Décision

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Motel Boulevard Cartier inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail

2012 QCCLP 777

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

3 février 2012

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

405488-01A-1003-R

 

Dossier CSST :

82358244

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Motel Boulevard Cartier inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 mai 2011, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête par laquelle elle demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu'elle a rendue le 29 mars 2011.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme une décision de la CSST rendue le 2 février 2010 à la suite d'une révision administrative et déclare ce qui suit :

DÉCLARE recevable la demande de révision de l’employeur du 11 novembre 2009 à l’encontre de la décision du 28 juillet 2009 portant sur la nouvelle détermination de sa classification;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne pouvait procéder à une nouvelle détermination de la classification de l’employeur pour les années 2007, 2008 et 2009;

 

DÉCLARE que l’employeur doit être classé, pour l’année 2010, dans les unités de classification 68010 pour les activités liées à l’exploitation de son restaurant et 68030 pour celles liées à l’exploitation de son établissement hôtelier.

 

 

[3]           La représentante de la CSST, monsieur Charles Pomerleau, directeur général de Motel Boulevard Cartier inc. (l'employeur) et le représentant de l'employeur étaient présents à l'audience que la Commission des lésions professionnelles a tenue à Rivière-du-Loup le 15 novembre 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La requête de la CSST concerne uniquement la partie de la décision rendue le 29 mars 2011, par laquelle la Commission des lésions professionnelles déclare que l’employeur doit être classé pour l’année 2010 dans les unités 68010 pour les activités liées à l’exploitation de son restaurant et 68030 pour celles liées à l’exploitation de son établissement hôtelier.

[5]           Elle prétend que cette décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. Elle demande en conséquence de réviser en partie la décision rendue le 29 mars 2011 et de déclarer que l’employeur doit être classé pour l’année 2010 dans l’unité 68030.

LES FAITS

[6]           Aux fins de la présente décision, il convient de rappeler les éléments suivants du dossier.

[7]           L’employeur exploite depuis plusieurs années une franchise des Rôtisseries St-Hubert et un établissement hôtelier, les deux commerces étant situés à la même adresse civique à Rivière-du-Loup.

[8]           Jusqu’en 2006, l’employeur est classé dans des unités de classification distinctes pour ses activités liées à l’exploitation de son restaurant (unité 68010) et pour celles reliées à l’exploitation de son établissement hôtelier (unité 68030).

[9]           Pour l’année 2007, le Règlement concernant la classification des employeurs, la déclaration des salaires et les taux de cotisation[1] (le règlement) est modifié pour ajouter la règle suivante à la description de l’unité 68030 (établissement hôtelier) :

L’employeur qui effectue sur un même site, à la fois une activité visée par l'unité 68010 et une activité visée par la présente unité est classé dans la présente unité pour l’ensemble de ses activités.

 

 

[10]        En raison de la décision du juge administratif voulant que la CSST ne pouvait pas procéder à une nouvelle détermination de la classification pour les années 2007, 2008 et 2009, l’employeur demeure classé pour ces trois années dans les deux unités 68010 et 68030.

[11]        Pour l’année 2010, la CSST classe l’employeur dans une seule unité, soit l’unité 68030, et ce, en application de la règle ajoutée en 2007 à la description de cette unité. L'employeur conteste cette décision qui est maintenue par la CSST à la suite d'une révision administrative, d’où l’appel à la Commission des lésions professionnelle.

[12]        Lors de l’audience initiale, monsieur Charles Pomerleau a fourni les précisions suivantes sur les deux commerces exploités par l’employeur :

-     le restaurant et l’établissement hôtelier, en l’occurrence un motel, sont situés dans le même bâtiment;

 

-     le restaurant est aménagé en trois sections, soit une salle à manger qui peut recevoir 212 personnes, un bar (« resto-bar le St-Hub ») qui peut recevoir 64 personnes et une salle de groupes pouvant accueillir 50 personnes;

 

-     le bâtiment abrite 26 unités de motel; vingt-deux sont disposées dans le prolongement de la façade du restaurant, dont douze ont un accès intérieur au restaurant par un couloir; les quatre autres sont situées à l’arrière de la partie du bâtiment utilisée comme restaurant et n’y ont aucun accès intérieur;

