Pepsico Canada ULC (Frito Lay) |
2011 QCCLP 3848 |
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[1] Le 1er décembre 2010, Pepsico Canda ULC (Frito Lay) (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 27 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 6 juillet 2010 et « déclare que le coût des prestations » reliées à l’accident du travail subi par monsieur Zaher Sayah (le travailleur), le 7 novembre 2009, « doit être imputé au dossier de l’employeur ».
[3] L’employeur est représenté par procureure à l’audience tenue, le 17 mai 2011, à Montréal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande au tribunal de déclarer que le coût des prestations dues en raison de l’accident subi par le travailleur soit imputé à l’ensemble des employeurs, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) traitant de l’imputation ayant un effet injuste en raison d’un accident attribuable à un tiers.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] L’article 326 de la loi régissant la demande présentée par l’employeur se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[6] Dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail (l’affaire Ministère des Transports)[2], une formation de trois juges administratifs a eu l’occasion de faire une revue exhaustive de la jurisprudence élaborée en application de cet article et d’en rappeler les principales règles d’interprétation. Quant aux principes applicables à l’espèce, le soussigné fait sien tous les motifs exprimés dans cette décision.
[7] Ainsi, l’employeur a le fardeau de prouver :
- d’abord, qu’un accident du travail est bel et bien survenu,
- ensuite, qu’un « tiers »[3] a provoqué ou, à tout le moins contribué de façon majoritaire, à la survenance du susdit accident[4] :
[241] D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes indentifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.
[242] En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur191 pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.
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189 Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin & Dickner inc., 36997-03-9203, 30 septembre 1994, J.-G. Roy, (J6-21-05); Protection Incendie Viking ltée et Prairie, 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, révision rejetée, 15 novembre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, É. Harvey; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239 ; A. Lamothe 1991 inc. et Macameau, [1998] C.L.P. 487 ; Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., 126248 -62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix; Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, 100174-72-9804, 26 mai 2000, Marie Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre jeunesse Montréal, 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et CSST, 134249-61-0003, 29 novembre 2000, G. Morin.
190 CSST et Les Industries Davie inc., 95042-03B-9803, 18 février 1999, P. Brazeau ; Hydro-Québec et CSST, 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault.
191 Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582 ; Les coffrages CCC inc. et Terramex inc., 294890-63-0607, 19 mars 2007, M. Juteau
(Le tribunal souligne)
- et, enfin, que l’imputation a un « effet injuste », ce dernier aspect étant toujours apprécié en fonction de l’appartenance des coûts engendrés par la lésion professionnelle au domaine des risques inhérents à ses activités[5].
[8] La survenance d’un accident du travail ne fait ici aucun doute.
[9] Le travailleur a été blessé, le 7 novembre 2009, pendant qu’il accomplissait son travail de livreur en transportant des boîtes pour approvisionner un commerce client. Une automobile effectuant une manœuvre de recul dans le stationnement de l’édifice où il se rendait faire sa livraison l’a heurté au genou droit. La CSST a reconnu qu’il a subi une lésion professionnelle et a accepté sa réclamation, le tout par sa décision rendue le 9 décembre 2009, laquelle est demeurée non contestée.
[10] Il s’agit donc, en l’occurrence, d’un événement imprévu et soudain survenant au travailleur par le fait de son travail et qui a entraîné pour lui une lésion professionnelle, selon les termes utilisés à l’article 2 de la loi pour définir la notion d’accident du travail. La première condition est satisfaite.
[11] Dans sa décision de l’affaire du Ministère des Transports, la Commission des lésions professionnelles rappelle la règle de droit applicable quant à la notion de « tiers », dans les termes suivants :
[272] Le sens du mot « tiers », tout comme le rapport juridique dont il est issu, doit n’être tributaire que des seuls principes de droit inscrits dans la loi, « du contexte législatif dans lequel il est employé »200. Il ne peut ni ne doit pas varier au gré de la volonté des parties contractantes, des mesures et procédés encadrant l’exercice de la tâche ou des accommodements dont elles ont convenu, de la structure de l’entreprise, d’une définition de tâches ou encore des circonstances particulières entourant un accident du travail donné.
