DÉCISION
[1] Le 13 décembre 2000, madame Andrée Charbonneau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 1er décembre 2000, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 3 août 2000 suite à un avis du membre du Bureau d’évaluation médicale signé le 28 juin 2000 traitant d’une lésion professionnelle subie le 30 octobre 1995. La CSST conclut que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 4,90 % en relation avec cette lésion professionnelle, ce qui donne droit à une indemnité pour dommages corporels de 2 749,15 $ à laquelle s’ajouteront les intérêts.
[3] Le 26 septembre 2002, la Commission des lésions professionnelles tient une audience en présence de la travailleuse qui est représentée. La représentante de la compagnie Olymel - Flamingo (l’employeur) a informé le tribunal qu’elle serait absente à l’audience et a transmis une argumentation écrite.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître l’atteinte permanente à l’intégrité physique décrite par le docteur Bernard Chartrand à son rapport d’évaluation médicale. Plus précisément, elle demande au tribunal de conclure qu’elle conserve un déficit anatomo-physiologique de 12,5 % et un préjudice esthétique de 2,6 % auxquels s’ajoute un pourcentage de 2,8 % pour des douleurs et perte de jouissance de la vie.
LES FAITS
[5] Après avoir pris connaissance du dossier, des documents additionnels déposés dans le cadre de l’audience et en tenant compte de l’argumentation des représentants des parties, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[6] La travailleuse, qui est âgée de 38 ans, est journalière à l’emballage et à l’emploi de Olymel-Flamingo depuis près de 20 ans lorsque, le 30 octobre 1995, une pile de caisses de plastique pesant une soixantaine de kilos tombe sur elle d’une hauteur d’environ deux mètres. Le même jour, le diagnostic de contusions multiples au cou, au bassin et à la hanche droite est posé. La CSST accepte la réclamation de la travailleuse pour cet événement.
[7] Dans une décision rendue le 18 novembre 1997, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) déclare que cette lésion est consolidée le 1er février 1996 sans nécessité de soins ou traitements additionnels et sans qu’il y ait d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles. Le tribunal précise que sa décision est basée sur le diagnostic de contusions multiples et ne tient pas compte du diagnostic de syndrome du défilé thoracique parce que la travailleuse a fait une réclamation à la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation qui s’est manifestée le 10 septembre 1996 sur la base de ce diagnostic et que le litige est pendant au bureau de révision paritaire.
[8] Dans une décision[1] rendue le 19 octobre 1999, la Commission des lésions professionnelles conclut que le diagnostic de syndrome du défilé thoracique bilatéral est en relation avec la lésion professionnelle du 30 octobre 1995. Le tribunal précise que les diagnostics retenus, dans le cadre de la lésion professionnelle du 30 octobre 1995, sont ceux posés par le médecin qui a charge de la travailleuse, soit une entorse lombaire, une entorse cervicale et une entorse de la main gauche. Les passages suivants de cette décision traitent de la symptomatologie et de la preuve médicale qui a été retenue afin d’établir une relation entre l’entorse cervicale et le syndrome du défilé thoracique bilatéral :
[8.] Par la suite, la travailleuse décrit l’événement survenu le 30 octobre. De façon plus spécifique, lors de la chute des casiers, elle fut frappée par l’arrière, légèrement vers la gauche. L’impact précis se situerait au niveau des omoplates et des épaules. Lors de cette poussée la tête fut projetée vers l’arrière ce qui a entraîné une douleur immédiate au cou. La travailleuse ajoute que sous la force de l’impulsion, elle fut projetée vers l’avant. Elle ne se souvient pas si elle a accroché le coin du convoyeur ce qui serait possible vu qu’elle présentait des abrasions aux membres inférieurs. Quoi qu’il en soit, la travailleuse, projetée vers l’avant, vient frapper le mur adjacent. Lors de cet impact, son corps avait légèrement tourné vers la gauche de telle façon que la tête, l’épaule droite ainsi que la hanche droite frappent le mur. Suite à cet impact, la travailleuse s’écroule au sol.
[...]
[10.] Quant à la symptomatologie initiale, la travailleuse se plaignait de douleurs cervicales, de douleurs au trapèze, de céphalées avec vertiges et étourdissements ainsi que de douleurs à la région lombaire et au poignet gauche. En décembre 1995, elle note la présence d’engourdissements aux membres supérieurs.
[...]
