Asselin c. Groupe pétrolier Olco ULC inc. |
2014 QCCQ 2733 |
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COUR DU QUÉBEC
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-22-063748-123 |
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DATE : |
21 mars 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE CODERRE [JC2399] |
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NATHALIE ASSELIN
Demanderesse |
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c. |
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GROUPE PÉTROLIER OLCO ULC INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT
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[1] La demanderesse, madame Nathalie Asselin (madame Asselin), réclame, après amendement à l'audience, tenue les 13 et 14 mars 2014, 66 880,54 $ de la défenderesse, Groupe Pétrolier Olco ULC inc. (Olco), à la suite de la résiliation par cette dernière du bail commercial et du contrat de consignation de carburants liant les parties relativement à une station-service et un dépanneur dans la Ville de Saint-Jean-Chrysostome.
LES FAITS
[2] Au printemps 2011, madame Asselin travaille dans le domaine de la restauration, et ce, depuis plusieurs années. Elle a deux jeunes enfants.
[3] Elle connaît monsieur Daniel Collin qui est locataire d'une station-service Olco, avec dépanneur, située sur la rue Commerciale à Saint-Jean-Chrysostome. Monsieur Collin est également locataire d'une station similaire à Saint-Henri-de-Lévis. Il consacre surtout son temps de travail à cette dernière et il engage des employés pour celle située à Saint-Jean-Chrysostome.
[4] Vers la mi-mars 2011, monsieur Collin informe Olco, avec un préavis de 60 jours, qu'il ne désire pas renouveler son bail pour la station-service de St-Jean-Chrysostome à la fin mai. Ce bail est d'une durée d'un an, renouvelable à certaines conditions. Il inclut aussi une clause de résiliation tant pour le locateur que le locataire.
[5] Monsieur Collin ne souhaite plus opérer la station-service et le dépanneur de Saint-Jean-Chrysostome parce qu'elle n'est pas rentable, plus particulièrement parce qu'il ne peut être sur place et réduire de ce fait, le nombre d'employés.
[6] Monsieur Georges Kahale, directeur du marketing chez Olco au Canada, reçoit l'avis de monsieur Collin. À ce moment, Olco, dont le siège social est à Denver dans l'État du Colorado aux États-Unis, envisage de fermer 14 stations-service au Québec dont les baux de location ne sont pas renouvelés. Celle de Saint-Jean-Chrysostome n'est pas dans cette liste.
[7] Par ailleurs, monsieur Kahale voit une opportunité pour ajouter celle de Saint-Jean-Chrysostome dans la liste des 14 et il soumet cela au siège social. Son patron à Denver accepte et il est décidé, en conséquence, de fermer la station-service à la fin du bail, soit le 31 mai 2011.
[8] Avant 2011, Olco envisage de vendre sa division relative aux ventes au détail. Les tentatives de vente échouent. Par ailleurs, en mars 2011, Olco est en pourparlers avec une compagnie américaine, celle-ci portant le nom de Biourgia, tel que cela est affirmé à l'audience par l'avocat d'Olco, intéressée par la division de ventes au détail.
[9] Après discussion avec cet acheteur potentiel, Olco décide de changer sa décision relative à la fermeture de la station-service de Saint-Jean-Chrysostome. En effet, l'acheteur potentiel exige que les stations-service qu'il acquérerait soient ouvertes et en fonction.
[10] C'est ainsi que le 28 avril 2011, monsieur Kahale informe monsieur Renaud Loignon, représentant d'Olco dans la région de Québec et de Lévis, afin qu'il mette en location la station-service et le dépanneur à Saint-Jean-Chrysostome.
[11] Monsieur Loignon connaît bien le secteur car il demeure à Saint-Jean-Chrysostome. Tel que requis, il met une affiche à louer à la station-service. Il conclut aussi une entente avec monsieur Collin afin de lui verser une indemnité quotidienne tant et aussi longtemps que la station ne sera pas louée et afin qu'il ne se départisse pas de son inventaire. À cet égard, une firme liée à Olco procède à l'évaluation de son inventaire en vue d'une vente éventuelle de celui-ci à un prochain locataire.
[12] Monsieur Collin parle de cela à madame Asselin. Elle téléphone à monsieur Loignon afin d'obtenir la confirmation que la station-service est à louer.
[13] Au début de mai 2011, monsieur Loignon fixe un rendez-vous avec madame Asselin afin de la rencontrer à sa résidence pour lui fournir de l'information générale, sans lui donner de chiffres spécifiques.
