Décision

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Costco Wholesale Canada Ltd

Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante

2005 QCCA 788

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-014828-040

(500-17-017676-035)

 

DATE :

 12 septembre 2005

 

 

CORAM:

LES HONORABLES

LOUISE MAILHOT J.C.A.

JACQUES DELISLE J.C.A.

JOSEPH R. NUSS J.C.A.

 

 

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD

APPELANTE - requérante

c.

 

GÉRARD LAPLANTE

INTIMÉ - mis en cause

et

MARIO CHAUMONT, en sa qualité de commissaire de la Commission des relations du travail

MIS EN CAUSE - intimé

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; -Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 16 juillet 2004 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable William Fraiberg), qui a rejeté une demande de révision judiciaire d'une décision d'un commissaire de la Commission des relations du travail qui a accueilli une plainte déposée en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q. c. N-1.1).

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge Delisle, auxquels souscrit le juge Nuss :

[4]                REJETTE l'appel, avec dépens en faveur de l'intimé seulement, à l'exception de ceux reliés à ses cahiers d'autorités, déposés hors délai.

[5]                De son côté, pour d'autres motifs, la juge Mailhot aurait infirmé le jugement de première instance et accueilli la demande de révision judiciaire à la seule fin de changer le montant de 40 000 $ dans le dispositif de la décision de la Commission des relations du travail et le remplacer par 6 666,66 $.

 

 

 

 

 

LOUISE MAILHOT J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DELISLE J.C.A.

 

 

 

 

 

JOSEPH R. NUSS J.C.A.

 

Me Michel G. Carle

Ogilvy, Renault

Pour l'appelante

 

Me Bernard Moreau

Braman, Barbacki, Moreau

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

9 février 2005


 

 

MOTIFS DU JUGE DELISLE

 

 

[6]                Le mis en cause était saisi d'une plainte déposée par l'intimé en application de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] (la Loi):

Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail […].

[7]                L'article 128 de la même Loi énonce que:

Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut:

10 ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;

20 ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

30 rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.

[…]

[8]                Il n'est pas contesté que le litige relevait de la compétence du mis en cause. La position de l'appelante est que celui-ci a commis une erreur révisable dans son analyse du litige.

 

PREMIÈRE PARTIE DE LA DÉCISION DU MIS EN CAUSE : la cause juste et suffisante

[9]                Le mis en cause avait à déterminer si l'intimé avait raison de croire qu'il avait été congédié sans une cause juste et suffisante.

[10]           C'est la question que s'est posé le mis en cause. Il a écrit:

[74] L'employeur a-t-il une cause juste et suffisante de congédiement en ce qui concerne le plaignant? Pour y répondre, la Commission des relations du travail (la Commission) devra déterminer si l'employeur a prouvé l'incompétence du plaignant [le motif de congédiement évoqué par l'appelante] et, dans l'affirmative, s'il a respecté les exigences imposées dans semblable matière.

[11]           Le mis en cause a répondu comme suit au premier volet de la question:

[78] À cette question, la Commission répond par l'affirmative. Il a été prouvé que le plaignant souffrait de problèmes d'attention et de gestion de son temps, plus particulièrement des difficultés à planifier ce dernier élément. Ces lacunes l'empêchaient de tenir les rencontres structurées et d'assurer le suivi de celles-ci, ce qui lui aurait permis de faire face à ses responsabilités. Ainsi, il était toujours à la remorque des évènements.

[12]           Ayant conclu que la preuve révélait l'incompétence de l'intimé, le mis en cause s'est exprimé ainsi sur le deuxième volet de la question:

[81] La Commission détermine que l'employeur a rempli trois des cinq exigences. […]

[13]           Auparavant, le mis en cause avait énuméré cinq exigences auxquelles l'appelante devait satisfaire avant de congédier l'intimé pour incompétence:

[76] La jurisprudence a déterminé une série d'exigences auxquelles l'employeur doit se conformer avant de se départir d'un employé incompétent. Ce n'est qu'après avoir satisfait à celles-ci qu'il pourra le faire. Ces exigences, telles que définies par Jacquelin Couture, alors Commissaire au Bureau du commissaire général du travail, dans Savoie c. Garage Montplaisir inc., C.T., CM-1005-5665, 1er mai 2000, sont:

-          Le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard;

-          Ses lacunes lui ont été signalées;

-          Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;

-          Il a bénéficié d'un délai raisonnable pour s'ajuster;

-          Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.

[14]           Quelques remarques au sujet de ce dernier extrait de la décision du mis en cause:

a)     ces exigences trouvent leur origine dans une sentence arbitrale majoritaire prononcée en Colombie-Britannique[2], dont voici le passage pertinent:

[…] An employer who seeks to dismiss an employee for a non-culpable deficiency in job performance must meet certain criteria:

(a)   The employer must define the level of job performance required.

(b)   The employer must establish that the standard expected was communicated to the employee.

(c)   The employer must show it gave reasonable supervision and instruction to the employee and afforded the employee a reasonable opportunity to meet the standard.

(d)   The employer must establish an inability on the part of the employee to meet the requisite standard to an extent that renders her incapable of performing the job and that reasonable efforts were made to find alternate employment within the competence of the employee.

(e)   The employer must disclose that reasonable warnings were given to the employee that a failure to meet the standard could result in dismissal.

b)     la sentence arbitrale précisait que ces exigences devaient être respectées dans le cas d'incompétence non blâmable, et non s'il s'agissait d'incompétence coupable ou condamnable;

c)      la Cour d'appel de l'Alberta a souscrit à l'énoncé de ces exigences dans Alberta Union of Provincial Employees v. Lethbridge Community College[3]:

Where the conduct of the employee is non-culpable, cause to dismiss is considered only to exist if the test in Re Edith Cavell is satisfied. That case carefully sets out the necessary steps to be taken before an incompetent employee can be dismissed. Where the steps are complied with, an employer is entitled to dismiss for incompetence.

d)     ce dernier arrêt a été porté en appel devant la Cour suprême du Canada[4] qui, dans des motifs écrits par le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a statué, entre autres, que[5]:

Further, one must consider whether the distinction between culpable and non-culpable conduct is relevant in the particular context. The theory underlying culpable discharge, namely that the employer is engaged in a contractual relationship with the employee and is thus entitled to the "benefit of the bargain", does not in my opinion differ greatly from that underlying non-culpable discharge. A failure to meet the obligations and reasonable expectations of employment whether by virtue of culpable misconduct or deficient performance of a non-culpable character equally constitutes a disruption of the employment relationship.

[15]           L'analyse de la première partie de la décision du mis en cause permet de conclure:

-         que celui-ci a posé la bonne question; et

-         que pour y répondre il a appliqué les bons critères à son étude de la preuve.

[16]           Une lecture de celle-ci ne révèle pas que le mis en cause, dans l'appréciation qu'il en a faite, a commis une erreur susceptible d'une révision judiciaire.

 

DEUXIÈME PARTIE DE LA DÉCISION DU MIS EN CAUSE: les indemnités

[17]           Les conclusions pertinentes du dispositif de la décision du mis en cause sont les deux suivantes:

ORDONNE     à Costco Wholesale Canada Ltd. de verser à Gérard Laplante à titre d'indemnité de perte de salaire, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l'équivalent du salaire et des autres avantages dont l'a privé son congédiement, en déduisant de cette indemnité le salaire gagné ailleurs pendant cette période, le tout portant intérêt à compter de la date du dépôt de la plainte en conformité de l'article 100.12 du Code du travail;

ORDONNE     à Costco Wholesale Canada Ltd. de verser à Gérard Laplante à titre d'indemnité de perte d'emploi, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, une somme additionnelle de 40 000 $, le tout portant intérêt au taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu à compter de la signification de la présente décision;

[18]           Dans un premier temps, l'appelante s'en prend au total de 23 mois de salaire, que sous-tendent les deux conclusions précitées.