 

-     deux portes séparent l’espace occupé par les unités de motel accessibles par l’intérieur du restaurant et elles sont fermées et toujours verrouillées après les heures d’ouverture du restaurant;

 

-     la porte extérieure pour accéder au restaurant est située sous une enseigne de la bannière St-Hubert;

 

-     une autre porte extérieure située sous le logo Motel Boulevard Cartier donne sur un hall d’où on peut accéder à l’un ou l’autre des endroits suivants : au couloir menant aux douze unités de motel accessibles par l’intérieur (en ouvrant une porte intérieure à la gauche de la porte d’entrée extérieure) ou au comptoir des mets pour emporter du restaurant et à la réception du motel (en ouvrant une porte à la droite de la porte d’entrée);

 

-     au comptoir des mets pour emporter, il y a deux emplacements pour ce service et un dédié à la réception du motel;

 

-     les travailleurs affectés aux activités du motel, à savoir un homme de maintenance et une ou des femmes de ménage (selon l’achalandage) travaillent exclusivement pour l’exploitation du motel;

 

-     les autres travailleurs de l’employeur - cuisiniers, serveurs ou barmans - ne participent qu’aux activités reliées à l’exploitation du restaurant, si ce n’est que les serveurs au comptoir de mets pour emporter peuvent prendre les réservations de clients du motel;

 

-     il n’y a aucune alternance de poste entre les employés affectés aux activités du motel et ceux affectés aux activités du restaurant;

 

-     depuis mars 2010, mais seulement depuis ce temps, l’employeur a un service de livraison rattaché à ses activités de restaurant;

 

-     les données que la CSST avait en main au moment d’effectuer la vérification du partage des masses salariales étaient exactes; ainsi, pour 2009, la masse salariale prévue déclarée en lien avec les activités d’exploitation du restaurant se chiffrait à 1 481 328 $ et celle en lien avec les activités de l’établissement hôtelier à 67 576 $.

 

 

[13]        Dans la décision rendue le 29 mars 2011, le juge administratif cite les articles 4, 5 et 7 du règlement, lesquels se lisent comme suit :

4. La Commission classe chaque employeur dans une unité selon la nature de l’ensemble des activités qu’il exerce.

 

5. Si les activités exercées par un employeur n’apparaissent pas dans les unités de classification de l’annexe 1, celui-ci est classé dans l’unité qui correspond le mieux à ces activités.

 

7. Lorsque des activités de natures diverses sont exercées par un employeur, la Commission classe l’employeur dans plus d’une unité si les conditions suivantes sont réunies :

 

1° il existe plus d’une unité pour ces activités;

 

2° il n’existe aucune unité qui regroupe l’ensemble de ces activités;

 

3° sous réserve de la règle particulière prévue à l’annexe 1, au moins un travailleur, autre qu’un travailleur auxiliaire, affecté à une activité de l’employeur visée par une unité n’est pas exposé, de façon importante et simultanée, aux risques de lésions professionnelles d’une autre activité de cet employeur.

 

Pour l'application du premier alinéa, ne constituent pas des activités de natures diverses, les activités de soutien à une activité visée par une unité.

Si l'employeur ne respecte pas la condition prévue au paragraphe 3 du premier alinéa, la Commission le classe dans l'unité pour laquelle le taux de cotisation est le plus élevé parmi celles qui correspondent aux activités qu'il exerce.

 

 

[14]        Le juge administratif considère que l’article 7 du règlement ne doit pas être interprété de manière restrictive et il réfère à ce sujet à la décision Mack Ste-Foy[2] dont il cite l’extrait suivant :

[24]    [...] ce n’est pas parce que le législateur a choisi, par voie réglementaire, de réduire le nombre d’unités qu’il faille interpréter restrictivement l’article 7 du Règlement sur la classification qui permet d’accorder plus d’une unité à un employeur. Au contraire, l’intention du législateur est de cibler le mieux possible les activités exercées par un employeur afin que sa cotisation soit établie en fonction des risques réels qu’il représente. En ce sens, l’article 7 du Règlement sur la classification n’est pas un article d’exception. Il s’agit plutôt d’un outil introduit pour assurer une meilleure flexibilité au niveau de la classification en autant que les conditions d’ouverture soient respectées.