[12.] Malgré la consolidation de sa lésion la travailleuse déclare qu’elle ne fut pas en mesure de reprendre ses fonctions eu égard à sa symptomatologie résiduelle. Plus spécifiquement, elle invoque qu’elle présentait un phénomène de lourdeur au niveau des membres supérieurs l’empêchant d’exécuter son travail ainsi que la plupart de ses travaux domestiques. Dans ce contexte, elle a poursuivi ses visites médicales et reçu différents traitements dont elle a défrayé les coûts personnellement. Elle souligne de façon générale que lorsqu’elle cessait les traitements, ses symptômes progressaient, s’intensifiaient.
[...]
[16.] Comme noté à la CALP par sa décision, le premier rapport qui pose un diagnostic de syndrome de la traverse thoracique fut émis par le docteur Sylvain Laporte, le 10 septembre 1996.
[17.] Donc, à partir de juin 1996, on peut constater que les médecins qui ont pris charge de la travailleuse ont entrepris une démarche se traduisant par différents types de tests et d’examens pour identifier les causes organiques sous-jacentes à sa symptomatologie résiduelle, et tout particulièrement à un phénomène d’engourdissement qu’elle présentait aux mains. [...]
[...]
[22.] Pour sa part, le docteur Cartier maintient son diagnostic et procède à opérer la travailleuse pour une résection de la première côte gauche, en date du 16 janvier 1997, tel qu’il appert du protocole opératoire précité.
[...]
[26.] Le 11 septembre 1997, la travailleuse était réopérée par le docteur P. Cartier pour un syndrome du défilé thoracique droit. On procède à une résection de la première côte droite.
[...]
[29.] Par la suite, le docteur Paul Cartier explique pourquoi il a pris la décision d’opérer la travailleuse. Il poursuit en décrivant les résultats des opérations, en l’occurrence l’amélioration importante de l’état de la travailleuse. À la fin il conclut de la façon suivante :
« Il est certain que d’autres experts mettront en doute cette décision chirurgicale. Il est cependant reconnu par d’autres experts que l’entorse cervicale post-traumatique peut conduire après des semaines, des mois ou même des années à un syndrome du défilé thoracique.
On doit dans certains cas procéder par élimination comme nous l’avons fait ici. Finalement c’est le résultat qui compte. »
[...]
[33.] Une expertise effectuée par le docteur Benoit Cartier, chirurgien, datée du 19 mai 1999 est déposée au dossier.
[34.] À cette expertise ce médecin émet les commentaires généraux suivantes :
« Je fais parvenir avec mon expertise deux chapitres parus dans ‘Vascular Surgery, édité by Robert B. Rutherford, chapitre 73, 3e édition, 1989’ et le ‘chapitre 69, 4e édition publié en 1995, écrit par Dr Donald J. Stonay et par Stephen W.K. Chang’.
Je vais donc appuyer mes commentaires sur ces deux chapitres. Pour débuter, je me réfère à la citation 73-2 qui dit ‘comme il n’y a pas de test diagnostique spécifique pour les patients porteurs de syndrome de défilé thoracique, seuls les chirurgiens qui traitent et opèrent de tels patients sont en mesure de bien évaluer le problème’.
[...]
Bien que le syndrome de défilé thoracique peut survenir spontanément, dans plus de 70% des cas on note un traumatisme associé dans les mois précédant les symptômes : le traumatisme peut être direct par atteinte du plexus brachial ou par atteinte musculaire, ou indirect suite à des microtraumatismes chez les patients faisant des mouvements à répétition. Certains patients n’accuseront pas de symptôme immédiatement, mais vont les développer dans les mois suivant le traumatisme (Citations 69-4, 69-5, 69-6, 73-4, 73-5).
Dans le type neurologique de syndrome de défilé thoracique, il y a un type en relation avec une atteinte du plexus inférieur, soit C8-T1; à ce moment le patient accuse des engourdissements au niveau de la face interne du bras, des 4e et 5e doigts et une lourdeur au niveau de la région de l’épaule et du cou avec des céphalées associées. (Citations 73-3 et 69-8). Ce sont exactement les symptômes que Madame Charbonneau présentait.
C’est vraiment à l’histoire et à l’identification des symptômes qu’on peut poser un diagnostic de syndrome de défilé thoracique. L’examen physique, de même que les tests d’investigation servent surtout à exclure tout autre diagnostic possible; plusieurs manoeuvres à l’examen physique, comme la manoeuvre d’Adson, d’Allen, sont peu spécifiques; leur variante de la normale est trop grande et peut inclure autant des patients asymptomatiques que des patients symptomatiques; il en est de même des examens comme EMG et tests de laboratoire non invasifs comme le Doppler; en effet des résultats normaux n’éliminent pas un syndrome de défilé thoracique, ces examens servant surtout à éliminer d’autres pathologies dont la hernie discale, le syndrome de tunnel carpien ou le syndrome de la gouttière cubitale. (Citations 73-6, 73-7, 73-8, 73-9, 73-10, 73-11, 73-12, 69-9, 69-10, 69-11, 69-12, 69-13, 69-14, 69-15, 69-16 et 69-17).