[19]           L'appelante écrit:

59. Le commissaire mis en cause accorde des indemnités totalisant plus de vingt-trois (23) mois de salaire au mis en cause, soit environ dix-sept (17) mois de salaire perdu plus une indemnité de six (6) mois pour compenser la perte d'emploi, le tout alors qu'il n'avait que six (6) ans de service continu chez la requérante.

[…]

62. L'ordonnance réparatrice prononcée par le commissaire mis en cause est globalement abusive, contraire au sens commun et manifestement déraisonnable parce qu'elle:

a)      est punitive;

b)      n'est pas rationnellement reliée à la violation à laquelle elle entend remédier et à ses conséquences;

c)      va à l'encontre des objectifs des articles 124 , 147 et 128 de la Loi sur les normes du travail;

[20]           Dans un deuxième temps, l'appelante s'attaque en particulier à l'octroi de 40 000 $ à titre d'indemnité de perte d'emploi:

73. En accordant une indemnité de perte d'emploi au mis en cause en l'absence de toute preuve que celui-ci a été diligent et qu'il a fait le nécessaire pour minimiser ses dommages, l'mis en cause a rendu une décision manifestement déraisonnable.

[21]           Il y a lieu de considérer séparément l'une et l'autre des conclusions précitées du mis en cause.

[22]           Vu la conclusion selon laquelle l'intimé avait été congédié sans cause juste et suffisante, il s'ensuivait que celui-ci avait droit aux salaire et avantages sociaux perdus entre la date de congédiement et celle de la décision ordonnant sa réintégration ou statuant sur son impossibilité, déduction faite des gains effectués ailleurs entre-temps.

[23]           L'article 128 de la Loi est clair à ce sujet:

Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut:

10 […]

20 ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

30 […]

[24]           En prononçant la première des deux conclusions en cause, le mis en cause n'a fait qu'agir à l'intérieur de sa compétence, ne commettant alors aucune erreur susceptible de révision judiciaire.

[25]           Reste à examiner si, en rendant la deuxième conclusion, le mis en cause a commis une telle erreur.

[26]           Il convient d'abord de préciser que celui-ci a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la réintégration de l'intimé auprès de l'appelante.

[27]           Les parties avaient admis, devant le mis en cause, que la réintégration n'était pas possible:

M. MARIO CHAUMONT, commissaire:

- On est d'accord à dire qu'il y a une admission qu'il serait difficilement réintégrable?

Me MICHEL G. CARLE:

- En fait, l'admission, c'est quant à nous, il n'est pas réintégrable.

M. MARIO CHAUMONT, commissaire:

- Ça va.

Me BERNARD MOREAU:

- C'est ce qu'on pense aussi. On peut pas penser que monsieur Laplante peut retourner dans le giron de l'emploi tel qu'il est défini. Si on parlait d'un transfert à un autre Costco, ça aurait été très différent. Je pense pas que ce soit dans les cartes.

[28]           Dès lors, le mis en cause avait le pouvoir d'ordonner une mesure de rechange appropriée.

[29]           Dans Immeubles Bona Ltée c. Labelle[6], le juge Paul-Arthur Gendreau a écrit[7]:

C'est l'article 128 de la Loi sur les normes du travail qui définit les remèdes à la disposition de l'arbitre lorsqu'il constate que le congédiement est «sans cause juste et suffisante». Il peut:

128. (…)

10 ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;

20 ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

30 rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.

(…)

La réparation autorisée par la Loi vise donc deux objectifs: le premier, prévu au paragraphe 2, recherche le remboursement du salaire perdu à la date de la sentence arbitrale, et le second, décrit aux paragraphes 1 et 3, est prospectif et consiste dans la réintégration de l'employé dans sa fonction ou, si cela n'est pas possible, dans l'octroi de toute autre mesure juste et raisonnable dictée par les circonstances […]. L'indemnité, s'il opte pour cette alternative, doit donc viser à compenser la perte reliée au régime contractuel, au contrat d'emploi auquel l'employeur a injustement mis fin. Habituellement, l'arbitre accordera une somme équivalant à un certain nombre de semaines ou mois de service.

[Soulignage ajouté et renvoi omis]

[30]           Le mis en cause avait, en vertu de l'article 128 de la Loi, le pouvoir de palier l'impossibilité de réintégration par une ordonnance juste et raisonnable.

[31]           Au moment de son congédiement, en avril 2002, l'intimé, dans la cinquantaine, comptait un peu plus de six ans de service auprès de l'appelante. Son salaire annuel s'élevait à 80 000 $. Le mis en cause lui a accordé une indemnité de perte d'emploi de 40 000 $, soit l'équivalent de six mois de salaire.

[32]           Est-ce manifestement déraisonnable? Non!

[33]           Le mis en cause a ainsi justifié sa conclusion:

[97] Le plaignant, dans la cinquantaine, aura de la difficulté à se trouver un emploi de la qualité qu'il avait chez Costco, sa rémunération annuelle s'élevant à 80 000 $. D'ailleurs, à la fin des audiences, le plaignant n'avait pas encore trouvé un emploi.

[98] De plus, durant les deux premières années de son nouvel emploi, il ne bénéficiera pas de la même sécurité d'emploi, faisant ainsi référence à la protection que procure l'article 124 de la Loi sur les normes du travail.

[34]           Même si la toute première affirmation du mis en cause relève de la spéculation, la preuve étant totalement muette à ce sujet, il n'en reste pas moins que les deux autres raisons évoquées par le mis en cause constituaient des assises raisonnables à son pouvoir discrétionnaire.

 

CONCLUSION

[35]           Le juge de première instance a eu raison de conclure au rejet de la requête en révision judiciaire de l'appelante.

[36]           L'appel devrait être rejeté, avec dépens en faveur de l'intimé seulement, à l'exception de ceux reliés à ses cahiers d'autorités, déposés hors délai.

 

 

 

JACQUES DELISLE J.C.A.



 

 

MOTIFS DE LA JUGE MAILHOT

 

 

 

[37]           Le pourvoi traite de la norme de contrôle applicable à l'égard d'une décision rendue par un commissaire du travail saisi d'une plainte consécutive à un congédiement administratif (art. 124 Loi sur les normes du travail[8](LNT)).

 

LES FAITS

[38]           Le 12 février 1996, Gérard Laplante est embauché comme directeur adjoint par Costco Wholesale Canada Ltd. (Costco).  Environ un an et demi après, il se voit affecté au magasin entrepôt situé au 300 de la rue Bridge, à Montréal.

[39]           De septembre 1997 à mars 1999, Gérard Laplante travaille sous la gouverne de Paul Zandra, le directeur de la succursale.  Ce dernier effectue une évaluation de Gérard Laplante, qui couvre une période de 11 mois, selon laquelle celui-ci mérite une note plutôt favorable. Cependant, il appert que Gérard Laplante éprouve de la difficulté à gérer efficacement son temps. 