[273] Ne serait-ce que pour assurer la cohérence de l’interprétation jurisprudentielle, la notion de tiers doit pouvoir s’apprécier en relation avec une constante générale et stable, soit le contexte législatif d’ordre public applicable à tous, et non au gré de la volonté changeante de deux parties privées qui s’engagent l’une envers l’autre selon des modalités particulières négociées en fonction de leurs besoins respectifs au moment où elles contractent.
[274] Ainsi, le contrat d’emploi unissant l’employeur au travailleur accidenté ne constitue pas l’assise appropriée de la notion de tiers au sens de l’article 326 de la loi. Le rapport juridique pertinent qui lie l’employeur aux travailleurs oeuvrant dans son établissement est inscrit dans la loi elle-même ; il n’a pas à être emprunté au droit civil ou au droit du travail.
[275] Par conséquent, il n’est ni utile ni souhaitable de conserver, dans le libellé de la définition de tiers, une référence - vague et susceptible d’interprétations diverses - à un contrat régi par un autre domaine du droit, du genre « toute personne, physique ou morale, qui n’est pas le travailleur accidenté ou l’employeur de ce travailleur accidenté ou qui est étrangère aux rapports juridiques, à savoir le contrat de travail, liant ces derniers ». Il suffit de mentionner les personnes que le législateur a incluses dans le rapport juridique particulier qu’il a créé aux seules fins de la loi.
[276] Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.
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200 Société immobilière du Québec et Centre jeunesse de Montréal, 134526-71-003, 23 octobre 2000, C. Racine. Voir au même effet : Cie Systèmes Allied (Haulaway), 144583 -64 -0008, 15 février 2001, C. Racine, révision rejetée, 18 juin 2002, C.-A Ducharme ; Hôpital Sacré-Cœur de Montréal-QVT, 146365-72-0009, 12 janvier 2001, C. Racine.
201 Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.
(Je souligne)
[12] Dans le présent cas, le conducteur de l’automobile qui a heurté le travailleur n’en est ni l’employeur ni le collègue de travail. Il s’agit donc d’un « tiers » au sens des dispositions législatives applicables.
[13] Au moment précis où le travailleur a été heurté par l’automobile conduite par le tiers, le travailleur se déplaçait à pied dans le stationnement de l’édifice abritant le commerce du client. Le dossier ne révèle rien d’anormal ou de contraire aux règles régissant le comportement d’un piéton dans sa démarche. Force est de conclure que l’accident est très majoritairement, sinon exclusivement, attribuable au tiers conducteur.
[14] L’employeur a donc satisfait au fardeau de preuve lui incombant à cet égard.
[15] Ne reste donc plus qu’à déterminer si, en de telles circonstances, l’imputation à l’employeur du coût des prestations selon la règle générale énoncée au premier alinéa de l’article 326 de la loi a un effet injuste.
[16] Dans la décision Ministère des Transports, la Commission des lésions professionnelles explique que l’appréciation de l’effet juste ou injuste de l’imputation doit se faire en regard des risques inhérents aux activités de l’employeur :
[285] En effet, le mode de financement choisi (la cotisation) ne commande pas de répartir le coût total de toutes les prestations versées également entre tous les employeurs, ou même entre ceux regroupés au sein d’une ou de plusieurs unités. La loi prévoit expressément, au contraire, que dans la détermination de la cotisation, la CSST doit tenir « compte de l’expérience associée au risque de lésions professionnelles qu’elle assure » (article 284.1).
[286] Ainsi, la « justice » de toute imputation repose sur la prise en compte du risque assuré pour chaque employeur.
