Décision

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Meyerco Enterprises Ltd. c. Kinmont Canada inc.

2016 QCCA 89

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024257-149

(500-17-066989-115)

 

DATE :

27 janvier 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

MEYERCO ENTERPRISES LTD.

DANIEL OUAKNINE

SUCCESSION DE FEU HENRI OUAKNINE

APPELANTS - Défendeurs/demandeurs-reconventionnels

c.

 

KINMONT CANADA INC.

INTIMÉE - Demanderesse/défenderesse-reconventionnelle

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants Meyerco Enterprises Ltd. et Daniel Ouaknine se pourvoient contre le jugement par lequel la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Gary D.D. Morrison), en date du 30 janvier 2014, a accueilli en partie la réclamation de l’intimée et les a condamnés solidairement à lui payer la somme de 100 000 $ avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle.

[2]           Les appelants Daniel Ouaknine et la Succession de Feu Henri Ouaknine se pourvoient contre les conclusions de ce même jugement ayant rejeté leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

[3]           Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Dufresne, LA COUR :

[4]           ACCUEILLE l’appel de Meyerco Enterprises Ltd., sans frais;

[5]           ACCUEILLE l’appel de Daniel Ouaknine portant sur sa condamnation à payer à Kinmont Canada inc. la somme de 100 000 $ avec intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle, sans frais, et, en conséquence, raye les paragraphes [166] et [168] du jugement de la Cour supérieure afin de les remplacer par le suivant :

[166]    DISMISSES plaintiffs Motion against Meyerco Enterprises Ltd. and Daniel Ouaknine without costs;

[6]           REJETTE avec les frais de justice l’appel de Daniel Ouaknine portant sur le rejet de sa demande reconventionnelle en dommages;

[7]           REJETTE avec les frais de justice l’appel de la Succession de Feu Henri Ouaknine.

 

 

 

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

 

Me Élizabeth Ouaknine

 

Pour les appelants

 

 

 

Me Maude Brouillette

 

STIKEMAN ELLIOTT

 

Pour l’intimée

 

 

 

Date d’audience :

7 octobre 2015

 


 

 

 

MOTIFS DE LA JUGE HOGUE

 

 

[8]           Ce pourvoi soulève la question de l’étendue de la réduction à laquelle un contractant victime de dol peut avoir droit lorsqu’il opte pour le maintien du contrat tout en réclamant une réduction de ses obligations. Il s’intéresse également à la preuve requise en de telles circonstances.

[9]           Kinmont Canada Inc. (« Kinmont ») poursuit Meyerco Enterprises Ltd. (« Meyerco »), son seul administrateur, dirigeant et actionnaire Daniel Ouaknine (« Ouaknine ») et la Succession de Feu Henri Ouaknine (« la Succession ») en réduction de prix (action quanti minoris) à la suite de l’achat par elle d’un immeuble commercial appartenant à Meyerco.

[10]        Elle soutient que ceux-ci lui ont fait de fausses représentations équivalant à dol en omettant de lui révéler qu’une des locataires, Moni-Trans-Import-Export Inc. (« Moni-Trans ») n’avait jusqu’alors jamais payé son loyer en numéraire. Moni-Trans et Meyerco avaient en effet convenu que le loyer serait plutôt payé par un jeu de « compensation » puisque Moni-Trans rendait des services à une autre société de Ouaknine, Comptoir des Indes. Cette dernière, en conséquence, devait à Moni-Trans, de façon routinière, au moins autant que ce que celle-ci devait payer à titre de loyer. Meyerco et Comptoir des Indes convenaient ensuite ensemble des écritures comptables nécessaires, légitimes par ailleurs, pour refléter le paiement du loyer par Moni-Trans.

[11]        Kinmont a acheté l’immeuble le 13 juillet 2010 au prix de 2 750 000 $ et en a pris possession le même jour avec droit de percevoir les loyers à compter du 1er août 2010. Moni-Trans y occupait un espace de 6 222 pieds carrés sur une superficie locative totale de 63 747 pieds carrés. Le bail conclu entre elle et Meyerco stipulait un loyer de base net annuel de 27 999 $, payable par versements mensuels de 2 333,25 $. S’ajoutait à ce loyer de base, une somme mensuelle de 1 425,87 $ représentant la portion des dépenses d’opération et des taxes foncières attribuée à Moni-Trans, portant ainsi le loyer total annuel à 45 109,44 $. Le premier mois était gratuit alors que le loyer des deux mois suivants était réduit de moitié. Ce bail s’étendait du 1er février 2010 au 31 janvier 2015. Il comportait une clause, fréquente dans les baux commerciaux, par laquelle Moni-Trans renonçait à son droit d’opérer compensation pour quelque somme que ce soit qui pourrait lui être due par le locateur et s’engageait ainsi à payer son loyer, mensuellement. Moni-Trans, préalablement à l’acquisition par Kinmont, a aussi signé un certificat par lequel elle confirmait que le loyer était payé normalement et sans aucune compensation. Le certificat a été remis à Kinmont par Meyerco.