[40]           En mars 1999, Mylène Fugère remplace Paul Zandra comme directrice de l'établissement. Celle-là réalise sa propre évaluation annuelle de Gérard Laplante, qui débute le 25 mars 2000 et se termine le 25 mars 2001.  Le résultat représente un échec important : on décèle plusieurs manquements au niveau organisationnel. Dans son rapport hautement critique du 30 mars 2001, la directrice donne à Gérard Laplante un délai de trois mois pour atteindre cinq objectifs précis :

-         Travailler à bâtir la confiance des employés;

-         Faire des rencontres constructives et structurées;

-         Agir de façon à supporter et «coacher» les gérants;

-         «Driver la business» en visant des buts clairs et précis;

-         Établir des plans d'action.

[41]           À la toute fin du document, sous le titre «Commentaires du supérieur», Mylène Fugère tient les propos suivants :

Gerry est dans la compagnie depuis 5 ans en février 2001. Il doit réaliser qu'avec son niveau d'expérience dans la compagnie et ailleurs cette évaluation est insatisfaisante […] Gerry est en probation pour 3 mois, il devra nous démontrer une amélioration totale de sa performance et des points mentionnés.  Nous réviserons à tous les 30 jours l'évolution des objectifs fixés. Si l'amélioration n'est pas satisfaisante, nous nous verrons dans l'obligation de mettre fin à son emploi. Nous sommes toujours disponibles pour supporter Gerry dans ce processus.

[42]           Mylène Fugère joint aussi une liste de questions au rapport d'évaluation. Ces questions sont celles qu'un directeur adjoint diligent doit poser à ses gérants en vue d'assurer le bon fonctionnement d'un magasin entrepôt.

[43]           Déçu de cette évaluation avec laquelle il est en désaccord, Gérard Laplante s'absente jusqu'au 12 avril 2001.

[44]           Durant des rencontres subséquentes de suivi d'évaluation (le 30 avril 2001 et le 1er juin 2001) avec Mylène Fugère, on reproche les mêmes manquements à Gérard Laplante.  Mylène Fugère lui demande de rencontrer ses gérants départementaux pendant au moins une heure par semaine (et de rédiger un compte rendu des rendez-vous), mais tous ces efforts s'avèrent insatisfaisants. 

[45]           Le 4 juillet 2001, Pierre Riel, un vice-président de Costco, avertit Gérard Laplante qu'il sera congédié s'il ne réussit pas à rencontrer les objectifs fixés à son égard.

[46]           Toutefois, le 16 juillet 2001, Gérard Laplante se blesse dans une activité sportive.  Il revient au travail le 26 novembre 2001.  L'échéancier de la période probatoire est alors retardé.  La date limite est repoussée au 26 mars 2002.  Le rapport écrit de Mylène Fugère précise :

Comme Gerry Laplante m'amenait dans de multiples conversations hors du sujet réel, au lieu d'être précis sur [ses] intentions à son retour de travail, j'ai demandé à Gerry Laplante ce qu'étaient ses intentions au 26 novembre.  Il m'a répondu qu'il n'acceptait rien des objectifs de sa probation.  Je lui ai demandé qu'est-ce qu'il avait l'intention de faire puisque ses objectifs étaient nécessaires à la réussite de ses responsabilités de son poste.  Il ne m'a pas répondu clairement.  Il a dit qu'il avait 3 mois de probation.  Je lui ai alors dit que la décision de toute évidence était entre ses mains et que je ne savais pas ce que je pouvais faire pour l'aider, car il refuse tout d'un bloc.  En fait, sa décision était probablement prise de quitter la compagnie.

J'ai terminé cet entretien d'une heure en lui rappelant que tous les objectifs sur sa probation devaient être améliorés et que nous le supporterions, s'il le désirait, mais que sa réussite dépendait de sa volonté d'agir.  Je lui ai demandé s'il était d'accord, il m'a dit oui.

[47]           Par la suite, on demande à Gérard Laplante de préparer un rapport écrit dans lequel il doit expliquer comment il entend réaliser les cinq buts précisés par Mylène Fugère.  Le document doit comporter un plan d'action pour chaque département dont il est responsable. Gérard Laplante ne remet alors que deux pages écrites qui sont jugées insuffisantes par Gary Swindells, un vice-président adjoint de Costco.

[48]           Le 8 avril 2002, Mylène Fugère rencontre Gérard Laplante pour la dernière fois. Elle constate qu'il n'a toujours pas satisfait aux critères qu'elle avait évoqués lors de la deuxième évaluation.

[49]           Dans une lettre datée le 11 avril 2002, Costco remercie Gérard Laplante pour ses services.  Peu de temps après, soit le 16 avril 2002, il dépose une plainte en vertu de l'article 124 de la LNT.

[50]           Le 24 septembre 2003, le commissaire Mario Chaumont accueillit la plainte, annula le congédiement, décida qu'il n'y avait pas lieu de réintégrer Gérard Laplante et accorda à ce dernier une indemnité de perte de salaire ainsi qu'une somme additionnelle de 40 000 $ (art. 128(3) C.t.).

[51]           Le 16 juillet 2004, le juge William Fraiberg de la Cour supérieure rejeta avec dépens une demande en révision judiciaire déposée par Costco. 

 

*  *  *

 

LA DÉCISION DU COMMISSAIRE

[52]           Le commissaire Chaumont rappelle la distinction entre les mesures disciplinaires et celles dites administratives.  Lorsqu'un geste non disciplinaire est posé par un employeur, la Commission des relations du travail (la Commission) est placée devant l'alternative suivante : maintenir ou annuler le congédiement si celui-ci est jugé abusif, déraisonnable ou discriminatoire. 

[53]           Pour déterminer si un congédiement est de cette nature, le commissaire cite une série d'exigences auxquelles l'employeur doit se conformer avant de se départir d'un employé incompétent, telles que définies par un commissaire du travail dans l'affaire Savoie c. Garage Montplaisir Inc.(C.t. CM-1005-5665, 1er mai 2000)[9]

[54]           Le commissaire conclut que l'employeur a prouvé l'incompétence de son employé, mais il reproche à l'employeur de ne pas avoir rempli deux des cinq  exigences : l'employeur n'a pas suffisamment tenté de soutenir l'employé, de l'aider à surmonter ses difficultés et ne lui aurait pas accordé un délai raisonnable pour s'ajuster aux demandes de l'employeur.  Le commissaire reconnaît qu'il s'agit là d'une obligation de moyen et non de résultat, mais il conclut que le climat n'était pas propice au support de l'employé dans l'atteinte des objectifs. 

[55]           Puisque les parties avaient convenu que la réintégration était impossible, le commissaire a considéré, vu l'âge du plaignant (50 ans) et la difficulté qu'il aura à se trouver un nouvel emploi, qu'il avait droit à une indemnité de 40 000 $, soit l'équivalent de six mois de son salaire annuel brut.  Cette indemnité s'ajoutait à la perte de salaire entre le congédiement du 11 avril 2002 et le 23 septembre 2003, date de la décision et à l'indemnité de deux semaines de salaire versée lors du départ de Gérard Laplante.

 

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[56]           Le juge Fraiberg affirme d'abord que la norme qui doit régir la révision judiciaire, dans le contexte d'une plainte intentée en vertu de l'article 124 LNT,est celle de l'erreur manifestement déraisonnable. 

[57]           En l'espèce, le juge est d'avis qu'il ne fut pas déraisonnable de conclure comme l'a fait le commissaire du travail que Gérard Laplante avait le droit de recevoir du support quant à l'amélioration de ses techniques de gestion. À son avis, l'incompétence soulevée par Costco diffère de celle que l'on retrouvait dans l'arrêt Syndicat des employés municipaux de Jonquière, section locale 2466 (S.C.F.P.) c. Jonquière (Ville de)[10].