[...]
Pour ce qui est du traitement, avant tout il doit être conservateur avec physiothérapie appropriée. S’il n’y a pas d’amélioration suite à des traitements de physiothérapie de 3-6 mois et que le patient demeure très handicapé par sa condition, une chirurgie de décompression par exérèse de côte cervicale ou de première côte peut à ce moment être envisagée. La décision doit être prise en collaboration avec le patient, tout en expliquant les risques potentiels soit : les risques de traumatisme nerveux ou artériel, tout en admettant qu’il n’est jamais certain d’avoir une amélioration des symptômes à 100 %. Plus les symptômes sont présents depuis plusieurs années, surtout plus de deux ans, moins les chances de succès sont bonnes. (Citations 69-3, 69-18, 69-19, 69-20 et 73-13).
Pour ce qui est du cas présent, lorsqu’on examine Madame Charbonneau, on remarque qu’elle n’a aucune douleur et aucune limitation en comparaison à sa condition médicale avant les chirurgies. Je pense que les résultats sont des concluants et montrent bien que Madame Charbonneau a présenté un syndrome de défilé thoracique, plus important à gauche qu’à droite, avec une amélioration complète suite aux chirurgies. »
[35.] Lors de l’audience, la travailleuse complète la preuve en soulignant que les opérations qu’elle a subi ont grandement amélioré son état de telle façon qu’elle reprenait le travail vers le mois d’avril 1998. Elle a bénéficié d’un retour au travail progressif qui lui a permis de reprendre son travail régulier.
[36.] Lors de l’audience la Commission des lésions professionnelles a entendu le docteur Gilles Tremblay comme expert de la travailleuse.
[37.] Dans un premier temps, le docteur Tremblay explique la symptomatologie recouverte par le syndrome du défilé thoracique. Plus spécifiquement on parle d’un phénomène d’engourdissement et de lourdeur des membres supérieurs.
[...]
[40.] Replacé dans le présent cas, il souligne que c’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de madame Charbonneau. En effet, lors de l’événement, elle fut victime d’un « wiplash », ayant entraîné une entorse cervicale nécessitant des traitements sur une période de temps relativement longue puisqu’à tout escient, la travailleuse s’est toujours plainte d’une symptomatologie documentée médicalement, même après la consolidation de sa lésion, et jusqu’au moment où on a posé le diagnostic de syndrome du défilé thoracique.
[...]
[42.] Quant à la relation avec l’entorse cervicale il enseigne que les muscles scalènes s’attachent sur les apophyses transverses cervicales et s’insèrent à la première côte. Ce muscle sert à stabiliser le cou et à en assurer la mobilité. Donc, lorsqu’on parle d’un spasme, d’une contraction continue du scalène on constate qu’il y a traction sur la première côte vers le haut et réduction donc de l’espace du défilé thoracique. Dans le cas actuel il souligne que c’est le phénomène que l’on a constaté, tout particulièrement lorsque le physiothérapeute Dufour, le 7 mai 1996, note des spasmes musculaires importants au niveau des scalènes antérieurs du côté droit.
[...]
[46.] Finalement, il souligne que les résultats de ces opérations constituent la meilleure preuve qu’en tout état de cause, la travailleuse présentait un défilé thoracique, apparu après un traumatisme important impliquant une entorse cervicale sévère qui, constitue une cause reconnue de ce syndrome.
[...]
[48.] Il souligne que bien que les examens cliniques objectifs décrivaient une amplitude de mouvement normale en janvier et février 1996, il n’en demeure que la travailleuse demeurait avec une symptomatologie pour laquelle son médecin traitant a poursuivi la dispensation de différentes approches curatives dont des traitements de physiothérapie, de chiropractie ainsi que d’acupuncture. En dernière analyse, le docteur Tremblay conclut donc que le syndrome du défilé thoracique est relié à la lésion professionnelle subie par la travailleuse et qu’aucune condition personnelle ou préexistante n’explique l’apparition de ce syndrome.