[…]
Le financement du régime mis en place par la loi s’articule autour de concepts d’assurance mutuelle, tels le risque assuré (les travailleurs étant les « assurés »), l’expérience, la classification des employeurs (« les preneurs ») et la cotisation (« la prime ») appropriée pour couvrir le risque associé aux activités qu’ils exercent.
[310] Toutes ces notions sont expressément prévues aux articles 284.1 et 304 de la loi ainsi qu’aux articles 4 et 7 du Règlement concernant la classification des employeurs, la déclaration des salaires et les taux de cotisation212 (le règlement concernant la classification) et aux articles 2 et 3 du Règlement sur les primes d’assurance pour l’année 2008213:
[311] Ainsi, en vertu des articles 284.1 et 304 précités, l’expérience (associée au risque assuré) est prise en compte dans le calcul annuel de la cotisation applicable à chaque unité de classification.
[312] Elle l’est aussi, le cas échéant, dans la détermination du taux personnalisé applicable à un employeur :
[313] Le même principe de prise en compte de l’expérience associée au risque assuré s’applique également aux employeurs soumis au régime d’ajustement rétrospectif de la cotisation annuelle (articles 314 et suivants de la loi).
[314] La règle générale d’imputation énoncée au premier alinéa de l’article 326 de la loi n’est que le reflet des dispositions précitées, lesquelles exigent qu’il soit tenu compte de l’expérience dans la détermination de la cotisation payable par chaque employeur au financement du régime.
[315] L’imputation cumulative du coût des prestations versées en raison des accidents du travail subis par les travailleurs alors qu’ils étaient à son emploi bâtit graduellement le dossier d’expérience d’un employeur.
[316] C’est en tenant compte de ce contexte particulier que la notion de justice incorporée au deuxième alinéa de l’article 326 doit être appréciée.
[…]
[320] Aussi, faut-il conclure que le recours au concept de risque inhérent (ou relié) aux activités de l’employeur pour apprécier l’effet juste ou injuste d’une imputation faite en vertu de la règle générale n’est pas seulement tout à fait approprié, mais qu’il s’impose.
[…]
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
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212 (1997) 129 G.O. II, 6847
213 c. A-3.001, r.2.02
215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; Le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332
(Je souligne)
[17] Référant particulièrement au paragraphe [322] de la décision citée à l’extrait précédent, la procureure argue que les circonstances entourant l’accident dont le travailleur a été victime n’entrent pas dans le cadre des risques inhérents aux activités de l’employeur, car il ne s’agirait pas là, selon elle, d’un « risque lié de manière étroite et nécessaire » à ces dernières. Au soutien de son argument, elle réfère le tribunal à deux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles[6].
[18] Avec respect pour l’opinion contraire, le soussigné est d’avis qu’en raison des différences de circonstances propres à chaque espèce, les conclusions atteintes dans ces deux décisions ne peuvent s’appliquer au présent cas.
[19] Dans Commission scolaire de Montréal[7], il s’agissait d’une enseignante blessée par une automobile alors qu’elle se rendait « dans un magasin afin de procéder à des achats pour sa classe ». La juge administrative appuie sa décision d’accueillir la demande de l’employeur sur deux motifs, soit le « caractère exceptionnel » d’un accident « s’apparentant à un délit de fuite » (au paragraphe 17 de la décision) et sur le fait que « les tâches habituelles de cette enseignante consistent à enseigner à ses élèves, en classe alors que le matériel nécessaire est fourni » (au paragraphe 18 de la décision).
[20] De même dans Dentelle Mimi Cie ltée[8], la décision repose sur deux motifs : l’un étant que l’accident ne relevait pas des risques inhérents aux activités de l’employeur et l’autre ayant trait au caractère exceptionnel des circonstances ayant entouré sa survenance :
[13] Dans le cas qui nous occupe, le fait de se faire frapper par une voiture n’est certainement pas un risque inhérent à la profession de chauffeur-livreur pour une compagnie de vêtements. Le fait d’aller téléphoner d’une cabine téléphonique de l’autre côté de la rue où la livraison est faite n’est pas non plus relié aux activités économiques de l’employeur. Ces activités se limitent à conduire un camion, charger et décharger des vêtements. L’accident ne comprend pas une activité inséparable et essentielle aux activités de l’employeur. Il s’agit plutôt d’un risque susceptible de se matérialiser au travail qui n’est pas compris dans la notion de risque inhérent, sans quoi le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi serait stérile.
