référence suivante : « Le préjudice s’estompera lors du redéveloppement des lots avoisinants avec des implantations à 7m en cour avant », il explique que le fonctionnaire faisait mention au fait que les propriétés voisines étaient reculées au maximum vers la rive et que les agrandissements éventuels devraient nécessairement se faire en hauteur ou vers la marge avant.

[94]        Le secteur du Chemin Fraser est en redéveloppement, terme utilisé en urbanisme[16].

[95]        Il ne peut expliquer pourquoi Molla n’est pas contacté par les représentants de la Ville le 25 septembre 2013.

[96]        L’exigence d’avoir des plantations est communiquée à Molla après la résolution du 8 juillet 2014.

[97]        La piscine ne peut être installée dans la ligne des hautes eaux.

[98]        Martel, Moreau et lui-même ont fait l’objet d’une suspension suite à ce dossier.

[99]        Lors de la réunion du 25 septembre 2013, Moreau informe le comité qu’un conseiller municipal lui avait envoyé une lettre quant à ses préoccupations.

PREUVE DE PATRICK MOLLA

            Patrick Molla

[100]     En 2011, il remarque que le terrain est à vendre et communique avec le propriétaire.

[101]     Son épouse se rend à l’Hôtel de Ville le lendemain et on l’informe que le terrain n’est pas constructible étant dans une zone d’inondation 0-20.

[102]     Il en informe le propriétaire qui prétend être dans une zone 0-100.

[103]     En 2012, le propriétaire le rappelle et lui dit que la Ville s’est trompée et que le terrain est dans une zone 0-100, donc constructible.

[104]     Il achète le terrain et mandate Mélanie Craig, architecte, pour élaborer les plans.

[105]     Celle-ci prépare des plans qui nécessitent une dérogation mineure, ce qu’il refuse.

[106]     Les plans sont corrigés et il débute la construction fin mai 2013.

[107]     Il a alors de très bonnes relations avec les voisins.

[108]     En septembre 2013, Blain l’informe être allé à la Ville avec Stinson pour vérifier la conformité des plans et les officiers municipaux confirment que tout est conforme.

[109]     Blain ajoute que tout est beau. Il est surpris d’entendre cela.

[110]     Les fondations et la structure d’acier sont en place vers la fin septembre 2013[17]. Seule la carcasse est installée.

[111]     Il nie énergiquement l’évaluation de l’avancement des travaux faits par Moreau le 23 septembre 2013 selon laquelle 100 % des murs est « monté », que les panneaux d’isolant jaune sont installés à 50 % et que la photo qui le démontre n’a pas été prise le 23 septembre 2013[18].

[112]     Il a alors déboursé entre 400 000 $ et 450 000 $.

[113]     En octobre 2013, Jonathan Chauret (« Chauret ») communique avec lui pour l’informer avoir fait une erreur technique qui sera corrigée par une dérogation mineure, la règle d’insertion n’ayant jamais été appliquée et pour laquelle il n’aura rien à payer.

[114]     Il obtient en urgence un certificat de localisation que lui demande Chauret pour compléter la demande de dérogation mineure.

[115]     En début décembre 2013, Chauret l’informe qu’un voisin se plaint et lui conseille de communiquer avec le nouveau conseiller municipal Bégin tout en lui disant que la dérogation mineure va être acceptée et qu’il s’agit d’un « ruber stamp ».

[116]     Il communique avec Bégin qui l’informe qu’il n’aura pas son appui à la séance du conseil prévu le 17 décembre 2013. Bégin le rassure et lui indique qu’il ne s’agit que d’une formalité, que la dérogation mineure va être acceptée et qu’il peut continuer la construction.

[117]     À la réunion du Conseil du 17 décembre 2013, il apprend le nom du voisin, soit Louis Gaudet, avec qui il s’engueule après la séance.

[118]     Il n’attend plus parler de rien jusqu’au début juin 2014 alors que Blain vient l’informer que le lendemain les médias vont parler de sa maison qui n’est pas conforme.

[119]     Effectivement, le lendemain il fait la une des médias.

[120]     Des gens défilent devant sa maison, crient « Démolition » et prennent des photos.

[121]     Il en entend parler à l’école et à l’épicerie; tout le monde sait qui il est quand il donne son adresse.

[122]     Ses enfants ont peur que la maison soit démolie pendant la nuit. Il vit l’enfer, les pires moments de sa vie.

[123]     Le 13 juin 2014, alors qu’il est à la pêche, sa conjointe lui apprend par téléphone que la Ville donne un ordre d’arrêt immédiat de construction, son permis étant expiré depuis le 2 mai 2014[19].

[124]     Lui et sa conjointe sont dévastés.

[125]     Il mandate son avocat qui écrit une lettre à la Ville le 19 juin 2016 : il offre de démolir la propriété, de se relocaliser et de reconstruire ailleurs moyennant une indemnité forfaitaire de 2 750 000 $[20], lettre qui restera sans réponse.

[126]     Il réitère cette offre en parlant avec le « bras droit » du maire en disant « sortez-moi de là, n’adoptez pas la dérogation mineure ».

[127]     Il se considère en prison dans cette maison, car il ne peut plus faire ce qu’il veut : pas de décoration, pas de rideaux, le terrassement n’est pas fait, tout est suspendu.

[128]     Il paie 55 000 $ en frais d’architecte.

[129]     C’est impossible de rebâtir la même maison avec la piscine si elle est reculée.

[130]     Il n’a jamais donné le mandat à la Ville de présenter la demande de dérogation mineure.

[131]     En 2013, il croit que la Ville veut l’appuyer et l’épauler en présentant cette demande.

[132]     Il apprend par la suite que la Ville l’a trompé et lui a caché des informations.

[133]     Au lieu de l’informer, la Ville le laisse investir 3 millions de dollars et le laisse continuer les travaux.

[134]     S’il avait été informé dès septembre 2013, il aurait arrêté les travaux et démoli ce qui avait été mis en place.

ARGUMENTS DES PARTIES

            Les demandeurs

[135]     La Ville est de mauvaise foi dans le cadre de sa décision d’opter pour la dérogation mineure et dans le processus d’adoption de celle-ci par le Conseil.

[136]     Le rapport d’enquête de Jean-François Tremblay (« Tremblay ») est dévastateur pour la Ville.

[137]     La Ville aurait dû faire arrêter les travaux dès le 25 septembre 2013 après avoir découvert l’erreur quant à l’omission d’appliquer la clause d’insertion.

[138]     La dérogation mineure est illégale. La démolition de la construction existante doit être ordonnée, aux frais de la Ville.

La Ville

[139]     Elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. Il y a une présomption de validité de la résolution.

[140]     Les demandeurs n’ont pas relevé leur lourd fardeau de démontrer que cette discrétion a été exercée :

a)         à des fins impropres;

b)         de mauvaise foi;

c)         selon des principes erronés ou en tenant compte de considérations non pertinentes;

d)         de façon injuste, arbitraire ou déraisonnable.

[141]     Le pouvoir d’intervention de la Cour supérieure est limité.

[142]     Il y a lieu de rejeter le recours des demandeurs en cassation de la résolution municipale.

[143]     Subsidiairement, le caractère discrétionnaire de la décision pour ne pas ordonner en dernier essor la démolition.

Le défendeur/demandeur en garantie Molla

[144]     Il n’a jamais demandé une dérogation mineure à la Ville.

[145]     Il a toujours voulu construire une maison conforme au Règlement de zonage.

[146]     Il a été entraîné dans une saga judiciaire, médiatique et politique avec ses voisins.

[147]     La Ville n’aurait pas dû adopter la dérogation mineure et aurait dû accepter son offre faite le 19 juin 2014 de la quittancer moyennant une indemnité de 2 750 000 $.

[148]     La Ville a adopté la dérogation mineure afin d’éviter une poursuite de sa part, à des fins impropres.

[149]     La Ville a ignoré les critères et exigences imposés par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) de même que par son propre Règlement sur les dérogations mineures.

[150]     Le rapport de Tremblay démontre la faute de la Ville. La Ville a donné acte à ce rapport en suspendant trois employés.

[151]     Il n’a rien à se reprocher et a toujours été de bonne foi.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.         La légalité de la résolution

2.         La demande de démolition

ANALYSE

            1.         La légalité de la résolution

[152]     Le projet de construction de Molla débute en 2012 par l’obtention d’un certificat d’autorisation pour réaménager la berge[21].

[153]     Les travaux font l’objet de questionnements des voisins, mais ne font pas l’objet des présentes procédures.

[154]     La Ville lui délivre le permis de construction le 2 mai 2013 après avoir soumis des plans révisés qui ne nécessitent aucune dérogation mineure et après s’être assuré qu’ils respectent en tous points la règlementation municipale.

[155]     Dès la mise en place des lignes délimitant la construction projetée et de la structure d’acier, les demandeurs Stinson et Blain rencontrent les préposés au Service d’urbanisme de la Ville, qui leur confirment que les plans sont conformes à la règlementation municipale.

[156]     Le 23 septembre 2013, Moreau réalise que la Ville a fait une erreur en oubliant d’appliquer la règle d’insertion prévue à l’art. 116 du Règlement de zonage.

[157]     Selon Molla, il a alors déjà dépensé entre 400 000 $ et 450 000 $.

[158]     Ce n’est qu’en octobre 2013 que Chauret l’informe de l’erreur « technique » qui doit être corrigée par une dérogation mineure et qu’il n’aura aucun frais à assumer.

[159]     En décembre 2013, Chauret l’informe qu’un voisin se plaint et lui conseille de contacter le nouveau conseiller municipal élu le 3 novembre précédent.

[160]     Il communique avec ce dernier, Bégin, qui le rassure et qui lui dit que la dérogation mineure n’est qu’une formalité, qu’elle va être acceptée et qu’il peut continuer la construction.

[161]     Il emménage dans la mezzanine nouvellement construite en mars 2014 et poursuit la construction.

[162]     Il n’entend parler de rien jusqu’en juin 2014 lorsque Blain l’informe que les médias sont saisis de l’affaire et que la maison n’est pas conforme.

[163]     Le 13 juin 2014, la Ville ordonne l’arrêt des travaux.

[164]     Le 19 juin 2014, il offre à la Ville de démolir sa propriété moyennant une indemnité de 2 750 000 $[22], offre restée sans réponse.

[165]     La dérogation mineure est adoptée à la séance du 8 juillet 2014 à laquelle il n’assiste pas.

