Décision

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Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie

2013 QCCS 7003

 

JG 1744

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

 

N° :

200-06-000134-117

 

DATE :

19 décembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

JEAN-PAUL DUPUIS

Domicilié et résidant au

[…]Longueuil (Québec)

District de Longueuil,  […]

                                                                                     

et

 

FRANCIS TREMBLAY

Domicilié et résidant au
[…] Sherbrooke (Québec)

District de St-François,  […]

                                                                                      Requérants

c.

 

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE,

COMPAGNIE D’ASSURANCE VIE

Ayant son siège social au

200, rue des Commandeurs

Lévis (Québec)

District de Québec,  G6V 8A7

 

et

 

DESJARDINS GESTION D’ACTIFS INC.

Ayant son siège social au

1, Complexe Desjardins, 25è étage, Tour sud

Montréal (Québec)

District de Québec,  H5B 1B3

                                                                                      Intimées

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE POUR

 

    COMMUNICATION DES DOSSIERS DES REQUÉRANTS DÉTENUS PAR LEUR REPRÉSENTANT EN ASSURANCE DE PERSONNES;

•    PERMISSION D’INTERROGER LES REQUÉRANTS;

•    PERMISSION DE PRÉSENTER UNE PREUVE APPROPRIÉE LORS DE L’AUDITION DE LA REQUÊTE POUR AUTORISATION D’EXERCER UN RECOURS COLLECTIF ET POUR ÊTRE DÉSIGNÉS REPRÉSENTANTS

 

______________________________________________________________________

 

[1]           Les requérants, messieurs Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, ont signifié le 17 juin 2011 à l’intimée, Desjardins sécurité financière, compagnie d’assurance-vie (DSF), une requête pour être autorisés à exercer un recours collectif et pour être désignés représentants.

[2]           À la suite d’un jugement prononcé le 11 décembre 2012, messieurs Dupuis et Tremblay ont amendé leur requête, entre autres pour y joindre, à titre d’intimée, Desjardins Gestion d’actifs inc. (DGA).

[3]           Le 18 janvier 2013, les intimées, DSF et DGA, signifiaient aux requérants un avis de dénonciation d’un moyen préliminaire pour obtenir des précisions et communication de certains documents.

[4]           Le 8 avril 2013, les procureurs de l’une et l’autre des parties disposaient de cet avis de dénonciation, tel que le démontrent les documents suivants énumérés au procès-verbal de la quatrième conférence de gestion particulière tenue à cette date :

-     Une lettre du 8 avril 2013 de Me Gagné adressée à Me Tremblay;

-       Une lettre du 8 avril 2013 de Me Tremblay adressée à Me Gagné, en réponse à la lettre précitée;

-       Une requête amendée et précisée pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants, cette requête étant datée du 8 avril 2013;

-       Un avis de dénonciation des pièces R-31 et R-32, daté du 8 avril 2013.

[5]           C’est donc à la suite de cette requête amendée et précisée du 8 avril 2013 que les intimées signifiaient le 22 mai 2013 la requête faisant l’objet du présent jugement.

 

 

Le contexte

[6]           Selon les allégations de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants, DSF est une entreprise constituée aux termes des dispositions de la Loi sur les assurances (L.R.Q., c. C-38) qui œuvre dans les domaines de l’assurance vie, l’assurance maladie et l’assurance accident.

[7]           À titre d’assureur de personnes, DSF offre à ses clients des contrats de rentes qui comportent certains produits financiers, dont les deux produits en cause dans le présent litige, à savoir :

-       Un dépôt à terme désigné sous le nom d’«Indice Plus Stratégique» (Placements IPS) qui peut être enregistré dans un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) ;

-       Un dépôt à terme désigné sous le nom d’«Indice Plus Tactique» (Placements IPT) qui ne peut pas être enregistré dans un REER.

[8]           Ces deux placements à terme sont des produits financiers offerts au public dans le cadre d’un contrat intitulé «contrat Évolu-rente».  La principale caractéristique des placements IPS et IPT est que le capital investi est garanti à l’échéance, le rendement étant variable.

[9]           DGA est une société de portefeuille qui œuvre dans le domaine de la gestion d’actifs et, à ce titre, gère les placements IPS et IPT.

[10]        Alléguant la perte de la totalité des sommes affectées au rendement, M. Dupuis, détenteur de placements IPS, et M. Tremblay, détenteur de placements IPT, désirent intenter un recours collectif contre DSF et DGA au motif qu’elles auraient manqué à leurs obligations contractuelles, notamment à leur devoir d’information, de compétence et de gestion.