[12]        Kinmont prétend que si elle avait su que Moni-Trans n’avait jamais payé son loyer en numéraire, elle aurait déduit ce loyer des revenus nets générés par l’immeuble et utilisés par elle comme base pour établir son prix d’achat. Kinmont a en effet démontré qu’elle a déterminé son prix d’achat en utilisant un facteur de capitalisation de 10.8% qu’elle a appliqué aux revenus nets annuels de 285 250 $ générés par l’immeuble. Utilisant la même formule, cette déduction l’aurait ainsi conduite, dit-elle, à payer un prix inférieur de 256 815 $ à celui qu’elle a payé. Elle demande donc une réduction de prix équivalente.

[13]        Ouaknine et la Succession se portent demandeurs reconventionnels. Ils allèguent que les procédures instituées contre eux sont abusives et réclament des dommages.

Le jugement de première instance

[14]        Le jugement de première instance, rendu le 30 janvier 2014 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Gary D.D. Morrison), conclut qu’il y a eu dol et accueille en partie la réclamation de Kinmont. Le juge condamne Meyerco et Ouaknine à lui payer 100 000 $, mais rejette sa réclamation contre la Succession. Il rejette également les demandes reconventionnelles pour abus de procédure de Ouaknine et de la Succession.

[15]        Meyerco, Ouaknine et la Succession se pourvoient contre ce jugement. Meyerco et Ouaknine prétendent que la réclamation de Kinmont aurait dû être rejetée en totalité puisqu’ils n’ont commis aucune faute et que, par surcroît, c’est plutôt Kinmont qui a manqué à son obligation de s’informer et d’effectuer une vérification diligente adéquate. Ils font aussi valoir, à titre subsidiaire, que si leur responsabilité devait être engagée, il y aurait lieu de réviser le montant de la condamnation, puisque celle-ci excède la valeur des dommages réellement subis par Kinmont. Ouaknine ajoute que sa responsabilité personnelle ne saurait être engagée compte tenu de la personnalité distincte de Meyerco et du fait que les conditions permettant de soulever le voile corporatif ne sont pas remplies. Finalement, Ouaknine et la Succession prétendent que leurs demandes reconventionnelles auraient dû être accueillies, en réitérant leur proposition que la réclamation de Kinmont à leur endroit est abusive.

Le dol

[16]        Les moyens d’appel avancés par Meyerco et Ouaknine au soutien de leur affirmation qu’ils n’ont commis ni faute, ni fausses représentations, ni dol, constituent une invitation à refaire le procès. La détermination du juge à cet égard est fondée sur la preuve offerte à l’audience et sur son appréciation de la crédibilité des témoins. Ils ne démontrent aucune erreur manifeste et déterminante pouvant justifier l’intervention de la Cour. Il est vrai que, contrairement à ce qu’allègue Kinmont, Moni-Trans a payé son loyer avant que Kinmont devienne propriétaire de l’immeuble. Elle l’a toutefois fait en utilisant une méthode particulière, soit celle de la compensation et de l’indication de paiement. L’omission volontaire de Meyerco d’informer Kinmont de ce mode de paiement du loyer convenu entre elle et Moni-Trans, différent de celui expressément prévu au bail et contraire aux termes du certificat remis à Kinmont, peut certes constituer un dol dans les circonstances.

La responsabilité personnelle de Ouaknine

[17]        La prétention de Ouaknine selon laquelle il ne doit pas être tenu personnellement responsable est, quant à elle, sans fondement.

[18]        Tant la doctrine que la jurisprudence reconnaissent depuis longtemps qu’un actionnaire majoritaire, également administrateur ou dirigeant d’une société, peut engager sa responsabilité personnelle lorsqu’il commet, lui-même, une faute extracontractuelle dans le cadre ou à l’occasion d’une relation contractuelle à laquelle la société est partie. L’exemple classique utilisé pour illustrer une telle faute est d’ailleurs la participation de cet actionnaire-administrateur-dirigeant à de fausses représentations. À cet effet, l’auteur Paul Martel écrit[1] :

La responsabilité personnelle d’un individu qui est actionnaire majoritaire et administrateur d’une compagnie peut être retenue dans les circonstances suivantes :

-   il s’est porté caution d’une obligation contractuelle de la compagnie;

-   il a lui-même commis une faute entraînant sa responsabilité extracontractuelle, par exemple en faisant de fausses représentations ou en remettant des documents falsifiés;

-   il a activement participé à une faute extracontractuelle de la compagnie (ce qui se présume s’il est administrateur unique);

-   il a utilisé la compagnie qu’il contrôle comme écran, comme paravent pour tenter de camoufler le fait qu’il a commis une fraude ou un abus de droit ou qu’il a contrevenu à une règle intéressant l’ordre public; en d’autres termes, l’acte apparemment légitime de la compagnie revêt, parce que c’est lui qui la contrôle et bénéficie de cet acte, un caractère frauduleux, abusif ou contraire à l’ordre public;

-   l’article 317 ne s’applique que dans le dernier de ces cas. Le premier est régi par les articles 2333 et suivants, le deuxième par l’article 1457, et le troisième par les articles 1457 et 1526. Quand on regarde de près, on constate que sur la cinquantaine de prétendus cas de « levée du voile corporatif » répertoriés depuis le début de 1994, une infime minorité se range dans la dernière catégorie et mérite vraiment cette appellation.

