Labbé et Fix Auto Ste-Foy |
2014 QCCLP 6883 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 juin 2014, Fix Auto Ste-Foy (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette dernière le 5 mai 2014.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête déposée le 5 août 2013 par monsieur Étienne Labbé (dans le dossier 518404-03B-1308) et modifie la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative le 8 juillet 2013. En conséquence, elle déclare que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 est consolidée en date du 23 janvier 2013, que la CSST doit cesser de payer les soins et les traitements après cette date puisqu’ils ne sont plus justifiés, qu’il conserve une atteinte permanente de 2,2 %, qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel, qu’il conserve des limitations fonctionnelles pour une période d’au moins un an à compter de la décision, qu’il devra être réévalué par la suite et que ces limitations fonctionnelles vont à l’encontre de certaines tâches de peintre, d’où son droit « de recevoir des indemnités de remplacement de revenu après le 23 janvier 2013, tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas capable d’exercer à temps plein son emploi régulier ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d’exercer à temps plein un emploi convenable ».
[3] De plus, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de monsieur Labbé en date du 24 novembre 2013 (dans le dossier 527788-03B-1311) et confirme la décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative le 30 octobre 2013. En conséquence, elle déclare que monsieur Labbé « ne présente pas de lésion professionnelle le 18 juillet 2013 à titre de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion vécue initialement le 11 juin 2012 ».
[4] Le 23 septembre 2014, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Lévis à laquelle monsieur Labbé est présent et est représenté par madame Anita Vachon. L'employeur est représenté par Me Isabelle Montpetit.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L'employeur demande de réviser la décision rendue le 5 mai 2014 par la Commission des lésions professionnelles au motif qu'elle comporte des vices de fond qui sont de nature à l'invalider.
[6] L'employeur demande donc au tribunal siégeant en révision de réviser la décision du 5 mai 2014 et de rendre la décision qui aurait dû être rendue.
[7] La requête en révision de l'employeur ne vise pas la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans le dossier 527788-03B-1311. Cet aspect de la décision du premier juge administratif ne fait donc pas l'objet de l'analyse qui suit, la requête en révision étant rejetée d'entrée de jeu dans ce dossier.
L'AVIS DES MEMBRES
[8] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d'accueillir la requête en révision de l'employeur, de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 mai 2014 et de déclarer que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 et diagnostiquée comme étirement du trapèze gauche est consolidée le 23 janvier 2013 avec suffisance des traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, que ce dernier n'a plus droit au remboursement du coût de ses traitements après cette date, qu’il n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel, qu’il est redevenu capable d'exercer son emploi prélésionnel et qu’il n'a plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu.
[9] La décision du 5 mai 2014 comporte des vices de fond de nature à l'invalider tant en ce qui a trait aux conclusions relatives à l'atteinte permanente qu'à celles statuant sur les limitations fonctionnelles. Le premier juge administratif n'a pas tenu compte de la preuve médicale puisque ses conclusions s'appuient uniquement sur les allégations de monsieur Labbé et vont à l'encontre des constats faits par la professionnelle de la santé désignée par l'employeur et par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[10] Le présent tribunal doit déterminer s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 5 mai 2014 par la Commission des lésions professionnelles.
[11] L'article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) stipule qu'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[12] Le législateur a toutefois prévu qu'une décision de la Commission des lésions professionnelles peut faire l'objet d’un recours en révision ou en révocation en présence de motifs précis, lesquels sont énumérés à l'article 429.56 de la loi. Cet article se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[13] Dans la requête qu’elle adresse au tribunal à l'encontre de la décision du 5 mai 2014, la procureure de l'employeur indique que la demande de révision est déposée en vertu du troisième paragraphe du premier alinéa de l'article 429.56 de la loi.
[14] Le troisième paragraphe du premier alinéa de l'article 429.56 de la loi fait référence à un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.
[15] Les termes « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » sont interprétés par la Commission des lésions professionnelles[2] comme une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l'objet de la contestation.
[16] Dans l'affaire Franchellini et Sousa[3], la Commission des lésions professionnelles rappelle que l'article 429.56 de la loi a une portée restreinte dans la mesure où le législateur a prévu, en son article 429.49, le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles, assurant ainsi la stabilité et la sécurité juridique de ses décisions.
[17] C'est la raison pour laquelle la Commission des lésions professionnelles a maintes fois réitéré que la requête en révision ou en révocation ne constitue pas un moyen d'appel déguisé de la première décision[4].
[18] Les tribunaux supérieurs se sont aussi prononcés en ce sens.
[19] Dans l'affaire Tribunal administratif du Québec c. Godin[5], la Cour d'appel rappelle que « le recours en révision ne doit pas être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments » et que la « simple divergence d'opinion quant à la façon d'interpréter une disposition législative ne constitue pas […] un "vice de fond" » [sic].
[20] Dans l'affaire Bourassa c. CLP[6], la Cour d'appel écrit que la notion de vice de fond « est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige », mais rappelle que « sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits » et qu’il « ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments ».
[21] Une divergence d'opinions relativement à l'interprétation qu’il convient de donner à un texte législatif ne constitue pas non plus un motif donnant ouverture à la révision. C'est la conclusion à laquelle en arrive la Cour d'appel dans l'affaire Amar c. CSST[7] :
« […]
[26] Il appartenait d'abord aux premiers décideurs spécialisés d'interpréter ce texte et de lui donner le sens qui, à leur avis, répondait le mieux à l'intention du législateur, à l'objet de la L.A.T.M.P. et à la situation personnelle de l'appelant.
[27] L'interprétation d'un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d'une solution unique. L'exercice d'interprétation exige de l'interprète de procéder à des choix qui, bien qu'encadrés par les règles d'interprétation des lois, sont sujets à une marge d'appréciation admissible.
[28] En substituant, pour les motifs ci-haut mentionnés, sa propre interprétation à celle retenue par la première formation, la CLP a rendu une décision déraisonnable, car elle n'établit aucun vice de fond pouvant l'avoir justifiée d'agir ainsi.
[…] »
[22] Dans les affaires CSST c. Fontaine[8] et CSST c. Touloumi[9], la Cour d'appel réitère que le vice de fond de nature à invalider une décision se distingue par « la gravité, l'évidence et le caractère déterminant d'une erreur ».
[23] C'est à la lumière de ces principes que la Commission des lésions professionnelles doit examiner toute requête en révision ou en révocation, et ce, en faisant preuve « d'une très grande retenue », comme il est souligné dans l'affaire Louis-Seize et CLSC - CHSLD de la Petite-Nation et CSST[10] :
« […]
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
[23] Dans une décision toute récente, Victoria et 3131751 Canada inc.17, la Commission des lésions professionnelles commente également ces différents jugements de la Cour d’appel et en fait une analyse semblable :
[22] Pour les fins de la présente décision, on retiendra donc avec le plus grand respect, que la notion de vide de fond ne doit pas être utilisée « à la légère » et la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur en sont des traits distinctifs. Aussi, il ne saurait être question de substituer une seconde opinion à une première si elle n’est ni plus ni moins défendable que la première. Pour reprendre l’expression de la Cour d’appel, la « faille » que vise la notion de vide de fond est une erreur manifeste voisine d’une forme d’incompétence, tel qu’on l’entend couramment.
[…]
[25] Par cet arrêt, la Cour d’appel invite donc le tribunal à la retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision. Mais cette invitation est-elle assortie d’une nouvelle interprétation de la notion de vice de fond? L’expression « erreur manifeste, (…) voisine d’une forme d’incompétence (…) » ouvre-t-elle la porte à une approche plus restrictive? Est-ce que le fait d’exiger qu’une erreur soit « grave, évidente et déterminante » restreint davantage cette notion?