[14] Toutefois, le tribunal considère que les circonstances entourant la survenance de l’accident sont exceptionnelles. En effet, il est inhabituel, anormal voire même exceptionnel qu’un conducteur ne regarde pas à l’intersection dans laquelle il s’engage. Un automobiliste qui s’engage dans une intersection, alors que le feu change au vert, devrait voir un piéton qui passe devant son véhicule pour terminer la traversée de la rue qu’il a commencé sur une feu vert. Cette omission du tiers, aux règles les plus élémentaires de prudence dans la conduite d’une automobile, est ici particulièrement grave et a joué un rôle déterminant dans la survenance de l’accident. L’accident causé dans de telles circonstances ne s’inscrit pas dans le cadre de l’expérience de l’employeur en regard du risque assuré.
(Je souligne)
[21] Rappelons qu’à ce stade de l’analyse, c’est le domaine des risques inhérents aux activités de l’employeur qui doit être pris en compte et non pas celui des conditions de travail habituelles du travailleur victime de l’accident, comme la Cour supérieure l’a rappelé dans son jugement de l’affaire C.S.S.T. c. C.L.P. et Fernand Breton (1975) inc.[9] :
[12] Or, le tribunal est d'avis que la Commissaire Jobidon commet une erreur déraisonnable dans l’appréciation des faits et du droit applicable au présent litige, lorsqu’elle décide que l’accident de la route, survenu le 24 mai 2005, ne faisait pas partie des risques inhérents de l’employeur par rapport au travailleur.
[13] Tout son raisonnement se rattache à l’unité de négociation dont faisait partie le travailleur et au risque exceptionnel qu’un commis puisse être exposé à un accident de la circulation dans la mesure où les tâches de ce commis sont effectuées à l’intérieur du bâtiment.
[14] Or, les faits en l’espèce n’appuient pas ce raisonnement. L’employeur est exposé quotidiennement aux risques reliés à son activité de livraison de pièces, alors qu’un commissionnaire utilise la minivan de la compagnie. Le 24 mai 2005, le commissionnaire étant en congé, l’employeur doit poursuivre son opération de livraison de pièces et affecte temporairement une autre personne, quel qu’elle soit, pour effectuer cette tâche. La commissaire n'avait pas à prendre en considération que l’employé effectuant la livraison le 24 mai 2005 soit un commis ou quelqu’un affecté à une autre unité. Ce qu’il fallait considérer, c’était simplement l’activité de livraison qui constitue une activité normale de l’employeur.
[15] Le risque auquel a été confronté l’employeur le 24 mai 2005 et l’accident subi par le travailleur constituent un risque inhérent clair auquel s’expose quotidiennement l’employeur, lorsqu’il fait effectuer des livraisons de pièces.
[22] Dans le présent cas, le travailleur a été accidenté en accomplissant une opération (le transport de boîtes dans le stationnement contigu à l’immeuble abritant le commerce où il devait les livrer) liée de manière étroite aux activités de son employeur et qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…) de celles-ci.
[23] L’employeur a choisi d’assurer lui-même la livraison à ses clients des produits qu’il manufacture ; à ces fins, il maintient à son emploi des livreurs, comme le travailleur, qui sont quotidiennement exposés, entre autres, au risque d’être heurtés par un véhicule automobile lorsqu’ils se déplacent à pied aux abords immédiats des commerces de clients en transportant les boîtes de produits qui leur sont destinés.