[9] Les extraits suivants des motifs de la décision de la Commission des lésions professionnelles sont pertinents à la solution du présent litige :
[79.] Par ailleurs, il ne fait aucun doute, à la lumière de la preuve que la travailleuse a subi un traumatisme important, brutal tel que décrit aux présentes. On parle d’une projection avec traumatisme direct lors de la chute des boîtes ainsi que lorsque la travailleuse frappe le mur et le sol. D’ailleurs, les lésions qui en ont résulté sont multiples et ont nécessité une approche thérapeutique reconnue par la Commission, jusqu’au mois de février 1996.
[80.] Or, pendant cette période, la travailleuse offrait une plainte subjective qui demeure, à notre sens, crédible puisque non contredite et cohérente à travers les différents écrits et déclarations offerts dans ce dossier. On parle de douleur cervicale, au trapèze, de céphalées, de sensation de lourdeur au niveau de l’épaule et des membres supérieurs.
[...]
[82.] En second lieu la travailleuse fut consolidée suite à l’exercice d’une contestation médicale conformément à la procédure de contestation médicale prévue à la loi le tout en date du 1er février 1996. Cette consolidation de la lésion se fait dans le cadre des diagnostics retenus à cette époque et se fondent strictement sur les examens cliniques objectifs qui, bien que démontrant la présence de douleur, n’établissaient aucune cause organique à ce moment. Ajoutons que les amplitudes articulaires étaient normales et qu’en conséquence, prenant en considération strictement ces éléments, on a conclu que la travailleuse était en mesure de reprendre ses fonctions.
[...]
[85.] Par ailleurs, lors de cette consolidation, il faut bien comprendre que la travailleuse maintenait sa plainte subjective et que d’aucune façon elle ne s’était déclarée parfaitement guérie ou en mesure même de reprendre son emploi préaccidentel.
[86.] D’ailleurs, ces médecins traitants, en l’occurrence les docteurs Laporte ont maintenu l’arrêt de travail toujours dans le cadre de la symptomatologie dont se plaignait la travailleuse, le tout relié aux diagnostics qu’ils avaient retenus. Différentes approches thérapeutiques furent tentées tel qu’en fait foi le suivi médical dans ce dossier.
[...]
[91.] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles retient que la symptomatologie présentée par la travailleuse et résultant dans un diagnostic de syndrome du défilé thoracique était déjà présent avant même la consolidation de sa lésion professionnelle initiale et constituait un des éléments de sa plainte subjective. Seul le diagnostic n’avait pas été identifié à ce moment.
[92.] Par la suite, partant du principe de l’établissement d’un diagnostic par voie d’exclusion, les médecins traitants de la travailleuse ont retenu celui de syndrome de défilé thoracique.
[...]
[94.] Par ailleurs, le diagnostic de syndrome du défilé thoracique fut posé par les médecins traitants de la travailleuse, diagnostic qui ne fut pas contesté et qui donc lie la CSST comme la Commission des lésions professionnelles.
[95.] Bien que ce diagnostic n’apparaisse que le 10 septembre 1996, il recouvre une réalité préexistante pour laquelle la travailleuse fut traitée, de façon générale, après la consolidation de sa lésion professionnelle initiale.
[96.] Par ailleurs, les docteurs Cartier, Tremblay et Laporte se sont expliqués amplement tel qu’il apparaît de la section des faits sur la causalité à retenir entre le syndrome du défilé thoracique présenté par madame Charbonneau et la lésion professionnelle initiale retenue, en l’occurrence la présence d’une entorse cervicale. Ces opinions se fondent sur l’absence d’une condition personnelle préexistante, sur l’ensemble des différents tests ayant mené à l’établissement du diagnostic, sur un délai d’apparition tout à fait compatible avec la littérature ainsi que sur la causalité intrinsèque notée par cette littérature entre une entorse cervicale, une fibrose du muscle scalène et la compression existant dans le défilé thoracique.
[97] Au-delà des argumentations à savoir contusion versus entorse, traumatisme versus élongation, il convient de retenir qu’initialement la travailleuse a subi une entorse cervicale relativement importante ayant entraîné les phénomènes inflammatoires impliquant le muscle scalène tel que noté par les professionnels de la santé dans ce dossier. Ce processus s’est maintenu après la consolidation de la lésion au mois de février 1996 tel que noté par le physiothérapeute Dufour.
[98.] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles conclut que la prépondérance de preuve médico-légale offerte par la travailleuse démontre qu’il existe bien une relation entre le syndrome du défilé thoracique bilatéral qu’elle a présenté et la lésion professionnelle initiale du 30 octobre 1995.