[26] Pour le soussigné, la Cour d’appel n’a pas voulu remettre en cause les principes mis de l’avant dans l’affaire Métro-Richelieu . En fait, le juge Morissette a rappelé lui-même que l’énoncé de principe dans cette affaire « n’a jamais été remis en question » et il n’affirme pas non plus qu’il entend procéder à une telle remise en question.
[27] La situation qui existait avant l’arrêt Fontaine ne paraît pas avoir été modifiée en ce qui concerne la notion de vice de fond. Toutefois, et c’est le plus important, la Cour s’attend à ce que le présent tribunal respecte intégralement les critères établis depuis la décision Donohue.
[…] »
Références omises.
[24] Le présent tribunal ne peut donc substituer son opinion quant à l'appréciation de la preuve ou à l'interprétation du droit à celle du premier juge administratif à moins que la partie appelante démontre que celle-ci est entachée d'une erreur grave, manifeste et déterminante sur l'issue du litige.
[25] Dans le présent cas, le premier juge administratif est saisi d'une contestation déposée par monsieur Labbé à l'encontre d'une décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative le 8 juillet 2013.
[26] La décision en révision administrative du 8 juillet 2013 est rendue à la suite de la contestation par monsieur Labbé de la décision qui entérine les conclusions émises le 30 mai 2013 par l'orthopédiste S. Gagnon, membre du Bureau d'évaluation médicale.
[27] Ce dernier est appelé à se prononcer sur le diagnostic, la date de consolidation, la suffisance des traitements, l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012, car l'avis rédigé le 23 janvier 2013 par la physiatre S. Lavoie, professionnelle de la santé désignée par l'employeur, infirme celui du médecin qui a charge sur ces sujets.
[28] Dans son avis du 30 mai 2013, le membre du Bureau d'évaluation médicale Gagnon conclut que le diagnostic de la lésion subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 est celui d'étirement du trapèze gauche, que cette lésion est consolidée avec suffisance des traitements le 23 janvier 2013 et qu'elle n'entraîne aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[29] Dans sa décision en révision administrative du 8 juillet 2013, la CSST se déclare liée par cet avis et déclare, en conséquence, que l'étirement du trapèze gauche constitue une lésion professionnelle, que monsieur Labbé a droit aux prestations prévues par la loi en regard de cette lésion, qu’il a droit au remboursement du coût de ses traitements jusqu'au 23 janvier 2013, mais qu’il n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel et que son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date puisqu'il est redevenu capable d'exercer son emploi prélésionnel.
[30] Devant le premier juge administratif, l'objet de la requête de monsieur Labbé est de faire reconnaître que sa lésion professionnelle du 11 juin 2012 n'est pas consolidée le 23 janvier 2013 et qu’il conserve son droit à l'indemnité de remplacement du revenu après cette date. En argument subsidiaire, monsieur Labbé plaide que sa lésion professionnelle du 11 juin 2012 entraîne des limitations fonctionnelles qui le rendent incapable d'exercer son emploi prélésionnel et, par conséquent, qu’il conserve son droit à l'indemnité de remplacement du revenu après le 23 janvier 2013.
[31] Dans sa décision du 5 mai 2014, le premier juge administratif donne en partie raison à monsieur Labbé. Le premier juge administratif maintient l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale quant à la consolidation de la lésion professionnelle du 11 juin 2012 et à la suffisance des traitements en date du 23 janvier 2013, mais infirme cet avis quant à l'existence et à l'évaluation de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles infirme également la décision de la CSST quant au droit à une indemnité pour préjudice corporel, à la capacité de travail et au droit à l'indemnité de remplacement du revenu de monsieur Labbé.
[32] La procureure de l'employeur soutient que le premier juge administratif commet des erreurs manifestes dans sa décision notamment en déclarant que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 entraîne une atteinte permanente de 2,2 % et des limitations fonctionnelles « temporaires » d'un an qui l'empêchent d'exercer son emploi prélésionnel et en raison desquelles il doit « éviter de soulever un poids de plus de 10 livres avec son membre supérieur gauche, lors de mouvement d'élévation antérieure ou d'abduction » [sic] et « éviter de travailler dans des postures impliquant son membre supérieur droit en élévation ou en abduction à plus de 60o pendant 10 minutes de façon consécutive » [sic].
· Excès de compétence
[33] La procureure de l'employeur est d'avis qu'en octroyant lui-même un préjudice prévu au Règlement sur le barème des dommages corporels[11], le premier juge administratif outrepasse ses compétences. Ces arguments sont exprimés comme suit par la représentante de l'employeur :
« […]
[25] Ainsi, en l’absence de toute preuve médicale octroyant une atteinte permanente appuyant les allégations du travailleur et contrairement aux examens objectifs réalisés par les docteurs Lavoie et Gagnon qui s’avéraient tous deux normaux, le juge administratif […] s’appuie sur le témoignage du travailleur pour retenir une conclusion médicale réfutée par la preuve médicale.
[26] Qui plus est, toujours en l’absence de preuve médicale à cet effet, le juge administratif […] détermine par lui-même de retenir le code 102383 du Règlement sur le barème des dommages corporels pour octroyer une atteinte de 2 % pour atteinte des tissus mous au membre supérieur gauche alors qu’aucun médecin n’a retenu une telle atteinte. À ce pourcentage, le juge administratif […] ajoute 0,2 % à titre de douleur et perte de jouissance de la vie. Ce qui lui permet d’en arriver à la conclusion d’une atteinte permanente de l’ordre de 2,2 %.
[27] Encore une fois, nous réitérons qu’en l’absence d’une preuve à cet effet, le juge administratif […] n’avait aucune compétence pour se substituer au médecin traitant, au médecin évaluateur ou au médecin du BEM ainsi que de pallier à l’absence de preuve en déterminant le pourcentage d’atteinte permanente qui découle de la lésion professionnelle.
[28] Seuls les professionnels de la santé sont habiletés à déterminer le pourcentage d’atteinte permanente tel que prévu par le législateur aux articles 203, 204, 209 et 212 de la loi.
[29] Il n’est certainement pas de connaissance d’office du tribunal de décider quel code du barème peut être retenu et ce que constitue une atteinte des tissus mous au membre supérieur gauche en l’absence de toute preuve médicale à cet égard. Le juge administratif […] a outrepassé indubitablement ses compétences en établissant lui-même cette atteinte permanente.
[30] Au surplus, le juge administratif […] reproche aux docteurs Lavoie et Gagnon d’avoir omis de soumettre le travailleur à certaines exigences impliquant son membre supérieur gauche afin de valider les dires du travailleur. Au contraire, il appert des expertises médicales de Dre Lavoie et Dr Gagnon qu’ils ont expressément effectué un examen médical complet du membre supérieur gauche du travailleur qui s’est avéré objectivement normal contrairement aux allégations subjectives du travailleur.
[31] Ainsi, la conclusion du tribunal de première instance déclarant que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente de 2,2 % est entachée d’une erreur manifeste de droit et doit être révisée à cet égard.
[…] » [sic]
[34] Le tribunal siégeant en révision ne retient pas l'argument de l'employeur selon lequel la Commission des lésions professionnelles outrepasse sa compétence lorsqu'elle statue sur les limitations fonctionnelles et sur l'atteinte permanente.