[24] Le tribunal est d’avis que, dans le présent cas, l’accident qui est survenu est intimement lié aux risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur.
[25] Il n’en résulte pas nécessairement que l’imputation du coût des prestations à l’employeur n’est pas injuste.
[26] Ainsi que l’a expliqué la formation de trois dans l’affaire du Ministère du Transport[10], il arrive qu’en des circonstances exceptionnelles, une imputation selon la règle générale soit injuste en dépit du fait que l’accident survenu tombe sous le coup des risques inhérents aux activités de l’employeur :
[324] Force est cependant de reconnaître, à la lumière de nombreux litiges soumis à la Commission des lésions professionnelles au fil des ans, que le critère des risques inhérents, tout approprié soit-il, ne permet pas à lui seul la résolution satisfaisante de toutes les situations.
[325] En effet, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste.
[326] De par leur caractère inusité, ces circonstances ne sont pas le reflet fidèle de l’expérience associée au risque découlant des activités de l’employeur, car elles se situent nettement en dehors de ce cadre.
[327] On peut en conclure qu’il serait dès lors « injuste » d’en imputer les conséquences financières à l’employeur, puisqu’on viendrait ainsi inclure dans son expérience le fruit d’événements qui n’ont pas de rapport avec sa réalité d’entreprise, telle que traduite notamment par la description de l’unité dans laquelle il est classé, et les risques qu’elle engendre.
[328] Incorporer les conséquences financières d’un tel accident dans l’expérience de l’employeur concerné trahirait le fondement même de sa contribution au régime, telle que le législateur l’a élaborée. Pareille imputation se faisant au détriment de l’employeur requérant, elle serait par conséquent injuste, au sens de l’article 326 de la loi.
[…]
[330] L’analyse de la jurisprudence permet de constater que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert de coûts.
[331] Ainsi, dans les cas où l’accident est dû à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées, l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur217 parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.
[332] Si le législateur n’avait pas voulu qu’il soit remédié à de telles situations, il n’aurait tout simplement pas prévu l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 326.
(Je souligne)
[27] Le cas échéant, le tribunal doit donc prendre en considération d’autres facteurs afin de conclure que l’imputation à l’employeur est juste ou non :
[333] D’autres critères, en sus de celui tenant compte du risque inhérent à l’ensemble de ses activités, sont donc nécessaires pour apprécier correctement l’effet juste ou injuste de l’imputation à l’employeur.
[334] Le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine d’un accident du travail doit s’apprécier in concreto, c’est-à-dire à la lumière du contexte particulier qui les encadre218. Ce qui, dans un secteur d’activités donné, est monnaie courante deviendra, en d’autres occasions, un véritable piège, voire un guet-apens.
[335] En effet, les mêmes circonstances ne revêtiront pas toujours le même caractère d’exception, selon le genre d’activités exercées par l’employeur, la description de l’unité de classification à laquelle il appartient, la tâche accomplie par le travailleur, les lieux du travail, la qualité, le statut et le comportement des diverses personnes (dont le tiers) impliquées dans l’accident, les conditions d’exercice de l’emploi, la structure de l’entreprise, l’encadrement du travail, l’éventuelle contravention à des règles (législatives, réglementaires ou de l’art) applicables en semblables matières, la soudaineté de l’événement, son degré de prévisibilité, etc.
[…]
[337] Chacun des facteurs mentionnés précédemment est susceptible d’avoir un impact majeur sur le taux d’incidence, l’étendue, l’importance et l’influence que les circonstances jugées inhabituelles ont eu sur l’accident dont il s’agit d’imputer le coût et surtout, sur l’appréciation que le tribunal se fera de ce qui constitue une imputation juste ou injuste.
[338] L’équité du système instauré par la loi réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre le risque assuré et la cotisation de chacun des employeurs. Avantager indûment un employeur, c’est par le fait même désavantager tous les autres. Bien sûr, l’inverse est aussi vrai.