[99.] Bien plus, cette preuve médicale établit que cette lésion produisait déjà des effets, se traduisant par la plainte subjective de la travailleuse, lors de la consolidation de la lésion au 1er février 1996.
[100.] D’ailleurs, cette symptomatologie a disparu ou s’est réduite de façon significative qu’après les traitements effectués par le docteur Cartier, en l’occurrence les opérations portant sur l’exérèse de la première côte. Soulignons que ces traitements ont seuls produits une amélioration de l’état de la travailleuse ce qui semble être en soi-même un élément à prendre en considération dans l’appréciation de l’ensemble de ce dossier.
[...]
[102.] Vu la conclusion à laquelle parvient la Commission des lésions professionnelles, il convient de conclure qu’à ces diagnostics s’ajoute un diagnostic de syndrome du défilé thoracique sous-jacent. Syndrome qui produisait toujours une symptomatologie active et incapacitante qui donne droit à la travailleuse de recevoir les prestations prévues par la loi, du 1er février 1996 jusqu’à la consolidation finale de la lésion de défilé thoracique.
[10] Suite à cette décision de la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse a consulté le docteur Bernard Chartrand qui, dans un rapport médical émis le 10 novembre 1999, reprend le diagnostic de syndrome du défilé thoracique bilatéral.
[11] Dans une décision rendue le 15 novembre 1999, la CSST statue sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi depuis le 4 mai 1998, date à laquelle elle est effectivement retournée à son poste.
[12] Le 31 janvier 2000, le docteur Chartrand signe son rapport d’évaluation médicale sur la base des diagnostics de syndrome du défilé thoracique bilatéral opéré et d’entorse cervicale. Il note que la condition physique de la travailleuse a été améliorée de 70 % par les interventions chirurgicales mais qu’elle continue d’accuser une certaine lourdeur et des engourdissements surtout en fin de journée et qu’elle présente, à l’occasion, des cervicalgies. Il ajoute que les douleurs peuvent irradier entre les deux omoplates, en particulier si la travailleuse tente de faire des gestes avec les bras plus haut que 60 à 70 degrés de façon soutenue et encore plus si elle tente de manipuler des poids avec les bras plus haut que 60 à 70 degrés.
[13] À son examen physique, le docteur Chartrand rapporte que la base du cou semble plus volumineuse qu’elle devrait l’être et que la travailleuse présente des cicatrices, l’une de 6 X .2 cm blanchâtre et surélevée en antérieur du côté droit, et une de 7 X .2 cm blanchâtre et surélevée du côté gauche.
[14] Il note que les mouvements du cou sont normaux, qu’il n’y a pas de déficit neurologique au niveau des membres supérieurs, que les réflexes sont symétriques mais que la patiente présente une douleur à la palpation latérale, surtout à la jonction du thorax.
[15] Il retient le bilan des séquelles suivant :
203513 Entorse cervicale 2 %
102383 Défilé thoracique droit opéré 2 %
(équivalence faite selon article 84 de la loi)
102383 Défilé thoracique gauche opéré 2 %
(équivalence faite selon article 84 de la loi)
102383 Bilatéralité du défilé thoracique 2 %
104685 Excision de la première côte droite 1.5%
(équivalence faite selon article 84 de la loi)
104675 Excision de la première côte gauche 1.5%
(équivalence faite selon article 84 de la loi)
104675 Bilatéralité pour les excisions de première côte 1.5%
Total du DAP 12.5%
225134 DPJV 2.6%
224215 Préjudice esthétique, cicatrice vicieuse 6 cm X .2 cm 1.2%
(1% / cm2)
224215 Cicatrice vicieuse 7 cm X .2 cm (1% / cm2) 1.4%
Total du préjudice esthétique 2.6%
225027 DPJV .2%
APIPP = DAP + DPJV + PE + DPJV PE
12,5 % + 2,6 % + 2,6 % + ,2 %
APIPP totale : 17,9 %
[16] Le 22 mars 2000, la travailleuse est examinée, à la demande de la CSST, par le docteur Marc Beauchamp. À l’examen subjectif, il rapporte que la travailleuse ressent des douleurs occasionnelles à la base du cou, à peu près au niveau du site opératoire. Elle n’a pas de douleur importante aux épaules mais ressent une diminution de l’endurance au niveau des membres supérieurs; elle a de la difficulté à garder les deux bras en élévation de plus de 90° et à soulever des charges en hauteur et présente, quelques fois par semaine, des engourdissements diffus au niveau des membres supérieurs. Elle ne présente aucune symptomatologie au niveau dorso-lombaire.