[35] Dans l'affaire Martin et CSST[12], la Commission des lésions professionnelles fait la distinction entre la notion de « compétence juridictionnelle » et celle de « pouvoir » relié à son exercice et explique que « l’existence et, le cas échéant, l’évaluation des séquelles permanentes résultant d’une lésion professionnelle sont des matières que le législateur a expressément chargé la Commission des lésions professionnelles de déterminer » et qu'en « cela, elles font partie du "domaine particulier" attribué au tribunal, lequel est dès lors compétent pour trancher tout litige à leur égard ». Ce raisonnement est illustré dans les extraits suivants :
« […]
[25] Au soutien de sa requête, la CSST allègue que « la CLP a outrepassé sa compétence juridictionnelle puisqu'elle a statué sur une question dont elle n’était pas saisie », à savoir l’évaluation des séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 14 octobre 1997, alors que la contestation soumise, elle, ne portait que sur l’admissibilité d’une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation (RRA) alléguée survenue le 4 décembre 2012.
[26] Il y a d’abord lieu de souligner, avec respect pour l’opinion contraire, qu’il ne s’agit pas là d’une véritable question de « compétence juridictionnelle », dans l’acception désormais reconnue de cette expression.
[27] Certes, comme dans l’affaire P… L… et Compagnie A et CSST11 citée par la procureure de la CSST au soutien de son argumentation dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles a déclaré en maintes occasions qu’elle n’avait « compétence » pour se prononcer que sur l’objet du recours dont elle est saisie, ledit recours étant lui-même délimité par le contenu de la contestation, dans sa forme initiale ou amendée. Le soussigné a adhéré à cette école de pensé12, comme plusieurs de ses collègues13.
[28] Mais, depuis cette époque, les tribunaux supérieurs ont eu l’occasion de distinguer la véritable question de « compétence », dans son sens strict (strictu sensu), du simple exercice de celle-ci.
[29] On se rappellera que l’article 369 de la loi décrit la compétence de la Commission des lésions professionnelles alors que les pouvoirs requis à l’exercice de celle-ci sont précisés à l’article 377 de la loi :
369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :
1° sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451;
2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S 2.1).
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1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[30] À la lumière des arrêts Dunsmuir14, Khosa15, Nolan16 et Alberta (Information and Privacy Commisioner)17 rendus par la Cour suprême du Canada en 2008, 2009 et 2011, l’on doit désormais comprendre le concept de compétence dans le sens de « compétence matérielle ou d’attribution », comme l’explique la doctrine18 de la façon suivante :
14. Sens strict - Le mot « compétence » sera utilisé dans son sens strict, soit dans le sens de « compétence matérielle ou d’attribution », celle qui permet au tribunal d’agir dans les domaines particuliers déterminés par le législateur1. En effet, la notion de « compétence », au sens strict, réfère à la faculté d’un tribunal administratif de trancher une question2.
Dans la foulée de Dunsmuir3, où elle avait effleuré la notion de « compétence », la Cour suprême précise sa portée dans Khosa4, Nolan5 et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association6. Dans cette dernière affaire, la Cour écrit ce qui suit :
[33] […] Rappelons la mise en garde maintes fois citée du juge Dickson dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à savoir que les cours de justice doivent « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (p. 233, cité dans l’arrêt Dunsmuir, par. 35). Voir également Syndicat des professeurs du collège de Lévis-Lauzon c. CEGEP de Lévis-Lauzon, [1985] 1 R.C.S. 596, 606, [1985] A.C.S. no 29, le juge Beetz, reprenant les motifs du juge Owen dans Union des employés de commerce, local 503 c. Roy, [1980] C.A. 394. Comme l’explique notre Cour dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne), dans Dunsmuir, « la Cour se distancie expressément des définitions larges de la compétence » (par. 18, citant Dunsmuir, par. 59). L’expérience enseigne que peu de questions appartiennent à la catégorie des véritables questions de compétence. Depuis Dunsmuir, la Cour n’en a relevé aucune […].
[34] La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.7
[nos soulignements, notes omises]
[31] Ainsi faut-il, selon ces auteurs19 et au regard de la jurisprudence récente de la Cour suprême, distinguer une véritable question de compétence - ce qui est extrêmement rare - de ce qui n’est en fait qu’une question de « pouvoir » relié à son exercice :
Cette approche implique que les questions de droit ou de fait soumises à la CLP, et qui ne l’amènent pas à statuer sur l’étendue de sa compétence matérielle ou d’attribution, seront traitées comme des questions relatives à l’exercice de sa compétence, dans la mesure où elles font d’abord appel aux pouvoirs généraux énoncés aux articles 377 et 378 de la L.a.t.m.p.
Soulignons que la distinction que nous faisons ici entre « compétence » et « pouvoir » ressort maintenant clairement de la lecture de plusieurs décisions de la CLP9.
[…]
La CLP a compétence, au sens strict, pour examiner une affaire si elle est saisie d’une contestation formée contre une décision qui, en vertu de l’article 369 L.a.t.m.p., peut être contestée devant elle.
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9 Pâtisserie Chevalier inc., C.L.P., no 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal; Beaudoin et Agence de sécurité St-Jérôme (fermé), 2006 LNQCCLP 4366; Garceau et Abitibi-Consolidated inc. (Div. Belgo), C.L.P., no 280071-04-0601, 5 septembre 2006, D. Lajoie; Houle et John F.Wickenden & Cie ltée, 2009 QCCLP 1691, 2009 LNQCCLP 55; Morin et Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2010 QCCLP 7066, 2010 LNQCCLP1144 (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Hull, no 550-17-005543-101, 23 septembre 2011,j. Bédard); Mahko et Banque Nouvelle-Écosse, 2011 QCCLP 3135, 2011 LNQCCLP 376; Morin et R.J. Dutil et frères, 2012 QCCLP 1075, 2012 LNQCCLP 149; Flexton inc., 2012 QCCLP 1490, 2012 LNQCCLP 251.
[nos soulignements]
[32] Par référence contenue aux articles 359 et 358 de la loi, le domaine de la « compétence matérielle ou d’attribution » confiée à la Commission des lésions professionnelles est le même que celui attribué à la CSST par l’article 349 de la loi, c’est-à-dire « toute question visée par la présente loi » :
349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
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1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.
[33] À n’en pas douter, l’existence et, le cas échéant, l’évaluation des séquelles permanentes résultant d’une lésion professionnelle sont des matières que le législateur a expressément chargé la Commission des lésions professionnelles de déterminer. En cela, elles font partie du « domaine particulier » attribué au tribunal, lequel est dès lors compétent pour trancher tout litige à leur égard.
[34] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles avait donc « compétence » sur les sujets dont elle a traité dans sa décision rendue le 29 novembre 2013. Il n’y a pas eu excès de juridiction.
[…] »
Notes omises.
[36] Le présent tribunal estime que les mêmes principes s'appliquent ici et que le juge administratif, dans sa décision du 5 mai 2014, n'outrepasse pas la compétence de la Commission des lésions professionnelles lorsqu'il statue sur les limitations fonctionnelles et l'atteinte permanente qui résultent de la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012.
[37] Ces sujets d'ordre médical font l'objet de l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale du 30 mai 2013, lequel est entériné par la décision de première instance de la CSST de même que par celle rendue à la suite d'une révision administrative le 8 juillet 2013.
[38] En déposant son recours à l'encontre de cette dernière décision comme le lui permet l'article 359 de la loi, monsieur Labbé saisit la Commission des lésions professionnelles de ces litiges.
[39] Ainsi, en rendant sa décision sur l'atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles, le premier juge administratif exerce les pouvoirs que lui confère la loi.
[40] Non seulement le premier juge administratif a-t-il le pouvoir de rendre une décision sur ces deux questions d'ordre médical dont il est saisi par le biais de la contestation de l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale, mais il peut également, en vertu de ses pouvoirs, octroyer un préjudice en application du Règlement sur le barème des dommages corporels.
[41] L'application du barème est une question d'ordre juridique qui relève de la CSST[13] et toute erreur d'interprétation ou d'application du Règlement sur le barème des dommages corporels peut être corrigée par la Commission des lésions professionnelles lorsqu'elle est saisie d'un litige traitant de l'évaluation de l'atteinte permanente à l’intégrité physique.