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[341] Aucune règle de droit ne doit être appliquée aveuglément. On ne saurait faire abstraction des faits propres au cas particulier sous étude. C’est au contraire en en tenant compte que le tribunal s’acquitte de sa mission qui consiste à faire la part des choses et à disposer correctement et équitablement du litige déterminé dont il est saisi219.
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217 Plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles arrivent à cette conclusion. Voir, à titre d’exemple : STCUM et CSST, [1997] C.A.L.P. 1757 ; Commission scolaire de la Pointe-De-L'Île, [2001] C.L.P. 175 ; Centre hospitalier de St-Eustache, 145943 -64 -0009, 15 février 2001, M. Montplaisir ; Les Entreprises Éric Dostie inc. et Constructions Marco Lecours, 181190-05-0203, 5 décembre 2002, M. Allard ; S.M. Transport, [2007] QCCLP 164 ; Centre de la Réadaptation de la Gaspésie, [2007] QCCLP 5068 ; Pharmacie Ayotte & Veillette, 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément ; S.A.A.Q. - Dir. Serv. Au Personnel et CSST, 285881-62B-0604 et autres, 30 avril 2007, N. Lacroix.
218 Corps Canadien des commissionnaires, 212709-71-0307, 5 avril 2004, L. Couture ; Pharmacie Ayotte & Veillette, C.L.P. 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément.
219 Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 9 juillet 2006, J.-F. Martel ; Entreprises D.F. enr., [2007] QCCLP 5032 .
(Je souligne)
[28] Ici, le tiers a enfreint la plus élémentaire règle de prudence en matière de conduite automobile en amorçant une manœuvre de recul, depuis un stationnement où il y avait forcément des piétons et d’autres véhicules, sans d’abord s’assurer qu’il pouvait l’exécuter sans danger de collision. Clairement, le tiers n’a pas vu ce qu’il devait voir avant même de quitter sa position stationnaire. Pareille incurie est - souhaitons-le - exceptionnelle, rare et inusitée. Ici, elle a joué un rôle plus que déterminant dans la survenance de l’accident.
[29] Est-il besoin de souligner que les circonstances de l’espèce sont bien différentes de la classique collision où un ou plusieurs usagers de la route (conducteurs et/ou piétons) sont à la fois en mouvement rapide et, peut-être, distraits de multiples façons ? Un tel contexte favorise malheureusement les accidents, à tel point qu’on ne le considère désormais plus comme étant extraordinaire, mais plutôt quasi habituel. Même un piéton doit alors constamment rester sur ses gardes.
[30] La situation sous analyse ici est bien différente. Faudra-t-il maintenant craindre, lorsque l’on marche dans un stationnement, qu’un véhicule automobile circulant de reculons vienne nous frapper ?
[31] Le tribunal conclut qu’en raison des circonstances exceptionnelles susmentionnées, l’imputation à l’employeur du coût des prestations dues en raison de l’accident dont le travailleur a été victime est injuste au sens de l’article 326 de la loi.
[32] En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande.
[33] La contestation est bien fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Pepsico Canada ULC (Frito Lay), l’employeur ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 27 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Zaher Sayah, le travailleur, le 7 novembre 2009, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
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Jean-François Martel |
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Me Catherine Pronovost |
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OGILVY RENAULT |
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Procureure de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] 2008 QCCLP 1795
[3] Quant à la notion de « tiers », voir les paragraphes [245] à [278] de la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports.
[4] Idem, aux paragraphes [241] et [242].
[5] Idem, aux paragraphes [279] à [323].
[6] Commission scolaire de Montréal, 2008 QCCLP 6406 ; Dentelle Mimi Cie ltée et CSST, 2008 QCCLP 5675 .
[7] Voir à la note 6.
[8] Idem.
[9] C.S. Québec 200-17-010640-084, 14 avril 2009, j. Yves Alain (accueillant la requête pour révision judiciaire)
[10] Voir à la note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.