[166]     Les demandeurs recherchent l’annulation de cette résolution et la démolition de la maison au terme de l’art. 227 LAU.

[167]     Le soussigné effectue une visite des lieux le 11 juin 2021, constate l’ampleur de la maison et visualise l’endroit où la marge de 13,9 mètres se situe, ce qui démontre qu’une partie importante devrait être démolie pour la respecter.

Le pourvoir de contrôle de la Cour supérieure

[168]     Les auteurs Jean Hétu, Yvon Duplessis et Lise Vézina écrivent que le Tribunal ne siège pas en appel des décisions d’un conseil municipal[23] :

[8.268] Quant au rôle des tribunaux, ils ne peuvent contrôler que la légalité de la décision de l’administration municipale ou son caractère déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190. La jurisprudence nous enseigne que les juges ne peuvent s’immiscer dans l’administration d’une municipalité et n’ont pas à prendre les décisions qui relèvent d’un conseil municipal. Les tribunaux n’ont pas à apprécier la sagesse ou l’opportunité d’une décision prise par une majorité de personnes élues démocratiquement. Un tribunal ne siège pas en appel des décisions d’un conseil municipal. Le seul souci de la Cour est de savoir si le conseil a agi dans les limites de sa compétence (Ville de Prince George c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458) et non pas si la décision prise est inopportune et désavantageuse pour la municipalité (Corporation du Village de Deschênes c. Loveys, [1936] S.C.R. 35, 358). De même, comme nous l’avons indiqué précédemment, les tribunaux n’interviendront pas parce qu’un règlement peut apparaître aux yeux de certains comme très sévère, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’une forme d’expropriation déguisée. On a déjà écrit que ce n’était pas le rôle d’un tribunal de réécrire un règlement; son rôle étant plutôt de la casser si la municipalité avait excédé ses pouvoirs (9034-8822 Québec inc. c. Ville de Sutton, J.E. 2010-892 (C.A.), paragraphe 28; Claudio’s Restaurant Group inc. c. City of Calgary, (1993) 15 M.P.L.R. (2d) 117 (Alta. Q.B.)) ou qu’elle a pris une décision déraisonnable (Ville de Nanaimo c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342). Le Tribunal n’exerce qu’un contrôle de légalité.

[169]     Ainsi, le Tribunal ne peut s’ingérer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à moins d’une preuve de mauvaise foi, de discrimination, d’abus de pouvoir ou de favoritisme indu[24].

[170]     Il n’appartient pas à la Cour supérieure de contrôler l’opportunité des décisions d’une ville, mais seulement la légalité de celles-ci.

[171]     La Cour suprême dans Nanaimo en 2000 nous enseigne que l’examen se fait selon la norme du caractère manifestement déraisonnable[25] :

35         Compte tenu de la conclusion que Nanaimo a agi dans les limites de sa compétence en adoptant les résolutions en question, il est nécessaire d’examiner la norme selon laquelle les tribunaux peuvent examiner les décisions prises par la municipalité dans les limites de leur compétence.  Les conseillers municipaux sont élus par les commettants qu’ils représentent et, de ce fait, ils sont plus au courant des exigences de leur collectivité que ne le sont les tribunaux.  Le fait que les conseils municipaux sont composés de représentants élus de leur collectivité et, partant, qu’ils sont responsables devant leurs commettants est un élément pertinent de l’examen des décisions prises dans les limites de leur compétence.  La réalité qui veut que les municipalités doivent souvent soupeser des intérêts complexes et opposés pour arriver à des décisions conformes à l’intérêt public est tout aussi importante.  Bref, les considérations qui précèdent justifient que l’on fasse preuve de retenue dans le cadre de l’examen des décisions prises par les municipalités dans les limites de leur compétence.

[…]

37         J’estime que ces commentaires sont également persuasifs lorsqu’il s’agit d’examiner des résolutions municipales. La conclusion est évidente. La norme suivant laquelle les tribunaux peuvent examiner les actions d’une municipalité accomplies dans les limites de sa compétence est celle du caractère manifestement déraisonnable.

[172]     La notion d’appréciation de la dérogation mineure n’est pas définie dans la LAU.

[173]     Voici ce que les auteurs Duplessis et Hétu écrivent sur le sujet en 1991[26] :

395. En résumé, nous pouvons soutenir sans crainte de nous tromper que la notion de dérogation mineure est indéfinissable. Il n’existe aucune règle infaillible pour déterminer ce qu’est une dérogation mineure. En revanche, tous s’entendent pour affirmer qu’on ne peut qualifier une dérogation de mineure ou de majeure en lui appliquant une règle, formule ou équation mathématique. Il serait absurde d’établir une norme universelle qui ferait en sorte qu’en deçà d’un pourcentage donné la dérogation est mineure alors qu’au-delà elle est majeure.

396. S’agit-il d’une dérogation mineure? C’est, à notre avis, une question de fait qui doit être étudiée en tenant compte des particularités de chaque dossier. En d’autres termes, chaque cas est un cas d’espèce qui requiert une analyse qualitative et non quantitative des éléments en présence. Les éléments à considérer pourraient être, entre autres, les suivants : l’importance ou l’étendue de la dérogation sollicitée en regard des exigences prévues au règlement, le respect des objectifs du plan d’urbanisme, le préjudice qui pourrait être causé au requérant advenant un refus sur sa demande de dérogation, l’atteinte à la jouissance du droit de propriété des voisins si la dérogation est octroyée, la bonne foi du requérant dans le cas ou(sic) la demande se rapporte à des travaux en cours ou déjà exécutés.

[174]     Le législateur a laissé aux conseils municipaux la tâche de définir s’il s’agit d’une dérogation mineure, chaque cas étant un cas d’espèce qui requiert une analyse qualitative et non quantitative des éléments en présence[27].

La règlementation en vigueur en 2014

[175]     Les articles 145.1 à 145.8 de la LAU permettent à une municipalité d’accorder une dérogation mineure :

145.1. Le conseil d’une municipalité dotée d’un comité consultatif d’urbanisme peut adopter un règlement sur les dérogations mineures aux dispositions des règlements de zonage et de lotissement autres que celles qui sont relatives à l’usage et à la densité d’occupation du sol.

145.2. Une dérogation mineure aux règlements de zonage et de lotissement doit respecter les objectifs du plan d’urbanisme.

Aucune dérogation mineure ne peut être accordée dans une zone où l’occupation du sol est soumise à des contraintes particulières pour des raisons de sécurité publique.

145.3. Le règlement sur les dérogations mineures doit prévoir:

1° la procédure requise pour demander au conseil d’accorder une dérogation mineure et les frais exigibles pour l’étude de la demande;

2° l’identification, parmi les zones prévues par le règlement de zonage, de celles où une dérogation mineure peut être accordée;

3° l’énumération des dispositions des règlements de zonage et de lotissement qui peuvent faire l’objet d’une dérogation mineure.

145.4. Le conseil d’une municipalité sur le territoire de laquelle est en vigueur un règlement sur les dérogations mineures peut accorder une telle dérogation.

La dérogation ne peut être accordée que si l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande. Elle ne peut non plus être accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

145.5. La résolution peut aussi avoir effet à l’égard de travaux en cours ou déjà exécutés, dans le cas où ces travaux ont fait l’objet d’un permis de construction et ont été effectués de bonne foi.

145.6. Le greffier ou le secrétaire-trésorier de la municipalité doit, au moins 15 jours avant la tenue de la séance où le conseil doit statuer sur la demande de dérogation mineure, faire publier, aux frais de la personne qui demande la dérogation, un avis conformément à la loi qui régit la municipalité.

L’avis indique la date, l’heure et le lieu de la séance du conseil et la nature et les effets de la dérogation demandée. Cet avis contient la désignation de l’immeuble affecté en utilisant la voie de circulation et le numéro d’immeuble ou, à défaut, le numéro cadastral et mentionne que tout intéressé peut se faire entendre par le conseil relativement à cette demande.

145.7. Le conseil rend sa décision après avoir reçu l’avis du comité consultatif d’urbanisme.

La résolution par laquelle le conseil rend sa décision peut prévoir toute condition, eu égard aux compétences de la municipalité, dans le but d’atténuer l’impact de la dérogation. La résolution peut prévoir toute condition parmi celles prévues à l’article 165.4.13 lorsque la dérogation accordée concerne le non-respect, lors de la construction ou de l’agrandissement d’un ouvrage ou bâtiment destiné à l’élevage qui n’est pas visé par le deuxième alinéa de l’article 165.4.2, de distances séparatrices prévues dans une disposition réglementaire adoptée en vertu du paragraphe 4° du deuxième alinéa de l’article 113 ou, en l’absence de telle disposition, en vertu de la Directive sur les odeurs causées par les déjections animales provenant d’activités agricoles (chapitre P-41.1, r. 5) applicable dans un tel cas en vertu de l’article 38 ou 39 de la Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles et d’autres dispositions législatives (2001, chapitre 35).

Une copie de la résolution par laquelle le conseil rend sa décision doit être transmise à la personne qui a demandé la dérogation.

145.8. Malgré les articles 120, 121 et 122, sur présentation d’une copie certifiée conforme de la résolution par laquelle le conseil accorde la dérogation, le fonctionnaire visé à l’un ou l’autre de ces articles délivre le permis ou le certificat si les conditions prévues à cet article sont remplies, sous réserve du deuxième alinéa, en outre le cas échéant de toute condition devant, selon la résolution, être remplie au plus tard au moment de la demande de permis ou de certificat.

Dans le cas de la condition selon laquelle cette demande doit être conforme à un règlement visé au paragraphe 1° du premier alinéa de l’un ou l’autre des articles 120, 121 et 122, celle-ci doit être conforme aux dispositions de ce règlement qui ne font pas l’objet de la dérogation.

[176]     L'art 227 LAU accorde à la Cour Supérieure le pouvoir d'ordonner la démolition d'une construction :

227. La Cour supérieure peut, sur demande du procureur général, de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation:

1° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec:

a) un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;

b) un règlement prévu à l’un ou l’autre des articles 79.1, 116 et 145.21;

c) un règlement ou une résolution de contrôle intérimaire;

d) un plan approuvé conformément à l’article 145.19;

e) une entente visée à l’article 145.21, 165.4.18 ou 165.4.19;

f) une résolution visée au deuxième alinéa de l’article 145.7, 145.34, 145.38, 165.4.9 ou 165.4.17 ou au troisième alinéa de l’article 145.42;

2° d’une intervention faite à l’encontre de l’article 150;

3° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec les dispositions d’un plan de réhabilitation d’un terrain approuvé par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en vertu de la section IV du chapitre IV du titre I de la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2).

Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction conforme à la résolution, à l’entente, au règlement ou au plan visé au paragraphe 1° du premier alinéa ou pour rendre conforme au plan métropolitain applicable, aux objectifs du schéma applicable ou aux dispositions du règlement de contrôle intérimaire applicable l’intervention à l’égard de laquelle s’applique l’article 150 ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.

Elle peut aussi ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction compatible avec les dispositions du plan de réhabilitation mentionné au paragraphe 3° du premier alinéa ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.

[177]     L’art. 116 du Règlement de zonage de la Ville se lit comme suit[28] :

116.      RÈGLES D’INSERTION : MARGE AVANT MINIMALE OU MARGE LATÉRALE SUR RUE MINIMALE D’UN BÂTIMENT PRINCIPAL ADJACENT À UN OU PLUSIEURS BÂTIMENTS PRINCIPAUX EXISTANTS

Malgré la marge avant minimale ou la marge latérale sur rue minimale prescrite à la grille des spécifications, lorsqu’un bâtiment principal projeté est situé sur un terrain adjacent du côté de la ligne latérale à au moins un terrain déjà construit, la marge avant minimale ou la marge latérale sur rue minimale applicable est calculée comme suit :

1o         Dans le cas d’un terrain intérieur, la formule « R= (r’ + r’’)/2 » s’applique où :

                         a)         « R » est la marge avant minimale applicable;

b)         « r’ » est la profondeur de la cour avant du terrain adjacent du côté de la ligne latérale sur lequel un bâtiment principal est construit;

c)         « r’’ » est la profondeur de la cour avant de l’autre terrain adjacent du côté de la ligne latérale sur lequel un bâtiment principal est implanté ou la marge avant minimale prescrite à la grille des spécifications si l’autre terrain adjacent est vacant, le cas échéant.

2o         Dans le cas d’un terrain d’angle, les règles suivantes s’appliquent :

a)         la marge avant minimale applicable est égale à la profondeur de la cour avant du terrain adjacent du côté de la ligne latérale sur lequel un bâtiment principal est construit;

b)         la marge latérale sur rue minimale applicable est égale à la profondeur de la cour avant de l’autre terrain adjacent du côté de la ligne latérale sur lequel un bâtiment principal est implanté ou la marge latérale sur rue minimale prescrite à la grille des spécifications si l’autre terrain adjacent est vacant, le cas échéant.

Le présent article ne s’applique pas :

1o         Lorsqu’une marge avant maximale ou une marge latérale sur rue maximale est prescrite à la grille des spécifications.

2o         À l’égard d’un bâtiment situé à l’intérieur du périmètre assujetti au programme particulier d’urbanisme du centre-ville, tel qu’il est représenté à l’annexe B du Règlement relatif aux usages conditionnels en vigueur.

[178]     Il y a lieu de reproduire les extraits suivants du Règlement 17-2002 de la Ville concernant les dérogations mineures :

8.          CRITÈRES D’ÉVALUATION D’UNE DEMANDE DE DÉROGATION MINEURE

L’étude de chaque demande de dérogation doit prendre en considération l’ensemble des critères suivants :

a)         la dérogation demandée doit respecter les orientations de tout programme particulier d’urbanisme et du plan d’urbanisme. (règlement 17-2-2010)

b)         la demande qui fait l’objet d’une dérogation mineure doit être conforme à toutes les dispositions du règlement de construction et à celles des règlements de zonage et de lotissement ne faisant pas l’objet d’une dérogation mineure.

c)          la dérogation mineure ne peut être accordée que si l’application du règlement a pour effet de causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande.

d)          la dérogation mineure ne peut être accordée que dans le cas où il est difficile de modifier un projet pour le rendre conforme en raison de contraintes naturelles ou artificielles ou en raison d’une situation qui ne résulte pas d’une action du propriétaire.

e)         une dérogation mineure ne peut être accordée que si elle implique un ou quelques cas isolés dans une même zone sans avoir pour effet de soustraire l’application de la réglementation de façon généralisée dans cette zone.

f)          une dérogation mineure ne peut être accordée si elle porte atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

g)         dans le cas d’une construction dont les travaux sont en cours ou déjà exécutés, la construction doit avoir fait l’objet de l’émission d’un permis, les travaux doivent avoir été exécutés de bonne foi et les travaux ne doivent pas comprendre de changements structuraux ou de rajouts par rapport aux plans déposés lors de l’émission du permis.

h)         Supprimé . (règlement 17-2-2010)

9.          CONTENU DE LA DEMANDE

La demande doit comprendre :

a)         les nom, prénom et l’adresse du requérant et de son mandataire, le cas échéant;

b)         dans le cas où la demande est présentée par un mandataire, une preuve du mandat ou une lettre de procuration;

c)         le titre établissant que la propriété de l’immeuble visé par la demande est celle du requérant;

d)         dans le cas où la dérogation vise la longueur, la largeur et la superficie des espaces qui doivent être laissés libres entre les constructions sur un même terrain ou l’espace qui doit être laissé libre entre les constructions et les lignes de rues et les lignes de terrains :

i)          un certificat de localisation à jour préparé par un arpenteur-géomètres, pour une construction existante à une échelle de 1 :500 ou à une plus grande échelle;

ii)          un plan d’implantation préparé par un arpenteur-géomètre, pour une construction projetée à une échelle de 1 :500 ou à une plus grande échelle;

iii)         un plan illustrant la dérogation demandée à une échelle de 1 :500 ou à une plus grande échelle.

e)         la description du terrain au moyen d’un acte notarié ou d’un plan de cadastre;

f)          un plan montrant la localisation de toute construction principale et accessoire situés sur un terrain immédiatement adjacent au terrain où est demandée une dérogation mineure à une échelle de 1 :500 ou à une plus grande échelle;

g)         un formulaire signé par le requérant ou son mandataire, le cas échéant, énonçant dans le cas d’une construction, d’un ouvrage ou d’une opération cadastrale projetée :

i)          le détail de toute dérogation projetée et existante;

ii)          la raison pour laquelle le requérant est dans l’impossibilité de se conformer aux dispositions visées des règlements d’urbanisme;

iii)          ne démonstration du préjudice causé au requérant;

iv)          une démonstration que la dérogation mineure ne porte pas atteinte à la jouissance, par les propriétaires des immeubles voisins, de leur droit de propriété.

[179]     Enfin, il y lieu de reproduite l’extrait du procès-verbal de la séance du Conseil municipal tenue le 8 juillet 2016 approuvant la dérogation mineure[29] :

IL EST PROPOSÉ PAR MONSIEUR LE MAIRE MAXIME PEDNEAUD-JOBIN APPUYÉ PAR MONSIEUR LE CONSEILLER MARTIN LAJEUNESSE

ET RÉSOLU QUE ce conseil, suite à la recommandation du Comité consultatif d’urbanisme, accorde une dérogation mineure au Règlement de zonage numéro 502-2005 au 79, chemin Fraser visant à réduire la barge avant minimale sur rue de 15,67 m à 7 m, et ce, afin de régulariser l’implantation d’un bâtiment principal, le tout conditionnellement au respect par le propriétaire du 79 chemin Fraser de l’ensemble des conditions suivantes :

a)         Procéder, dans la cour avant, à la plantation d’un lilas japonais ayant un diamètre à hauteur de poitrine, comme défini au Règlement de zonage numéro 502-2005 de la Ville de Gatineau, de 5 cm minimum;

b)         Procéder, dans la cour latérale est, soit le long du mur latéral sur une distance de 18 mètres calculée à partir du mur avant, à la plantation de 12 Thuja occidentalis Smaragd (cèdres émeraudes) ayant une hauteur de 1 500 mm à la plantation (en pot) et distancés d’au plus 1 500mm;

c)         Procéder, dans la cour latérale ouest, soit le long du mur latéral sur une distance de 9 mètres calculée à partie du mur avant, à la plantation de 4 Hydrangea anomala Petiolaris (hydrangées grimpants) en pot de 2 gallons minimum et distancés d’au plus 2 000mm. Ceux-ci devront couvrir le mur de pierre à maturité;

d)         Que les plantations soient réalisées conformément au plan technique portant le numéro CRO-14-313 et révisé en date du 8 juillet 2014 et joint à la présente résolution;

e)         Que les travaux de plantations soient effectués entre le 15 août et le 15 octobre 2014;

f)          Que l’ensemble des travaux d’entretien soient effectués afin de conserver lesdits aménagements en bon état.

[180]     Il y a maintenant lieu d’analyser la façon dont la Ville a exercé son pouvoir discrétionnaire à la lumière de la règlementation en vigueur et de la jurisprudence.

[181]     D’abord, il faut se rappeler que la dérogation attaquée concerne une marge avant et non un problème d’usage.

[182]     Il est opportun de faire une distinction quant à la jurisprudence relative aux usages.

[183]     Ainsi, l’arrêt Saint-Elzéar c. Bolduc[30] concernait une dérogation mineure accordée à un propriétaire d’une ferme porcine autorisant une distance moindre que celle prévue au règlement entre les bâtiments agricoles et les résidences des demandeurs.

[184]     La dérogation permettait que le nombre d’unités animales gardé dans le site d’élevage soit porté à 453,6, soit plus du double que celui autorisé par la règlementation municipale.

[185]     Voici ce que la Cour supérieure écrit quant à l’adjectif « mineur »[31] :

[36]       La dérogation mineure n’est pas définie dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Force est cependant de reconnaître que l’utilisation du terme « dérogation mineure » par le législateur constitue une limite substantielle, fondamentale, à l’importance des dérogations qui peuvent être visées par un règlement sur les dérogations mineures et qui, par la suite, peuvent être accordées par un conseil municipal dans l’exercice de sa discrétion. Comme la Cour d’appel l’a rappelé dans Carignan (Ville de) c. Vallée-du-Richelieu (Municipalité régionale de comté de la), lorsqu’il s’agit d’évaluer si une dérogation est mineure, il y a certes place à une certaine subjectivité, mais pas au point de substituer l’adjectif majeur à celui de mineur.

[37]       Selon le Grand Robert de la langue française, l’adjectif « mineur », dans son sens premier, signifie « plus petit, inférieur, par opposition à majeur ». Dans son sens modifié, qui date du XXe siècle, il signifie « d’importance, d’intérêt secondaire ».