[42] Dans le présent cas, comme le premier juge administratif est saisi de la question de l'existence même de l'atteinte permanente à l’intégrité physique découlant de la lésion professionnelle du 11 juin 2012, il peut se prononcer sur le pourcentage de déficit anatomo-physiologique en conformité avec le Règlement sur le barème des dommages corporels.
[43] En statuant sur cette question, le premier juge administratif ne commet donc pas un excès de compétence.
· Conclusion non soutenue par la preuve : existence d'une atteinte permanente à l’intégrité physique
[44] La représentante de l'employeur plaide, dans un deuxième temps, qu’il y a absence de preuve pour soutenir les conclusions du premier juge administratif relatives à l'existence et à l'évaluation de l'atteinte permanente qui résulte de la lésion professionnelle du 11 juin 2012, car ce dernier appuie sa décision uniquement sur le témoignage de monsieur Labbé.
[45] Le premier juge administratif explique comme suit les raisons qui l'amènent à conclure que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé entraîne une atteinte permanente de 2,2 % :
« […]
[67] À première vue, le soussigné est porté à croire que le travailleur ne présente pas d’atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique puisque la mobilisation de son épaule est redevenue normale.
[68] Cependant, limiter l’appréciation de l’atteinte permanente du travailleur qu’à la mobilisation de son épaule gauche serait là faire abstraction de l’élément de preuve significatif dans ce dossier où le travailleur allègue, depuis le début, présenter des difficultés au niveau de son membre supérieur gauche lors de l’élévation antérieure ou d’abduction avec force.
[69] Cette contrainte vécue par le travailleur a donné lieu à une assignation temporaire depuis le 26 juin 2012 et il en était encore de même au moment où l’employeur l’a remercié de ses services le ou vers le 21 mars 2014. Du moins, le travailleur n’était toujours pas capable d’utiliser un pistolet à peinture dans les positions que requiert l’utilisation de son membre supérieur gauche en élévation et/ou en abduction, approximativement à plus de 60o.
[70] Au moment où le travailleur est examiné par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le 23 mai 2013, celui ci prend soin de mentionner qu’il a toujours ce problème lors de la mobilisation de son membre supérieur gauche en élévation ou en abduction avec force.
[71] Il aurait été souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que les docteurs Lavoie et Gagnon aient pu soumettre le travailleur à certaines exigences impliquant son membre supérieur gauche, lors de leur examen objectif respectif, afin de valider les dires du travailleur.
[72] Quoi qu’il en soit, la Commission des lésions professionnelles n’a aucune raison de douter du témoignage du travailleur quant à l’existence de cette contrainte impliquant son membre supérieur gauche, lors du mouvement d’élévation et/ou d’abduction à plus de 60o.
[73] Par ailleurs, le travailleur est apparu convainquant lorsqu’il a soumis qu’il éprouvait une certaine amertume à ne plus faire son emploi pour lequel il avait étudié.
[74] Ce n’est donc pas de gaieté de cœur que le travailleur se voit limité dans l’utilisation de son membre supérieur gauche, lors de l’exécution de ses tâches de peintre.
[75] Cette preuve, pour le moins révélatrice, permet ainsi à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle vécue sous forme d’étirement du trapèze gauche, un déficit anatomophysiologique de 2 % pour atteinte des tissus mous au membre supérieur gauche suivant le code 102383 du Règlement sur le barème des dommages corporels3 (le barème). À ce pourcentage s’ajoute 0,2 % à titre de douleur et perte de jouissance de la vie, selon le code 225027 du barème, pour une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 2,2 %.
[…] » [sic]
Référence omise.
[46] Selon la procureure de l'employeur, la conclusion du premier juge administratif déclarant que monsieur Labbé conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente de 2,2 % est entachée d’une erreur manifeste de droit et doit être révisée, car elle va à l'encontre de la preuve médicale prépondérante, à savoir des constats faits par la professionnelle de la santé désignée par l'employeur et par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[47] Sur cet aspect, le tribunal siégeant en révision considère que la décision du 5 mai 2014 comporte un vice de fond de nature à l'invalider.
[48] Au moment de statuer sur l'atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle du 11 juin 2012, le premier juge administratif dispose de l'avis rédigé le 23 janvier 2013 par la physiatre Lavoie, professionnelle de la santé désignée par l'employeur, et de celui produit le 30 mai 2013 par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[49] La Commission des lésions professionnelles dispose aussi des opinions émises les 31 janvier 2013 et 22 février 2013 par le physiatre traitant J.-M. D'Anjou ainsi que des informations sommaires figurant aux rapports médicaux produits par la docteure C. Brochu en 2012 et 2013 de même qu'à ses notes médicales.
[50] Dans sa décision du 5 mai 2014, le premier juge administratif retient ce qui suit du rapport de la docteure Lavoie :
« […]
[19] À la section « État actuel », la docteure Lavoie rapporte les dires du travailleur voulant que sa douleur ait diminué de 15 % depuis juin 2012. Il ressent encore une douleur à la région cervicale irradiant sur le dessus de son épaule gauche jusqu’à la pointe de cette même épaule. Il allègue présenter parfois des fourmillements au majeur et à l’annulaire de sa main gauche.
[20] Quant à son examen objectif, la docteure Lavoie en vient à un examen dans les limites de la normale, si ce n’est l’allégation de douleur à la région cervicale et sur le dessus de l’épaule gauche du travailleur. Elle ne pose pas de diagnostic comme tel et consolide la lésion au 23 janvier 2013, sans autre traitement, sans atteinte permanente, ni limitation fonctionnelle.
[…] »
[51] La Commission des lésions professionnelles fait ensuite référence aux constats du physiatre D'Anjou les 31 janvier 2013 et 22 février 2013 et rapporte ce qui suit :
« […]
[21] Le 31 janvier 2013, le docteur Jean-Maurice D’Anjou, physiatre, examine le travailleur à la demande de son médecin traitant. Celui-ci note une diminution de 20o de la mobilisation active de l’épaule gauche lors de l’élévation antérieure et de l’abduction. Les mouvements passifs à cette épaule sont, par ailleurs, normaux. Le travailleur présente également une douleur à la palpation au trapèze gauche.
[22] Le docteur D’Anjou conclut, par ailleurs, en ces termes :
Patient qui a présenté une cervicobrachialgie gauche maintenant pratiquement résolue. La rupture partielle du tendon du sous-épineux n’explique pas le tableau clinique actuel. Je crois que les douleurs du patient sont d’origine musculaire avec myalgie du trapèze gauche. Sur le plan thérapeutique, j’ai révisé avec le patient un programme d’exercices à faire à domicile pour assouplissement et renforcement de la musculature du trapèze. Deuxièmement, j’ai prescrit Flexiril comme relaxant musculaire. Le patient devrait être amélioré de façon significative d’ici 4 à 6 semaines. Pas d’indication de faire d’infiltration.
[23] Sensibilisé du contenu de l’expertise de la docteure Suzanne Lavoie, le docteur Jean-Maurice D’Anjou, dans un rapport complémentaire du 22 février 2013, souligne qu’il n’est pas le médecin traitant du travailleur. Il maintient le diagnostic de cervicobrachialgie gauche qui est maintenant résolu et précise que le travailleur présente encore une douleur d’origine musculaire avec myalgie du trapèze gauche. Il se dit d’accord avec la docteure Lavoie quant au fait que la rupture partielle du tendon du sous-épineux ne peut expliquer le tableau clinique. Finalement, il recommande au travailleur un programme d’exercice à domicile pour assouplir et renforcir la musculature du trapèze.