[17] À son examen physique, le docteur Beauchamp note que les amplitudes articulaires cervicales sont complètes et qu’il en est de même au niveau des épaules. Il note la présence de deux cicatrices immédiatement supérieures aux clavicules mesurant chacune 6 cm X 1 mm.; ces cicatrices sont esthétiques et ne sont pas adhérentes au plan profond mais elles sont nettement apparentes compte tenu de leur localisation.
[18] Il retient l’atteinte permanente à l’intégrité physique suivante :
102374 Atteinte des tissus mous au niveau du membre supérieur 1 %
droit sans séquelle fonctionnelle, mais avec changements
radiologiques
102374 Atteinte des tissus mous au niveau du membre supérieur 1 %
gauche sans séquelle fonctionnelle, mais avec changements
radiologiques
Facteur de bilatéralité 1 %
224215 Atteinte cicatricielle apparente au niveau du cou 1,2%
[19] Le 9 mai 2000, le docteur Chartrand signe un rapport complémentaire précisant qu’il considère que son évaluation est beaucoup plus conforme à la réalité clinique de la travailleuse que celle effectuée par le docteur Beauchamp.
[20] Le 19 juin 2000, la travailleuse est examinée par le docteur Hany Daoud, orthopédiste, qui agit à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Dans son avis signé le 28 juin 2000, le docteur Daoud rapporte un examen du rachis cervical et des épaules dans les limites de la normale. Il décrit deux cicatrices de belle qualité à la base du cou, celle à droite mesure 7 cm et celle de gauche 6,5 cm. Il retient l’atteinte permanente à l’intégrité physique suivante :
104675 Résection première côte gauche 1,5%
104675 Résection première côte droite 1,5%
Bilatéralité :
104675 Résection de la première côte 1,5%
[21] À l’audience, la travailleuse a confirmé que sa condition a été améliorée par les deux chirurgies effectuées par le docteur Cartier. Tout comme elle l’avait indiqué aux différents médecins examinateurs, elle affirme qu’elle éprouve toujours des douleurs au cou et au trapèze, ce qui entraîne certaines difficultés au niveau fonctionnel. La travailleuse explique qu’elle a de la difficulté à élever les bras, ce qui lui crée des problèmes lorsqu’elle veut se coiffer, se teindre les cheveux, laver des vitres ou encore étendre son linge.
[22] Avant l’accident de 1995, elle faisait du ski de fond et jouait au golf, ce qu’elle ne peut plus faire aujourd’hui; lorsqu’elle fait du vélo, elle ressent une diminution de force de même qu’une augmentation de la douleur et de la sensation de fatigue au niveau du cou, des bras et du trapèze. Lorsque les malaises s’amplifient à cause des postures qu’elle a prises, elle doit s’arrêter pendant une dizaine de minutes et tout rentre dans l’ordre par la suite. La travailleuse confirme qu’elle présente encore des engourdissements au niveau des membres supérieurs et que les médecins lui ont confirmé que sa condition ne pouvait revenir comme avant l’accident; ces engourdissements sont plus importants la nuit mais ils sont toutefois moins intenses et moins fréquents qu’avant les chirurgies. Elle présente à l’occasion un gonflement au niveau du cou et des doigts de même que des plaques blanches et rouges aux mains. En ce qui a trait aux cicatrices, elle considère que celles-ci sont apparentes puisqu’on lui demande fréquemment pour quelles raisons elle a subi une chirurgie à la base du cou.
[23] Dans un document déposé à l’audience, on décrit les aspects cliniques des syndromes vasculaires de la traversée thoraco-brachiale[2] et on peut lire ce qui suit en ce qui a trait aux aspects cliniques attribuables à ces pathologies :
LES SIGNES D’APPEL
1° Les douleurs. Elles représentent le maître symptôme : crampes violentes, lourdeur du membre, parfois simple impatience. Elles sont évocatrices par l’absence de caractéristiques très précises et de topographie bien définie. Elles se limitent volontiers à la main et à l’avant-bras mais peuvent siéger à la racine du membre, posséder des irradiations thoraciques […]. Il peut s’agir plus rarement de douleurs traçantes de type névralgique.