[58]           En dernier lieu, le juge conclut que l'indemnité accordée par le commissaire Chaumont est en conformité avec une lignée de décisions similaires de la part de commissaires du travail.  L'article 128(2) C.t. autorisait d'accorder l'indemnité de remplacement du salaire perdu entre le congédiement et la date de la décision et l'indemnité pour la perte de l'emploi relève de la discrétion du commissaire en vertu de l'article 128(3) C.t.  Il rejette donc la demande de révision judiciaire.

[59]           L'employeur requit de notre Cour une autorisation d'appeler qui lui fut accordée pour les motifs qui suivent :

[3] Considérant que la question relative aux critères d'intervention en matière de congédiement administratif est une question importante qui n'a pas été déterminée de façon définitive par la Cour d'appel;

[4] Considérant que la question relative à l'indemnité de perte d'emploi et à la mitigation des dommages est également une question à examiner;

[5] Considérant, quant aux autres questions soulevées par la requête, que la formation déterminera s'il y a lieu de statuer sur ces questions;

 

LES ARGUMENTS DE L'APPELANTE EN APPEL

[60]           Étant d'avis que la décision rendue par le commissaire est, selon ses propres paroles, «administrative», celui-ci ne peut annuler un congédiement que si ce dernier est abusif, déraisonnable ou discriminatoire.  Or, le commissaire admet que ce n'est pas le cas.  En se prononçant sur d'autres critères issus du champ disciplinaire - dont la notion de «support» - le commissaire a excédé sa compétence.

[61]           Principalement, Costco prétend que la norme de contrôle applicable est celle de l'erreur déraisonnable simpliciter.  Les critères d'un congédiement administratif sont une question de droit «sur laquelle le commissaire n'a pas plus d'expertise que la Cour de révision».  Elle s'appuie sur l'arrêt de notre Cour dans Ville de Jonquière, dont le juge s'est écarté.  En tout état de cause, plaide Costco, les conclusions du commissaire, quant à la question de l'obligation de support, sont manifestement déraisonnables en ce qu'elles ne tiennent pas compte des efforts considérables faits par les supérieurs de l'employé.

[62]           En dernier lieu, Costco argumente que l'indemnité octroyée par le commissaire était arbitraire et sans aucun fondement factuel. Qui plus est, le montant accordé ne tient pas compte du principe selon lequel un salarié doit mitiger les dommages causés par son congédiement; le commissaire doit examiner cette question avant de fixer l'indemnité.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[63]           Les questions qui se posent sont donc :

1-     Quelle est la norme de contrôle qui doit s'appliquer en l'espèce ?

 

2-     Puis, quelles sont les conclusions à tirer quant à la décision du commissaire sur la mesure imposée et sur les indemnités accordées ?

 

L'ANALYSE

[64]           Les dispositions pertinentes sont les articles 124 , 127 et 128 LNT.

[65]           La différence entre le champ disciplinaire et non disciplinaire est bien reconnue dans notre droit.  C'est une distinction importante qui qualifiera l'intervention exercée tant par une instance administrative (tel un arbitre, un commissaire ou un tribunal spécialisé) que par une instance civile. 

[66]           Notre Cour, dans Brasserie Molson[11], notait «qu'il n'est pas toujours facile de distinguer la mesure administrative de la mesure disciplinaire».  Et le juge Chouinard d'ajouter :

[…] Cependant il va de soi qu'il appartient à l'arbitre ou plus généralement au décideur d'étudier toutes les circonstances pertinentes à l'espèce pour qualifier la mesure discutée de disciplinaire ou d'administrative.  Est-elle administrative ou non disciplinaire que l'intervention du décideur devra se limiter au contrôle de la validité de la mesure prise.  Est-elle disciplinaire que le décideur devra vérifier si la sanction n'a pas été abusive, déraisonnable ou discriminatoire. [par. 70]

[67]           En l'espèce, le commissaire Chaumont a conclu à une mesure administrative.  Il a toutefois appliqué à cette mesure diverses exigences ou divers critères d'analyse développés par la jurisprudence arbitrale comme moyens de vérifier si un congédiement est une mesure juste et suffisante en s'assurant qu'elle n'est pas une mesure abusive, déraisonnable ou discriminatoire ou qu'il ne s'agit pas d'un congédiement déguisé[12].

[68]           Quelle est donc la norme de contrôle applicable en l'espèce ?

[69]           De prime abord, rappelons qu'une certaine déférence a toujours été accordée aux instances administratives. Ceci découle de deux constats fondamentaux. Dans un premier temps, le tribunal, le commissaire ou l'arbitre qui rend la décision contestée jouit souvent d'une perspective privilégiée puisqu'il a eu la chance de scruter l'ensemble de la preuve et, le cas échéant, a pu évaluer la crédibilité des témoins.  Dans un deuxième temps, le tribunal, le commissaire ou l'arbitre peut bénéficier de connaissances approfondies, détenant généralement une expertise dans la matière et peut donc enrichir toute analyse de cette expérience ou savoir spécialisé.

[70]           Quand et comment le pouvoir de révision de la Cour supérieure peut-il alors être exercé ?  Anciennement, cette question fut scrutée sous la loupe de «l'existence de la condition préalable». Selon cette méthode, le juge en révision devait se demander si la décision rendue par le tribunal relevait véritablement de sa compétence stricto sensu.

[71]           Cependant, en 1988 la Cour suprême du Canada formula une nouvelle approche axée sur une appréciation multidimensionnelle. Dans l'arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault[13], le juge Beetz dut se pencher sur les articles 45 et 46 du Code du travail et faire un examen du degré de retenue approprié.  Dans sa discussion, le juge Beetz favorisa une analyse pragmatique et fonctionnelle :

L'analyse formaliste de la doctrine de la condition préalable cède le pas à une analyse pragmatique et fonctionnelle, associée jusqu'ici à la notion d'erreur manifestement déraisonnable. À première vue, il peut paraître que l'analyse fonctionnelle appliquée jusqu'ici aux cas d'erreur manifestement déraisonnable ne convienne pas aux cas où l'on allègue une erreur au sujet d'une disposition législative qui circonscrit la compétence d'un tribunal… Il n'en reste pas moins que la première étape de l'analyse nécessaire à la notion de l'erreur "manifestement déraisonnable" consiste à déterminer la compétence du tribunal administratif. À cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal[14].

(mes soulignements)

[72]           En 1994 et 1995, la Cour suprême a de nouveau élaboré son raisonnement sur la norme de contrôle dans l'arrêt Pezim c. B.C. (Superintendent of Brokers)[15]et dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Conseil canadien des relations du Travail[16].  Reprenant les motifs du juge Beetz, le juge Iacobucci expliqua comment le degré de retenue pouvait varier selon les circonstances :

Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. À une extrémité de la gamme, où la norme du caractère raisonnable de la décision appelle le plus haut degré de retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n'existe aucun droit d'appel prévu par la loi.

[…] même lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel, le concept de la spécialisation des fonctions exige des cours de justice qu'elles fassent preuve de retenue envers l'opinion du tribunal spécialisé sur des questions qui relèvent directement de son champ d'expertise.