[19]        Cette responsabilité extracontractuelle est distincte de la responsabilité qui peut être imposée à un actionnaire à l’occasion de la levée du voile corporatif. Les conditions qui doivent être satisfaites pour lever le voile corporatif ne sont pas pertinentes en cette matière[2]. Les propos de la juge Thibault dans l’affaire Paquette c. Laurier[3] méritent ici d’être rappelés :

[34] Les intimés concluent au rejet de la requête introductive d’instance parce qu’elle ne contient aucune allégation qui justifie « la levée du voile corporatif ». Ils oublient que le recours aux articles 317 et suivants C.c.Q., qui empêche le dirigeant ou l’administrateur d’être tenu responsable des obligations d’une personne morale sauf dans le cas de fraude, d’abus de droit ou de contravention à une règle intéressant l’ordre public, n’est pas la seule façon d’engager la responsabilité d’un administrateur ou d’un dirigeant d’une société :

326. En terminant, il faut reconnaître que lorsqu'un actionnaire occupe la fonction de dirigeant ou d'administrateur, sa participation active au fonctionnement de la société fait en sorte qu'il sera possible de prouver qu'il a personnellement commis une faute extracontractuelle, laquelle engagera directement sa responsabilité. Comme l'ont souligné les tribunaux à de nombreuses reprises, dans de telles circonstances, il n'est donc pas nécessaire de recourir à l'article 317 pour atteindre le dirigeant ou l'administrateur qui pose des gestes préjudiciables. Il suffit d'appliquer directement le régime de la responsabilité civile extracontractuelle. À cet égard, nous verrons ultérieurement que la Cour suprême a rendu un arrêt important dans Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, qui vient influer sur les conditions du recours en responsabilité civile extracontractuelle à l'égard des administrateurs.14

14        Raymonde Crête, Droit des sociétés par actions, 2e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2008, p. 141; Voir aussi, Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 24-92, no 24-252.

[Les soulignements sont de la juge Thibault]

[20]        Le juge s’est bien dirigé en droit à ce sujet et, encore ici, Ouaknine ne démontre aucune erreur manifeste et déterminante dans les constats de fait qui l’ont amené à retenir sa responsabilité personnelle. La responsabilité de la société étant contractuelle alors que celle de Ouaknine est extracontractuelle, la condamnation, le cas échéant, ne peut toutefois être solidaire et doit plutôt être in solidum[4].

Le droit à la réduction de prix et son étendue

[21]        Kinmont, comme elle en avait le droit, a choisi de réclamer une réduction du prix payé pour l’immeuble plutôt que l’annulation du contrat de vente. Elle affirme avoir acheté l’immeuble pour les revenus nets qu’il générait et avoir déterminé le prix d’achat qu’elle était disposée à payer en appliquant à ces mêmes revenus un taux de capitalisation de 10,8%. Elle soutient ainsi avoir droit à une réduction de prix représentant la différence entre le prix payé et le résultat obtenu en appliquant aux revenus nets de l’immeuble, déduction faite du loyer de base de Moni-Trans, ce même facteur de 10,8.

[22]        Les allégations de sa requête introductive d’instance, rédigée le 29 juillet 2011, soit un an après l’achat, permettent de bien comprendre sa position et, surtout, l’approche qu’elle a utilisée. Sous la rubrique DOMMAGES elle allègue :

35. As explained above, the purchase price of the Immovable was negotiated by the parties based on an adjusted capitalization rate of 10.8% (Net Operating Income / Purchase Price);

36. Had Kinmont known that the Defendants’ representations were untrue, Kinmont would never have bought the Immovable for an amount of $2,750,000.00 but would have requested that the purchase price be reduced in order to have a capitalization rate of 10.8%;

37. According to Meyerco’s falsehoods, Moni-Trans’ participation in the alleged Net Operating Income was of an amount of $27,999.00 per year;

38. Therefore, had Kinmont known that Moni-Trans was not paying any rent, Kinmont would have requested that the purchase price be reduced of $256,815.00;

39. As to date, Kinmont is still trying to rent Moni-Trans’ space without any success;

40. As a result of the foregoing, Kinmont is entitled to recover from the Defendants the amount of $256,815.00, such amount which Kinmont would not have paid to purchase the Immovable in order to have a capitalization rate of 10.8% but for the Defendants’ false representations;

41. Kinmont’s representative, Michael Svensson, personally confronted defendant Daniel Ouaknine with respect to the above mentioned facts but defendant Daniel Ouaknine was never able to establish that Moni-Trans had paid any rent;

[23]        La réponse amendée et défense reconventionnelle qu’elle a produite, datée du 12 septembre 2012, ne contient aucune allégation additionnelle qui pourrait être pertinente quant aux dommages et ne modifie pas l’approche qu’elle a prise. Finalement, elle n’amende pas ses procédures une fois reloués les lieux autrefois occupés par Moni-Trans. Elle ne mentionne pas qu’elle a résilié le bail de Moni-Trans, qu’elle a récupéré d’elle certaines sommes, ni qu’elle a reloué les lieux à la fin de 2012 ou au début de 2013, ce qui lui a vraisemblablement permis de percevoir un loyer pour à tout le moins une partie de la période couverte par le bail de Moni-Trans. Elle n’a d’ailleurs pas déposé ce nouveau bail.

[24]        Le juge lui donne partiellement raison. Après avoir reconnu que les dommages sont difficiles à établir, il considère toutefois excessif le facteur de 10 proposé et retient le moyen terme entre les résultats obtenus en multipliant le loyer net annuel de Moni-Trans, soit 27 999 $, par des facteurs de 3 et de 4. Il accorde ainsi à Kinmont 100 000 $.