[14] Vers le 7 ou le 8 mai, une autre rencontre a lieu. À ce moment, monsieur Loignon présente un tableau à madame Asselin avec des chiffres, plus particulièrement les ventes mensuelles d'essence depuis environ un an à la station-service de Saint-Jean-Chrysostome. Cela couvre la période de juin 2010 à avril 2011, soit pendant que monsieur Collin est locataire. En ce qui concerne le dépanneur, monsieur Loignon lui donne des chiffres approximatifs.
[15] Madame Asselin démontre un intérêt car elle souhaite se partir en affaires. Monsieur Loignon lui dit qu'elle doit obtenir la confirmation d'un financement d'environ 30 000 $ à 40 000 $, notamment pour acquérir l'inventaire de monsieur Collin.
[16] C'est dans ce contexte qu'elle se rend à la succursale de la Banque Nationale du Canada située à Saint-Jean-Chrysostome pour amorcer une demande de financement, tel que suggéré par monsieur Loignon. Elle obtient la confirmation d'un prêt de 40 000 $ dont les versements mensuels débuteraient le 25 juin 2011 et se termineraient le 25 mai 2016 à raison de 811,06 $ chacun. Le contrat de prêt personnel à taux variable comporte une clause intitulée « REMBOURSEMENT AVANT ÉCHÉANCE » qui affirme que « L'emprunteur pourra en tout temps payer par anticipation, sans indemnité, partiellement ou complètement, le solde impayé en capital plus, s'il y a lieu, les intérêts courus. ». La Banque Nationale du Canada requiert, par ailleurs, que madame Asselin ait un endosseur, ce qu'elle obtient.
[17] Elle informe monsieur Loignon de la réponse de la Banque et c'est ainsi qu'elle a une rencontre avec ce dernier le 26 mai pour la lecture et la signature de deux contrats dont le contenu est rédigé par Olco sur du papier comportant sur le première page le nom de celle-ci dans un rectangle de couleur rouge.
[18] Le premier contrat est relatif au bail de location pour la station-service et le dépanneur et le deuxième concerne la consignation de carburants.
[19] À l'audience, tant monsieur Loignon que madame Asselin confirment qu'ils ont fait la lecture complète de chacun des documents. À la rencontre préalable à la signature de ces deux contrats, monsieur Loignon a informé madame Asselin qu'elle retirerait environ 5 cents du litre vendu. Avec les profits potentiels de la station-service et du dépanneur, elle pouvait espérer un profit annuel d'environ 35 000 $ à 40 000 $.
[20] Avant la rencontre du 26 mai 2011, en aucun moment madame Asselin consulte un professionnel, que ce soit un comptable, un notaire ou un avocat, afin d'être conseillé relativement aux deux contrats qui allaient lui être soumis par monsieur Loignon le 26 mai.
[21] À cette date, elle signe les deux contrats, sans requérir davantage de temps pour les soumettre à un professionnel afin d'examiner la possibilité de négocier les termes stipulés, d'ajouter ou de retirer des clauses qui y sont contenues. Par exemple, en regard de celle intitulée « RÉSILIATION », il n'y a aucune clause pénale, de compensation ou de dommages-intérêts liquidés. Celle-ci ne comporte comme exigence que la transmission d'un préavis de 60 jours par l'une ou l'autre partie avant la résiliation. Entre autres, la clause 13, paragraphe g) du bail mentionne ceci :
C. RÉSILIATION :
13. Le présent bail ou tout renouvellement d'icelui sera résilié de plein droit et ipso facto et la BAILLERESSE pourra reprendre possession des LIEUX si :
[…]
Le présent bail ou tout renouvellement d'icelui sera résilié de plein droit après l'expiration d'une période de soixante (60) jours suivants préavis écrit de la BAILLERESSE au LOCATAIRE pour un des motifs ci-après indiqués, et là, et alors, la BAILLERESSE pourra reprendre possession des lieux.
[…]
g) Lorsque la BAILLERESSE cesse la commercialisation de ses produits pétroliers à l'endroit où sont situés les lieux loués;
[…]
(Reproduction intégrale)
[22] À l'audience, monsieur Loignon soutient qu'une discussion d'environ 15 à 20 minutes a eu lieu entre lui et madame Asselin relativement au paragraphe g) de la clause 13, citée précédemment. En effet, madame Asselin voulait obtenir davantage d'information sur une possible résiliation par Olco. Monsieur Loignon lui aurait dit qu'il ne connaissait pas l'avenir mais que selon l'expérience qu'il avait de ce type de contrat depuis 2005, le paragraphe g) de l'article 13 n'avait pas encore été appliqué. De plus, il ajoute, lors de son témoignage à l'audience, qu'il a informé madame Asselin qu'il y avait en mai 2011 un acheteur potentiel pour la division de ventes au détail d'Olco et que cela s'avérait « rassurant ».