[11]        Ils prétendent qu’ils n’ont pas obtenu et qu’ils n’obtiendront pas le rendement escompté et réclament le remboursement de la totalité des sommes qu’ils ont investies dans les placements IPS et IPT, ainsi que le paiement de dommages-intérêts et de dommages punitifs.

[12]        Ainsi, ils entendent demander l’autorisation d’exercer un recours collectif contre les intimées, DSF et DGA, pour le compte du groupe ci-après décrit, soit :

«Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 16 juin 2011 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique ou le Placement Indices Plus Tactique émis par l’intimée Desjardins Sécurité Financière.»

[13]        Et, faisant référence à la Loi sur la protection du consommateur (L.R.Q., c. P-40.1), pour le compte du sous-groupe ci-après décrit, soit :

«Toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique ou le Placement Indices Plus Tactique émis par l’intimée Desjardins Sécurité Financière.»

Les requêtes

[14]        Les intimées, DSF et DGA, présentent une requête qui comporte trois aspects, dont deux poursuivent essentiellement le même objectif.

[15]        Reconnaissant avoir offert au public les produits financiers en cause, soit les Placements IPS et IPT, DSF soutient toutefois que ce n’est pas elle qui les a vendus et qu’il est important, dans le contexte du présent litige, de distinguer l’offre du produit de sa vente.

[16]        En effet, la vente des Placements IPS et IPT était réalisée par des intermédiaires de marchés, entre autres Les Services Financiers Réjean Boyer inc. et Agio Services Financiers inc.

[17]        Étant donné la distinction entre l’offre des produits financiers au public et leur vente aux particuliers, il est important, selon DSF et DGA, de savoir quelles furent les représentations des vendeurs aux acheteurs, en l’occurrence les requérants, au moment de la vente des placements IPS et IPT.

[18]        Que retrouve-t-on  exactement aux dossiers de messieurs Dupuis et Tremblay au sujet des placements IPS et IPT ?

[19]        D’où les conclusions visant la communication «d’une copie complète et intégrale» des dossiers des requérants détenus par leur représentant en assurance de personnes.

[20]        Par ailleurs, reconnaissant à l’instar des requérants, messieurs Dupuis et Tremblay, que le type ou le profil d’investisseurs qu’ils sont n’est pas en cause, DSF et DGA soutiennent toutefois que l’interrogatoire de ces derniers est important, puisqu’il permettra de connaître précisément l’information que les vendeurs leur ont communiquée et ainsi quelles connaissances des produits ils avaient au moment de la vente.  Les conclusions de la requête à cet égard rejoignent ainsi les précédentes.

[21]        Selon DSF et DGA, ces interrogatoires de messieurs Dupuis et Tremblay visent donc à vérifier la présence ou l’absence du syllogisme que les requérants proposent dans leur requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants.

[22]        Enfin, les conclusions visant la permission de présenter une preuve appropriée lors de l’audition de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants concernent la production de trois catégories de pièces :

-       La première, soit les pièces D-1 à D-4 (en liasse), dont la production est admise pour les fins de la présentation de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants ;

-       La seconde, soit les pièces D-5 à D-9, concerne les intermédiaires de marchés impliqués dans la vente aux requérants des placements IPS et IPT ;

-       La troisième, soit les pièces D-9 à D-14, concerne la crise financière qui a sévi à l’échelle mondiale au cours de l’année 2008.

[23]        Selon DSF et DGA, ces dernières pièces sont au cœur même de l’analyse du syllogisme, car messieurs Dupuis et Tremblay ne sont pas en mesure de démontrer s’il y a eu bonne ou mauvaise administration des fonds qu’ils ont confiés.

[24]        À l’exception des pièces D-1 à D-4 dont la production est admise, messieurs Dupuis et Tremblay s’objectent aux autres conclusions recherchées par la requête des intimées, DSF et DGA.

[25]        En effet, ils soutiennent que le recours collectif qu’ils veulent entreprendre repose essentiellement sur les représentations que DSF a faites au public au sujet des placements IPS et IPT, deux produits financiers pourtant offerts à des investisseurs «débutants, moyennement expérimentés et expérimentés», les représentants en assurance de personnes n’étant aucunement en cause.  De plus, le recours repose aussi sur la gestion défaillante de ces deux produits financiers.

[26]        Le litige met donc directement en cause DSF à titre d’émetteur des produits financiers IPS et IPT, ainsi que DGA à titre de gestionnaire de ces deux produits.