[…] À mon avis, l'analyse pragmatique ou fonctionnelle formulée dans l'arrêt Bibeault est également utile à la détermination de la norme de contrôle applicable en l'espèce[17]

(mes soulignements)

[73]           L'arrêt Pezim donne donc naissance à un nouvel élément conceptuel.  De l'affaire Bibeault, il ressortait qu'en révision judiciaire la Cour supérieure n'avait que deux  choix : soit d'intervenir en vertu de la norme dite «manifestement déraisonnable» ou celle de la «décision correcte». Mais le juge Iacobucci remplace cette perspective bifurquée avec la notion (plus malléable) d'un spectre progressif.  Entre ces deux pôles, il existe «une gamme de normes» qui peuvent être appliquées une fois l'analyse pragmatique et fonctionnelle complétée.  Dans le cas de la Commission des valeurs mobilières, par exemple, son niveau de spécialisation favorisait un haut degré de retenue même en l'absence d'une clause privative étanche.  Une norme mitoyenne était donc alors préférable.

[74]           Mais quelle est la nature de cette troisième voie ? La Cour suprême apporta d'autres précisions dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc[18].  Cette affaire concernait une importante entreprise de médias qui avait acquis plusieurs journaux communautaires.  Selon le Tribunal de la concurrence, les agissements de Southam allaient à l'encontre des exigences d'un marché libre, ouvert et concurrentiel.  En révision, la Cour fédérale d'appel arriva à la conclusion qu'elle ne devait pas faire montre de retenue envers la décision du Tribunal.  Dans ses motifs, le juge Iacobucci, au nom de la Cour suprême, invoqua l'arrêt Pezim et la norme intermédiaire qu'il favorisa dans cette affaire :

Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve[19].

(mes soulignements)

[75]           Plus loin, le juge Iacobucci fit l'analogie suivante :

La norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche également de la norme que notre Cour a déclaré applicable pour le contrôle des conclusions de fait des juges de première instance…

[76]           Une autre étape dans l'évolution de la norme de contrôle est incarnée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.)[20].  Dans sa discussion, le juge Bastarache trace le parcours jurisprudentiel de la norme de contrôle et il effectue une synthèse des principes de retenue récemment élaborés par la Cour suprême, regroupant ceux-ci sous quatre titres principaux[21] :

1.         La Clause privative

[30] L'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante. Toutefois, la présence d'une telle clause «intégrale» atteste persuasivement que la cour doit faire montre de retenue à l'égard de la décision du tribunal administratif, sauf si d'autres facteurs suggèrent fortement le contraire en ce qui a trait à la décision en cause. La clause privative intégrale est «celle qui déclare que les décisions du tribunal administratif sont définitives et péremptoires…»

2.         L'expertise

[33]…[U]ne décision qui comporte jusqu'à un certain point l'exercice d'une expertise hautement spécialisée milite en faveur d'un degré élevé de retenue, et donc de la norme du caractère manifestement déraisonnable à l'une des extrémités de la gamme.

3.         L'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause

[36]…[C]ertains problèmes exigent la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l'adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de justice feront preuve de retenue. Le principe de polycentricité est utile lorsqu'il s'agit de saisir la diversité des critères élaborés sous la rubrique de l' «objet de la loi».

4.         Nature du problème : question de droit ou de fait

[37]…[E]n cas d'ambiguïté des autres facteurs, les cours de justice doivent faire preuve de moins de retenue à l'égard des décisions qui portent sur de pures questions de droit. Le fondement de cette assertion est lié à la question de l'expertise relative mentionnée précédemment. Il n'y a pas de démarcation nette entre les questions de droit et les questions de fait et, de toute façon, nombre de décisions ont trait à des questions mixtes de droit et de fait.

[38] […] Gardant à l'esprit que tous les facteurs analysés ici doivent être pris ensemble pour que l'on obtienne une image de la norme de contrôle appropriée, la généralité de la proposition tranchée sera un facteur militant en faveur de l'imposition de la norme de la décision correcte.

[77]           En 2004, dans Voice Construction Ltd[22], la Cour suprême revient sur la norme de contrôle applicable relativement à une décision d'un arbitre.  Après une revue de la jurisprudence depuis Pushpanathan[23], elle résume le tout ainsi :

17. Trois normes de contrôle sont admises - la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable et la décision correcte : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 , par. 30; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 , par. 55; Ryan, précité, par. 24.

18. Dans l'arrêt Dr Q, précité, notre Cour a confirmé que, dans la détermination de la norme de contrôle applicable à la décision d'un tribunal administratif, l'intention du législateur est la considération centrale (étant entendu que le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires - assurer le respect de la primauté du droit - continue de primer).  Si le législateur n'exige que peu ou pas de déférence envers la décision du tribunal administratif, il faut alors que celui-ci ait rendu une décision correcte.  S'il exige une grande déférence, la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique.  Aucun facteur ne détermine à lui seul l'application de cette norme.  Lorsque la décision émane d'un tribunal spécialisé habilité par une loi solidement ancrée dans des politiques d'intérêt général et que la nature de la question relève clairement de l'expérience relative du tribunal, lequel bénéficie de la protection d'une clause privative absolue, il s'agit là de circonstances commandant l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable.  En raison de sa nature même, cette norme est rarement appliquée.  Il est difficile de définir l'expression «décision manifestement déraisonnable», mais on peut affirmer qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde.  Entre la décision correcte et la décision manifestement déraisonnable, là où le législateur demande une certaine déférence envers la décision du tribunal, la norme appropriée est celle de la décision raisonnable.  Dans chaque cas, la détermination de la norme de contrôle applicable exige la prise en compte de tous les facteurs pertinents : voir Pushpanathan, précité, par. 27.

19. Ce n'est qu'une fois qu'a été déterminée la norme de contrôle applicable que la décision du tribunal administratif peut être contrôlée.  Il est important de reconnaître que la même norme de contrôle ne s'appliquera pas nécessairement aux diverses décisions rendues par l'arbitre au cours de l'arbitrage : voir S.C.F.P., section locale 79, précité, par. 14.                               (mes soulignements)

[78]           Notons que les juges LeBel et Deschamps, minoritaires, déclarèrent que la distinction entre les normes «manifestement déraisonnable» et «raisonnable simpliciter» n'était guère évidente et qu'une nouvelle approche conceptuelle serait préférable :

40. […] Il est temps à mon avis pour notre Cour de réexaminer la pertinence de recourir et à la norme du manifestement déraisonnable et à celle de la décision raisonnable simpliciter.

Peu adéquate, la norme du manifestement déraisonnable ne semble guère capable de donner des orientations valables aux tribunaux et s'avère difficile à distinguer en pratique de la norme du raisonnable simpliciter, difficulté qui persiste malgré les nombreuses formulations qui en ont été données.  Avec égards pour l'opinion contraire, l'ajout d'une nouvelle définition de cette norme ne rendrait pas son application plus facile, ni sa validité conceptuelle plus évidente.

*  *  *

[79]           En l'espèce, examinons maintenant les facteurs pertinents selon la méthode pragmatique et fonctionnelle.

 

- La clause privative

[80]           La LNT protège les décisions du commissaire de la Commission des relations du travail par une clause privative bien ferme (art. 127)[24] et déclare ces décisions sans appel (art. 130).  Sauf en matière de compétence, les tribunaux de révision doivent donc faire preuve de grande retenue.

 

- L'expertise du commissaire sur la question en litige et l'objet de la loi

[81]           Il est manifeste que la Commission exerce une compétence spécialisée à l'intérieur du champ plus ou moins restreint des relations de travail et que le législateur a voulu confier au tribunal spécialisé les litiges consécutifs aux congédiements disciplinaires ou en contravention directe des dispositions de la LNT ce qui devrait là aussi inspirer aux tribunaux de révision une grande retenue, sauf en matière de compétence toujours.