[23] C'est ainsi qu'il n'y a eu aucune négociation avec madame Asselin relativement aux termes des deux contrats. Le montant de loyer du bail a été fixé à 600 $ par mois. Monsieur Loignon indique à l'audience qu'il a contacté monsieur Kahale afin d'obtenir l'accord de celui-ci pour que madame Asselin n'ait pas à payer les deux premiers mois de location, soit juin et juillet, afin de l'aider à démarrer son commerce. Monsieur Kahale accepte cela.
[24] Entre-temps, il y a eu une autre rencontre en mai 2011 entre l'acheteur potentiel d'Olco et les représentants de cette dernière. De plus, en juin 2011, les représentants de l'acheteur potentiel font une visite de diverses stations-service au Québec dont celle où madame Asselin est locatrice. À ce moment, elle n'est pas présente sur les lieux.
[25] Après avoir procédé à une vérification diligente, l'acheteur potentiel de la division de ventes au détail d'Olco décide de ne pas acquérir celle-ci, et ce, au mois d'août 2011.
[26] Cela amène Olco à réfléchir sur l'avenir de sa division de ventes au détail.
[27] Vers la mi-septembre, monsieur Loignon participe à une rencontre avec différents dirigeants d'Olco et il apprend que la compagnie est en processus de décision de fermer, au Québec, les différentes stations-service dont elle est propriétaire.
[28] Au début d'octobre, monsieur Kahale informe monsieur Loignon que la première station-service faisant l'objet d'une nouvelle liste de 14 stations-service (différentes de celles identifiées en mars 2011) prévue pour une fermeture prochaine, est celle de Saint-Jean-Chrysostome.
[29] C'est dans ce contexte que le 2 octobre, monsieur Loignon rencontre madame Asselin à la station-service, là où il prend souvent son café le matin, pour l'informer de la décision d'Olco de procéder à la résiliation de son bail et du contrat de consignation de carburants, soit environ quatre mois après le début de la location de son commerce.
[30] Le lendemain, le 3 octobre, elle reçoit une lettre signée par monsieur Kahale l'informant de la résiliation des deux contrats signés le 26 mai 2011. Le motif invoqué est le paragraphe g) de l'article 13 du bail et le paragraphe 1 de l'article 18 du contrat de consignation. Cette lettre constitue un préavis de 60 jours et ainsi, le bail doit ainsi prendre fin le 3 décembre.
[31] Dans sa lettre, monsieur Kahale ajoute qu'il est aussi possible pour madame Asselin de considérer l'achat de l'immeuble sur lequel la station-service est exploitée, y incluant toutes améliorations qui y seraient construites. Si elle a de l'intérêt pour cela, elle n'a qu'à communiquer avec lui. À l'audience, madame Asselin souligne qu'elle n'a aucunement envisagé cela n'ayant pas les moyens financiers pour ce faire.
[32] Le 4 octobre 2011, Olco adopte une résolution par laquelle elle accepte la mise en œuvre d'un plan pour mettre fin à ses opérations de ventes au détail. Cette résolution comporte l'annexe A où il y a une liste de 14 stations-service identifiées comme étant les premières devant faire l'objet d'une résiliation et d'une fermeture. Celle de Saint-Jean-Chrysostome y apparaît avec le numéro 44-123.
[33] À la suite de cela, madame Asselin consulte un avocat qui lui dit qu'il n'y a rien à faire et qu'elle aurait dû le rencontrer avant de signer les contrats au mois de mai. Après, elle requiert les services d'un autre cabinet d'avocats et ceux-ci transmettent à Olco, le 25 octobre 2011, plus particulièrement à monsieur Georges Kahale, une lettre dans laquelle ils écrivent entre autres :
[…]
Après examen de votre avis et de la clause 13(g) du bail, nous en venons à la conclusion que cette condition est purement potestative, ne dépendant que de la seule volonté de votre compagnie et par voie de conséquence, est nulle et non opposable à notre cliente.
À défaut par vous de nous confirmer au plus tard le 31 octobre prochain que vous entendez annuler cet avis et, continuer à respecter le bail conclu avec notre cliente, soyez avisé que nous nous verrons dans l'obligation d'intenter les procédures qui s'imposent en pareilles circonstances pour forcer votre compagnie à respecter les engagements qu'elle a souscrits envers notre cliente.
[…]
(Reproduction intégrale)
[34] Le 28 octobre 2011, monsieur Richard Pouliot, vice-président sénior chez Olco, répond aux avocats de madame Asselin :
[…]
Nous estimons mal fondé en faits et en droit votre argument selon lequel la clause 13(g) du bail constitue une « obligation à condition purement potestative ». Sans limiter la généralité de ce qui précède, il n'est pas question de nullité de « condition potestative » en ce qui concerne le créancier de l'obligation en question. De plus, l'article 1500 C.c.Q est inapplicable en l'instance puisque nous sommes en matière d'extinction des obligations.