 

 

[15]        Après avoir rappelé la description des unités 68010 et 68030, le juge administratif retient que l’employeur effectue ses activités de restauration et d’hôtellerie sur des sites distincts et qu’en vertu de l’article 7 du règlement, il a droit d’être classé dans ces deux unités.

[16]        Il motive la conclusion à laquelle il en vient par les considérations suivantes :

·         Les activités de l’employeur sont-elles effectuées sur un même site ou sur deux sites différents?

 

[55]      La position de la CSST sous cet aspect repose sur l’interprétation donnée par le tribunal au terme « site » dans l’affaire Resto-Bujo inc.9. Voici certains extraits de cette décision, dans laquelle les faits sont sensiblement les mêmes que ceux mis en preuve en l’espèce :

 

[19]        Dans le présent dossier, l’employeur exploite un motel justifiant l’unité 68030 et un restaurant dont l’unité est 68010. Puisqu’il exploite les deux, la règle particulière trouve application. Il reste à déterminer si ces deux activités s’exercent sur le même site.

 

[20]        Bien que le motel et le restaurant soient séparés d’une distance de 150 pieds, la Commission des lésions professionnelles estime qu’ils sont sur le même site.

 

[21]        Pour en venir à cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles a pris en considération le fait que l’employeur a toujours déclaré n’opérer qu’un seul établissement. Or la définition d’établissement prévue à la loi réfère notamment à l’ensemble des installations et de l’équipement groupés sur un même site.

 

[22]        Les dictionnaires Le Petit Larousse4 et Le Petit Robert6 définissent le terme site ainsi :

 

Site :   Lieu géographique considéré du point de vue d’une ou de plusieurs activités : site industriel. (Larousse)

 

Configuration d’un lieu (en regard de sa destination). (Petit Robert)

 

[23]         De ces définitions, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur peut exploiter plus d’une activité sur le même site sans constituer par le fait même des sites distincts.

 

[24]         De plus, la Commission des lésions professionnelles trouve essentielle la distinction faite par le législateur à la règle particulière prévue à l’unité 68010 lorsqu’il réfère spécifiquement à la notion de même bâtiment pour le cumul d’activités et non à la notion de même site. Selon les règles d’interprétation des lois, la Commission des lésions professionnelles estime que cette nuance permet d’apprécier la notion de même site comme pouvant être deux lieux distincts ou deux bâtiments distincts, comme en l’instance.

 

[…]

 

[26]         Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles constate que l’employeur opère son entreprise, tant le motel que le restaurant, à la même adresse civique.

__________

4               Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2006, 1855 p.

5               Le nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, éd. mise à jour et augm., Dictionnaires Le Robert, 2002, 2949 p.

 

 

[56]      Lors de l’argumentation, la représentante de la CSST signale que cette décision est la seule ayant interprété la notion de site dont il est question dans la description de l’unité 68030. Elle plaide donc que cette interprétation devrait être suivie.

 

[57]      Pour sa part, le représentant de l’employeur soutient que le tribunal devrait appliquer, par analogie, l’interprétation que la jurisprudence donne depuis quelques années à la notion de « site de production » dont il est question aux articles 4 et 5 de l’annexe 1 du règlement sur la classification. Afin de suivre son raisonnement, il y a lieu de rappeler que ces articles visent principalement le cas des employeurs qui effectuent à la fois des activités de fabrication et de vente (« de commerce ») d’un bien. Voici ce que prévoit l’article 4 de cette annexe : « L’employeur classé dans une unité qui vise la fabrication d’un bien ne peut être classé dans une unité qui vise le commerce de ce bien sauf s’il exploite au moins un magasin situé ailleurs que sur le site de production du bien qu’il fabrique ».

 

[58]      Au soutien de son argumentation, le représentant de l’employeur invoque la décision rendue dans l’affaire Équipements Lourds Papineau inc.10, laquelle est régulièrement citée et appliquée dans les litiges se rapportant à l’interprétation de la notion de site de production.