[82]           L'objectif de la Loi (une loi solidement ancrée dans des politiques d'intérêt général) est de fournir au travailleur un recours de révision, et de réparation s'il y a lieu, en matière de congédiement.  Le recours en l'espèce s'intitule : Recours à l'encontre d'un congédiement fait sans une cause juste et suffisante (art. 124).  Or, il existe deux types de congédiement : le congédiement disciplinaire et le congédiement administratif.

[83]           Le législateur a accordé de larges pouvoirs à la Commission «elle juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante» (art. 100.2).  Elle peut :

1-     Ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;

2-     Ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

3-     Rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire.

 

Là encore, cela milite en faveur de la grande retenue des tribunaux de révision.

 

- La nature du problème

[84]           Il est admis qu'il s'agit en l'espèce du congédiement administratif d'un cadre intermédiaire et donc qu'en principe, le congédiement de Gérard Laplante n'est pas fait sans cause juste et suffisante.  Le commissaire a écrit :

L'employeur a-t-il prouvé l'incompétence du plaignant?

[78] À cette question, la Commission répond par l'affirmative.  Il a été prouvé que le plaignant souffrait de problèmes d'attention et de gestion de son temps, plus particulièrement des difficultés à planifier ce dernier élément.  Ces lacunes l'empêchaient de tenir les rencontres structurées et d'assurer le suivi de celles-ci, ce qui lui aurait permis de faire face à ses responsabilités.  Ainsi, il était toujours à la remorque des évènements.

[79] De plus, malgré son affirmation à l'effet contraire, nous concluons que le plaignant ignore comment tenir une rencontre structurée ainsi que d'élaborer un plan d'action pour atteindre des objectifs.  À titre d'exemple, le plan soumis le 2 février 2002, concernant la boulangerie ne peut être qualifié de plan d'action, pour les motifs mentionnés par Garry Swindells.

[85]           La démarcation entre les mesures disciplinaires et administratives s'explique facilement.  Dans le domaine disciplinaire, l'employeur tente de sanctionner le comportement fautif du salarié.  Dans un tel contexte, le danger de gestes excessifs, inappropriés ou abusifs peut se concrétiser.  Bref, l'arbitre ou le commissaire doivent être en mesure de prévenir des congédiements arbitraires ou des formes de punition qui ne sont pas justifiées.  La mesure administrative, au contraire, vise parfois plutôt un comportement complètement involontaire qui ne saurait être corrigé, souvent dû à une incapacité d'effectuer une prestation de travail.  Un employeur doit être en mesure de recevoir une prestation adéquate en contrepartie du salaire qu'il s'oblige à verser.  Il doit aussi avoir les moyens de gérer son entreprise de façon efficace, concurrentielle et équitable envers les autres employés[25] :

L'employeur doit être investi de tous les pouvoirs nécessaires afin de bien gérer son entreprise et d'en protéger les intérêts, sous réserve des limites qu'impose la loi.  Il est logique qu'en pratique il en soit ainsi en l'espèce.  Ce pouvoir discrétionnaire fait partie de la liberté de manœuvre dont dispose l'employeur dans la gestion de son entreprise.

[86]           La compétence de la Commission vis-à-vis les mesures administratives fut bien exprimée par la commissaire Andrée St-Georges dans l'affaire Legris c. Société de transport de la Ville de Laval[26], précisant qu'en présence d'un congédiement dit administratif la commissaire se limite à rejeter ou accueillir une plainte:

Avant même de tenter une réponse à cette question, il nous appartient, au premier chef, de bien qualifier la mesure entreprise puisque telle qualification sert à délimiter notre champ de compétence.

Comme on le sait, l'article 100.12 f) du Code du travail - auquel réfère l'article 127 de la Loi sur les normes du travail - permet à un commissaire du travail, saisi d'une plainte selon l'article 124 de la même loi, de substituer à la décision de l'employeur, le cas échéant, toute autre «décision qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire».  Tel pouvoir n'est toutefois prévu qu'«en matière disciplinaire».

Ceci signifie qu'en présence d'un congédiement dit administratif, la marge de manœuvre du décideur se limite à rejeter ou accueillir une plainte selon que la mesure contestée est jugée ou non abusive, déraisonnable ou bien discriminatoire.  Un point c'est tout.

Pour distinguer les deux formes de congédiement, les auteurs nous proposent le texte suivant :

…Cette distinction repose essentiellement sur l'intention, l'attitude du plaignant.  Ainsi, le congédiement non disciplinaire résultera d'une cause indépendante de la volonté du salarié, telle l'incapacité physique ou l'incompétence au sens strict.  Par ailleurs, le congédiement disciplinaire résultera d'une faute intentionnelle de la part du salarié…

La logique veut en effet qu'en matière disciplinaire, on parle d'une situation qu'il est possible de corriger par le biais de l'adoption de diverses mesures, telle la suspension, alors qu'en matière administrative, aucune autre solution de rechange ne devrait pouvoir remédier au problème.  Un individu est incapable ou incompétent ou bien il ne l'est pas.  Reste à savoir si l'employeur a failli dans son évaluation.

[87]           Or, la question de décider si le congédiement est fait sans cause juste et suffisante est ancrée dans les faits de l'espèce et relève de la spécialisation du tribunal.  Une retenue importante est certainement préférable.  Le commissaire a conclu de la preuve que le cadre n'avait pas la compétence requise et qu'en principe, il ne s'agissait pas d'un congédiement sans cause juste et suffisante (voir paragraphes 78 et 79 de la décision reproduits plus haut).

[88]           Cependant, le commissaire pousse plus loin son analyse et décide qu'une mesure administrative est sujette à un test provenant du domaine disciplinaire.  Il énonce une nouvelle règle de droit qui n'est pas prévue dans une convention collective, puisqu'il n'y en a pas, et qui n'a pas été déterminée par l'employeur ni connue de lui avant le congédiement.  Il assujettit la décision administrative à des exigences nouvelles.  Est-ce là une décision protégée intégralement?  En dépassant les faits de l'affaire et en décrétant une nouvelle règle de droit (même si elle a déjà été imposée dans d'autres affaires par un ou d'autres commissaires avant lui)[27], le commissaire bénéficie moins, à mon avis, de la protection offerte par la loi habilitante qui ne lui accorde que le pouvoir de décider si le congédiement est fait sans cause juste et suffisante et non pas celui de décréter des règles de gestion d'entreprise.  Il est reconnu que le rôle de l'arbitre ou d'un commissaire dans le champ administratif le confine plutôt à l'examen de l'équité de la décision de l'employeur[28].

[89]           C'est ce que notre Cour a énoncé dans l'affaire Syndicat des employés municipaux de Jonquière (S.C.F.P.) section locale 2466 c. Ville de Jonquière[29] :

2. Le rôle de l'arbitre saisi d'un congédiement administratif

En ce qui concerne les mesures administratives, le rôle de l'arbitre se limite à contrôler la rigueur du processus suivi.  À moins qu'il ne s'agisse d'une décision disciplinaire camouflée sous un motif administratif, l'arbitre ne peut que maintenir ou annuler la décision de l'employeur après avoir vérifié si elle n'est pas arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable.  Afin de déterminer si le congédiement pour incompétence est administratif, l'arbitre étudiera les faits.

[…]

Une fois la mesure qualifiée d'administrative, le rôle de l'arbitre consistera à discuter la décision de l'employeur sans y substituer une nouvelle conclusion.  Dans l'arrêt Syndicat des travailleurs de l'Hôpital Notre-Dame c. Hôpital Notre-Dame, la Cour d'appel a infirmé la décision d'un arbitre qui, dans le cadre d'une mesure administrative, avait substitué sa décision à celle de l'employeur.  Il fut jugé qu'il s'agissait d'un excès de juridiction.