Votre cliente a demandé de reprendre une station d'essence en toute connaissance du contenu du bail, y compris la clause 13(g). De plus, considérant que les opérations de ladite station d'essence sont déficitaires, votre cliente ne peut se plaindre de subir des dommages suite à la résiliation du bail fait en conformité à la clause 13(g) du bail. Votre cliente a consenti à un délai raisonnable de soixante jours et ne peut réécrire les termes du bail.
Veuillez noter que tout délai de la part de votre client de confirmer la date de fermeture entraînera des frais et dommages au Group Pétrolier Olco ULC que nous lui réclamerons. Nous attendons cette confirmation au plus tard le 4 novembre 2011 à défaut de quoi Olco entreprendra les recours judiciaires appropriés, et ce sans autre avis ni délai.
[…]
(Reproduction intégrale)
[35] Le 7 novembre 2011, les avocats de madame Asselin répliquent à monsieur Pouliot :
Nous vous confirmons par la présente que notre cliente donnera suite à l'avis que vous avez transmis et ce, même si cet avis est illégal et abusif.
Notre cliente se réserve tous ses recours pour réclamer de Olco les dommages qu'elle subira suite à la demande abusive de Olco.
Les présentes ne constituent pas une admission des affirmations contenues dans la vôtre du 28 octobre dernier.
[…]
(Reproduction intégrale)
[36] Malgré cela, madame Asselin ferme la station-service le 30 novembre 2011. En raison de cela, elle n'a pas à payer le loyer de décembre.
[37] Elle n'est pas en mesure de se départir entièrement de l'inventaire du dépanneur et apporte celui-ci à sa résidence. Elle ne conserve pas les aliments périssables qu'elle ne peut consommer pour ses fins personnelles.
[38] Par ailleurs, elle paie son prêt par anticipation à la Banque Nationale du Canada, comme elle pouvait le faire. Au 30 novembre 2011, il lui reste encore 18 124,94 $ dans son compte. Elle utilise cette somme pour effectuer son paiement.
[39] Dans sa déclaration d'impôt au gouvernement fédéral, elle inscrit, pour l'année fiscale de 2011, une perte de revenus d'entreprise de 5 784,74 $ et reçoit un retour d'impôt de 1 284,24 $. À l'Agence du revenu du Québec, elle soumet la même perte de revenus d'entreprise et obtient un retour d'impôt de 2 707,55 $.
[40] Le 13 avril 2012, les avocats de madame Asselin transmettent une mise en demeure à Olco et requièrent pour celle-ci 30 000 $ à titre de dommages-intérêts sur la base que la résiliation des contrats aurait été « abusive ». Dans leur lettre, ils invoquent entre autres ceci :
[…]
Si notre cliente avait connu vos intentions véritables, jamais elle n'aurait investi les sommes qu'elle a investies dans ce commerce, ni les efforts qu'elle y a mis.
Jamais, que ce soit sur votre Site Internet ou dans les représentations qui ont été faites à notre cliente, vous n'avez informé celle-ci qu'il était envisagé par votre compagnie, de réduire, sinon de mettre un terme à son réseau de vente au détail au Québec.
Au contraire, toutes vos représentations étaient à l'effet contraire et notre cliente répondait à tous les critères pour être un bon candidat pour opérer votre station et, a effectué tout ce qui devait être fait pour s'assurer d'une réussite totale de cette affaire.
Or, vous l'avez trompée, induite en erreur et forcée à prendre des décision coûteuses, alors que vos intentions de ne pas continuer la vente au détail étaient prises.
[…]
(Reproduction intégrale)
[41] Les avocats d'Olco répondent à cette lettre le 23 avril 2012 :
[…]
Premièrement, l'allégation de votre cliente à l'effet qu'Olco a pris une décision abusive et illégale en résiliant le bail intervenu en date du 26 mai 2011 (ci-après le « Bail ») est tout à fait mal fondée.
En effet, il est expressément mentionné à la clause 13 (g) dudit Bail que ce dernier pourrait être résilié en cas de cessation de la commercialisation de ses produits pétroliers à l'endroit où est située la station d'essence. Tel que le prévoit le Bail, Olco devait fournir à votre cliente un préavis de résiliation de 60 jours, le cas échéant.