[38]       Dans l’exercice du pouvoir conféré aux municipalités par l’article 145.1, la municipalité de Saint-Elzéar a adopté un règlement sur les dérogations mineures le 5 mars 2007. Ce règlement est entré en vigueur le 19 juin suivant.

[39]       La dérogation mineure est définie à l’article 2.1 de ce règlement :

Dérogation mineure

Disposition d’exception aux normes de zonage et de lotissement, autres que celles qui sont relatives à l’usage et à la densité d’occupation du sol, et permettant à certaines conditions, un écart minimal avec les normes applicables, de manière à ajuster l’application de ces dernières dans certains cas d’espèce.

(Notre soulignement)

[40]       L’utilisation, dans cette définition, de l’adjectif « minimal » pour qualifier l’écart entre la dérogation mineure et la norme applicable est significative. Selon le Grand Robert de la langue française, l’adjectif « minimal » signifie « la valeur la plus petite atteinte par une quantité variable; la limite inférieure ». Dans la même veine, « au minimum » signifie « au plus bas degré, à presque rien ». « Minimal » s’oppose à « maximal » et « minimum » à « maximum ». Cela étant, le choix de cet adjectif a pour effet de restreindre la marge de discrétion du conseil municipal dans l’évaluation de toute dérogation dite « mineure » qui lui est demandée.

(Références omises)

[186]     Le règlement de Saint-Elzéar utilise les mots « écart minimal » qui ont une importance dans la décision.

[187]     En plus, il est question d’odeurs « …qui a été considéré du bout des lèvres »[32].

[188]     La résolution adoptée ne comprenait aucun considérant attestant que la dérogation demandée ne portait pas atteinte à la jouissance par les propriétaires voisins de leur droit de propriété ce qui constitue un accroc à la procédure.

[189]     La Cour supérieure conclut que la municipalité a abusé de son pouvoir discrétionnaire et déclare nulle la résolution accordant la dérogation mineure.

[190]     La Cour d’appel rejette l’appel tout en ajoutant[33] :

[39]       Les critères prévus aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme sont cumulatifs. Si l’un de ceux-ci n’est pas satisfait, cela est suffisant pour que la dérogation accordée soit, comme en l’espèce, annulée. Partant, il ne devrait pas être nécessaire de commenter davantage les motifs du juge de première instance. Cela dit, je crois néanmoins utile d’ajouter ce qui suit.

[…]

[41]       Force est de constater que le juge adopte une approche quantitative ou mathématique alors que tant la doctrine et la jurisprudence sont à l’effet que le concept de dérogation mineure n’est pas strictement une question de chiffres.

[42]       De plus, son analyse porte sur le nombre d’unités animales alors qu’elle devrait porter sur la distance entre les bâtiments de ferme et les maisons avoisinantes. Je rappelle que la norme réglementaire pour 1800 porcs exige une distance séparatrice de 294,5 mètres et que la résidence des intimés est située à 228 mètres des bâtiments de ferme des mis en cause. Le différentiel étant de 66,5 mètres, on ne doit donc pas parler d’un écart correspondant au double de la norme réglementaire, mais plutôt d’un écart de 22,58 % par rapport à ladite norme.

[…]

[46]       À la décharge du juge, force est d’admettre cependant que l’examen par le conseil municipal de la demande de dérogation souffrait de lacunes évidentes. L’accord favorable du CCU sur lequel s’appuie la résolution du conseil est muet au regard des critères énoncés aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui encadrent pourtant le pouvoir du conseil.

(Référence omise)

[191]     L’affaire Saint-Elzéar concerne un usage relatif à un problème environnemental important.

[192]     Dans cette affaire, la municipalité n’avait pas appliqué correctement son règlement.

[193]     L’arrêt de la Cour d’appel du 30 avril 2021 dans Ville de Sainte-Anne-des-Plaines concerne un problème d’usage dérogatoire[34], en l’occurrence, un commerce de vente d’automobiles usagées.

[194]     Il n’est pas question de dérogation mineure, mais d’une demande pour faire cesser cet usage, laquelle est accordée par la Cour d’appel.

[195]     L’arrêt Ville de Carignan de la Cour d’appel rendu le 23 juillet 2007[35], concerne un panneau réclame dérogatoire au Règlement de zonage.

[196]     Le Règlement permet 20m2 alors que celui construit est de 63m2, situé à environ 30/40 mètres d’une résidence.

[197]     Suite à une mise en demeure d’un citoyen datée du 28 mai 1999, la Ville signe une entente de 10 ans avec Pattison pour la construction d’un panneau d’affichage d’une superficie de 63m2.

[198]     Le 7 novembre 2000, la Ville adopte une résolution et accorde une dérogation mineure visant à maintenir la superficie à 63m2, le maximum réglementaire étant de 20m2.

[199]     La Cour supérieure conclut que la Ville évacue les exigences de son règlement et que cette dérogation vise le sauvetage de l’entente[36] :

[87]       Le Tribunal conclut de tout ceci que l'octroi de cette dérogation dite mineure n'avait pour but que le sauvetage de l'entente R-1 à laquelle la Ville était partie, en évacuant purement et simplement et en contournant les exigences normatives de son règlement de zonage. C'est ce qui ressort de la preuve et du texte même des résolutions R-9. Cette décision du Conseil constitue un abus de pouvoir qui justifie le Tribunal d'intervenir pour déclarer nulle la résolution R-9.

[200]     La Cour d’appel rejette cet appel.

[201]     Le juge Martin Bureau dans Municipalité de Val-Joli[37], ordonne le déplacement d’un garage construit à 5,16 de la ligne avant, la marge étant de 15 mètres.

[202]     Dans cette affaire, la Ville avait refusé d’accorder une demande de dérogation mineure parce que c’était majeur, ce que confirme le juge Bureau.

[203]     Dans le présent dossier, voici comment le CCU justifie sa recommandation d’accorder la dérogation mineure à sa séance du 28 octobre 2013[38] :

Titre :

Dérogation mineure au Règlement de zonage numéro 502-2005 - 79, chemin Fraser - Régulariser l’implantation d’un bâtiment principal en cour avant - District de Lucerne

Justifications :

1.          Un permis de construire a été délivré en mai 2013 afin d’autoriser la construction d’une habitation unifamiliale isolée au 79, chemin Fraser;

2.          L’implantation de l’habitation a été autorisée à 7m de la rue, soit la distance prescrite à la grille des spécifications applicable à la zone résidentielle H-15-014;

3.          Le bâtiment principal étant localisé entre deux résidences existantes, la marge avant applicable prévoit une règle d’insertion correspondant à la moyenne d’implantation des bâtiments avoisinants, comme prescrit l’article 116 du Règlement de zonage numéro 502-2005 en vigueur;

4.          L’immeuble du 77, chemin Fraser est implanté à 15 m de la ligne de rue tandis que le 81, chemin Fraiser est implanté à 16,33m de la ligne de rue. Selon la règle d’insertion, le bâtiment du 79, chemin Fraser aurait dû être implanté à un minimum de 15,67m de la rue plutôt qu’à la marge prescrite de la zone qui prévoit 7m;

5.          L’analyse réglementaire s’est attardée à assurer le respect de la bande riveraine de 15m avec la rivière des Outaouais;

6.          La bonne foi du requérant n’est pas en cause

Recommandation :

Accorder une dérogation mineure au Règlement de zonage numéro 502-2005 au 79, chemin Fraser visant à réduire la marge avant minimale sur rue de 15,67m à 7m afin de régulariser l’implantation d’un bâtiment principal.

Préparé par :

Alexandre Labelle, coordonnateur en urbanisme par intérim à la Division de l’urbanisme du secteur d’Aylmer

Approuvé par :

Liliane Moreau, chef de la Division de l’urbanisme du secteur d’Aylmer

Marc Chicoine, directeur adjoint - Développement

Mise en contexte :

-       La propriété du 70, chemin Fraser est située en bordure de la rivière des Outaouais. La plupart des propriétés voisines sont implantées de manière à se rapprocher au maximum de la rivière plutôt que de la rue, tout en se dégageant de la bande de protection riveraine de 15m;

-       Il s’agit d’une résidence unifamiliale isolée en construction suite à la délivrance d’un permis de construire et dont la valeur déclarée aux fins de permis est de 850 000 $. Les propriétés voisines sont pour la plupart de même typologie;

-       La marge avant prescrite à la grille de zonage est de 7m alors que la règle d’insertion s’applique à ce cas-ci donc une distance de 15,67m aurait dû être respectée;

-       Les propriétés du 77 et du 81, chemin Fraser sont immédiatement adjacentes. Celles-ci ont été construites respectivement en 1987 et an 1997;

-       La construction respecte l’ensemble des autres dispositions réglementaires applicables à l’exception de celle visée par la présente demande de dérogation mineure.

Description :

-       L’article 116 du Règlement de zonage actuellement en vigueur prévoit une règle d’insertion pour calculer la marge avant. Cette règle d’insertion se calcule en faisant la moyenne de la distance des bâtiments déjà en place dans le voisinage. La règle d’insertion prévaut sur la marge avant applicable;

-       L’acceptation d’une dérogation mineure est la solution privilégiée à la démolition ou au déplacement de la construction;

-       Il est à noter que tous les immeubles riverains pourraient s’agrandir jusqu’à une moyenne de 7m en cour avant puisque la majorité des constructions existantes sont implantées à la distance minimale requise de 15m d’un cours d’eau ce qui limite les agrandissements dans les cours arrières. Par ailleurs, la ville a déjà approuvé des dérogations mineures pour ajouter des garages en cour avant à moins de 7m de la rue.

Autres caractéristiques :

-       Un permis de construire a été émis en mai 2013. Les travaux de construction de l’habitation unifamiliale isolée sont commencés depuis;

-       La bonne foi du requérant n’est pas en cause;

-       Le service du contentieux de la Ville de Gatineau a été consulté et recommande de procéder à la régularisation de ce bâtiment par dérogation mineure.

Dispositions réglementaires :

Disposition

Prescrite

Proposée

Explication

Règles d’insertion : marge avant minimale sur rue d’un bâtiment principal adjacent à un ou plusieurs bâtiments principaux existants (art. 116 du Règlement numéro 502-2005)

R = (15m + 16,33m)/2

Distance moyenne requise = 15,67m

7m

-       Application intégrale de la marge avant prescrite à la grille de zonage plutôt que la règle d’insertion;

-       Le préjudice s’estompera lors du redéveloppement des lots avoisinants avec des implantations à 7m en cour avant;

-       C’est la seule disposition réglementaire non respectée.