[25]        La détermination de la réduction de prix à accorder en l’espèce comporte une erreur qui, à mon avis, justifie l’intervention de la Cour. Quoiqu’un juge d’instance bénéficie d’une grande discrétion dans la détermination des dommages et de la réduction de prix à accorder, il demeure qu’il doit s’abstenir de les fixer de façon arbitraire ou d’enrichir celui à qui il les accorde[5] et, lorsqu’il le fait, cette Cour est justifiée d’intervenir. Quoiqu’il puisse être légitime pour un juge d’instance, dans certaines circonstances, d’arbitrer les dommages à octroyer, ce ne l’est pas lorsque, comme en l’espèce, la preuve des dommages aurait été facile à faire et n’aurait pas entraîné des coûts disproportionnés à l’enjeu du litige.

A) L’article 1407 C.c.Q. et la limite qui y est incorporée

[26]        L’article 1407 C.c.Q. énonce les recours à la disposition de celui dont le consentement a été vicié notamment par le dol de son cocontractant :

1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.

1407. A person whose consent is vitiated has the right to apply for annulment of the contract; in the case of error occasioned by fraud, of fear or of lesion, he may, in addition to annulment, also claim damages or, where he prefers that the contract be maintained, apply for a reduction of his obligation equivalent to the damages he would be justified in claiming.

                                                                                                   (nos soulignements)

[27]        La possibilité d’opter pour le maintien du contrat tout en demandant une réduction des obligations, reconnue à cet article, a été codifiée lors de la réforme du Code civil en 1994. Antérieurement, les tribunaux faisaient généralement appel à la règle de l’article 1053 C.c.B.-C. pour permettre à la victime d’un dol incident d’être indemnisée pour un montant généralement équivalant à la diminution de valeur du bien. La nature exacte du recours et l’étendue de l’indemnité pouvant être accordée faisaient souvent l’objet de débats. Les propos du juge Pratte dans Bellerose c. Bouvier[6] permettent de bien comprendre ce débat qui existait et la corrélation entre la diminution de prix à laquelle une victime avait droit et les dommages qu’elle avait subis. Après avoir fait une analyse rigoureuse de la jurisprudence, pour conclure que la victime d’un dol ou d’une fraude qui choisit de ne pas demander l’annulation du contrat a le droit de réclamer une diminution de prix ou des dommages intérêts, il écrit :

Le demandeur se plaint de ce que le premier juge a traité l'action comme une demande en diminution de prix, alors que, suivant lui, c'est une réclamation en dommages-intérêts qu'il a formée.

Chacun sait que ce n'est pas le nom dont on coiffe une demande qui détermine le caractère de celle-ci, mais la nature du remède demandé. L'action qui demande à l'auteur d'un délit de réparer le dommage qu'il a causé est une action en dommages-intérêts; et si le dommage causé par un vendeur a consisté à faire payer à l'acheteur un prix trop élevé, la condamnation aurait pour effet de procurer à l'acheteur une diminution de prix. L'action en diminution de prix est donc, à proprement parler, une action en dommages-intérêts. Mais cela ne veut pas dire que toute action en dommages-intérêts qu'un acheteur fraudé intente à son vendeur équivaut à une action en diminution de prix. Si le dol du vendeur a causé à l'acheteur un dommage autre que celui de lui avoir fait payer trop cher, l'action par laquelle l'acheteur demanderait réparation de ce préjudice serait bien une action en dommages-intérêts, mais pas en diminution de prix.

Dans le cas qui nous occupe, le demandeur réclame une indemnité pour le préjudice qu'il aurait éprouvé du fait qu'il manquait au commerce qu'il a acquis une quantité dont on lui a faussement représenté l'existence. Il a donc raison de dire qu'il s'agit d'une action en dommages-intérêts. Mais le préjudice dont il veut être indemnisé a consisté en ce qu'il aurait payé pour quelque chose qu'il n’a pas eue; et le demandeur ne requiert rien qui ne se traduirait pas, en définitive et contre son vendeur, en une réduction du prix qu'il a payé. Le premier juge a donc eu raison de dire qu'il s'agissait d'une action en diminution de prix.

Il s’agit donc de savoir si la fausse représentation dont les défendeurs se sont rendus coupables a causé un préjudice au demandeur, et de déterminer l’étendue de ce préjudice, le cas échéant.

Le demandeur a-t-il payé plus cher qu’il n’aurait donné si on ne lui avait pas fait la représentation dont il se plaint? Il ne l’a pas affirmé. Mais quand il l’aurait déclaré, il resterait à décider de quel montant il aurait été appauvri par la faute des défendeurs.

[…]

Le demandeur n’a pas fait la preuve certaine d’un préjudice; et même si l’on pouvait croire qu’il en a éprouvé un, il n’a pas rapporté une preuve qui permette d’en mesurer l’étendue.