Non seulement Olco a réellement cessé la vente de ses produits pétroliers à l'endroit des lieux loués, mais elle a respecté le délai du préavis prévu au Baill. En effet, le 3 octobre 2011, un préavis de résiliation a été dûment transmis à votre cliente. Olco a donc agi en toute conformité avec les termes et conditions du Bail, qui ont été acceptées par votre cliente. C'est donc en toute légalité que le Bail fut résilié.
Deuxièmement, Olco nie les allégations de votre cliente à l'effet qu'elle a été trompée, induite en erreur et forcée à prendre des décisions coûteuses alors que l'intention d'Olco de ne pas continuer la vente au détail était déjà prise. Contrairement à ce qu'elle prétend, votre cliente était au courant que la station d'essence qu'elle désirait reprendre allait possiblement être fermée et/ou vendue. Elle était d'ailleurs informée qu'Olco désirait cesser ses opérations dans la région et que des pourparlers avec un potentiel acquéreur pour l'achat de ses actifs existaient. Olco n'a dès lors jamais donné aucune garantie envers votre cliente que cette transaction aurait lieu et que cet acquéreur potentiel, advenant une vente, continuerait à maintenir les opérations de ladite station d'essence. C'est dans ce contexte qu'Olco s'est bien réservé le droit de pouvoir mettre fin au Bail en donnant un préavis de 60 jours à votre cliente si elle cessait la commercialisation de ses produits pétroliers aux lieux loués. C'est donc en toute connaissance de cause que votre cliente a demandé de reprendre la station d'essence.
Considérant ce qui précède, votre réclamation de 30 000,00$ est tout à fait mal fondée en fait et en droit. De plus, il est surprenant que votre cliente puisse prétendre avoir droit à des dommages, alors que sa station d'essence était déficitaire.
[…]
(Reproduction intégrale)
[42] Aucune entente n'intervient entre les parties et c'est ainsi que le 16 juillet 2012, madame Asselin, par l'entremise de ses avocats, fait timbrer une requête introductive d'instance dans laquelle elle demande un montant total de 68 029,56 $. Cette somme comprend des dommages matériels, des dommages moraux et des dommages punitifs.
[43] Le 28 mars 2013, elle amende sa requête introductive d'instance et requiert, à ce moment, 67 458,21 $. Elle modifie divers montants réclamés dans les rubriques relatives aux dommages matériels et aux dommages moraux. Enfin, tel que mentionné plus haut, à l'audience tenue le 13 mars 2014, elle amende à nouveau sa demande afin de réclamer maintenant 66 880,54 $ à Olco.
LA QUESTION EN LITIGE
[44] Olco a-t-elle fait, par l'entremise de ses représentants, de fausses représentations à madame Asselin dans le cadre de la signature du bail et du contrat de consignation de carburants et a-t-elle agi de manière abusive en appliquant la clause de résiliation dans chacun de ceux-ci? Si oui, à quel montant madame Asselin a-t-elle droit à titre de dédommagement?
ANALYSE
[45] Madame Asselin soutient que les représentants d'Olco, au printemps 2011, ont agi de mauvaise foi et lui ont fait de fausses représentations qui l'ont amené à signer le bail et le contrat de consignation, ce qu'elle n'aurait pas fait, à tout de moins aux conditions énoncées si elle avait su que ceux-ci feraient l'objet de résiliation quelques mois après la signature.
[46] En regard de l'obligation de bonne foi, les articles 6, 7, 1375 et 2805 du Code civil du Québec (C.c.Q.) énoncent :
6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver.
[47] Relativement au consentement à un contrat qui serait vicié par de fausses représentations, les articles 1399, 1400, 1401 et 1407 C.c.Q. stipulent :
1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.
1400. L'erreur
vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la
nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément
essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
1401. L'erreur
d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de
celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie
n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.
1407. Celui
dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en
cas d'erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander,
outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s'il préfère que le contrat
soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux
dommages-intérêts qu'il eût été justifié de réclamer.
[48] Madame Asselin affirme aussi dans sa requête introductive d'instance amendée qu'Olco a agi abusivement en résiliant le bail et le contrat de consignation de carburants le 3 octobre 2011. À cet égard, il faut se référer aux articles 6 et 7 C.c.Q., cités plus haut.