 

[59]      La juge administrative Marie Langlois, qui rend la décision, conclut que l’employeur a un site de production distinct de son magasin même si ses activités de fabrication et de vente d’équipements pour véhicules lourds sont situées dans le même bâtiment, et ce, compte tenu de la séparation physique existant entre les deux exploitations et de l’étanchéité des fonctions des travailleurs affectés à chacune des activités. Voici certains extraits de cette décision :

[15]        […] il y a lieu de déterminer le sens à donner aux termes « magasin » et « site de production » énoncés aux articles 4 et 5 […]. D’abord, soulignons que le législateur n’a pas défini ces termes. […]

[…]

[17]        Ainsi, dans la mesure où la loi ne définit pas les termes « magasin » et «site de production», on peut présumer que le législateur n'a pas voulu leur donner une signification différente de leur sens usuel et courant. Ce principe est énoncé par l’honorable Pigeon est dans son ouvrage sur la rédaction et l’interprétation des lois6 […].

 

[18]        Il y a donc lieu de s’en tenir au sens usuel et commun des mots utilisés. Citons quelques définitions qui apparaissent aux dictionnaires :

 

[…]

 

Site :      Lieu géographique considéré du point de vue d’une ou plusieurs activités : site industriel. […]

 

               Configuration d'un lieu (en regard de sa destination) […]

 

[…]

 

[19]        Ces définitions doivent évidemment être lues en regard du contexte de la loi et du système de financement qui y est prévu, à savoir un système qui épouse le principe de la classification octroyée et de la cotisation réclamée correspondant au risque réel généré par les activités exercées.

[…]

[26]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’entité de vente constitue un magasin situé à l’extérieur du site de production, au sens des articles 4 et 5 des règles particulières de l’annexe 1 du règlement.

 

[27]        D’abord, en regard du terme « magasin » le tribunal estime que l’employeur tient un magasin au sens des définitions des dictionnaires ci-haut mentionnées. […]

 

[28]        Ce magasin est-il situé ailleurs que sur son site de production? Le tribunal répond encore là par l’affirmative. En effet, il ressort des définitions courantes que le site de production est l’endroit où se font les activités de production, l’emplacement où elles sont localisées. En l’espèce, il s’agit d’un local complètement distinct du site de vente au comptoir. La preuve a démontré qu’un mur séparait les deux entités, que la porte d’accès n’est pas la même et qu’au surplus, les adresses civiques sont distinctes. En outre, et c’est là un élément fondamental, les employés oeuvrant au secteur de la production ne sont pas les mêmes que ceux affectés à la vente. Il y a étanchéité des fonctions de sorte que les travailleurs du secteur de la vente au comptoir ne sont pas exposés aux risques de lésions professionnelles existant dans l'usine de fabrication.

__________

6       Louis-Philippe PIGEON, Rédaction et interprétation des lois, 3e éd., Québec, Publications du Québec, 1986, 156 p.

 

[60]      Le représentant de l’employeur souligne que le tribunal a appliqué les principes de cette affaire dans des situations où, comme en l’espèce, l’employeur exploitait deux activités à la même adresse. Sur ce, il invoque les décisions suivantes :

 

- l’affaire Trionex inc.11 dont voici certains extraits :

 

[23]        […] l’employeur s’adonne principalement à […] la fabrication de vérins et de réparations d’équipements hydrauliques et la vente d’équipements hydrauliques.

 

[24]        L’usine de fabrication et de réparation et le magasin sont situés dans la même bâtisse. Chacun possède sa propre porte d’entrée, mais un seul numéro civique. Les locaux sont séparés par un mur avec une porte pour permettre au directeur général et aux deux conseillers techniques d’accéder occasionnellement à l’usine : le premier pour des questions de gestion des ressources humaines et les deux autres pour donner des informations techniques sur l’assemblage de composantes d’équipements hydrauliques ou des informations sur l’état de certaines pièces.

[…]

[27]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que les employés affectés à la vente au détail et à la gestion générale ne sont pas exposés aux risques des lésions professionnelles existant dans l’usine de fabrication.

 

[28]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le local où s’exercent les activités de vente au détail et de gestion générale est suffisamment isolé du local de l’usine de fabrication et de réparation pour être considéré comme n’étant pas situé sur le site de production.