[27]        Ils concluent qu’il s’agit donc essentiellement d’un dossier en responsabilité civile contractuelle reprochant à DSF d’avoir manqué à son devoir en n’informant pas adéquatement le public au sujet des placements IPS et IPT, et à DGA d’avoir manqué à ses obligations de gestionnaire de ces placements.

[28]        Les arguments de l’une et l’autre des parties résumés, il n’est pas inutile de reproduire, pour les fins de l’analyse, les conclusions recherchées.

[29]        En effet, les intimées DSF et DGA demandent au Tribunal :

«ORDONNER au Requérant Jean-Paul Dupuis de communiquer aux Intimées DSF et DGA, trente (30) jours avant son interrogatoire, une copie complète et intégrale de son Dossier auprès de ses représentants indépendants en assurance de personnes, Réjean Boyer et François Boyer et auprès de Les Services Financiers Réjean Boyer inc. ;

ORDONNER au Requérant Francis Tremblay de communiquer aux Intimées DSF et DGA, trente (30) jours avant son interrogatoire, une copie complète et intégrale de son Dossier auprès de sa représentante indépendante en assurance de personnes, Diane Veillette et auprès du cabinet Agio Services Financiers inc. ;

PERMETTRE aux Intimées DSF et DGA d’interroger hors de Cour les Requérants, Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, à une date à être convenue entre les parties, sur les faits et les circonstances entourant l’offre et la distribution des Placements IPS et IPT et le présent recours, dont notamment :

(a)      l’information à laquelle ils ont été exposés ;

(b)      l’information communiquée à leurs représentants indépendants en assurance de personnes ;

(c)      l’information reçue des représentants indépendants en assurance de personnes ;

(d)      les échanges, verbaux ou écrits, avec leurs représentants indépendants en assurance de personnes ;

(e)      leur profil d’investisseur ;

(f)       leurs connaissances en matière d’investissement ;

(g)      leurs connaissances des Placements IPS et IPT ;

(h)      leur qualité de représentants et leur capacité à assurer une représentation des membres ;

(i)        les dommages qu’ils réclament ;

AUTORISER les Intimées DSF et DGA à déposer, à leur discrétion, les transcriptions sténographiques au dossier de la Cour ;

AUTORISER les Intimées à déposer une preuve appropriée en vue de l’audition de la Requête pour autorisation, à savoir :

(a)    Six (6) documents contractuels, communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-4, mais cotés individuellement comme suit :

(i)    D-4 a) : Contrat Évolu-rente - septembre 2001

(ii)    D-4 b) : Proposition de contrat - janvier 2003

(iii)    D-4 c) : Proposition de contrat - juillet 2003

(iv)   D-4 d) : Proposition de contrat - septembre 2004

(v)    D-4 e) : Proposition de contrat - octobre 2005

(vi)   D-4 f) : Proposition de contrat - novembre 2007

(b)    Les inscriptions au Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer (le Registre) de l’Autorité des marchés financiers (l’“AMF”) des représentants en assurance de personnes qui ont vendu les Placements IPS et IPT aux Requérants, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-5 ;

(c)    Les inscription au Registre de l’AMF des cabinets en assurance de personnes pour lesquels les représentants en assurance de personnes qui ont distribué les Placements IPS et IPT aux Requérants agissaient au moment de la distribution des Placements IPS et IPT, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-6 ;

(d)    Les extraits du Registre des entreprises du Québec relativement aux cabinets en assurances de personnes suivants :  Les Services Financiers Réjean Boyer inc. et Agio Services Financiers inc., communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-7 ;

(e)    Une copie de la demande formulée par Réjean Boyer, le 18 décembre 2007, pour le transfert, notamment, du contrat R-26, numéro 6166095R, souscrit par le Requérant Dupuis à François Boyer et une copie du Bulletin de l’AMF en date du 9 mai, 2008, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-8 ;

(f)     Documents d’information au sujet d’Assuris, la société à but non lucratif qui protège les assurés canadiens en cas de faillite de leur compagnie  d’assurances et l’extrait établissant que l’Intimée DSF est membre d’Assuris, communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-9 ;

(g)    Deux (2) articles - l’un de la Gazette en date du 28 octobre, 2008 et l’autre de la Presse en date du 22 novembre 2008, intitulé Billets à capital protégé : Les pieds et les poings liés, communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-10 ;