[90]           Puis, la Cour s'est posée la question suivante, à laquelle elle répondit par l'affirmative :

3. L'arbitre qui dispose d'un congédiement administratif en le situant dans un cadre disciplinaire excède-t-il sa compétence ?

[…]

Comme le juge, je suis d'avis que l'arbitre a appliqué à une mesure administrative des normes propres au champ disciplinaire (progressivité de la sanction, théorie de l'incident culminant, proportionnalité de la sanction en rapport avec la faute).  Ce faisant, il a outrepassé ses pouvoirs, et cette erreur de nature juridictionnelle donne ouverture à révision judiciaire.

De plus, même si j'en étais venu à la conclusion que l'erreur de l'arbitre n'était pas de nature juridictionnelle, j'aurais tout de même conclu que la révision était justifiée.  Comme je l'ai mentionné plus haut, l'arbitre a des pouvoirs restreints lorsqu'il révise une décision de nature administrative.  Son rôle se limite à évaluer le processus ayant précédé la sanction administrative et la rigueur avec laquelle l'employeur s'est livré à l'évaluation des compétences de l'employé.

[91]           Il est vrai, comme le souligne d'ailleurs le juge de première instance, que l'affaire Jonquière a été décidée dans le contexte d'une convention collective qui, en l'espèce, n'existe pas.

[92]           À mon avis, cet aspect de la décision du commissaire tombe sous le prisme d'évaluation de la raisonnabilité (simpliciter) de la décision.  En effet, quand le commissaire impose des règles de gestion ou un processus de gestion pour effectuer un congédiement, il sort de son expertise spécialisée et entre dans le domaine réservé à la gérance et ainsi ne bénéficie plus d'une expertise protégée par un degré élevé de retenue.

[93]           Reste à déterminer si, comme le plaide l'appelante, le commissaire avait épuisé sa compétence lorsqu'il a conclu au bien-fondé des motifs du congédiement et si le commissaire manquait à la règle de raisonnabilité en imposant à l'employeur une série d'exigences empruntées au domaine disciplinaire.

[94]           Rappelons ce que le commissaire écrit :

[75] Contrairement à un congédiement disciplinaire, le congédiement administratif limite la Commission à deux verdicts possibles : maintenir ou annuler le congédiement, dépendamment que la mesure soit jugée ou non abusive, déraisonnable ou discriminatoire.

[76] La jurisprudence a déterminé une série d'exigences auxquelles l'employeur doit se conformer avant de se départir d'un employé incompétent.  Ce n'est qu'après avoir satisfait à celles-ci qu'il pourra le faire.  Ces exigences, telles que définies par Jacquelin Couture, alors Commissaire au Bureau du commissaire général du travail, dans Savoie c. Garage Montplaisir inc. C.T., CM-1005-5665, 1er mai 2000, sont :

-          Le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard;

-          Ses lacunes lui ont été signalées;

-          Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;

-          Il a bénéficié d'un délai raisonnable pour s'ajuster;

-          Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.

[95]           En somme, est-ce que l'employeur a failli dans son évaluation «qu'aucune autre solution de rechange n'était possible» ou acceptable dans les circonstances ?

[96]           À mon avis, les exigences telles que définies par le commissaire Jacquelin Couture, et que le commissaire Chaumont a appliquées, ne sont pas des exigences que l'on peut qualifier de non raisonnables ou d'exagérées dans les circonstances.  Le fondement du pouvoir du commissaire de pousser son analyse ainsi se trouve au paragraphe g) de l'article 100.12 du C.t.

[97]           Il est intéressant de constater, d'ailleurs, que la Cour suprême dans l'arrêt Cabiakman a établi des conditions pour une suspension dite administrative dans un contexte où il y avait un contrat d'emploi sans convention collective mentionnant les intérêts légitimes de l'entreprise et la bonne foi et le devoir pour l'employeur d'agir équitablement[30].

[98]           L'application des exigences ci-haut énumérées que le commissaire fait au cas d'espèce est probablement à la limite du raisonnable, comme il le reconnaît lui-même dans l'extrait qui suit :

[89] Quoi qu'il en soit, il appartenait à l'employeur d'apporter le support nécessaire pour que le plaignant se corrige et atteigne les objectifs, non pas avec une obligation de résultat, mais de moyen, ce en quoi il a échoué.

[90] Certains pourraient voir dans notre conclusion l'expression d'une sévérité disproportionnée à l'endroit de l'employeur.  À cela, nous rétorquons que le congédiement et surtout celui pour incompétence engendre parfois de graves répercussions sur bien des aspects de la vie du congédié.  À cet effet, nous aimerions rappeler les propos du juge Iacobucci [concernant] dans la décision Wallace c. United Grain Growers Ltd [1997] 3 R.C.S. 701 qui concernait l'importance du travail dans notre société et par ricochet sur l'individu : […] [sic]

[99]           Mais le commissaire tient compte, dans son raisonnement appliqué, de divers facteurs pertinents : le fait qu'il s'agit d'un cadre intermédiaire, l'existence d'un document de référence quant aux types de formation chez l'appelante et les suggestions de certains témoins de l'entreprise.  Cette application des principes est raisonnable en l'espèce.

[100]       Je conclus donc que, dans les circonstances, il n'y avait pas lieu à révision judiciaire sur cet aspect.  Reste la question des mesures accordées.

[101]       Le commissaire a accordé l'équivalent du salaire perdu (17 mois) ainsi qu'une indemnité de six mois de salaire pour compenser la perte d'emploi en plus de l'indemnité de départ (deux semaines) versée par l'employeur lors du congédiement.

[102]       Le tout équivaut à près de deux ans d'indemnité  (23 ½ mois) alors que l'employé, un cadre intermédiaire dans la cinquantaine, n'avait que six ans de service continu (incluant les quatre mois d'absence pour blessure).

[103]       Le commissaire motive peu sa décision à ce sujet.  Tout en citant les critères d'une autre affaire, il n'en fait application au cas devant lui qu'en retenant seulement deux éléments : l'âge et la difficulté présumée de se trouver un emploi :

[95] Les parties admettent que la réintégration est impossible.  Le plaignant réclame une indemnité égale à douze mois de salaire en compensation de sa non-réintégration.

[96] Nous sommes d'accord avec les parties que la réintégration est impossible.  En pareilles circonstances, le versement d'une indemnité est envisageable pour compenser la perte d'un emploi.  Indemnité qu'il ne faut pas confondre avec un délai-congé.  Le commissaire Jacques Vignola, alors au Bureau du commissaire général du travail, dans Paul Brisson et Pascal Brisson c. 9027-4580 Québec inc., le 14 octobre 1998, fait une revue de la jurisprudence, et en vient à déterminer les critères permettant d'évaluer l'indemnité appropriée :

Comme, dans notre cas, il s'agit d'estimer la valeur de la perte de l'emploi comme tel par le plaignant, les critères à utiliser devraient essentiellement se rapporter à la disponibilité, sur le marché, d'un emploi semblable, et la possibilité pour l'employé d'en dénicher un, le cas échéant.

Aussi, il apparaît pertinent de ternir compte essentiellement de la nature de l'emploi, ses caractéristiques, la disponibilité sur le marché d'emplois semblables, sans oublier le caractère plus ou moins précaire qui, aussi, en affecte la valeur.

La situation du plaignant apparaît tout aussi pertinente : son âge, son expérience, sa polyvalence, la possibilité de retrouver un tel emploi et à quelles conditions.