[…] »
[52] Puis, la Commission des lésions professionnelles résume comme suit l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale Gagnon :
« […]
[25] Dans son avis émis le 30 mai 2013, le docteur Gagnon, à la section « État actuel », rapporte que le travailleur se plaint de la persistance d’une baisse de force de façon globale au pourtour de son épaule droite [sic] lorsqu’il veut se servir le moindrement de cette épaule contre résistance en élévation antérieure et en abduction.
[26] À la section « Examen objectif », le docteur Gagnon soumet que lors de la pression très forte du trapèze gauche, il y a une très légère sensibilité. Il en est de même lors de la palpation de l’épaule gauche où le travailleur dit ressentir une douleur exquise à la pression de l’apophyse coracoïde. Le reste de son examen est dans les limites de la normale, tant à l’amplitude articulaire qu’au niveau du groupe musculaire.
[27] Le docteur Gagnon retient comme diagnostic celui d’étirement du trapèze gauche, lésion qu’il consolide au 23 janvier 2013, sans autre traitement, sans atteinte permanente, ni limitation fonctionnelle.
[…] » [sic]
[53] Le premier juge administratif résume ensuite le témoignage de monsieur Labbé à l'audience :
« […]
[37] De ce témoignage, la Commission des lésions professionnelles retient qu’en tant que gaucher, il n’avait jamais eu de problème à épaule gauche ou au trapèze gauche avant le 11 juin 2012.
[38] Il revient brièvement sur son accident survenu le 11 juin 2012 lorsqu’il ressent une douleur au trapèze gauche en tirant sur un chariot pouvant peser approximativement 70 livres.
[39] Depuis cet accident, l’employeur a adapté le poste pour faciliter le déplacement des chariots.
[40] Le travailleur a repris le travail à temps partiel, à compter du 26 juin 2012, à raison de 4 heures de travail normal en avant-midi, sans qu’il ait à peindre, suivi de travaux légers en après-midi, où il est assigné au service des pièces.
[41] Il a effectué des travaux légers pendant un an.
[42] Interrogé sur l’intensité de ses douleurs le 23 janvier 2013, le travailleur les évalue à 8 à 8,5 sur une échelle de 10.
[43] Il y a eu amélioration de sa condition à compter de janvier 2014, à la suite des traitements reçus en physiothérapie et en ostéopathie.
[44] Il estime l’intensité de ses douleurs, en janvier 2014, à 5 sur une échelle de 10.
[45] Il a repris le travail en janvier 2013, sans avoir à peindre des automobiles. Ne pouvant plus être assigné au service des pièces, il ne travaille plus en après-midi.
[46] Il a repris son travail régulier à temps plein en janvier 2014, sans être en mesure d’accomplir l’ensemble de ses tâches de peintre.
[47] Il a été remercié de ses services le ou vers le 21 mars 2014, puisqu’il n’était pas assez rapide dans l’exécution de ses tâches.
[48] Il a encore de la difficulté à travailler avec le bras gauche en élévation lorsqu’il est appelé à soulever une charge.
[49] En contre-interrogatoire, le travailleur précise qu’à compter de septembre 2012, il faisait son travail régulier en avant-midi, sans avoir à peindre, et en après-midi, il était au service des pièces.
[50] Il réitère que de janvier 2013 à janvier 2014, il a travaillé 4 heures par jour à son travail régulier, sans peindre. Dans l’après-midi, l’employeur l’avait remplacé par un autre travailleur au service des pièces.
[51] Il consulte encore la docteure Brochu à raison d’une fois par mois et ne reçoit plus de traitement, à ce jour.
[52] Ne pouvant plus conduire de « motocross », il a vendu la sienne au cours de l’été 2013 pour s’acheter une motocyclette de route. Comme il a un permis temporaire, il doit être accompagné d’une autre personne pour se promener à motocyclette. Puisqu’il n’y a personne dans son entourage pour le faire, il ne l’a pas conduit. Il devrait obtenir son permis régulier à compter de l’automne 2014.
[…] »
[54] Le tribunal siégeant en révision constate que les conclusions du premier juge administratif selon lesquelles l'étirement du trapèze gauche subi le 11 juin 2012 entraîne un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une atteinte des tissus mous au code 102383 du barème s'appuient essentiellement sur le témoignage de monsieur Labbé.
[55] C'est ce qui ressort des paragraphes 68, 69, 72 et 73 de la décision :
« […]
[68] Cependant, limiter l’appréciation de l’atteinte permanente du travailleur qu’à la mobilisation de son épaule gauche serait là faire abstraction de l’élément de preuve significatif dans ce dossier où le travailleur allègue, depuis le début, présenter des difficultés au niveau de son membre supérieur gauche lors de l’élévation antérieure ou d’abduction avec force.
[69] Cette contrainte vécue par le travailleur a donné lieu à une assignation temporaire depuis le 26 juin 2012 et il en était encore de même au moment où l’employeur l’a remercié de ses services le ou vers le 21 mars 2014. Du moins, le travailleur n’était toujours pas capable d’utiliser un pistolet à peinture dans les positions que requiert l’utilisation de son membre supérieur gauche en élévation et/ou en abduction, approximativement à plus de 60o.
[…]
[72] Quoi qu’il en soit, la Commission des lésions professionnelles n’a aucune raison de douter du témoignage du travailleur quant à l’existence de cette contrainte impliquant son membre supérieur gauche, lors du mouvement d’élévation et/ou d’abduction à plus de 60o.
[73] Par ailleurs, le travailleur est apparu convainquant lorsqu’il a soumis qu’il éprouvait une certaine amertume à ne plus faire son emploi pour lequel il avait étudié.
[…] » [sic]
Les soulignements sont de la soussignée.
[56] Le fait de prendre en compte le témoignage de monsieur Labbé dans son analyse ne constitue pas une erreur.
[57] Toutefois, comme l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique du travailleur constitue une question relevant de l’expertise médicale[14], la décision de la Commission des lésions professionnelles doit s'appuyer sur la preuve médicale prépondérante et reposer sur les éléments retrouvés aux examens cliniques des médecins[15].
[58] Or, la lecture de la décision du 5 mai 2014 ne permet pas de comprendre les motifs en raison desquels les avis émis par les docteurs Lavoie et Gagnon sont écartés.
[59] Dans sa décision du 5 mai 2014, la Commission des lésions professionnelles ne fait que souligner que la mobilisation de l'épaule « est redevenue normale », que monsieur Labbé relate qu'en mars 2014, il « n’était toujours pas capable d’utiliser un pistolet à peinture dans les positions que requiert l’utilisation de son membre supérieur gauche en élévation et/ou en abduction, approximativement à plus de 60o » et que le membre du Bureau d'évaluation médicale « prend soin de mentionner qu’il a toujours ce problème lors de la mobilisation de son membre supérieur gauche en élévation ou en abduction avec force ».
[60] La Commission des lésions professionnelles ajoute ensuite qu'il « aurait été souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que les docteurs Lavoie et Gagnon aient pu soumettre le travailleur à certaines exigences impliquant son membre supérieur gauche, lors de leur examen objectif respectif, afin de valider les dires du travailleur ».
[61] Cette analyse ignore les constats décrits à l'examen objectif du membre du Bureau d'évaluation médicale dans son rapport du 30 mai 2013.
[62] Le tribunal siégeant en révision remarque que le docteur Gagnon écrit que la pression de la musculature paracervicale n'est aucunement douloureuse, que la pression très forte du trapèze gauche montre une très légère sensibilité, qu’il n'y a aucun spasme musculaire, que l'inspection des deux épaules ne montre absolument aucune atrophie musculaire, qu'à la palpation de l'épaule gauche, monsieur Labbé se plaint d'une douleur exquise à la pression de l'apophyse coracoïde, que la coiffe des rotateurs n'est aucunement douloureuse et qu’il n'y a aucune instabilité acromio-claviculaire de façon bilatérale.