 

- l’affaire Canada Billard & Bowling12, dont voici certains extraits :

 

[17]        L’employeur fabrique, répare et vend des tables de billard et les accessoires nécessaires à leur utilisation. Il vend également d’autres jeux […]. L’employeur exploite l’ensemble de ses activités dans une bâtisse située au 4050, boul. Industriel à Laval.

 

[18]        L’employeur exerce son commerce dans une même bâtisse mais les activités sont tenues dans des locaux différents […] isolés les uns des autres.

[…]

[29]        La Commission des lésions professionnelles est satisfaite que l’employeur fabrique dans un local des produits qu’il vend dans un autre local en plus de plusieurs autres produits qui ne sont pas de sa fabrication.

 

[30]        L’employeur a des employés différents et distincts qui travaillent chacun séparément dans les deux locaux.

 

[31]        La Commission des lésions professionnelles comprend que la CSST recherche la simplification des classifications des employeurs et vise à éviter le plus possible des multiplications d’unités de classification. Mais la loi et la réglementation permettent à un employeur d’avoir plus qu’une unité de classification. La Commission des lésions professionnelles estime que c’est le cas ici.

 

[61]      Le soussigné estime que le raisonnement suivi dans les décisions invoquées par le représentant de l’employeur pour interpréter la notion de « site de production » peut être appliqué en l’espèce pour interpréter la notion de « site ».

 

[62]      Ainsi, avec respect pour l’opinion contraire, le soussigné considère qu’un employeur qui effectue des activités différentes peut prétendre effectuer ces activités sur des sites distincts, s’il démontre qu’il y a séparation physique des lieux et étanchéité suffisante des fonctions pour que les travailleurs affectés à une activité ne soient pas exposés aux risques de lésions professionnelles de l’autre activité.

 

[63]      En l’espèce, tenant compte des particularités énoncées aux paragraphes 52 et 53, le tribunal considère que l’employeur a fait cette démonstration.

 

[64]      Par ailleurs, la preuve laisse voir que l’employeur respecte les conditions de l’article 7 du règlement sur la classification, car :

1o         il existe plus d’une unité pour les activités qu’il exerce;

 

2o         il n’en existe aucune qui regroupe l’ensemble de ces activités;

 

3o         les travailleurs affectés à une activité ne sont pas exposés, de façon importante et simultanée, aux risques de lésions professionnelles de l’autre activité.

 

[65]      Somme toute, le tribunal conclut que l’employeur doit être classé, pour l’année 2010, dans les unités de classification 68010 et 68030.

__________

9     C.L.P. 333283-01C-0711, 11 août 2008, Y. Vigneault.

10     C.L.P. 269747-07-0508, 31 janvier 2006, M. Langlois.

11        C.L.P. 277977-08-0512, 28 juin 2006, P. Prégent.

12     C.L.P. 304742-61-0612, 3 septembre 2008, M. Duranceau.

 

 

[17]        Au soutien de la requête en révision, la représentante de la CSST soumet les arguments suivants :

18.       La CLP confond la notion de « site » avec celle de « site de production » prévue à l’article 4 des règles particulières de classification de l’annexe I du Règlement, communément appelée la règle fabricant-commerçant. Cette règle est libellée comme suit :

 

« L’employeur classé dans une unité qui vise la fabrication d’un bien ne peut être classé dans une unité qui vise le commerce de ce bien ou d’un bien qu’il ne fabrique pas sauf s’il exploite au moins un magasin situé ailleurs que sur le site de production du bien qu’il fabrique. » (Nos soulignements)

 

19.       Cette règle amène la CLP à importer dans le présent dossier les critères de séparation physique des lieux et d’étanchéité suffisante des fonctions des travailleurs développés par la jurisprudence de ce tribunal en regard de l’interprétation de la règle fabricant-commerçant ce qui constitue une erreur de droit flagrante;

 

20.       L’interprétation trop restrictive de la CLP de la notion de « site » stérilise à toute fin pratique l’application de la règle particulière prévue à l’unité 68030;

 

21.       En effet, par définition, un site est un lieu géographique. Ainsi, si cette règle ne peut s’appliquer dans le présent dossier où l’employeur exploite un restaurant et un motel dans le même bâtiment, elle ne trouvera jamais application;

 