[28]        À cette époque, et malgré ces propos fort éclairants du juge Pratte, il est demeuré fréquent, en matière de vente, que les tribunaux acceptent de réduire le prix au montant que l’acheteur aurait été disposé à payer s’il avait connu l’information et qu’aucun dol n’avait été commis par le vendeur du bien. Ces situations étaient particulièrement fréquentes dans le cadre de recours pour vices cachés. Les réclamants fondaient souvent leurs réclamations sur la présence de vices cachés et sur la présence d’un dol. Ils réclamaient ainsi une réduction de prix, en fonction du prix qu’ils auraient été disposés à payer, et des dommages-intérêts accessoires en s’appuyant sur les articles 1053, 1526 et 1527 C.c.B.-C. De telles réductions de prix étaient toutefois susceptibles de donner lieu à des abus et d’enrichir l’acheteur puisque le prix qu’il aurait été disposé à payer pouvait, dans certaines circonstances, être inférieur à la valeur réelle du bien acquis. Le vendeur se voyait alors imposé de « vendre » le bien à un prix déterminé unilatéralement par l’acheteur lésé alors même qu’il n’aurait peut-être pas accepté de vendre le bien à ce prix. De plus, la preuve offerte par l’acheteur quant au prix qu’il aurait été disposé à payer était souvent difficile, voire impossible à contrôler vu le caractère subjectif de celui-ci.

[29]        C’est dans ce contexte que ce droit fut codifié mais qu’une limite importante y fut expressément apportée par la même occasion. Ce droit, codifié, d’opter pour une réduction de l’obligation est en effet maintenant expressément limité puisque la réduction qui peut être accordée doit être « équivalente aux dommages-intérêts que [la victime] eût été justifiée de réclamer ». La doctrine et la jurisprudence s’entendent pour dire que cette limite vise justement à empêcher les abus et l’enrichissement de la victime aux dépens du cocontractant[7] qui pouvaient survenir dans le passé. Il s’agit, en fait, de la codification du droit tel qu’énoncé par le juge Pratte en 1955.[8]

B) Le fardeau imposé au réclamant

[30]        Celui qui demande une réduction de son obligation doit donc franchir deux étapes distinctes. Il doit commencer par démontrer qu’il s’agit d’une situation où le droit à la réduction des obligations existe. Ce sera le cas si le consentement a été vicié par une erreur provoquée par un dol, par la crainte ou par une lésion.

[31]        Lorsqu’il allègue une erreur provoquée par un dol, il devra ainsi prouver 1) l’erreur; 2) le fait que l’erreur a été causée par le dol de son cocontractant ou à sa connaissance et 3) que n’eut été ce dol, il n’aurait pas contracté aux conditions auxquelles il a contracté (art. 1401 C.c.Q.). Cela étant établi, le réclamant aura démontré qu’il y a ouverture à une réduction de son obligation. Il devra toutefois franchir la seconde étape qui consiste à prouver l’étendue de la réduction à laquelle il a droit.

[32]        Il faut prendre garde, à ce point, de conclure que la preuve des conditions auxquelles il aurait contracté constitue ipso facto la mesure de la réduction à laquelle il a droit. Conclure ainsi pourrait conduire aux abus que le législateur a voulu prévenir puisqu’il n’y a pas nécessairement adéquation entre les conditions auxquelles quelqu’un est prêt à contracter et la valeur véritable de la contrepartie qu’il obtient.

[33]        En définitive, cette limite incorporée à l’article 1407 C.c.Q. restreint dorénavant la réduction susceptible d’être accordée à la partie lésée à la hauteur du préjudice réellement subi. Le préjudice peut, le cas échéant, inclure la perte économique découlant de la diminution de valeur du bien de même que les dommages accessoires résultant du dol[9].

[34]        Cette limite a d’ailleurs amené certains auteurs à affirmer que le recours en réduction de l’obligation n’est finalement qu’une variante de l’action en dommages-intérêts. Les auteurs Pineau et Gaudet, notamment, écrivent ce qui suit à ce sujet[10] :

La réduction de l’obligation est une variante de l’action en dommages-intérêts, puisque cette réduction ne peut être arbitraire : elle ne peut être qu’« équivalente aux dommages-intérêts que (la victime) eût été justifiée de réclamer ». Le nouveau texte accorde donc maintenant au juge le pouvoir de « revoir » le contrat, mais il limite ce pouvoir à la mesure de l’évaluation du préjudice subi par la victime : il s’agit donc d’une réparation en nature qui traduit une réparation par équivalent. Il n’est pas impossible que le montant de dommages-intérêts alloué puisse en définitive équivaloir à la différence entre le prix effectivement payé et celui qu’on aurait accepté si l’on avait connu la vérité, ce qui se traduirait ainsi par une diminution de prix; mais l’évaluation du préjudice subi ne coïncide pas nécessairement avec une telle réduction : soit un acheteur qui, à la suite du dol de son vendeur, paie tel bien 10 000 $, alors qu’en l’absence de ce dol, il aurait accepté de payer 6 000 $; il ne subirait qu’un préjudice de 2 000 $ s’il réussissait à le revendre pour la somme de 8 000 $ […]. On constate que le recours consiste en une action en dommages-intérêts et non en diminution de prix puisque la diminution de prix aurait été égale à 4 000 $ (différence entre le prix payé réellement et le prix qui aurait été payé en l’absence de vice caché) et non point seulement à 2 000$ […]. »

[35]        La Cour, de son côté, a écrit dans Soft Informatique[11] :

[94] […]

Qu’entend-on par la réduction de l’obligation au sens de l’article 1407 C.c.Q.? Les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina y voient deux composantes : le déficit dans la valeur économique du bien et les dommages provoqués par le dol. Ils écrivent :