[63] Le membre du Bureau d'évaluation médicale souligne que la manœuvre du foulard est strictement négative bilatéralement, que la mobilité des deux épaules se fait de façon complète, symétrique et non douloureuse, sans aucun accrochage, que les « différentes manœuvres de Jobe, de Hawkins et de Neer sont strictement négatives de même que le Speed et Yergason et la manœuvre d’O’Brien ».
[64] S'il est vrai que le docteur Gagnon indique qu'à l'examen subjectif monsieur Labbé se plaint de la persistance d'une baisse de force à l'épaule, le membre du Bureau d'évaluation médicale écrit que son examen objectif révèle « une excellente force de tous les groupes musculaires tant en rotation interne, en rotation externe, en abduction qu'en élévation antérieure » et constate qu'il n'y a pas d'atrophie musculaire des bras et des avant-bras.
[65] Dans ses conclusions, le membre du Bureau d'évaluation médicale réitère qu’il ne retrouve à son « examen objectif, aucun signe pouvant […] faire suspecter la présence d'une pathologie clinique actuellement » et qu'il note chez monsieur Labbé « une mobilité et une force strictement normales tant au pourtour de sa colonne cervicale que de son épaule gauche et de son membre supérieur gauche ».
[66] C'est pourquoi il conclut qu’il « ne persiste chez ce monsieur, aucun déficit anatomo-physiologique pouvant laisser suspecter une atteinte permanente ».
[67] Or, dans sa décision du 5 mai 2014, la Commission des lésions professionnelles n'explique pas pourquoi elle ne retient pas l'avis motivé du membre du Bureau d'évaluation médicale.
[68] La Commission des lésions professionnelles n'indique pas non plus pourquoi elle accorde une préséance aux plaintes subjectives de monsieur Labbé en regard de la perte de force alléguée à l'épaule gauche sur l'examen objectif de l'orthopédiste Gagnon qui révèle le contraire.
[69] Le tribunal siégeant en révision remarque, en outre, que la Commission des lésions professionnelles ne précise pas pourquoi elle écarte l'avis de la professionnelle de la santé désignée par l'employeur en date du 23 janvier 2013 selon lequel monsieur Labbé ne conserve pas d'atteinte permanente à la suite de sa lésion professionnelle du 11 juin 2012.
[70] Dans son rapport, la docteure Lavoie souligne que les réflexes ostéotendineux au niveau bicipital, tricipital et stylo-radial sont normaux, que la sensibilité à l'aiguille dans les dermatomes de C3 à D1 est normale, que l'évaluation de la force dans les myotomes de C3 à D1 est normale, que les mises en tension des fléchisseurs, extenseurs, latéro-fléchisseurs et rotateurs de la tête n'entraînent aucune douleur et que lors de la mise en tension des trapèzes, monsieur Labbé allègue de la douleur, ce qui, à son avis, « est non organique ».
[71] La physiatre Lavoie indique également que les manœuvres du foulard, de Hawkins, de Jobe, de Kibler, de Neer, d’O’Brien, de Speed et de Paxinos sont négatives, que la palpation de la ceinture scapulaire n'entraîne aucune douleur, que la seule douleur présente est à la palpation du cou, tout le long du cervical gauche et sur le dessus de l'épaule gauche et légèrement en postéro-supérieur de l'épaule gauche et qu’il n'y a aucun spasme.
[72] La soussignée note, au surplus, que dans sa décision du 5 mai 2014, la Commission des lésions professionnelles considère que monsieur Labbé conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique en raison de son problème allégué de « mobilisation de son membre supérieur gauche en élévation ou en abduction avec force » alors que le médecin qui a charge ainsi que le physiatre traitant n'arrivent pas à cette conclusion.
[73] Dans son rapport du 31 janvier 2013, le physiatre D'Anjou écrit notamment que l'examen neurologique des membres supérieurs est normal au point de vue de la force, de la sensibilité et des réflexes et que la cervicobrachialgie gauche est pratiquement résolue avec persistance de douleurs d'origine musculaire avec myalgie du trapèze gauche alors que dans son Rapport complémentaire, le physiatre réitère ces conclusions et ne se prononce pas sur la question d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[74] La docteure Brochu, pour sa part, ne produit ni Rapport final ni Rapport d’évaluation médicale. En outre, sur les rapports médicaux des 1er août 2013 et 15 août 2013, elle répond « non » à la question « Séquelles permanentes à prévoir ».
[75] Le tribunal siégeant en révision estime, en considération de ce qui précède, que la décision du 5 mai 2014 portant sur l'atteinte permanente comporte un vice de fond de nature à l'invalider, car elle ne repose pas sur la preuve médicale, le juge administratif ayant omis de justifier les raisons pour lesquelles il écarte les avis des docteurs Lavoie et Gagnon alors que les médecins traitants ne se sont pas prononcés sur cette question.
· Erreur d'application du Règlement sur le barème des dommages corporels
[76] Même s'il avait établi que la décision du 5 mai 2014 relative à l'existence d'une atteinte permanente était soutenue par la preuve, le tribunal siégeant en révision aurait néanmoins conclu à un vice de fond en raison d'une erreur d'application du Règlement sur le barème des dommages corporels.
[77] En effet, le préjudice de 2 % octroyé par le premier juge administratif correspond au déficit anatomo-physiologique d'une atteinte des tissus mous du membre supérieur « avec séquelles fonctionnelles ».
[78] Or, le premier juge administratif n'explique pas pourquoi il octroie ce préjudice alors que les examens de la physiatre Lavoie et du membre du Bureau d'évaluation médicale Gagnon ne permettent pas d'objectiver des séquelles fonctionnelles.
[79] Il est vrai que le Règlement sur le barème des dommages corporels ne définit pas la notion de séquelle fonctionnelle.
[80] Toutefois, la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) de même que celle de la Commission des lésions professionnelles ont reconnu le principe selon lequel la séquelle fonctionnelle doit s’objectiver par des signes cliniques et la simple douleur résiduelle alléguée ne constitue pas une preuve de séquelle fonctionnelle[16].
[81] De façon générale, la jurisprudence définit cette notion comme « une anomalie, une restriction ou une réduction de la fonction caractéristique d’un organe, d’une structure anatomique ou d’un système par rapport à ce qui est considéré normal au plan anatomique, physiologique ou psychique et qui découle d’une lésion professionnelle »[17].
[82] Dans l'affaire Allard et Schlumberger Industries[18], la Commission des lésions professionnelles conclut que pour « objectiver cette anomalie, cette restriction ou cette réduction d’une structure anatomique donnée, certains signes cliniques sont recherchés » comme « la présence d’un spasme résiduel, d’une position antalgique ou d’une diminution des amplitudes articulaires dans plusieurs mouvements »[19].
[83] Le tribunal siégeant en révision remarque que les docteurs Lavoie et Gagnon qui examinent monsieur Labbé après la consolidation de sa lésion professionnelle ne rapportent pas de diminution des amplitudes articulaires de l'épaule gauche ou d'autres signes objectifs témoignant de séquelles fonctionnelles.
[84] Certes, le physiatre d'Anjou fait référence, dans son rapport du 31 janvier 2013, à une diminution de vingt degrés de la mobilisation active de l'épaule gauche, comme le rapporte le premier juge administratif au paragraphe 54.
[85] Toutefois, le premier juge administratif ne s'appuie pas sur ce constat pour octroyer un préjudice pour une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles puisqu'il souligne, au paragraphe 67, que la mobilisation de l'épaule de monsieur Labbé est redevenue normale.