22.       Au surplus, en statuant que l’employeur a droit à une classification distincte pour ses activités parce que les travailleurs affectés à la restauration ne sont pas exposés aux risques des lésions professionnelles du motel, la CLP réfère erronément au critère énoncé au paragraphe 3 de l’article 7 du Règlement;

 

23.       Elle contrevient ainsi à l’article 3 du Règlement qui prévoit que les règles particulières, telle celle prévue à l’unité 68030, ont préséances sur les autres règles de classification;

 

24.       Ce faisant, la CLP nie la volonté du législateur qui a édicté à l’unité 69030 une règle particulière afin d’écarter expressément le critère de l’exposition des travailleurs aux risques des différentes activités. [sic]

[18]        L'article 3 du règlement auquel réfère la représentante de la CSST se lit comme suit :

3. Les règles de classification des employeurs prévues dans le présent chapitre s'appliquent sous réserve des règles particulières prévues à l'annexe I.

 

 

[19]        Lors de l’audience, la représentante de la CSST reprend ces arguments et soumet de plus que le juge administratif n’explique pas les raisons qui l’amènent à écarter l’interprétation donnée au mot « site » dans la décision Resto-Bujo inc. et à retenir celle de la notion de « site de production » développée dans la décision Équipements Lourds Papineau inc.[3].

[20]        Le représentant de l’employeur rappelle pour sa part que ce dernier n’exploite pas un motel qui offre accessoirement des services de restauration, mais plutôt un motel et un complexe de restauration situé à côté du motel et qu’il s’agit de deux entités distinctes qui peuvent exister l’une sans l’autre.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]        La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser en partie la décision rendue le 29 mars 2011 en ce qui a trait à la conclusion voulant que l’employeur doive être classé pour l’année 2010 dans les unités 68010 et 68030.

[22]        Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi), lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[23]       Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.

[24]       La CSST fonde sa requête sur le troisième motif, soit celui qui autorise la Commission des lésions professionnelles à réviser ou révoquer une décision qui comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.

[25]        La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[5]. Elle précise par ailleurs qu’il ne peut s'agir d'une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[6].

[26]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[7], la Cour d'appel rappelle ces règles comme suit :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[27]        La Cour d'appel réitère cette position dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[8] lorsqu’elle écrit, sous la plume du juge Morissette :

On voit donc que la gravité, l'évidence et le caractère déterminant d'une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d'en faire un «vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]      En ce qui concerne la raison d'être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s'agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d'être décrites. Il ne saurait s'agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première (51). Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le Tribunal administratif « commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decision merely because it disagrees with is findings of fact, its interprétation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions (52). L'interprétation  d'un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d'une solution unique (53) » mais, comme « il appart[ient] d'abord aux premiers décideurs spécialisés d'interpréter (54) » un texte, c'est leur interprétation qui, toutes choses égales d'ailleurs, doit prévaloir. Saisi d'une demande de révision pour cause de vice de fond, le Tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d'autres termes, il importe qu'il s'abstienne d'intervenir s'il ne peut d'abord établir l'existence d'une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)(55). Enfin, le recours en révision « ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits » : il s'en distingue notamment parce que seule l'erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu'une partie ne peut « ajouter de nouveaux arguments x au stade de la révision. (56).

_______________

(51)           Voir l'arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l'arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.

(52)           Ibid., paragr. 51.

(53)           Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.

(54)           Ibid., paragr. 26.

(55)           Supra, note 10, paragr. 24.

(56)           Ibid., paragr. 22.

 

 

[28]        Ces décisions de la Cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision, comme elle l'indique dans l’extrait suivant de la décision Savoie et Camille Dubois (fermé)[9] :

[17]      La soussignée estime qu’effectivement le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que «la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider une décision», elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif «grave» n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.

 

[18]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

 

 

[29]        Cela signifie qu’à moins qu'elle ne soit fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste et déterminante, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion pour la raison qu'il n'apprécie pas la preuve ou qu'il n'interprète pas la règle de droit applicable de la même manière que le premier juge administratif.

[30]        Dans cette perspective, le tribunal estime que les arguments plaidés par la représentante de la CSST ne justifient pas la révision de la décision rendue le 29 mars 2011.