 

CRITÈRES

OUI

NON

1.   La dérogation mineure demandée respecte les orientations de tout      programme particulier d’urbanisme et du plan d’urbanisme.

2.   La demande qui fait l’objet d’une dérogation mineure est conforme à      toutes les dispositions du règlement de construction et à celles des      règlements de zonage et de lotissement ne faisant pas l’objet d’une      dérogation mineure.

3.  L’application du règlement, sans la dérogation mineure, a pour effet de      causer un préjudice sérieux à la personne qui la demande.

4.  Il est difficile de modifier, sans la dérogation mineure, le projet pour le      rendre conforme en raison de contraintes naturelles ou artificielles ou en      raison d’une situation qui ne résulte pas d’une action du propriétaire.

5.  La dérogation mineure implique un ou quelques cas isolés dans une      même zone sans avoir pour effet de soustraire l’application de la      réglementation de façon généralisée dans cette zone.

6.  La dérogation mineure ne porte pas atteinte à la jouissance de leur droit      de propriété aux propriétaires des immeubles voisins.

7.  Dans le cas d’une construction dont les travaux sont en cours ou déjà      exécutés, la construction doit avoir fait l’objet de l’émission d’un permis,      les travaux doivent avoir été exécutés de bonne foi et les travaux ne      doivent pas comprendre de changements structuraux ou de rajouts par      rapport aux plans déposés lors de l’émission du permis.

[204]     L’art. 145.4 LAU édicte que la dérogation mineure ne peut être accordée si elle cause un préjudice sérieux à la personne qui la demande ou si elle porte atteinte à la jouissance par les propriétaires voisins, de leur droit de propriété.

[205]     Le Règlement 17-2002 de la Ville sur les dérogations mineures reprend ces deux exigences dans ses critères d’évaluation tout en précisant qu’il s’agit « d’une mesure d’exception aux normes des règlements de zonage ».

[206]     Les demandeurs et Molla ont référé abondamment au rapport de Tremblay mandaté par la Ville pour enquêter sur le processus décisionnel et notamment investiguer pourquoi les travaux en cours n’ont pas été arrêtés le 2 mai 2014 alors que le permis était échu.

[207]     Comme le souligne, avec raison, la juge Carole Therrien sur l’obligation de la Ville à communiquer certains documents consultés par Tremblay, cette dernière renonce à tout privilège de confidentialité en le publiant sur son site internet. Elle écrit[39] :

[2]         Le Tribunal conclut premièrement que les informations ne sont pas protégées par le secret professionnel de M. Tremblay, qui n’agissait pas dans le cadre de sa profession de conseiller en relations industrielles. Deuxièmement, sauf pour un document, la Ville a renoncé à tout privilège de confidentialité des renseignements en publiant le rapport de M. Tremblay.

[…]

[8]         …Le rapport conclut essentiellement à des erreurs humaines commises de bonne foi, soit l’omission d’appliquer un règlement d’urbanisme en vigueur.

[208]     Il y a lieu de reproduire un extrait dudit rapport sur la rapidité de la décision des fonctionnaires d’aller en dérogation mineure[40] :

Suite à la considération des faits et des explications fournies par les personnes présentes à ce moment, on peut questionner certains éléments du processus décisionnel qui apparaissent à la lumière des explications des témoins.

Dans un premier temps, on note la rapidité de la décision à l’effet d’aller en dérogation mineure sans analyse du dossier au préalable. En effet, outre les indications verbales transmises par un des gestionnaires concernant le degré d’avancement de la construction, peu d’éléments informationnels sont disponibles pour étayer la prise de décision.

On remarque notamment l’absence de documents photographiques, le fait de ne pas estimer sommairement les coûts associés à chacune des options alternatives à la dérogation mineure et le fait de ne pas considérer le bien-fondé ou non des allégations des citoyens qui interpellent M. Laframboise. On peut penser que ces diverses considérations ne sont pas accessoires à une prise de décision qui se veut éclairée.

Dans les circonstances, nous sommes d’avis que la Direction du SUDD aurait pu demander une analyse préalable, même sommaire, avant d’avaliser le cheminement du dossier vers la voie de la dérogation mineure.

Dans un deuxième temps, on peut questionner la certitude des protagonistes à l’effet qu’il n’y a pas de différences entre un dossier de dérogation mineure dont le requérant est le propriétaire du terrain versus la Ville qui prend fait et cause pour un requérant qui-n’en-est-pas-réellement-un car le besoin d’une dérogation mineure découle d’un problème occasionné par un fonctionnaire, non des propres besoins d’accomodement(sic) du propriétaire.

Tous les intervenants du SUDD rencontrés affirment que la chose se fait régulièrement mais aucun n’est en mesure de fournir un exemple précis lorsque questionnés à ce sujet.

Il aurait été certes judicieux de questionner précisément les Affaires juridiques à ce sujet. Nous estimons qu’il est de la responsabilité de la Direction du Service de s’assurer que les questions de cette nature soient répondues adéquatement.

Dans un troisième temps, il est inquiétant de constater que malgré leur connaissance manifeste du caractère discrétionnaire de l’éventuelle décision que devra prendre le Conseil, les personnes en autorité prennent littéralement pour acquis que cette décision sera favorable à leur intention première, sans même envisager sérieusement un scénario alternatif.

Cette attitude s’éloigne assurément des principes d’une saine gestion en contexte municipal où le rôle du fonctionnaire gestionnaire est, en de telles matières, de présenter avec professionnalisme les options possibles en mettant en exergue les forces et faiblesses de celles-ci afin d’éclairer au mieux la prise de décision du décideur, en l’occurrence le conseil municipal.

De prendre pour acquis dès le départ, sans autre élément pertinent à la prise de décision que l’expérience passée, une éventuelle décision positive sur un objet dont l’essence même est de l’ordre du cas de figure, est au mieux insouciant, au pis arrogant mais assurément éloigné d’une attitude prudente et diligente qui devrait caractériser le travail d’un gestionnaire dans un environnement décisionnel aussi complexe, voir aléatoire, que celui d’une municipalité.

Visiblement étranger aux préoccupations qui sont les nôtres, force est de constater qu’aucun témoin ne remet en question la pertinence de la décision prise le 25 septembre 2013 ou la façon dont elle est émerge. De plus, même avec le recul des derniers mois, les dirigeants estiment que cette demande de dérogation mineure est encore hautement pertinente au niveau urbanistique et que la décision d’alors est encore la bonne.

On retient donc que la direction du SUDD, à l’instar des gestionnaires du secteur Aylmer, sont au diapason pour estimer que le dossier n’est pas un dossier urgent, complexe ou nécessitant des moyens autres que ceux habituellement mobilisés pour faire cheminer une dérogation mineure. Ils prennent également pour acquis le résultat de la décision du conseil municipal alors qu’à titre de cadres d’une municipalité qui cumulent une vaste expérience professionnelle, ils sont parfaitement conscients qu’ils ne peuvent, au final, apporter aucune garantie à la décision applicable en l’espèce, à savoir celle du Conseil.

Nous y voyons une attitude incompatible avec leurs devoirs et responsabilités professionnels.

[209]     Plusieurs faits mentionnés par Tremblay sont confirmés par la preuve faite au procès.

[210]     La Ville s’objecte à la recevabilité du rapport de Tremblay, notamment parce qu’il contient des déclarations de tiers qui n’ont pas témoigné au procès, ce qui constitue des ouï-dire.

[211]     Les demandeurs répondent que ces déclarations constituent des aveux opposables à la Ville.

[212]     Il est vrai que les personnes rencontrées par Tremblay ne sont pas identifiées.

[213]     La Ville peut facilement les identifier.

[214]     D’ailleurs, elle a fait témoigner Chauret qui confirme ses propos qui ont été rapportés par Tremblay.

[215]     Moreau a été abondamment interrogée au préalable.

[216]     La Ville aurait pu faire entendre d'autres témoins, dont Luc Gareau qui a pris des photographies de la maison en construction.

[217]     Tremblay n’a pas témoigné à titre d’expert. Son rapport fait suite au mandat que lui a confié la Ville.

[218]     La Ville a rendu public ce rapport. Le rapport est un fait qui peut être pris en considération par le Tribunal.

[219]     Les aveux faits par les fonctionnaires et rapportés par Tremblay sont admissibles.

[220]     La façon dont ils ont été reçus par Tremblay leur donne une garantie suffisante de fiabilité.

[221]     Le Tribunal n’est pas lié par les conclusions ou recommandations du rapport de Tremblay.

[222]     Dans les circonstances, le Tribunal ne retient pas l’objection de la Ville quant au ouï-dire.

[223]     La preuve démontre que les fonctionnaires décident immédiatement d’amorcer le processus de la dérogation mineure et écartent les deux autres options, soit la modification du projet ou l’arrêt des travaux.

[224]     Cette décision vise à réparer l’erreur commise par un fonctionnaire et non dans le but d’accommoder Molla.

[225]     Molla n’a même pas eu l’opportunité d’arrêter les travaux, de modifier son projet ou encore de renoncer à y construire la maison de ses rêves.

[226]     Au contraire, Chauret le rassure, lui répète que la dérogation mineure vise à corriger cette erreur technique et qu’elle sera acceptée par le Conseil municipal.

[227]     La prépondérance de la preuve démontre que cette décision est prise pour éviter une poursuite en dommages de Molla en cas d’arrêt des travaux ou d’une demande de démolition.

[228]     La Ville n’analyse pas en septembre 2013 les coûts d’une démolition/reconstruction avant de décider d’aller en dérogation.

[229]     Ce n’est que le 28 mai 2014, que Bégin demande à la division du service une estimation de ces coûts.

[230]     Le fonctionnaire y répond en moins de deux heures[41] et se base sur les travaux de démolition des ruines d’une église[42] et de la valeur du permis de construction délivré à Molla, soit 850 000 $, pour conclure que les travaux sont avancés à 50 %.

[231]     Le témoignage non contredit de Molla démontre qu’il a déjà investi environ 450 000 $ vers le 25 septembre 2013.

[232]     Le rapport d’analyse du CCU du 28 octobre 2013[43] et la résolution adoptée par le Conseil municipal le 8 juillet 2014 approuvant la dérogation mineure[44] confirment que l’analyse du premier critère édicté à l’art. 145.4 LAU a été ignoré, ce qui constitue une fin impropre.