[86] En concluant que la lésion professionnelle du 11 juin 2012 entraîne une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles sur le seul témoignage de monsieur Labbé et en écartant du même coup la preuve médicale à l'effet contraire, la décision comporte un vice de fond de nature à l'invalider.
· Conclusion non soutenue par la preuve : limitations fonctionnelles
[87] La représentante de l'employeur plaide que la décision du premier juge administratif selon laquelle la lésion professionnelle du 11 juin 2012 entraîne des limitations fonctionnelles n'est pas soutenue par la preuve médicale.
[88] Les motifs du premier juge administratif à ce sujet sont exprimés aux paragraphes 76 à 78 de la décision :
« […]
[76] Sans vouloir se répéter, le travailleur demeure avec des séquelles fonctionnelles l’obligeant à éviter de travailler avec son membre supérieur gauche en élévation antérieure et en abduction. C’est principalement en raison de cette problématique qu’il a pu bénéficier d’une assignation temporaire à compter du 26 juin 2012. Il n’était toujours pas capable de se servir de son membre supérieur gauche en élévation ou en abduction pour peindre, même au moment de son licenciement le ou vers le 21 mars 2014.
[77] La Commission des lésions professionnelles n’a donc aucune hésitation à reconnaître les limitations fonctionnelles chez le travailleur qui tiennent compte de cette réalité.
[78] Toutefois, étant donné son jeune âge et la mention voulant que sa condition se soit améliorée depuis le début janvier 2014, la Commission des lésions professionnelles croit qu’il serait préjudiciable au travailleur de lui reconnaître des limitations fonctionnelles permanentes. Dans un souci de justice et d’équité envers le travailleur, la Commission des lésions professionnelles lui reconnaît comme limitations fonctionnelles temporaires celles où il doit éviter de soulever un poids de plus de 10 livres avec son membre supérieur gauche, lors de mouvement d’élévation antérieure ou d’abduction. Il doit également éviter de travailler dans des postures impliquant son membre supérieur droit en élévation ou en abduction à plus de 60O pendant 10 minutes de façon consécutive, et ce, pour une année à compter de la présente décision avec réévaluation par la suite.
[…] » [sic]
[89] Selon la représentante de l'employeur, le premier juge administratif n'a pas la compétence médicale pour définir lui-même des limitations fonctionnelles. De plus, ce dernier omet d'expliquer pourquoi les opinions médicales des deux spécialistes qui se sont prononcés sur ce sujet sont écartées :
« […]
[35] À la lecture de ces passages, il apparaît manifeste que le juge administratif de première instance ne pouvait déterminer lui-même les limitations fonctionnelles qui découlaient de la lésion professionnelle. Il s’agit d’une compétence médicale qui ne peut être exercée par un juge de la CLP. Ainsi, en l’absence d’une preuve à cet effet, le juge n’avait d’autre choix que de retenir l’absence de limitation fonctionnelle.
[36] Au surplus, le juge administratif […] omet complètement d’expliquer pourquoi il écarte les deux seules expertises médicales au dossier, lesquelles arrivent à un examen objectif strictement normal sans reconnaissance d’une atteinte permanente ou de limitation fonctionnelle. Il appuie plutôt son raisonnement sur l’assignation temporaire qui est en place depuis le début de la lésion, ce qui n’est pas une preuve médicale pour la détermination de l’existence des limitations fonctionnelles. En effet, une preuve médicale établissant l’existence des limitations fonctionnelles et leur relation avec la lésion professionnelle doit être présente.
[37] Ainsi, la conclusion du tribunal de première instance déclarant que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle des limitations fonctionnelles et précisant la nature de celles-ci en l’absence de preuve est entachée d’une erreur grossière et manifeste de droit et doit être révisée.
[…] »
[90] La procureure de l'employeur plaide aussi que le premier juge administratif commet une erreur manifeste lorsqu'il déclare que monsieur Labbé est incapable d'exercer son emploi prélésionnel de peintre, car aucune preuve n'a été présentée pour établir les positions de travail, les poids manipulés ou les outils utilisés dans le cadre de cet emploi.
[91] En argument subsidiaire, la procureure de l'employeur prétend que la Commission des lésions professionnelles commet un excès de compétence en retenant des limitations fonctionnelles « temporaires » pour une période d'un an avec réévaluation par la suite puisque la loi ne prévoit pas de tel mécanisme.
[92] Selon l'employeur, cette décision est inintelligible puisqu'elle suppose que l'état de monsieur Labbé peut s'améliorer, ce qui contredit la conclusion qui figure au paragraphe 65 selon laquelle la lésion professionnelle est consolidée le 23 janvier 2013 en raison de l'atteinte d'un plateau de récupération.
[93] Le tribunal siégeant en révision constate que la décision du 5 mai 2014 qui traite des limitations fonctionnelles comporte aussi un vice de fond de nature à l'invalider, car elle se fonde uniquement sur le témoignage de monsieur Labbé et écarte sans motif les avis de la professionnelle de la santé désignée par l'employeur et du membre du Bureau d'évaluation médicale.
[94] Or, l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur est une question d'ordre médical.
[95] Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Hynes et Municipalité Village de Shawville[20], « seul un médecin peut émettre une opinion eu égard aux limitations fonctionnelles résultant d’une lésion professionnelle ».
[96] Le médecin qui a charge de monsieur Labbé et le physiatre D'Anjou, auquel monsieur Labbé est dirigé par la docteure Brochu, ne se prononcent pas sur la question de l'existence ou de l'évaluation de limitations fonctionnelles.
[97] Comme les avis des docteurs Lavoie et Gagnon ne sont pas contredits par ceux du médecin qui a charge ou du physiatre auquel monsieur Labbé est dirigé, la preuve médicale est unanime sur cette question et en statuant dans le sens contraire, la décision du 5 mai 2014 comporte un vice de fond de nature à l'invalider.
[98] En raison des conclusions auxquelles il en arrive dans ce qui précède, le tribunal siégeant en révision considère qu’il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'autre question soulevée par la procureure de l'employeur en ce qui a trait au caractère « temporaire » des limitations fonctionnelles.
[99] Le tribunal n'a pas non plus à se prononcer sur l'erreur alléguée par l'employeur relativement à la décision sur la capacité de travail en l'absence de preuve sur les positions de travail, les poids manipulés ou les outils utilisés dans le cadre de l'emploi de monsieur Labbé.
[100] Le tribunal siégeant en révision estime que les erreurs commises par le premier juge administratif quant à l'atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles ont un effet déterminant sur l'issue du litige, car en statuant ainsi, la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion que monsieur Labbé est incapable d'exercer son emploi prélésionnel.
[101] Il y a donc lieu de réviser la décision du 5 mai 2014.
· Décision au fond
[102] Procédant à rendre la décision au fond sur l'atteinte permanente, les limitations fonctionnelles, le droit à une indemnité pour préjudice corporel, la capacité de travail et le droit à l'indemnité de remplacement du revenu, le tribunal siégeant en révision en arrive aux conclusions suivantes.
o Atteinte permanente, limitations fonctionnelles et droit à une indemnité pour préjudice corporel
[103] L'article 83 de la loi prévoit qu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, pour chaque accident du travail ou maladie professionnelle pour lequel il réclame à la CSST, à une indemnité pour préjudice corporel qui tient compte du déficit anatomo-physiologique et du préjudice esthétique qui résultent de cette atteinte et des douleurs et de la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.
[104] Dans le présent cas, il ressort des avis médicaux des docteurs Lavoie et Gagnon que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 est consolidée le 23 janvier 2013 avec suffisance des traitements et qu'elle n'entraîne pas d'atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.