[49] Dans sa requête introductive d'instance amendée, madame Asselin allègue ceci relativement aux fausses représentations et à la résiliation des contrats qui auraient été faits de manière abusive :
[…]
14. De par sa décision abusive de fermer la station-service qu'exploitait la demanderesse, la défenderesse, par ses agissements, a causé des dommages à la demanderesse;
15. En effet, la défenderesse n'a jamais informé, de quelque manière que ce soit, la demanderesse de son intention de fermer des établissements au Québec;
16. Au contraire, la défenderesse a plutôt fait de fausses représentations à la demanderesse en lui faisant croire qu'elle était une bonne candidate pour exploiter la station-service et qu'elle ferait des profits;
17. De plus, la défenderesse n'a jamais reproché ou averti de quelconque façon la demanderesse qu'elle n'exploitait pas adéquatement la station-service;
18. Si la demanderesse avait su que la défenderesse avait l'intention de fermer des commerces au Québec, elle n'aurait jamais investi autant de temps, d'argent et d'énergie dans la station-service;
19. La défenderesse a agi de mauvaise foi en signant le bail et le contrat de consignation puisqu'elle avait déjà, à ce moment, l'intention de mettre fin aux activités de la station-service;
[…]
(Reproduction intégrale)
[50] Madame Asselin a le fardeau d'établir ce qu'elle allègue, et ce, suivant les règles de la meilleure preuve et de la prépondérance de la preuve, tel que l'affirme les articles 2803 et 2804 C.c.Q. :
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[51] En défense, Olco plaide qu'en aucune façon ses représentants ont été de mauvaise foi, ont fait de fausses représentations ou ont agi de manière abusive dans le cadre du bail et du contrat de consignation de carburants intervenus avec madame Asselin. Olco réfute les allégations de cette dernière en vertu desquelles elle savait déjà, au moment de la signature des contrats le 26 mai 2011, qu'elle mettrait fin aux activités de la station-service à Saint-Jean-Chrysostome le 3 octobre 2011.
[52] Elle soutient plutôt que madame Asselin a signé les deux contrats en pleine connaissance de cause, qu'elle n'a consulté aucun professionnel pour la conseiller relativement à ceux-ci et qu'elle n'a pas tenté d'en négocier les termes.
[53] C'est d'ailleurs sur la base de ce dernier élément que l'avocat d'Olco considère que les contrats intervenus ne sont pas des contrats d'adhésion, tel que défini à l'article 1379 C.c.Q. :
1379. Le contrat est d'adhésion lorsque les stipulations essentielles qu'il comporte ont été imposées par l'une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu'elles ne pouvaient être librement discutées.
Tout contrat qui n'est pas d'adhésion est de gré à gré.
[54] En effet, il affirme que selon le premier alinéa de l'article 1379 C.c.Q., pour qu'il y ait contrat d'adhésion, il faut qu'il ne puisse y avoir aucune discussion libre entre les parties relativement au contenu de celui-ci. Or, selon la preuve, madame Asselin n'a tenté en aucune façon de négocier sur les clauses contenues dans le contrat proposé ou d'en ajouter, par exemple, pour une compensation si une résiliation était décidée unilatéralement par Olco, tel qu'elle peut le faire. Il faut ajouter à cela que le contrat contient aussi une clause de résiliation unilatérale pour madame Asselin, si elle souhaite appliquer celle-ci. Dans chaque cas, la partie qui souhaite résilier le contrat doit transmettre à l'autre un préavis de 60 jours.
[55] L'avocat d'Olco réfère sur ce point le Tribunal à l'affaire Distribution Stéréo Plus inc. c. 140 Gréber Holding inc.[1] dans lequel le juge Louis J. Gouin, J.C.S. écrit :
[…]
4.1.2 Analyse
[40] Il ne fait aucun doute que la Demanderesse a rédigé la Franchise et l'a soumise à Gréber pour sa considération et signature. Le premier élément d'un contrat d'adhésion s'y retrouve donc.
[41] Par contre, le Tribunal retient de la preuve que les Défendeurs n'ont nullement cherché à négocier les termes et conditions de la Franchise.
[42] D'ailleurs, les Défendeurs ont choisi de ne pas faire témoigner le Défendeur Riel. C'est lui qui était responsable, pour Gréber, des termes et conditions de la Franchise.
[43] Mais, il fut mis en preuve que le Défendeur Riel n'a effectivement pas cru nécessaire de négocier ces termes et conditions. Le temps pressait pour les Défendeurs; il a donc hâté la signature de la Franchise, et il s'est surtout activé à faire en sorte que le Magasin soit déménagé dans un local qui lui appartenait en co-propriété.
[44] Les Défendeurs n'ont donc pas établi l'existence du deuxième élément nécessaire au contrat d'adhésion, soit qu'il fut impossible pour eux de discuter ou négocier librement les stipulations de la Franchise.
[45] Qui plus est, le Tribunal est d'avis que le Défendeur Riel, fort de son expérience de franchisé auprès de Canadian Tire, a choisi la négociation «post-signature» de la Franchise, afin de tenter de faire modifier certaines composantes du Concept, tel le tapis sur le plancher, pour un aménagement qu'il considérait préférable et de meilleure qualité.