Par contre, les circonstances du congédiement, la recherche ou le refus d'emploi semblables ou différents ne contribuent que peu à évaluer la perte subie, c'est-à-dire l'emploi lui-même.  Soulignons cependant qu'il sera difficile de convaincre de la rareté d'emplois similaires si le plaignant en a déjà trouvé un, rapidement ou pas.

Évidemment, les gains faits après le 5 décembre 1997 ne seront pas déduits de ces montants puisqu'il s'agit de compenser la perte des emplois auxquels ont droit les requérants et non d'un délai-congé destiné à leur permettre de retrouver un emploi rémunérateur.

[97] Le plaignant, dans la cinquantaine, aura de la difficulté à se trouver un emploi de la qualité qu'il avait chez Costco, sa rémunération annuelle s'élevant à 80 000 $.  D'ailleurs, à la fin des audiences, le plaignant n'avait pas encore trouvé un emploi.

[98] De plus, durant les deux premières années de son nouvel emploi, il ne bénéficiera pas de la même sécurité d'emploi, faisant ainsi référence à la protection que procure l'article 24 de la Loi sur les normes du travail.

[104]       Dans l'affaire Bergeron c. Collège de Shawinigan[31], notre Cour traite du large pouvoir discrétionnaire du commissaire du travail pour l'établissement des indemnités en vertu de l'article 128 LNT.  Ainsi le commissaire peut condamner l'employeur à payer le salaire perdu depuis le congédiement et peut aussi ajouter à cela une indemnité pour compenser la perte d'emploi.  Mais cela ne doit pas constituer des indemnités automatiques.  Le commissaire doit, à mon avis, tenir en compte l'ampleur de la compensation qu'il accorde pour la première indemnité, laquelle est tributaire des délais inhérents au système d'adjudication et que le commissaire peut aussi pondérer, si les circonstances menant à l'adjudication le justifient.

[105]       C'est aussi à ce moment qu'entre en jeu le principe bien reconnu[32] de l'obligation de mitiger les dommages.  Le commissaire doit alors examiner la preuve administrée devant lui à ce propos.

[106]       Le commissaire a conclu que l'intimé était incompétent et qu'il y avait absence de malice dans le congédiement.  Or, aucune preuve n'a été présentée quant aux efforts de l'intimé pour se trouver un emploi, ce qui aurait pu étayer ou non l'opinion du commissaire quant aux chances de l'intimé de se trouver un emploi rémunérateur.  À cinquante ans, le travail rémunérateur n'est pas encore impossible.  Quant au motif apparaissant au paragraphe [98] de la décision, il ne me paraît pas être un critère d'appréciation, car l'indemnité vise en soi la perte d'emploi et l'on ne doit pas monnayer l'existence d'un recours prévu par la loi.  L'article 24 est certes un recours utile, mais peut-on le qualifier de sécurité d'emploi ?

[107]       À mon avis, l'indemnité de près de deux ans accordée est manifestement déraisonnable et hors norme.  L'indemnité m'apparaît arbitraire, injustifiée et déraisonnable dans les circonstances de l'espèce parce que punitive.  Le congédiement était justifié en soi.  La raison qui justifie le commissaire d'intervenir est consécutive au fait qu'il impose à l'appelante des exigences nouvelles avant de pouvoir mettre fin définitivement à l'emploi de l'intimé.

[108]       Or, dans ce contexte, il est nécessaire de déterminer le montant de l'indemnité[33] comme la Cour l'a fait dans Immeuble Bona Ltée c. Labelle, 1995 R.D.J. 397 (C.A.).  Il m'apparaît que l'indemnité raisonnable aurait dû dans les circonstances être limitée au salaire perdu (soit 17 mois) et à un mois supplémentaire pour tenir compte du fait qu'il n'y a pas possibilité de réintégration. 

[109]       En l'espèce, il n'était pas nécessaire de pondérer les 17 mois qui se sont écoulés entre le congédiement et l'adjudication puisqu'il n'a pas été démontré que le délai était fautif ou attribuable à quelque conduite reprochable des parties.

[110]       Pour ces motifs, je suis d'avis d'intervenir pour infirmer le jugement de première instance et accueillir la demande de révision judiciaire à la seule fin de changer le montant de 40 000 $ dans le dispositif de la décision de la Commission et le remplacer par 6 666,66 $.

 

 

 

 

LOUISE MAILHOT J.C.A.

 



[1]    L.R.Q., c. N-1.1.

[2]    Re Edith Cavell Private Hospital and Hospital Employees'Union, Local 180, (1982), 6 L.A.C. (3d) 229 (C.-B.).

[3]    2002 ABCA 125.

[4]    Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727 .

[5]    Id. 751.

[6]    [1995] R.D.J. 397 .

[7]    Id., p. 400.

[8] L.R.Q. c. N-1.1.

[9] Requête en révision judiciaire rejetée le 18 octobre 2001 par la Cour supérieure (405-05-001181-007 - juge J. Verrier).

[10] [1998] R.J.D.T. 5 [Ville de Jonquière].

[11] [1998] A.Q. numéro 1038, 500-09-000211-938.

[12] Farber c. Cie Trust Royal, [1997] 1 R.C.S. 846 .

[13] [1988] 2 R.C.S. 1048 [Bibeault].

[14] Ibid p. 1088.

[15] [1994] 2 R.C.S. 557 [Pezim].

[16] [1995] 1 R.C.S. 157 , 178.

[17] Pezim, p. 590 à 592.

[18] [1997] 1 R.C.S. 748 [Southam].

[19] Ibid para. 56.

[20] [1998] 1 R.C.S. 982 .

[21] Paragraphes 29 à 38.

[22] Voice Construction Ltd c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609 .

[23] [1998] 1 R.C.S. 982 ; Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100 , 2001 CSC 36 ; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 , 2003 CSC 19 ; Barreau du Nouveau-Brunswick c.  Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 , 2003 CSC 20 ; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77 , 2003 CSC 63 .

[24] Article 127 : Les dispositions du Code du travail (chapitre C-27) relatives à la Commission des relations du travail, à ses commissaires, à leurs décisions, celles relatives à l'exercice de leur compétence de même que l'article 100.12 de ce Code s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à l'exception des articles 15 à 19.

[25] Cabiakman c. Industrielle-Alliance, [2004] 3 R.C.S. 195 , 216.

[26] [1996] C.T. 120 , p. 135-136.

[27] Le commissaire s'est inspiré d'une décision arbitrale majoritaire rendue en Colombie-Britannique en 1982 pour imposer cette nouvelle règle : Edith Cavell Private Hospital and Hospital Employees'Union, Local 180, (1982), 6 L.A.C. (3d) 229 (C.-B.).

[28] Claude D'aoust et Gilles Trudeau : «La distinction entre les mesures disciplinaire et non disciplinaire (ou administrative en jurisprudence québécoise». (1981) 41 R. du B. 514-564; Rodrigue Blouin : «Le contrôle juridictionnel arbitral sur la cessation d'emploi motivée par insuffisance professionnelle». (1985) 45 R. du B. 3-31.

[29] [1998] R.J.D.T. 5 (C.A.).

[30] Cabiakman c. Industrielle-Alliance, [2004] 3 R.C.S. 195 , p. 217, paragraphe 62.

[31] REJB 1999-14287 (C.A.).

[32] Standard Radio Inc. c. Doudeau [1994] R.J.Q. 1782 (C.A.).

[33] De la Capitale Dodge Chrysler (Québec) ltée c. Bureau du commissaire général du travail, D.T.E. 2000T-1048 (C.A.).

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