Le texte de l’article 1407 précise que la réduction de l’obligation est équivalente aux dommages-intérêts que la partie eût été justifiée de réclamer, assimilant ainsi l’action en réduction à l’action en dommages-intérêts. À notre avis, ces deux sanctions, cependant, restent théoriquement deux notions distinctes. La réduction des obligations, en effet, reflète une partie du préjudice, soit le déficit dans la valeur économique du bien (par exemple quand le bien vendu a une valeur économique moindre en raison du dol). Par contre, le dommage peut comprendre d’autres éléments (dépenses supplémentaires, inconvénients, frais d’expertise, etc.) provoqués par l’acte de mauvaise foi. Toutefois, la phraséologie de l’article 1407 semble bien indiquer que désormais les termes « réduction de l’obligation » doivent s’entendre, non au sens restreint de la seule diminution économique ou comptable de l’obligation principale (par exemple, le prix de vente), mais au sens plus large de l’ensemble du préjudice subi; c’est ainsi que les juges, en général, appliquent cette disposition.

[95] Notre cour a fait sienne cette interprétation à donner aux termes de l’article 1407 C.c.Q. tout en précisant que la réduction de l’obligation s’entend de l’ensemble du préjudice subi. Il y a cependant une limite à la réduction de l’obligation. Il faut éviter d’enrichir la victime.

                                                                                                   (références omises)

[36]        Refuser que la victime d’un dol puisse automatiquement avoir droit à une réduction équivalant à la différence entre le prix qu’elle a payé et celui qu’elle aurait été disposée à payer si elle avait connu l’information ne conduit pas à un résultat injuste. Rappelons que la victime a le choix du recours. S’il n’y a pas une équivalence suffisante entre ce qu’elle aurait été disposée à payer n’eût été du dol et la réduction à laquelle elle a droit compte tenu de la limite imposée par l’article 1407 C.c.Q., il lui est loisible de plutôt demander l’annulation de la vente. Elle devra alors démontrer qu’elle n’aurait pas contracté n’eut été du dol.

[37]        Ceci implique donc que le réclamant fasse la preuve de son préjudice et de son étendue.[12] C’est à lui qu’incombe le fardeau. Il devra ainsi, selon ce qu’il choisit de réclamer, faire la preuve de la valeur « réduite » du bien qu’il a acquis et des autres dommages accessoires que le dol peut lui avoir causés.

[38]        Dans la mesure où la limite contenue à l’article 1407 C.c.Q. existe afin d’éviter les abus qui pourraient permettre au réclamant de s’enrichir en obtenant une réduction de prix supérieure à son préjudice réel, le réclamant ne peut se limiter à faire la preuve des conditions auxquelles il aurait été disposé à contracter et soutenir, avec succès, que celles-ci font preuve de la valeur réelle du bien. Il peut, certes, arriver que la preuve de la formule utilisée pour déterminer le prix d’achat original suffise pour établir la réduction de prix à accorder puisque, dans certaines circonstances, il peut y avoir équivalence parfaite entre la valeur réelle du bien et le prix qu’aurait payé l’acheteur en appliquant cette même formule, si les faits véritables avaient été connus. Ce n’est toutefois pas toujours le cas et le tribunal, appelé à quantifier les dommages qu’il eut été justifié de réclamer, ne peut se contenter de cette preuve du prix qu’il aurait été disposé à payer lorsqu’il est manifeste qu’elle ne permet pas d’établir la véritable étendue du préjudice.

[39]        Soft Informatique[13] illustre bien le fait que la preuve de la méthode utilisée par l’acheteur d’un bien pour en déterminer le prix ne permet pas nécessairement d’en déterminer la valeur réelle. L’acquéreur des actions de Soft Informatique y réclamait en effet 2 177 733 $, représentant la réduction de prix et les dommages accessoires auxquels il prétendait avoir droit vu le dol commis par les vendeurs. Il avait déboursé 4 500 000 $ pour acquérir la totalité des actions de la société et avait démontré avoir déterminé son prix d’achat, à la connaissance des vendeurs, en appliquant un multiple de 5 aux bénéfices avant impôts, intérêts et amortissements ajustés (« BAIIAs») réalisés par la société au cours de l’année précédant la transaction. Éventuellement, celle-ci s’est vu refuser des crédits d’impôts importants pour cette même année, ce qui a eu un impact direct sur les BAIIAs. Invoquant le dol des vendeurs, l’acheteur a ainsi requis une diminution de prix équivalant à la différence entre le prix payé et ce qu’il prétendait être la véritable valeur de la société, déterminée en appliquant aux BAIIAs, ajustés pour tenir compte des crédits d’impôt refusés, le même multiple de 5. Les propos alors tenus par mon collègue le juge Bouchard sont éloquents[14] :

[98] L’expert de l’appelante présente une évaluation de la perte future liée à la diminution du BAIIA ajusté, celui-ci étant affecté par les montants accordés à titre de crédits d’impôt. En tenant compte du montant de 606 750 $ dont Soft Informatique a été privée en raison de la coupure de 60% effectuée par l’ARC, l’expert calcule un BAIIA ajusté de 581 050 $. Il multiplie ensuite le BAIIA ajusté par cinq pour refléter la base sur laquelle le prix d’achat aurait dû être calculé. Il conclut que les acquéreurs auraient dû payer 2 905 250 $ plutôt que 4 500 000 $.