[31]        Le juge administratif avait le pouvoir d'interpréter le mot « site » contenu à la règle ajoutée à la description de l'unité de classification 68030. Il n'était pas lié par l'interprétation donnée dans la décision Resto-Bujo inc. et, contrairement à ce que prétend la représentante de la CSST, il n'avait pas l'obligation d'expliquer les raisons qui l'amenaient à ne pas suivre cette décision, et ce, d'autant plus qu'il s'agissait de la seule décision rendue sur la question.

[32]        À la suggestion du représentant de l'employeur, le juge administratif a recouru au concept d'étanchéité développé par la jurisprudence dans l'interprétation des notions de « site de production » et « magasin » prévues à la règle fabricant-commerçant.

[33]        Même si le recours à cette jurisprudence peut surprendre puisqu'il ne s'agit pas de la même problématique que celle soulevée par l'utilisation du mot « site » dans la description de l'unité 68030, le tribunal estime qu'il ne s'agit pas pour autant d'une erreur manifeste. En effet, cette démarche s'inscrit dans l'exercice du pouvoir d'interprétation qu'avait le juge administratif et, de toute façon, sans référer à cette jurisprudence, il aurait pu tenir compte de l'étanchéité d'activités économiques dans son interprétation du mot « site ».

[34]        Ainsi, l'argument de la représentante de la CSST voulant qu'il commette une erreur manifeste en n'indiquant pas les raisons qui l'amènent à recourir à cette jurisprudence n'est pas fondé.

[35]        Ne peut non plus être retenu celui voulant que la conclusion à laquelle en vient le juge administratif contrevient à l'article 3 du règlement. Selon cette disposition, l'article 7 du règlement qui prévoit la classification d'un employeur dans plus d'une unité ne s'applique pas compte tenu de la règle particulière prévue à l'unité 68030.

[36]        Cet argument ne vaudrait que dans la mesure où cette règle particulière serait applicable. Or, le juge administratif en est venu à la conclusion contraire en raison de l'interprétation qu'il a donnée au mot « site ».

[37]        Enfin, l'argument voulant que l'interprétation que le juge administratif donne au mot « site » « stérilise à toute fin pratique l'application de la règle particulière prévue à l'unité 68030 » n'autorise pas davantage la révision de la décision.

[38]        S'il est vrai qu'une décision est susceptible de révision lorsque l'interprétation donnée à une règle de droit a pour effet de rendre son application impossible et ce, au motif que cela équivaut au refus d'appliquer la règle, le tribunal estime ce n'est pas le cas dans la présente affaire.

[39]        L'interprétation restrictive retenue par le juge administratif limite certainement l'application de la règle particulière prévue à l'unité 68030, mais cela ne conduit pas nécessairement à rendre cette règle inapplicable.

[40]        D'abord, aucune démonstration concrète de ce résultat appréhendé par la CSST n'a été faite pour supporter cet argument. Le juge administratif fonde sa conclusion notamment sur le fait que, bien que situés dans le même bâtiment, le motel et le restaurant occupent des parties bien distinctes du bâtiment, ce qui n'est peut-être pas une situation qui se rencontre dans tous les cas.

[41]        Par ailleurs, il s'agit seulement d'une deuxième décision sur l'interprétation du mot « site » prévue à cette règle particulière et on ne peut présumer que c'est l'interprétation qui sera retenue de manière générale par la jurisprudence.

[42]        Après considération des arguments soumis par les représentants des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que la CSST n'a pas démontré que la décision rendue le 29 mars 2011 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider et en conséquence, que sa requête doit être rejetée.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

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Claude-André Ducharme

 

 

 

 

Me Gilles Moreau

Moreau Avocats inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Pamela Gagnon

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           Règlement modifiant le Règlement concernant la classification des employeurs, la déclaration des salaires et les taux de cotisation, applicable à l’année 2007 (incluant les annexes), (2006) 138 G.O. II, 4492)

[2]           C.L.P.185043-31-0205, 6 mai 2003, M.-A. Jobidon.

[3]           C.L.P. 269747-07-0508, 31 janvier 2006, M. Langlois

[4]           L.R.Q. c. A-3.001

[5]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[6]           Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.

[7]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[8]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[9]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau.

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