[233]     La mention que « le critère de la bonne foi du propriétaire fut analysé » démontre que la Ville ne procède pas réellement à l’analyse du préjudice sérieux qui pourrait être causé à Molla, lequel n’a pas eu l’opportunité de se faire entendre sur ce point important avant de faire leur recommandation.

[234]     Le CCU ajoute ce qui suit[45] :

Le service du contentieux de la Ville de Gatineau a été consulté et recommande de procéder à la régularisation de ce bâtiment par dérogation mineure.

[235]     Quant au deuxième critère prévu à l’art. 145.4 LAU « si la dérogation porte atteinte à la jouissance par les voisins de leur droit de propriété », force est de conclure que cette analyse a, elle aussi, été éludée.

[236]     Le CCU coche la case « oui » à la question « La dérogation mineure ne porte pas atteinte à la jouissance de leur droit de propriété aux propriétaires des immeubles voisins » tout en ajoutant « Le préjudice s’estompera lors du redéveloppement des lots avoisinants avec des implantations à 7m en cour avant ».

[237]     Chicoine explique que les propriétaires antérieurs se sont construits, au cours des années, le plus près possible de la rivière de sorte que tout agrandissement exécuté devra se faire inévitablement dans la cour avant.

[238]     En utilisant le mot préjudice, le CCU reconnaît qu’un préjudice est causé aux voisins.

[239]     Le procès-verbal du CCU n’analyse pas vraiment les doléances des voisins.

[240]     La disposition « porte atteinte à la jouissance » ne qualifie pas l’ampleur de cette atteinte.

[241]     Une simple atteinte à la jouissance peut donc être suffisante pour justifier le préjudice.

[242]     Les voisins ont eu la chance de s’exprimer à la rencontre du 11 février 2014 et aux séances du Conseil municipal du 17 décembre 2013, du 10 juin 2014 et du 8 juillet 2014[46].

[243]     La prépondérance de la preuve démontre que la maison telle que construite n’aurait pu l’être en application de la règle d’insertion compte tenu, notamment, de la bande riveraine sur laquelle il ne peut y avoir de constructions.

[244]     Les photographies prises par Luc Gareau le ou vers le 23 septembre 2013 et considérées par Moreau et ses collègues ont disparu.

[245]     Moreau écrit que la construction était substantiellement avancée, soit 50 %, ce qui est contredit par la photo prise par Molla le 24 septembre 2013[47] et par le témoignage de ce dernier.

[246]     La preuve est muette sur la volumétrie de cette maison quant au respect de la règle d’insertion.

[247]     Selon Molla, il n’aurait pu construire la même maison avec la même piscine et plusieurs éléments auraient dû être éliminés.

[248]     Les demandeurs et Molla, tout comme le note Tremblay, s’en prennent au délai d’environ 100 jours qu’a pris Moreau pour répondre aux questions soulevées lors de la réunion du 11 février 2014.

[249]     Ce délai est cependant justifié vu l’attente de renseignements du ministère de l’Environnement.

[250]     La Cour d’appel dans Municipalité de Saint-Elzéar[48] édicte le 7 janvier 2021 que l’inobservance d’un seul de deux critères prévus à l’art. 145.4 LAU est suffisante pour annuler la dérogation accordée :

[39]       Les critères prévus aux articles 145.2 et 145.4 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme sont cumulatifs. Si l’un de ceux-ci n’est pas satisfait, cela est suffisant pour que la dérogation accordée soit, comme en l’espèce, annulée. Partant, il ne devrait pas être nécessaire de commenter davantage les motifs du juge de première instance. Cela dit, je crois néanmoins utile d’ajouter ce qui suit.

[251]     Il est clair que la Ville fait défaut de respecter le premier critère.

[252]     En voulant se protéger, elle occulte complètement l’analyse du préjudice que pourrait subir Molla et qu’il subit encore.

[253]     Il ne suffit pas de dire qu’il était de bonne foi pour se conformer à ce critère.

[254]     S’il avait connu le risque d’une éventuelle démolition, il n’aurait pas poursuivi la construction le 25 septembre 2013.

[255]     En le rassurant sur cette erreur technique qui sera corrigée par une dérogation mineure aux frais de la Ville, il continue à investir son « fonds de retraite » dans sa maison à hauteur d’environ trois millions de dollars.

[256]     Dans leur argumentation, les avocats de Molla plaident que ce dernier subit un préjudice suivant les deux issues possibles du procès.

[257]     En effet, si la démolition est ordonnée ou si elle est refusée, il subit des préjudices qui seront analysés éventuellement dans la deuxième audition qui suivra le présent jugement.

[258]     Quant au deuxième critère, même si on devait conclure que le Conseil y a répondu correctement, force est de constater que le processus est vicié à sa base même lorsque la Ville omet de demander une analyse préalable, même sommaire, avant d’avaliser le cheminement du dossier vers la voie de la dérogation mineure.

[259]     Cette décision est prise rapidement pour justifier le besoin d’une dérogation mineure découlant d’un problème occasionné par un fonctionnaire et non des propres besoins d’accommodements du propriétaire Molla.

[260]     Il est bon de se rappeler que Molla n’est pas le requérant sur la demande de dérogation mineure et qu’il invite même la Ville à ne pas l’adopter dans sa mise en demeure du 19 juin 2014[49].

[261]     Le 7 janvier 2021, la Cour d’appel nous apporte de précieux enseignements dans l’arrêt Municipalité de Saint-Elzéar[50] en actualisant les critères d’analyse à être considérés sur une demande d’annulation d’une résolution accordant une dérogation mineure :

[22]       Avant de s’attaquer aux prétentions de l’appelante et des mis en cause qui, pour l’essentiel, reprochent au juge de s’être substitué au conseil municipal dans l’appréciation des faits, il y a lieu de rappeler certains principes juridiques applicables à la solution du présent appel.

[23]       La notion de dérogation mineure vise à remédier à la rigidité parfois excessive de la réglementation en matière de zonage ou de lotissement sans devoir passer par la procédure longue et complexe de modification réglementaire.

[24]       Les auteurs Lorne Giroux et Isabelle Chouinard donnent les exemples suivants :

Pour le citoyen dont l’immeuble, à cause de sa topographie, de sa forme ou de ses dimensions, ne peut satisfaire à une des normes du règlement de zonage ou de lotissement, l’impossibilité d’obtenir une modification réglementaire peut engendrer un préjudice sérieux. Il en est de même de celui dont le bâtiment, par suite d’une erreur de construction ou d’arpentage, est dérogatoire au règlement de zonage parce qu’il empiète de quelques centimètres dans une marge de recul ou d’éloignement requise par une norme règlementaire. Même si cette contravention est de peu d’importance, elle peut perdurer et affecter de façon négative un financement ou une transaction.

Ce sont ces difficultés que vise à résoudre la dérogation mineure. Les articles 145.1 à 145.8 L.a.u. ont pour objet d’autoriser les municipalités à accorder des dérogations mineures aux dispositions des règlements de zonage et de lotissement, par simple résolution du conseil, sans devoir passer par les procédures d’une modification au règlement.

[25]       À l’inverse, l’auteur Jean-Pierre St-Amour écrit que la dérogation mineure « doit aussi être démarquée par rapport à ce qu’elle n’est pas », soit :

- un moyen de contourner les dispositions irritantes de la réglementation d’urbanisme,

- un outil de négociation permettant à un promoteur d’accroître sa rentabilité financière,

- un remède permettant à la municipalité d’arbitrer les problèmes privés de voisinage,

- une technique de régularisation des erreurs ou des mauvaises décisions d’un propriétaire.

[26]       Cela étant, il est bien établi qu’une demande de dérogation mineure requiert du conseil municipal une analyse qualitative et non quantitative, comme le rappelle notre Cour dans l’arrêt Weldon, ainsi que les auteurs Yvon Duplessis et Jean Hétu lorsqu’ils écrivent :

395.     En résumé, nous pouvons soutenir sans crainte de nous tromper que la notion de dérogation mineure est indéfinissable. Il n’existe aucune règle infaillible pour déterminer ce qu’est une dérogation mineure. En revanche, tous s’entendent pour affirmer qu’on ne peut qualifier une dérogation de mineure ou de majeure en lui appliquant une règle, formule ou équation mathématique. Il serait absurde d’établir une norme universelle qui ferait en sorte qu’en deçà d’un pourcentage donné la dérogation est mineure alors qu’au-delà elle est majeure.

396.     S’agit-il d’une dérogation mineure? C’est, à notre avis, une question de fait qui doit être étudiée en tenant compte des particularités de chaque dossier. En d’autres termes, chaque cas est un cas d’espèce qui requiert une analyse qualitative et non quantitative des éléments en présence. Les éléments à considérer pourraient être, entre autres, les suivants : l’importance ou l’étendue de la dérogation sollicitée en regard des exigences prévues au règlement, le respect des objectifs du plan d’urbanisme, le préjudice qui pourrait être causé au requérant advenant un refus sur sa demande de dérogation, l’atteinte à la jouissance du droit de propriété des voisins si la dérogation est octroyée, la bonne foi du requérant dans le cas où la demande se rapporte à des travaux en cours ou déjà exécutés.

[27]       Toutefois, même si chaque cas doit être analysé à la lumière des circonstances qui lui sont propres, il ne saurait être question «  de substituer l’adjectif majeur à celui de mineur » ainsi que l’énonce notre Cour dans l’arrêt Carignan.

[28]       Enfin, et il est important de le rappeler en terminant ce bref rappel théorique, l’octroi d’une dérogation mineure relevant du conseil municipal, le tribunal appelé à réviser la décision du conseil dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire ne saurait se substituer à celui-ci dans l’appréciation des faits. La déférence, ici, est de mise. D’un autre côté, puisque la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme précise de façon explicite, aux articles 145.2 et 145.4, les critères sur lesquels le conseil doit se fonder, ce dernier doit en tenir compte et appliquer ceux-ci scrupuleusement, à défaut de quoi le tribunal sera justifié d’intervenir et de casser la résolution accordant une dérogation.

(Références omises)

[262]     En application de ces enseignements, le Tribunal est d’avis que le recours des demandeurs est bien fondé et que la résolution du 8 juillet 2014 doit être annulée.

[263]     Quant à l’argument que la demande de dérogation soit présentée par la Ville et non par le propriétaire ou son mandataire, aucune autorité n’a été soumise au Tribunal.

[264]     Vu la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, il est inutile de traiter de cette question.