(h)    Un tableau chronologique des communiqués de presse et articles parus dans différents journaux relativement à la crise financière à l’automne 2008, communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-11 ;

(i)      Un document de CNN Money intitulé The crisis : A timeline - a shocking series of events that forever changed the financial markets, communiqué au soutien des présentes sous la cote D-12 ;

(j)      Un article du Wall Street Journal en date du 30 décembre 2008, intitulé Hedge Fund Returns : The Worst Year Evah et l’Index RBC Hedge 250 communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-13 ;

(k)    Indice Dow Jones, Indice S&P 500, Indice Topix (Tokyo), Indice S&P/TSX Composite; Indice Han Seng (Hong Kong); Indice Euro Stoxx 50 en 2008 communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-14

Analyse

[30]        Dans un arrêt récent prononcé le 31 octobre 2013 (Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC59), la Cour suprême du Canada rappelle à nouveau les principes applicables, maintes fois énoncés, à l’analyse relative à une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif selon l’article 1003 du Code de procédure civile (C.p.c.) et la démarche à suivre.

[31]        À une étape préalable de l’audition de cette demande d’autorisation, il n’est pas inutile de relire cet enseignement qui doit nécessairement guider l’analyse de toute demande préliminaire.

[32]        Après avoir cité l’article 1003 C.p.c. dans le texte même de leurs motifs, les juges LeBel et Wagner, avec l’accord unanime de sept autres juges de la Cour, écrivent ce qui suit :

«[58] Au moment d’entreprendre l’analyse relative à l’autorisation du recours collectif, il est essentiel de ne pas combiner ni confondre la procédure d’autorisation avec l’instruction d’un recours dont l’exercice a été autorisé.  Chacune de ces étapes répond à un objectif différent, et l’analyse effectuée doit en tenir compte.

[59] À l’étape de l’autorisation, le tribunal exerce un rôle de filtrage.  Il doit simplement s’assurer que le requérant a satisfait aux critères de l’art. 1003 C.p.c., sans oublier le seuil de preuve peu élevé prescrit par cette disposition.  La décision du tribunal saisi de la requête en autorisation est de nature procédurale puisqu’il doit décider si le recours collectif peut être autorisé à aller de l’avant.»

[33]        Et, après une revue des principaux arrêts de la Cour suprême et de la Cour d’appel sur la question, ils écrivent :

«[65] Comme nous pouvons le constater, la terminologie peut varier d’une décision à l’autre.  Mais certains principes bien établis d’interprétation et d’application de l’art. 1003 C.p.c. se dégagent de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel.  D’abord, comme nous l’avons déjà dit, la procédure d’autorisation ne constitue pas un procès sur le fond, mais plutôt un mécanisme de filtrage.  Le requérant n’est pas tenu de démontrer que sa demande sera probablement accueillie.  De plus, son obligation de démontrer une apparence sérieuse de droit, a good colour of right oua prima facie case signifie que même si la demande peut, en fait, être ultimement rejetée, le recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable.

[66] Un examen de l’intention du législateur confirme également l’existence de ce seuil peu élevé.  Des modifications successives au C.p.c. témoignent clairement de l’intention de la législature du Québec de faciliter l’exercice des recours collectifs.  Par exemple, l’art. 1002 C.p.c. exigeait auparavant que le requérant dépose une preuve par affidavit à l’appui de la requête en autorisation, ce qui le soumettait ainsi, comme affiant, à un interrogatoire à l’étape de l’autorisation aux termes de l’art. 93.  L’abolition de l’exigence de l’affidavit et les restrictions sévères apportées aux interrogatoires à l’étape de l’autorisation dans la dernière réforme de ces dispositions relatives au recours collectif (L.Q. 2002, ch. 7, art. 150) envoient le message clair qu’il serait déraisonnable d’exiger d’un requérant qu’il établisse plus qu’une cause défendable.

[67] À l’étape de l’autorisation, les faits allégués dans la requête du requérant sont tenus pour avérés.  Le fardeau imposé au requérant à la présente étape consiste à établir une cause défendable, quoique les allégations de fait ne puissent être vague[s], générale[s] [ou] imprécise[s] (voir Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380) (CanLII), par. 44).»

[34]        C’est donc dans ce contexte que doit être analysé chacun des volets de la requête des intimés.