[105] Effectivement, comme le souligne le membre du Bureau d'évaluation médicale dans son rapport, son examen objectif « est tout à fait comparable » à celui de la docteure Lavoie et révèle « une mobilité et une force normales tant au pourtour de sa colonne cervicale que de son épaule gauche et de son membre supérieur gauche ».
[106] Les avis de la physiatre Lavoie et de l'orthopédiste Gagnon sur les limitations fonctionnelles et sur l'atteinte permanente ne sont pas contredits par ceux de la docteure Brochu, médecin qui a charge, et du physiatre D'Anjou, car ces derniers ne se prononcent pas sur ces sujets.
[107] Dans le Rapport complémentaire qu’il produit en date du 22 février 2013, le physiatre D'Anjou se dit en accord avec la docteure Lavoie qui conclut que la « petite déchirure partielle infra-substance du sous-épineux n'explique pas le tableau clinique » [sic]. Le physiatre D'Anjou ajoute que lors de son examen du 31 janvier 2013, il en arrive à la conclusion que la cervicobrachialgie gauche est pratiquement résolue, que monsieur Labbé se plaint de douleurs d'origine musculaire avec myalgie du trapèze gauche et qu’il recommande un programme d'exercices à domicile pour assouplissement et renforcement de la musculature du trapèze, avec prescription de Flexiril, mais sans indication d'infiltration.
[108] La docteure Brochu, pour sa part, indique qu'elle maintient le « travail léger » sur les rapports médicaux produits les 18 février 2013 et 28 mars 2013. Toutefois, à compter du 18 juillet 2013, ce médecin recommande que monsieur Labbé exerce son travail « régulier » le matin et un travail léger en après-midi. Le dernier Rapport médical est en date du 5 septembre 2013 et ne comporte aucune information additionnelle sur l'existence de limitations fonctionnelles ou d'une atteinte permanente.
[109] La prépondérance de preuve médicale milite donc en faveur du maintien de l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale selon lequel la lésion professionnelle du 11 juin 2012 n'entraîne ni atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[110] En l'absence d'une atteinte permanente à l’intégrité physique, monsieur Labbé n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.
o Capacité de travail et droit à l'indemnité de remplacement du revenu
[111] Les articles 44 et 57 de la loi stipulent qu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion et que ce droit prend fin lorsqu'il redevient capable d'exercer son emploi[21].
[112] L'article 46 de la loi, par ailleurs, prévoit qu'un travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
[113] Le tribunal constate que la présomption d'incapacité de l'article 46 ne s'applique plus en faveur de monsieur Labbé à compter du 23 janvier 2013 puisque sa lésion professionnelle est consolidée à cette date.
[114] Comme la lésion professionnelle du 11 juin 2012 n'entraîne pas de limitations fonctionnelles, il n'y a aucun motif permettant de croire que monsieur Labbé demeure incapable d'exercer son emploi à cette date.
[115] Monsieur Labbé est donc capable d'exercer son emploi prélésionnel à compter de la date de consolidation de sa lésion professionnelle, soit le 23 janvier 2013. Ainsi, le droit à l'indemnité de remplacement du revenu de monsieur Labbé prend fin le 23 janvier 2013.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
527788-03B-1311
REJETTE la requête en révision ou révocation de Fix Auto Ste-Foy en date du 4 juin 2014 ;
518404-03B-1308
ACCUEILLE la requête en révision ou révocation de Fix Auto Ste-Foy en date du 4 juin 2014 ;
RÉVISE en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 mai 2014 ;
REJETTE la requête de monsieur Étienne Labbé en date du 5 août 2013 ;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 8 juillet 2013 ;
DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par monsieur Labbé le 11 juin 2012 et diagnostiquée comme étirement du trapèze gauche est consolidée avec suffisance des traitements le 23 janvier 2013 ;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 11 juin 2012 n'entraîne aucune atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle ;
DÉCLARE que monsieur Labbé n'a plus droit au remboursement du coût de ses traitements à compter du 23 janvier 2013 et qu’il n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel ;
DÉCLARE qu'à la suite de la lésion professionnelle du 11 juin 2012, monsieur Labbé est redevenu capable d'exercer son emploi prélésionnel le 23 janvier 2013 et qu’il n'a plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.
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Martine Montplaisir |
Me Isabelle Montpetit |
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Béchard Morin, avocats |
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Représentante de Fix Auto Ste-Foy |
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Madame Anita Vachon |
Représentante de monsieur Labbé
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.
[3] [1998] C.L.P. 783.
[4] Peris et Casino du Lac-Leamy et CSST, 2009 QCCLP 3915 ; Riel et Banque Nationale du Canada et CSST, 2009 QCCLP 4898 ; Turcotte et CSST, 2009 QCCLP 6833 ; SPSS-CHUM (FIQ) et C.H. Université de Montréal, 2009 QCCLP 7737 ; Beaulieu et Construction C.B. (2004) inc. et S.A.A.Q., 2010 QCCLP 9219 ; Drakkar Ressources humaines inc., 2011 QCCLP 7753 ; Lachance et Garage Hermann Bolduc et CSST, 2012 QCCLP 4556 ; Dugas et Intermat, 2013 QCCLP 1534 ; Métal Laurentide inc., 2013 QCCLP 5103 ; Compagnie A et D... D..., 2014 QCCLP 2863.
[5] [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[6] [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[7] [2003] C.L.P. 606 (C.A.).
[8] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[9] [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[10] C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[11] RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[12] 2014 QCCLP 3142.
[13] Bastien et Coleco Canada ltée, [1992] C.A.L.P. 526 ; Chartray et Entr. Yvan Frappier, C.A.L.P. 19255-04-9005, 15 mai 1992, T. Giroux, (J4-09-18) ; Bélanger et Ressources Meston inc., C.A.L.P. 44387-02-9210, 2 février 1996, J.-G. Roy ; Berrafato et Coffrages Industriels ltée, C.A.L.P. 35815-60-9201, 11 mars 1996, T. Giroux ; Leduc et Forains Abyssaux inc., C.L.P. 183879-64-0205, 19 décembre 2002, J.-F. Martel ; Marcotte et Systèmes intérieurs Précision S.P., C.L.P. 357504-63-0809, 5 août 2009, I. Piché.
[14] Daigle et Dollarama, s.e.c., 2012 QCCLP 4840.
[15] Polymos inc. et Morin, C.L.P. 280182-71-0512, 13 novembre 2006, F. Juteau ; Fournier et Commission scolaire de Laval, 2013 QCCLP 2899.
[16] Villeneuve et Donohue inc. (Produits forestiers Saucier ltée), [1992] C.A.L.P. 543 ; Côté et C.S. Brooks Canada inc., [1993] C.A.L.P. 300 ; Tordjman et Versabec inc., [1997] C.A.L.P. 1028 ; Pichette et Cartier Jeep Eagle inc., [1997] C.A.L.P. 1241 ; Procure Missions étrangères P. Québec et Deschênes, C.L.P. 100331-61-9803, 26 avril 1999, S. Di Pasquale ; Allard et Schlumberger Industries, C.L.P. 233088-04B-0404, 14 novembre 2004, S. Sénéchal.
[17] Richard et Fabspec inc., [1998] C.L.P. 1043.
[18] Précitée, note 16.
[19] Voir aussi : Desmarais et Buroplan inc., C.A.L.P. 69423-60-9505, 23 septembre 1996, M. Cuddihy.
[20] C.L.P. 212650-07-0307, 5 octobre 2004, A. Suicco.
[21] Chemins de fer nationaux et Hébert, C.A.L.P. 52969-64-9308, 12 octobre 1995, C. Demers ; Cimon et Transport Belmire inc., [1996] C.A.L.P. 750 ; Paquin et Menuiserie Roland, C.L.P. 90877-03A-9709, 15 avril 1998, P. Brazeau.
AVIS :
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