2.         La demande de démolition

[265]     L’art. 227 LAU prévoit que la Cour supérieure peut ordonner s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain ».

[266]     Le 30 avril 2021, la Cour d’appel dans l’arrêt Ville de Sainte-Anne-des-Plaines[51], rappelle que les tribunaux ont une grande discrétion dans la détermination du remède approprié face à une occupation du sol dérogatoire et que ce n’est qu’exceptionnellement qu’un tel recours sera rejeté.

[267]     Le juge de la Cour supérieure avait rejeté la demande d’ordonnance de cessation d’un commerce de vente d’automobiles usagées.

[268]     La Cour d’appel infirme ce jugement et ordonne la cessation de cet usage dérogatoire dans les termes suivants :

[22]       Contrairement au droit pénal qui vise à punir un exercice dérogatoire passé ou actuel, le recours prévu à l’article 227 de la LAU permet à l’organisme compétent, à une municipalité ou à tout intéressé, de faire cesser cet usage dérogatoire pour l’avenir.

[23]       La jurisprudence reconnaît que cet article confère une certaine discrétion au juge de première instance lui permettant de rejeter la demande d’ordonnance même en présence d’une contravention claire à un règlement.

[24]       Dans l’arrêt Chapedelaine, la Cour fixe toutefois des balises à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Notre collègue, le juge Chamberland, rédige les motifs majoritaires au soutien de cet arrêt, mais les critères énoncés par le juge Rochon dans des motifs concordants sont également repris par la jurisprudence subséquente :

MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND

[…]

[31]       À mon avis, le recours de l'article 227 de la Loi est porteur d'une certaine discrétion dont le tribunal, dans les circonstances particulières et exceptionnelles, peut user afin de refuser le recours même en présence d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec la réglementation municipale. Cette discrétion s'étend donc non seulement au choix du remède approprié pour corriger une situation dérogatoire, mais aussi, exceptionnellement, lorsque les circonstances l'exigent, à la possibilité de rejeter le recours même après avoir constaté l'existence d'une situation dérogatoire.

[32]       Reprenant en cela l'idée exprimée par mon collègue Baudouin dans l'arrêt Abitibi (Municipalité régionale de Comté d'), il me semble normal que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire de façon à pallier les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait parfois entraîner. Cette discrétion me semble souhaitable, voire essentielle, pour permettre aux tribunaux de préserver, exceptionnellement et lorsque les circonstances particulières d'un dossier l'exigent, l'équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux d'un individu.

[33]       La jurisprudence traitant à ce jour de l'article 227 de la Loi reconnaît qu'il y a place à cette discrétion lorsque les dérogations reprochées sont mineures ou de peu d'importance ou lorsque les conclusions recherchées par le requérant ne procureront aucun résultat pratique en raison du caractère théorique de l'ordonnance. À ces situations, je propose donc d'ajouter qu'il y a aussi place à la discrétion judiciaire, exceptionnellement, lorsque les circonstances tout à fait particulières d'un dossier l'exigent pour éviter les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait entraîner.

[34]       Quant au fondement précis de cette discrétion, la question est ouverte. Certains, comme je l'ai vu précédemment, le situent dans les attributs inhérents au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure; d'autres enfin, comme mon collègue le juge Rochon, dans la théorie de la préclusion en droit public (estoppel). La question n'est pas sans intérêt, sur le plan de la théorie du droit, mais il ne me semble pas essentiel d'en décider pour régler le sort du pourvoi.

[…]

MOTIFS DU JUGE ROCHON

[…]

[52]        Sans élaborer une théorie générale sur le sujet, je retiens que les tribunaux refuseront la demande de la municipalité si nous retrouvons l'ensemble des éléments suivants :

•      Il doit s’agir de circonstances exceptionnelles et rarissimes.

•      L’intérêt de la justice doit commander le rejet du recours.

•      La personne en contravention de la réglementation municipale doit avoir été diligente et de bonne foi.  Elle ne doit pas avoir connu la contravention préalablement.

•   L’effet du maintien de la contravention ne doit pas avoir une conséquence grave pour la zone municipale touchée.

•      Il doit y avoir existence d’un délai déraisonnable (généralement plus de 20 ans) et inexcusable de la part de la municipalité.

•     Il doit y avoir eu un acte positif de la municipalité (émission de permis, perception de taxes).

•     La situation dérogatoire ne doit pas avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.

[53]       À mon avis, ces critères doivent être regroupés en trois catégories :

•     Les agissements de la municipalité.

•     Les agissements de la personne en contravention.

•     Les effets du maintien de la situation dérogatoire.

[54]       Les agissements de la municipalité comprennent le délai déraisonnable et inexcusable et des actions positives de sa part.

[55]       Les agissements de la personne en contravention comprennent sa diligence, sa bonne foi et son absence de connaissance de la contravention.

[56]       Les effets du maintien de la situation dérogatoire comprennent l’intérêt de la justice, les circonstances exceptionnelles et rarissimes de la situation, les conséquences pour la zone municipale touchée et, finalement, la santé et sécurité publique, l’environnement et le bien-être général de la municipalité.

[25]       Certes, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence lorsque l’appel porte sur une matière où le législateur a choisi de reconnaître une certaine latitude au juge de première instance. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire accordé à l’article 227 de la LAU demeure limité et exige, en l’absence de droit acquis, que l’intimée démontre l’existence de circonstances exceptionnelles en justifiant l’exercice.

[26]       En effet, ce n’est qu’en présence de telles circonstances qu’un juge peut refuser de prononcer l’ordonnance demandée, car il n’appartient pas aux tribunaux de se substituer aux municipalités et d’intervenir dans l’exercice de leur pouvoir de règlementation en matière de zonage. Celui-ci demeure le fruit de choix politiques et d’une vision globale de son territoire par la municipalité dans l’intérêt de l’ensemble de ses citoyens.

[27]       Le juge doit, en plus des circonstances exceptionnelles, tenir compte de la gravité de la dérogation, de la bonne foi du contrevenant et du caractère théorique de l’ordonnance recherchée.

[…]

[36]       Rappelons en terminant que le recours prévu à l’article 227 de la LAU n’est pas un recours réservé à l’appelante, mais qu’en principe, tout intéressé peut invoquer cette disposition pour faire cesser une contravention au règlement.

[37]       Le juge ne pouvait, dans ces circonstances, conclure qu’il était en présence des circonstances exceptionnelles reconnues par la jurisprudence comme justifiant de refuser de prononcer l’ordonnance requise.

(Références omises)

[269]     Toujours en 2021, le 18 février, la Cour d’appel dans Bibeau c. Ville de Saint-Sauveur[52] écrit que le refus d’ordonner la démolition est de nature tout à fait exceptionnelle :

[63]       L’appelant fait valoir que la juge commet une erreur manifeste et déterminante dans l’application des critères établis par notre Cour dans l’arrêt Chapdelaine. Celle-ci aurait dû, eu égard à l’ensemble des circonstances et tout particulièrement des conséquences qu’aurait la démolition, rejeter la demande la Ville.

[64]       D’abord, je rappelle que le rôle de notre Cour dans ce domaine est limité. Il revient au juge de première instance de déterminer, à la suite de l’appréciation de l’ensemble de la preuve, s’il convient de refuser l’octroi de l’ordonnance de démolition. Le fardeau de l’appelant est donc lourd. Il doit convaincre la Cour de l’existence d’une erreur manifeste et déterminante.

[65]       En cette matière, les mots utilisés par mon collègue Yves-Marie Morissette, si souvent plaidés, décrivent bien l’idée de ce qu’est une erreur manifeste. C’est celle que l’on peut « montrer du doigt », c’est-à-dire que l’on peut l’isoler, que l’on réussit à nommer. L’addition d’une série, aussi longue soit-elle, de soi-disant erreurs mineures et indépendantes entre elles, ne résulte pas, sauf exception, en une erreur manifeste. C’est pourtant ce que tente de faire ici l’appelant. Il ne suffit pas, non plus, d’isoler certains éléments de preuve précis que la juge aurait prétendument oubliés pour faire apparaitre une erreur manifeste. Apprécier la preuve c’est choisir; c’est discriminer certains éléments au profit d’autres.

[66]       Le fardeau de l’appelant est d’autant plus lourd ici que la discrétion que détient la juge de première instance de refuser la démolition est de nature tout à fait exceptionnelle. Notre Cour n’a de cesse de le répéter. Mon collègue Jacques Chamberland l’écrivait lui-même dans ses motifs majoritaires de l’arrêt Chapdelaine, vu depuis, comme l’arrêt de principe en ce domaine :

[31]       À mon avis, le recours de l'article 227 de la Loi est porteur d'une certaine discrétion dont le tribunal, dans les circonstances particulières et exceptionnelles, peut user afin de refuser le recours même en présence d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec la réglementation municipale. Cette discrétion s'étend donc non seulement au choix du remède approprié pour corriger une situation dérogatoire mais aussi, exceptionnellement, lorsque les circonstances l'exigent, à la possibilité de rejeter le recours même après avoir constaté l'existence d'une situation dérogatoire.

[32]       Reprenant en cela l'idée exprimée par mon collègue Baudouin dans l'arrêt Abitibi (Municipalité régionale de Comté d'), il me semble normal que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire de façon à pallier les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait parfois entraîner.   Cette discrétion me semble souhaitable, voire essentielle, pour permettre aux tribunaux de préserver, exceptionnellement et lorsque les circonstances particulières d'un dossier l'exigent, l'équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux d'un individu.

[33]       La jurisprudence traitant à ce jour de l'article 227 de la Loi reconnaît ou de peu d'importance ou lorsque les conclusions recherchées par le requérant ne procureront aucun résultat pratique en raison du caractère théorique de l'ordonnance. À ces situations, je propose donc d'ajouter qu'il y a aussi place à la discrétion judiciaire, exceptionnellement, lorsque les circonstances tout à fait particulières d'un dossier l'exigent pour éviter les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait entraîner.

[67]       Si l’on s’en tient aux catégories ci-haut énumérées, l’ordonnance recherchée ici n’est pas théorique et il est difficile de conclure que la dérogation est mineure d’autant qu’elle vise, tout à la fois, le pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne de la partie à construire, qui emporte une interdiction totale du projet, que le pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne du terrain qui aurait nécessité une autorisation préalable du Conseil municipal.