Les circonstance d’apparition des douleurs sont variables. En effet, elles ne surviennent jamais spontanément et sont électivement provoquées par certains efforts, certains mouvements ou certaines positions longtemps maintenues qu’il faut préciser. Il est important de noter qu’il s’agit de mouvements de tout le membre supérieur mettant en jeu la ceinture scapulaire. Dès lors, la douleur ou la gêne douloureuse vont apparaître, soit dès la constitution du mouvement empêchant son achèvement, soit beaucoup plus souvent au bout d’un court laps de temps obligeant le sujet à changer de position ou à se reposer un certain temps en relâchant la contraction musculaire pour pouvoir reprendre le mouvement. Plus encore que le caractère précis de la position douloureuse, c’est le maintien forcé de tout le membre supérieur dans cette position par contraction maintenue des muscles de la ceinture scapulaire qui pourrait être le facteur déclenchant essentiel. On recherche donc par l’interrogatoire une gêne au cours de certains mouvements de la vie courante tels que faire un travail avec les bras en hyperabduction, placer ou ranger des objets sur des étagères haut situées, porter une valise ou un panier à provisions. On peut trouver d’autres causes apparemment moins évidentes : taper à la machine, jouer du piano, porter un fardeau sur l’épaule […].
Dans tous les cas, on retrouve la nécessité d’interrompre le mouvement pour obtenir la sédation rapide du phénomène douloureux. On évoque volontiers une ischémie brachiale régressive que nous qualifions d’intermittente.
2° La gêne fonctionnelle peut être soit directement en rapport avec les douleurs que nous venons d’évoquer lorsque celles-ci sont déclenchées par des mouvements fréquemment rencontrés dans l’activité du sujet, soit prendre un caractère plus vague. En effet, il peut s’agir de patients qui n’ont pas de véritables sensations douloureuses (ou que très occasionnellement ressenties) mais qui ont conscience d’être gênés au niveau du membre supérieur; cette sensation est souvent difficile à apprécier, ressentie comme une diminution de la force musculaire, une certaine faiblesse, une incapacité à se servir d’une main comme de l’autre. C’est alors par un interrogatoire très patient qu’il faut chercher les causes déclenchantes : effort et position.
Cet aspect symptomatique est donc primordial par sa fréquence et son importance puisque c’est lui qui amène le plus souvent à consulter et représente l’essentiel de la complainte. Une véritable claudication intermittente du membre supérieur est beaucoup plus rare. Douleurs et crampes surviennent au cours d’un effort soutenu du membre supérieur. Elles ne cèdent que progressivement à l’arrêt de celui-ci. Indépendante de la position adoptée par le bras, cette claudication doit faire suspecter une thrombose segmentaire de l’axe artériel sous-clavier.
[…]
L’œdème. Le gonflement intermittent de la main et des doigts est fréquemment observé, gênant par la sensation de lourdeur qui l’accompagne, obligeant souvent les malades à ôter bagues ou alliance; il s’agit d’un gonflement relativement tendu de toute la main plus que d’un œdème vrai.
Les doigts prennent un aspect boudiné; l’œdème peut s’étendre à l’avant-bras, diffuser à l’ensemble du membre et déborder sur le creux sus-claviculaire. Les veines superficielles de la main sont dilatées, cette turgescence témoignant d’une gêne à la circulation de retour. De même peut être notée une acrocyanose persistante ou encore, tout comme l’œdème et la dilation veineuse, contemporaine de certains mouvements (abduction, port d’objets pesants […], de certaines positions longuement maintenues (œdème au réveil).
6° Les troubles trophiques. L’apparition de troubles trophiques est alarmante. Ulcération, engelure, faux panaris, gangrènes, sont généralement limités et adoptent un siège pulpaire ou périunguéal. Ils représentent l’aboutissement de syndromes ayant évolué pendant de longues années.
L'AVIS DES MEMBRES
[24] Conformément aux articles 374 et 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi), la commissaire soussignée a recueilli l’avis des membres suite à l’audience.
[25] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Les membres retiennent l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et du préjudice esthétique décrite par le docteur Chartrand dans la mesure où cette évaluation semble la plus conforme à la condition réelle de la travailleuse qui conserve une gêne fonctionnelle permanente en relation avec sa lésion professionnelle.
[26] Les membres retiennent que l’entorse cervicale était symptomatique lors de la récidive, rechute ou aggravation le 10 septembre 1996 et que c’est cette lésion qui est à l’origine du diagnostic de syndrome du défilé thoracique bilatéral reconnu par la Commission des lésions professionnelles dans une décision antérieure.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[27] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique effectuée par le membre du Bureau d’évaluation médicale doit être confirmée.