[46] Il va de soi que cette façon de procéder a joué contre les Défendeurs, qui furent ainsi perçus comme voulant opérer à contre-courant. La Demanderesse a ainsi réagi, plus énergiquement que moins, les autres franchisés l'ayant à l'œil.
[47] Le Tribunal tient à signaler que, dans l'affaire Télévision J.M. Beaudoin Inc.23 opposant la Demanderesse, le juge Martin Bureau, j.c.s., a décidé, dans le cadre de l'interprétation et l'application d'articles similaires aux articles 4.4.10 et 25.4 de la Franchise, que la convention de franchise en question constituait un contrat d'adhésion. Par contre, dans cette affaire, il n'y a pas eu de place pour la négociation.
4.1.3 Conclusion
[48] Le Tribunal est donc d'avis que la Franchise ne constitue pas un contrat d'adhésion. À tout événement, et pour les motifs expliqués dans le «préliminaire» ci-après, le Tribunal considérera la validité des articles 4.4.10 et 25.4 de la Franchise à la lumière de règles applicables à un contrat d'adhésion.
(Référence omise)
(Reproduction intégrale)
[56] Le Tribunal est d'avis, pour les mêmes motifs que le juge Gouin est dans l'affaire Distribution Stéréo Plus inc., que dans ce dossier, les deux contrats signés le 26 mai 2011 entre Olco et madame Asselin ne sont pas des contrats d'adhésion parce que cette dernière n'a en aucune façon été empêchée de discuter librement des termes de ceux-ci et de négocier des clauses différentes. Comme mentionné plus haut, madame Asselin, qui est peu ou pas expérimentée dans le domaine des affaires au mois de mai 2011, ne considère pas opportun de consulter des professionnels, que ce soit un avocat, un notaire ou un comptable[2] par exemple, afin d'être conseillée relativement aux deux contrats qui allaient être conclus le 26 mai. Ce n'est qu'après avoir reçu le préavis de 60 jours pour la résiliation de ces contrats qu'elle consulte un avocat.
[57] Afin de soutenir qu'Olco a agi de mauvaise foi et lui a fait de fausses représentations, madame Asselin prétend que cette entreprise savait, le 26 mai 2011, qu'elle allait mettre fin aux activités de la station-service, telle qu'elle l'a fait le 3 octobre 2011. Elle n'a pas établi cela par une preuve prépondérante.
[58] À l'audience, monsieur Daniel Collin témoigne qu'il sait qu'au printemps 2011, il y a un acheteur potentiel pour la division de ventes au détail d'Olco. Il affirme même que « tous le savaient ». Monsieur Renaud Loignon, représentant d'Olco dans le cadre des contrats qui sont intervenus avec madame Asselin, soutient aussi qu'il a mentionné à madame Asselin, lors d'un échange qu'il a eu avec elle relativement au paragraphe g) de la clause 13 du bail, cité plus haut, qu'il ne connaissait pas l'avenir, que cette clause, à sa connaissance, n'avait pas été appliquée dans le passé, et qu'il était rassurant par ailleurs, qu'un acheteur potentiel soit intéressé par l'acquisition de la division de ventes au détail d'Olco.
[59] La preuve présentée par la défense, tant par les témoignages de monsieur Loignon que de monsieur Georges Kahale, démontre qu'Olco a changé sa décision de fermer la station-service de Saint-Jean-Chrysostome et remis celle-ci en location à partir du 28 avril 2011 pour répondre aux exigences de l'acheteur potentiel. En aucune façon, il n'a été établi par madame Asselin qu'Olco avait déjà décidé, après le 28 avril 2011 et lors de la signature des deux contrats le 26 mai de la même année, que cette station-service serait fermée à l'automne.
[60] D'ailleurs, madame Asselin est bien consciente du risque dans lequel elle s'engage en signant les contrats, lesquels comportent chacun une clause de résiliation unilatérale. Lors de son interrogatoire avant défense, tenue le 12 octobre 2012, elle répond ceci aux questions de l'avocat d'Olco[3] :
[…]
Q Quand vous avez pris la décision d'acheter l'inventaire, commander des inventaires de surplus, investir votre argent, vous étiez consciente, à l'époque, que le contrat ou le bail pouvait se résilier à un moment donné. Vous étiez consciente que c'était un bail d'une durée d'une année et qu'il y avait aucune garantie qu'Olco pouvait… devrait toujours opérer ses activités au Québec?
R Oui.
Q Et vous avez quand même décidé d'acheter l'inventaire et d'investir comme entrepreneur.
Alors, à quelque part, vous avez pris quand même ce risque d'entrepreneur là d'aller de l'avant avec votre projet, sans qu'il y ait des garanties ou de représentations à l'effet que ça allait toujours continuer, votre bail.