[68]       Reste le dernier cas de l’énumération, celui où, « exceptionnellement » et devant des « circonstances tout à fait particulières », il est nécessaire de refuser d’ordonner l’injonction afin d’éviter les injustices de l’application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation. Je rappelle que, dans le cas de l’affaire Chapdelaine, lors de sa construction en 1959, l’immeuble était conforme au zonage, lequel prévoyait un usage mixte. En 1963, le zonage devient commercial. Pourtant, en 1966, la ville délivre un permis de construire dans le but de transformer l’édifice en immeuble résidentiel. Ce n’est qu’en 1999 que la ville demande la démolition de l’immeuble, lequel avait été vendu à plusieurs reprises depuis.

(Références omises)

[270]     En l’espèce, la Ville en permettant cette dérogation met de côté une norme règlementaire claire, laquelle n’était pas appliquée par les fonctionnaires de la Ville dans le secteur d’Aylmer.

[271]     Même si cette erreur est faite de bonne foi et que d’autres demandes de dérogation pour la même raison ont été accordées par la Ville, chaque cas est un cas d’espèce.

[272]     En l’espèce, il est clair que la dérogation accordée le 8 juillet 2014 est majeure.

[273]     À titre d’exemple, Gaudet, témoignant pour les demandeurs, a obtenu une telle résolution lui accordant une dérogation mineure pour le 91, chemin Fraser[53].

[274]     Sa maison avait été construite en 2009 à 13 mètres de la rue.

[275]     Voulant notamment implanter une remise dans la cour avant, il demande un permis à cet effet.

[276]     La Ville lui accorde une dérogation réduisant la marge avant minimale de 13m à 7m. La Ville lui rembourse ensuite les frais de la dérogation.

[277]     Il avait produit une lettre de ses deux voisins immédiats, dont son père, qui consentaient à cette demande.

[278]     Chaque cas est un cas d’espèce comme on l’a vu.

[279]      Dans l’affaire Désautels c. Municipalité de la Paroisse de Sainte-anne-de-Sabrevois[54], une maison avait été construite après l’obtention des permis requis. Cependant, cette délivrance de ces permis s’est avérée illégale parce que la superficie du terrain était supérieure aux normes prescrites par la règlementation municipale.

[280]     L’erreur du fonctionnaire était reconnue par la municipalité. Voici les propos de la juge Mayrand :

[25]       Une publication produite par le ministère des Affaires municipales et intitulée "Les dérogations mineures aux règlements d'urbanisme" donne un peu d'éclairage sur les objectifs visés par cet outil. On retient de ce document :

i)          qu'il s'agit d'un outil exceptionnel qui est complémentaire au plan et aux règlements d'urbanisme;

ii)          que la dérogation mineure n'est pas un moyen d'éviter la modification d'une réglementation d'urbanisme inadéquate;

iii)         que la dérogation mineure n'est pas un moyen de légaliser toute erreur lors de la construction;

iv)         que la dérogation mineure n'est pas un moyen de contourner le plan et les règlements d'urbanisme."

[26]       C'est la détermination de ce qu'est une dérogation mineure qui peut poser problème en certains cas.  Ce qui est mineur dans une situation peut être majeur dans une autre.

[27]       En l'espèce, il ne s'agit pas ici de corriger une anomalie à une situation dérogatoire mais plutôt de littéralement mettre de côté les normes réglementaires.  La Municipalité ne peut, par l'octroi d'une dérogation mineure, autoriser une superficie de terrain de 16,000 pi2 alors que la réglementation applicable requiert, pour la construction d'une maison, que cette superficie soit de 32,289 pi2. Si la Municipalité peut passer outre à son propre règlement en réduisant de cette façon la superficie minimale, on peut questionner quel était l'objet du règlement auquel on veut déroger et qui a prévu de façon expresse des superficies minimales qui n'ont aucune commune mesure avec celles que l'on veut valider par l'octroi de la dérogation.

[28]       En droit administratif, il est acquis que l'autorité doit se servir de ses pouvoirs, surtout de ceux qui sont extraordinaires par nature, pour les seules fins prévues par le législateur et non pour des fins personnelles ou d'expédients, ou pour des fins contraires au but immédiat du statut.

[29]       Or, il appert au Tribunal que la Municipalité suggère à Desautels d'utiliser la dérogation mineure pour contourner le plan et les règlements d'urbanisme dans le but d'uniquement solutionner la problématique créée par la délivrance illégale des permis par Dufresne.

(Références omises)

[281]     En prenant en considération l’erreur de la Ville - même si elle parle de bonne foi - des atteintes à la jouissance démontrées par les demandeurs quant à leur droit de propriété et de l’ensemble des circonstances, le Tribunal ne voit aucun motif exceptionnel pouvant justifier le rejet de cette demande.

[282]     D’ailleurs, la preuve ne démontre aucun autre remède utile qui pourrait être envisagé comme le prévoit l’art. 229 LAU.

[283]     De plus, la Ville demande au Tribunal de ne pas ordonner la démolition mais ne propose aucune solution.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[284]     ACCUEILLE la requête amendée des demandeurs quant à la demande de cassation et de démolition;

[285]     CASSE la résolution adoptée par le Conseil municipal de la Ville de Gatineau le 8 juillet 2014 octroyant une dérogation mineure à la résidence construite au 79, chemin Fraser, Gatineau, J9H 2H1;

[286]     ORDONNE la démolition de la résidence construite au 79, chemin Fraser, Gatineau, J9H 2H1;

[287]     LE TOUT avec frais contre la Ville de Gatineau.

 

 

__________________________________

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

 

Me Sébastien Gélineau

THÉRIAULT AVOCATS

Me Yves Letellier

Pour David Stinson, Manon Pelletier, Robert Blain et Cheryl Lyttle

 

Me Fabienne Beauvais

Me Patricia Baram

Robinson Sheppard Shapiro sencrl

Pour la Ville de Gatineau

 

Me Eric Oliver

Me Frédéric Legendre

Municonseil Avocats

Pour Patrick Molla

 

Me Geneviève Dérigaud

Me Annie-Claude Lafond

Rousseau Boisvert, avocats

Pour Alary, St-Pierre & Durocher, arpenteurs-géomètres inc.

 

Me Marie-Louise Delisle

Me Marc-Antoine Côté

Woods s.e.n.c.r.l.

Pour Mélina Craig

 

 

 

Dates d’audience :

Les 7, 8, 9, 10, 11 et 14 juin 2021

 



[1]     Jugement de la juge Carole Therrien du 4 mars 2019, 550-17-007988-148 et 550-17-007888-140.

[2]     Jugement de la juge Suzanne Tessier du 31 mai 2017.

[3]     Jugement du juge Pierre Dallaire du 18 juin 2018 qui accorde la scission d’instance.

[4]     Pièce P.18. Rapport d’enquête de Jean-François Tremblay daté de septembre 2014.

[5]     Pièce P-11. Résumé des questions et réponses.

[6]     Pièce P-11.

[7]     Pièce DVG-24. Résolution du 15 novembre 2016.

[8]     Pièce DVG-1. Certificat d’autorisation de la Ville no 107317.

[9]     Pièce DVG-4. Échange de courriels.

[10]    Pièce DVG-2. Permis de construction.

[11]    Pièce DVG-8.

[12]    Pièce P-9. Analyse de projet et projet de dérogation mineure.

[13]    Pièce DVG-32. Registre des dérogations mineures.

[14]    Pièce DVG-17A.

[15]    Pièce P-9, p. 73.

[16]    Pièce D-3, p. 633-634. Courriel de Liliane Moreau du 12 juin 2014.

[17]    Pièce DVG-33. Six photos de la construction prises du 4 septembre 2013 au 25 octobre 2013.

[18]    Pièce D-3, p. 707. Courriel de Liliane Moreau à Marie-Claude Martel en date du 10 janvier 2014.

[19]    Pièce D-3, p. 207. Lettre de la Ville signée par Luc Gareau le 13 juin 2014.

[20]    Pièce D-3. Lettre aux procureurs de la ville datée du 19 juin 2014, dossier 550-17-007988-148.

[21]    Pièce DVG-1. Certification d’autorisation 107317 du Service d’urbanisme de la Ville de Gatineau daté du 16 octobre 2020.

[22]    Pièce D-3. Lettre de ses procureurs.

[23]    Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, avec la collaboration de Lise VÉZINA, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, 2e éd., Brossard, Wolters Kluwer, 2003 (à jour au 1er juin 2019);

[24]    Rivard c. St-Arnaud, 2014 QCCS 2031, paragr. 34.

[25]    Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd, [2000] 1 R.C.S. 342, p. 354.

[26]    Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, « La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme » dans Extraits du répertoire de droit, Montréal, Chambre des notaires du Québec, 1991, par. 395-396.

[27]    Municipalité de Saint-Elzéar c. Bolduc, 2021 QCCA 19, paragr. 26.

[28]    Extrait du Règlement de zonage numéro 502-2005 de la Ville de Gatineau en vigueur au 23 janvier 2013. Art. 116, pièce D-4.

[29]    Pièce DVG-3.

[30]    Précité, note 27.

[31]    Bolduc c. Municipalité de Saint-Elzéar, 2018 QCCS 4521.

[32]    Id., paragr. 111.

[33]    Précité, note 27.

[34]    Ville de Sainte-Anne-des-Plaines c. Montambault, 2021 QCCA 847.

[35]    Carignan (Ville de) c. Vallée-du-Richelieu (Municipalité régionale de comté de la), 2007 QCCA 1066.

[36]    Id.

[37]    Val-Joli (Municipalité de) c. Préfontaine, 2009 QCCS 1056.

[38]    Pièce DVG-14, p. 1 à 3.

[39]    Jugement du 5 juillet 2018, 2018 QCCS 2972.

[40]    Pièce P-18, p. 15 et 16.

[41]    Pièce DVG-7. Demande de permis de construction.

[42]    Pièce P-18. Rapport de Jean-François Tremblay, p. 31.

[43]    Pièce DVG-14.

[44]    Pièce DVG-3.

[45]    Pièce DVG-14, p. 2 sur 9.

[46]    Pièces DVG-27, 28 et 29. Listes des citoyens qui ont pris la parole.

[47]    Pièce DVG-33.

[48]    Précité, note 27.

[49]    Pièce P-3. Dossier 550-17-007988-148.

[50]    Précité, note 27.

[51]    Précité, note 34.

[52]    2021 QCCA 290.

[53]    Pièce DVG-24. Résolution CM-2016-873 de la séance du Conseil municipal tenue le 15 novembre 2016.

[54]    2001 CanLII 119 (QC CS).

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