[35]        Plus précisément, ce contexte est le suivant :

-       À l’étape de l’autorisation, les allégations de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être désignés représentants sont tenus pour avérées;

-       Le tribunal exerce alors un rôle de filtrage et sa décision est de nature procédurale visant à décider si le recours collectif peut ou non être autorisé à aller de l’avant;

-       Le fardeau qui repose à ce moment sur les épaules du requérant est un fardeau de démonstration et non de persuasion par prépondérance de preuve.  Il n’a qu’à démontrer «une apparence sérieuse de droit», c’est-à-dire que «le recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable».

[36]        Il y a donc ainsi peu d’ouverture à des demandes préliminaires.  Et, si tel est le cas, elles doivent être analysées à la lumière de ces enseignements.

[37]        Ainsi, un interrogatoire du requérant ne doit pas viser à vérifier «les faits énoncés dans la requête», lesquels sont à cette étape tenus pour avérés.  Cet interrogatoire peut toutefois chercher à démontrer que certains faits allégués sont, à leur face même, invraisemblables, faux ou inexactes, faisant ainsi échec à «l’apparence sérieuse de droit».  Cet interrogatoire est donc de nature différente d’un interrogatoire préalable prévu au chapitre «des procédures spéciales d’administration de la preuve» du Code de procédure civile (art. 395 et suiv. C.p.c.).

[38]        Il en est de même pour la production des pièces qui pourrait s’avérer pertinente à l’audition au fond d’une requête introductive d’instance, mais tout à fait inutile à l’audition de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif.  Une preuve appropriée par production de pièces doit donc aussi viser à établir le défaut «d’apparence sérieuse de droit», mais surtout pas déplacer le débat sur l’analyse au fond du litige, ce qui doit être évité.

[39]        Dans ces circonstances, l’interrogatoire des requérants, la communication de documents et la permission de présenter une preuve appropriée lors de l’audition de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif ne peuvent s’inscrire que dans l’objectif d’établir le défaut «d’apparence sérieuse de droit» rien de plus, car c’est précisément et seulement cette seule question qui est en cause à cette étape de la demande d’autorisation.

 

[40]        C’est précisément ce que les paragraphes a) et b) de l’article 1003 C.p.c. énoncent lorsqu’ils amènent le tribunal à s’interroger, à savoir si :

-       «les recours des membres [soulèvent-ils] des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes?»

-       «Les faits allégués [paraissent-ils] justifier les conclusions recherchées?»

[41]        Il reste, bien entendu, les questions de la composition du groupe et du statut du représentant (art. 1003 c) et d) C.p.c.).

[42]        Quoique toutes aussi importantes, ces deux questions peuvent évidemment être sujet à questionnement. Mais, elles peuvent ainsi faire l’objet de représentations pertinentes et adéquates de part et d’autre, à la seule lecture de la procédure.

La communication des dossiers des requérants et leur interrogatoire

[43]        Les conclusions de la requête visant la communication d’une copie complète et intégrale des dossiers des requérants détenus par les représentants en assurance de personnes et la permission de les interroger sont connexes.  Elles doivent être décidées en fonction des principes énoncés précédemment et des considérations qui suivent.

[44]        La question du «profil d’investisseur» des requérants n’étant pas en cause, il n’y a pas lieu qu’ils soient interrogés sur cet aspect, de même que sur «leur connaissance en matière d’investissement».

[45]        Ce qui est en cause c’est l’information véhiculée par DSF et, en conséquence, l’information que les requérants détenaient au moment de l’achat des placements et à laquelle ils ont été exposés.  Cette information au sujet des Placements IPS ET IPT pouvait effectivement venir de DSF ou leur représentant en assurance de personnes.

[46]        L’étendue de l’information détenue par les requérants au sujet de ces placements peut être obtenue sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la communication d’une copie complète et intégrale de leurs dossiers auprès de leur représentant indépendant en assurance de personnes.

[47]        En effet, ce qui est en cause, ce ne sont que les Placements IPS et IPT.

[48]        Cela dispose donc de la question de la communication d’une copie complète et intégrale des dossiers des requérants auprès de leur représentant indépendant en assurance de personnes.

[49]        Toutefois, dans le contexte du présent dossier, quoiqu’il ne doit pas viser à vérifier la véracité des faits allégués dans la requête pour autorisation qui sont à cette étape-ci tenus pour avérés, un interrogatoire de messieurs Tremblay et Dupuis pourra permettre aux intimées de vérifier précisément l’information dont ils disposaient au moment de l’achat des Placements IPS et IPT.