[28] La Commission des lésions professionnelles retient que dans une décision rendue précédemment par le même tribunal, il a été clairement établi qu’au moment de reconnaître que la travailleuse avait subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle le 10 septembre 1996, elle présentait des douleurs importantes au niveau cervical tel qu’il est décrit aux différents extraits du suivi médical rapportés plus haut. Plus précisément, la travailleuse présentait des spasmes au niveau cervical de même que des engourdissements aux membres supérieurs.
[29] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles a reconnu, dans sa décision du 19 octobre 1999, que le syndrome du défilé thoracique bilatéral était en relation avec l’entorse cervicale subie par la travailleuse lors de l’événement du 30 octobre 1995. Dans cette décision, le commissaire a repris les explications qui avaient été fournies par les docteurs Cartier et Tremblay relativement à l’existence d’une telle relation et expliquant que dans ce type de pathologie, bien que les mouvements du rachis cervical soient normaux, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu atteinte à ce niveau dans la mesure où la symptomatologie importante persiste et cause une gêne fonctionnelle réelle.
[30] À l’audience, la travailleuse a confirmé, comme elle l’a fait aux différents médecins qui ont procédé à des évaluations, que sa condition physique a été grandement améliorée par les deux chirurgies effectuées par le docteur Cartier mais qu’elle demeure tout de même avec des difficultés à poser certains gestes qui sollicitent la région cervicale ou les membres supérieurs.
[31] La Commission des lésions professionnelles retient que l’événement survenu au travail, le 30 octobre 1995, n’est pas banal et a nécessité un long suivi médical de même que deux interventions chirurgicales. La preuve non contredite, tant factuelle que médicale, démontre que bien que la travailleuse ne conserve pas, au sens strict, de limitations de mouvements au niveau du rachis cervical, des épaules ou des membres supérieurs, il n’en demeure pas moins que lorsque ces sites anatomiques sont sollicités, il y a augmentation de la douleur et de l’inconfort et qu’une pause est nécessaire.
[32] Cette situation entraîne des difficultés qui gênent la travailleuse dans sa vie quotidienne et elle ne peut plus exercer comme auparavant certaines activités comme le golf, le ski ou le vélo. Ces limitations sont directement en relation avec les diagnostics d’entorse cervicale et de syndrome du défilé thoracique bilatéral posés par les médecins qui ont assumé le suivi de sa condition.
[33] Les exemples donnés par la travailleuse des difficultés qu’elle rencontre lors de l’exécution de certains gestes ou mouvements de même que la présence d’œdème et de troubles trophiques occasionnels aux mains sont repris dans la littérature médicale déposée à l’audience qui reconnaît qu’il s’agit là de signes cliniques et de gêne fonctionnelle attribuables au syndrome du défilé thoracique bilatéral reconnu comme étant en relation avec son accident du travail.
[34] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles retient l’évaluation faite par le docteur Bernard Chartrand puisqu’elle reflète le plus fidèlement la condition physique de la travailleuse résultant de sa lésion professionnelle. En effet, bien que la travailleuse ait bien récupéré suite aux chirurgies, elle présente toujours des manifestations cliniques des lésions subies lors de son accident du travail.
[35] En ce qui a trait au préjudice esthétique, la Commission des lésions professionnelles retient celui décrit par le docteur Chartrand. Le tribunal écarte l’évaluation faite à cet égard par le docteur Daoud parce qu’elle ne contient pas une description qui est conforme aux exigences de la règle 13 du Règlement sur le barème des dommages corporels[4] qui prévoit que pour évaluer une cicatrice, il faut tenir compte de sa surface en centimètre carré obtenue en multipliant la largeur moyenne par la longueur moyenne de celle-ci. Dans le présent dossier, le docteur Daoud n’a rapporté que la longueur des deux cicatrices.
[36] Les docteurs Beauchamp et Chartrand considèrent que la travailleuse devrait être indemnisée pour un préjudice esthétique à la base du cou. Dans la mesure où leurs évaluations ne varient qu’en raison d’une description légèrement différente quant à la surface des cicatrices, le tribunal retient la description faite par le médecin qui a charge de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Andrée Charbonneau, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er décembre 2000, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 17,9 % suite à la récidive, rechute ou aggravation du 10 septembre 1996, à savoir 12,5% à titre de déficit anatomo-physiologique, 2,6 % à titre de préjudice esthétique et 2,8 % à titre de douleurs et perte de jouissance de la vie; et
DÉCLARE que la travailleuse a droit à l’indemnité pour dommages corporels qui s’y rattache à laquelle s’ajouteront les intérêts prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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DIANE BESSE |
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Commissaire |
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Me André Laporte |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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