[99] Tel que mentionné précédemment, il y a une limite à la réduction de l’obligation de l’article 1407 C.c.Q. Il faut éviter d’enrichir la victime. Or, c’est là, à mon avis, où nous conduit le raisonnement de l’expert de l’appelante qui fait fi des autres éléments d’actif portés au bilan de Soft Informatique en date du 1er février 2008, dont l’achalandage qui est évalué à 3 899 810 $. Réduire la juste valeur marchande des actions comme le propose l’expert de l’appelante revient en effet à nier la valeur de cet achalandage et n’est pas conforme à la réalité.

[40]        Ici, l’utilisation de la formule utilisée par Kinmont pour déterminer son prix d’achat ne permet pas d’établir la valeur réduite de l’immeuble et l’accepter conduirait à un résultat non conforme à la réalité. Il est en effet manifeste que, sauf circonstances très particulières dont la preuve n’a pas été faite ici, la valeur réelle d’un immeuble n’est pas fonction uniquement des loyers payés par ses locataires. Il s’agit là d’un facteur certes important et pertinent, mais qui doit être pondéré. Un immeuble locatif inoccupé, en tout ou en partie, a, en principe, un potentiel locatif qui lui confère une valeur économique. À défaut, un immeuble locatif ne comportant aucun locataire n’aurait aucune valeur, ce qui est une proposition intenable à moins, encore une fois, d’être en présence de circonstances très particulières. Un local inoccupé dans un immeuble locatif n’aurait non plus aucune valeur, alors même que le propriétaire ou un acquéreur éventuel pourrait pourtant le louer et en tirer un revenu.

[41]        La formule consistant à appliquer un taux de capitalisation aux revenus nets générés par un immeuble, tout comme celle consistant à appliquer un simple facteur multiplicateur aux loyers qu’il génère, peuvent certes être indicatives de sa valeur mais, généralement, encore faut-il, pour qu’elles soient justes et reflètent la réalité, que les ajustements et les pondérations nécessaires soient effectuées. La détermination de la valeur réelle d’un immeuble par la technique des revenus est un exercice complexe qui requiert habituellement beaucoup plus que la simple application d’un multiple ou d’un taux de capitalisation. Cette technique requiert normalement que plusieurs variables soient prises en compte et fassent l’objet d’une pondération. À titre d’exemple, il y aura normalement lieu de déterminer si les loyers générés sont ceux du marché. S’ils y sont inférieurs, la durée des baux devra normalement être considérée et pondérée puisqu’à leur échéance les lieux pourront être reloués pour un loyer supérieur. Le taux d’occupation de l’immeuble sera aussi tenu en compte. S’il existe des espaces vacants, leur valeur locative sera considérée, ce qui implique que des hypothèses seront établies quant au délai nécessaire pour les louer et quant au loyer qui pourra en être obtenu. Bref, l’évaluation de la valeur d’un immeuble par la technique des revenus est un exercice beaucoup plus complexe que ce que le suggère l’approche adoptée par Kinmont.

[42]        Celle-ci mènerait d’ailleurs à un résultat incongru puisque l’accepter comme mesure de l’étendue de la diminution de prix à laquelle elle a droit ferait en sorte qu’elle recevrait plus que sa perte réelle, ayant reloué les lieux deux ans après le départ de Moni-Trans. Cette diminution de prix à laquelle elle aurait droit serait même supérieure à la totalité des revenus que le bail de Moni-Trans aurait générés jusqu’à son échéance.

[43]        En somme, Kinmont, n’a pas tenu compte de l’exigence, maintenant posée par le législateur, voulant que le réclamant fasse la preuve de ses dommages-intérêts réels. Compte tenu de l’approche qu’elle a adoptée, elle n’a pas offert, ni même tenté d’offrir, une preuve satisfaisante de ses dommages réels. Confronté à ce fait, le juge les a arbitrés en lui octroyant 100 000 $ représentant le moyen terme entre le résultat obtenu en multipliant par 3 et par 4 le loyer net de Moni-Trans.

[44]        Avec égards, il a commis une erreur en ce faisant puisqu’il a fait abstraction du fait qu’il appartenait à Kinmont de prouver ses dommages réels. Il a choisi de pallier l’insuffisance de la preuve qu’elle a offerte en utilisant une formule qui ne permet pas davantage de les déterminer.

[45]        Au-delà de la preuve de la méthode utilisée par Kinmont pour établir son prix d’achat, la preuve des dommages administrée par l’intimée est ici manifestement incomplète, voire inexistante. Compte tenu de l’approche qu’elle a prise, Kinmont n’a offert aucune preuve objective convaincante de la valeur diminuée de l’immeuble. Tout ce que la preuve révèle, et une grande partie de celle-ci a été administrée par Meyerco, c’est que Moni-Trans n’a finalement jamais payé son loyer, qu’un règlement est intervenu entre elle et Kinmont au terme duquel son bail fut résilié le 24 novembre 2010 et que les lieux furent reloués à la fin de l’année 2012 ou au début de l’année 2013. On n’en connaît ni la date exacte, ni les modalités. On ne sait pas si les lieux ont été loués pour un loyer équivalent, inférieur ou même supérieur à celui de Moni-Trans. On ne sait pas quels efforts ont été déployés par Kinmont pour relouer cet espace, pas plus qu’on ne connaît les coûts qu’elle a encourus pour ce faire.