[50]        Cet interrogatoire devra donc porter sur les sujets suivants :

a)            L’information à laquelle les requérants ont été exposés;

b)            L’information qu’ils ont eux-mêmes communiquée à leur représentant indépendant en assurance de personnes;

c)            L’information qu’ils ont reçue de leur représentant indépendant en assurance de personnes;

d)            Les échanges, verbaux ou écrits, avec leur représentant indépendant en assurance de personnes au sujet des Placements IPS et IPT;

e)            Leur qualité de représentant et leur capacité à assurer une représentation des membres.

[51]        Quant aux dommages-intérêts, les allégations et conclusions de la requête sont à cette étape-ci du dossier assez précises.

La demande d’autorisation de présenter une preuve appropriée

[52]        La production des pièces D-1 à D-4 est admise pour les fins de la présentation de la requête pour autorisation d’exercer le recours collectif et être désignés représentants.

[53]        Étant donné la requête amendée et précisée du 8 avril 2013, et plus particulièrement l’ajout des articles 136.1 et 136.2, les intimées seront autorisées à produire les pièces D-5, D-6, D-7 et D-8 qui concernent les représentants et cabinets en assurance de personnes qui auraient vendu les Placements IPS et IPT aux requérants.

[54]        Ces pièces qui ont un caractère informatif peuvent permettre aux intimées de soutenir leur argument à l’encontre d’une «apparence sérieuse de droit».

[55]        Quant aux pièces D-10, D-11, D-12, D-13 et D-14, ces pièces relèvent davantage d’une défense dans le cadre de l’analyse du fond du litige.

[56]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[57]        ACCUEILLE la requête à la seule fin d’autoriser les conclusions suivantes :

[58]        PERMET aux intimés DSF et DGA d’interroger hors cour les requérants, messieurs Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, à une date à être convenue entre les parties, cet interrogatoire ne devra porter que sur les sujets suivants :

a)            L’information à laquelle les requérants ont été exposés;

b)            L’information qu’ils ont eux-mêmes communiquée à leur représentant indépendant en assurance de personnes;

c)            L’information qu’ils ont reçue de leur représentant indépendant en assurance de personnes;

d)            Les échanges, verbaux ou écrits, avec leur représentant indépendant en assurance de personnes au sujet des Placements IPS et IPT;

e)            Leur qualité de représentant et leur capacité à assurer une représentation des membres.

[59]        AUTORISE les intimées à déposer une preuve appropriée en vue de l’audition de la requête pour autorisation, à savoir :

(b)          Les inscriptions au Registre des entreprises et des individus autorisés à exercer (le Registre) de l’Autorité des marchés financiers (l’“AMF”) des représentants en assurance de personnes qui ont vendu les Placements IPS et IPT aux Requérants, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-5 ;

(c)          Les inscription au Registre de l’AMF des cabinets en assurance de personnes pour lesquels les représentants en assurance de personnes qui ont distribué les Placements IPS et IPT aux Requérants agissaient au moment de la distribution des Placements IPS et IPT, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-6 ;

(d)          Les extraits du Registre des entreprises du Québec relativement aux cabinets en assurances de personnes suivants :  Les Services Financiers Réjean Boyer inc. et Agio Services Financiers inc., communiqués en liasse au soutien des présentes sous la cote D-7 ;

(e)          Une copie de la demande formulée par Réjean Boyer, le 18 décembre 2007, pour le transfert, notamment, du contrat R-26, numéro 6166095R, souscrit par le Requérant Dupuis à François Boyer et une copie du Bulletin de l’AMF en date du 9 mai, 2008, communiquées en liasse au soutien des présentes sous la cote D-8 ;

[60]        LE TOUT, frais à suivre.

 

 

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

Me Guy Paquette

Me Mathieu Charest-Beaudry et

Me Claudiane Tremblay

Paquette Gadler

300, place d’Youville, bureau B-10

Procureurs ad litem des requérants

 

 

Me Suzanne Gagné et

Me Youri Cousineau

Létourneau Gagné (casier 158)

Procureurs-conseil des requérants

 

Me François Lebeau

Me Lise Labelle

Unterberg, Labelle, Lebeau

1980, rue Sherbrooke Ouest, bur. 700

Montréal (Québec)  H3H 1E8

Procureurs-conseils des requérants

 

Me Mason Poplaw

Me Chantal Tremblay et

Me Sandra Desjardins

McCarthy Tétrault

1000, de la Gauchetière Ouest, bur. 2500

Montréal (Québec)  H3B 0A2

Procureurs des intimées

Desjardins sécurité financière, compagnie d’assurance vie

et Desjardins Gestion d’Actifs inc.

 

AVIS :
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