[46]        Elle révèle, par ailleurs, que Kinmont a réussi à percevoir une somme d’environ 15 000 $ des clients de Moni-Trans, qu’elle a obtenu d’elle 5 000 $ dans le cadre de la réclamation qu’elle faisait valoir pour le loyer impayé et qu’elle a bénéficié, à la clôture de la transaction, lors de l’achat de l’immeuble, d’une réduction du prix d’achat de 4 666 $ équivalant au dépôt de sécurité non versé par Moni-Trans au terme du bail conclu avec Meyerco.

[47]        La Cour pourrait être tentée d’évaluer les dommages subis par Kinmont en considérant ces divers éléments révélés par la preuve, même si elle est incomplète. Elle doit toutefois tenir compte que l’approche prise par Kinmont a vraisemblablement fait en sorte que Meyerco n’a pas tenté de prouver certains éléments qui auraient peut-être démontré que les dommages subis par Kinmont sont inférieurs à ce que la preuve, incomplète par ailleurs, suggère. Kinmont a choisi de réclamer une réduction de prix et de limiter sa preuve à la méthode qu’elle a utilisée pour établir son prix d’achat. Meyerco était donc justifiée de limiter elle-même sa preuve à ce qui apparaissait pertinent à la lumière de la proposition mise de l’avant par Kinmont. Rien ne justifiait qu’elle aille plus loin que ce qu’elle a fait, compte tenu du débat tel qu’engagé par Kinmont. Il serait ainsi inapproprié, que la Cour, de sa propre initiative, modifie radicalement l’approche prise par Kinmont et quantifie les dommages en se fondant sur une preuve partielle, apportée d’ailleurs dans un but autre que celui de prouver ces dommages.

[48]        Il peut sembler paradoxal de conclure que la preuve ne permet pas d’accorder de dommages à Kinmont alors même que le dol de Meyerco et de son dirigeant, à son détriment, est confirmé. Il faut toutefois rappeler qu’il incombait à Kinmont de prouver les dommages-intérêts qu’elle eût été justifiée de réclamer, qu’il s’agisse de la valeur diminuée du bien ou d’autres formes de dommages subis. Elle ne s’est pas déchargée de son fardeau. Elle a tenu pour acquis qu’il lui suffisait de faire la preuve de la façon dont elle a déterminé son prix d’achat pour que le prix soit réduit proportionnellement de la même façon, ce que n’autorise pas l’article 1407 C.c.Q. Il s’agit d’un choix qu’elle a fait et, dans les circonstances, le tribunal ne pouvait pallier cette insuffisance par une évaluation arbitraire de la réduction de prix à accorder. Il y a donc lieu, à mon avis, d’intervenir.

[49]        Il en va toutefois autrement du rejet des demandes reconventionnelles des appelants Ouaknine et Succession. Le juge a examiné les recours institués contre ces derniers et a conclu qu’ils n’étaient pas abusifs, malgré le fait qu’il les a rejetés. Le raisonnement du juge ne comporte pas d’erreur. Il est conforme à l’état du droit.

[50]        En conséquence, je propose d’accueillir en partie et sans frais les pourvois de Meyerco et de Daniel Ouaknine, d’infirmer en partie le jugement de première instance, de rejeter l’action de Kinmont Canada Inc., sans frais compte tenu de l’existence du dol, et de rejeter la demande reconventionnelle de Daniel Ouaknine et de La Succession de Feu Henri Ouaknine, avec les frais de justice.

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 



[1]     Paul Martel, « « Le voile corporatif » - l'attitude des tribunaux face à l'article 317 du Code civil du Québec », (1998), 58 R. du B. 95.

[2]     Lanoue c. Brasserie Labatt ltée, J.E. 99-857 (C.A.); Paquette c. Laurier, 2011 QCCA 1228; Attias c. Basile, 2014 QCCA 1224.

[3]     Paquette, supra, note 2, paragr. 34.

[4]     Prévost-Masson c. Trust Général du Canada, 2001 CSC 87, [2001] 3 R.C.S. 882; Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec c. Gariépy, 2005 QCCA 60.

[5]     Soft informatique inc. c. Gestion Gérald Bluteau inc., 2014 QCCA 2330.

[6]     Bellerose c. Bouvier, [1955] B.R., p. 175 et s.

[7]     Voir notamment Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, n° 130, p. 217.

[8]     Bellerose, supra, note 6.

[9]     Soft Informatique, supra, note 5; Laplante c. Lemarbre, 2009 QCCA 1172, paragr. 9; Kingsway Financial Services Inc. c. 118997 Canada inc., J.E. 2000-225 (C.A.); Turgeon c. Germain, [2001] R.J.Q. 291, paragr. 80.

[10]    Jean Pineau et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Thémis, 2001, p. 193.

[11]    Soft Informatique, supra, note 5, paragr. 94 et 95.

[12]    Vincent Karim, Les obligations, 4e éd., vol.1, Éditions Wilson & Lafleur, 2015, p. 558.

[13]    Soft Informatique, supra, note 5.

[14]    Soft Informatique, supra, note 5, paragr. 98 et 99.

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