R Oui. Là-dessus, je suis d'accord avec vous. […]
[…]
(Reproduction intégrale)
[61] De plus, contrairement à ce qu'elle affirme dans sa requête introductive d'instance amendée, madame Asselin confirme lors de son interrogatoire avant défense[4] qu'en aucune façon monsieur Loignon lui a menti :
Q Bien, est-ce qu'il vous a… est-ce que je comprends de votre témoignage que lui, à cette époque-là, il ne vous a pas menti sur qu'est-ce qui a été écrit dans le bail?
R Non. Il m'a dit que c'était là parce qu'il fallait que ça soit là. J'ai pas posé de question mais j'ai pas eu d'information.
(Reproduction intégrale)
[62] Dans sa réponse lorsqu'elle affirme « qu'il fallait que ça soit là », elle réfère aux différentes clauses du bail. Ainsi, dans son interrogatoire avant défense, elle soutient le contraire de ce qui est allégué dans sa requête introductive d'instance relativement aux « fausses représentations » qu'Olco, par l'entremise de ses représentants, lui aurait faites.
[63] Elle connaît la teneur des clauses des deux contrats qu'elle va signer le 26 mai, elle sait qu'elle encourt des risques en regard des profits potentiels que pouvait générer la station-service et le dépanneur à Saint-Jean-Chrysostome car elle est au courant que monsieur Collin a décidé de cesser de louer l'emplacement car son bilan était déficitaire[5].
[64] De plus, dans sa requête introductive d'instance amendée, madame Asselin allègue qu'Olco aurait fermé abusivement la station-service à Saint-Jean-Chrysostome et qu'elle ne l'a jamais informé de son intention de fermer ses établissements au Québec au moment où elle a pris la décision de signer les deux contrats le 26 mai.
[65] La preuve présentée par Olco établie que celle-ci est en discussion avec une compagnie américaine aux mois de mars, mai et juin 2011 pour une transaction relative à la division de ventes au détail. Les représentants d'Olco et de la compagnie américaine intéressée à l'acquisition vont même visiter la station-service exploitée par madame Asselin à la fin juin 2011. Ceci démontre qu'Olco n'était pas dans un processus de fermeture de la station-service louée par madame Asselin pendant cette période. Au contraire, Olco souhaite que la vente soit conclue, la compagnie américaine ayant même requis que les stations-service prévues pour fermeture au printemps 2011 soient maintenues en activité car si elle achète celles-ci, elle veut qu'elles soient encore en affaires.
[66] Ce n'est qu'au mois d'août, après la vérification diligente, que la compagnie américaine décide de faire une offre à Olco, que celle-ci refuse.
[67] Après cela Olco entreprend un processus de réflexion sur l'avenir de sa division de ventes au détail et décide vers la mi-septembre qu'il est opportun de procéder à la fermeture progressive des différentes stations-service qu'elle détient au Québec.
[68] C'est alors que monsieur Loignon apprend, dans le cadre d'une réunion à Montréal, les intentions d'Olco de fermer, entre autres, la station-service louée par madame Asselin.
[69] Il obtient de monsieur Kahale, préalablement au 3 octobre 2011, date où celle-ci recevra son avis de 60 jours, l'autorisation d'informer cette dernière de la situation. C'est ainsi qu'il rencontre madame Asselin, comme il le fait presque chaque jour de la semaine, à la station-service et l'informe de cela le 2 octobre. Monsieur Loignon dit à l'audience qu'il a agi ainsi parce qu'il a toujours été de bonne foi avec madame Asselin, qu'il a toujours eu une excellente relation d'affaires avec celle-ci et qu'il voulait être le premier à lui annoncer la nouvelle même si cela le contrariait.
[70] C'est dans ce contexte que madame Asselin reçoit la lettre d'Olco datée du 3 octobre 2011 qui s'avère le préavis de 60 jours prévu aux contrats.
[71] Olco invoque dans cette lettre le paragraphe g) de la clause 13 stipulée au bail et le paragraphe 1 de l'article 18 du contrat de consignation de carburants pour mettre un terme à ces deux contrats.
[72] Monsieur Loignon a informé madame Asselin, lors de sa rencontre du 26 mai 2011, du contenu de chacune des clauses notamment celles mentionnées précédemment. Il a aussi indiqué à celle-ci que ces clauses font partie de ces contrats depuis 2005. Ainsi, elles n'ont pas été rédigées seulement pour l'entente intervenue avec madame Asselin. Tel que mentionné plus haut, celle-ci n'a a aucune façon consulté un ou des professionnels pour la guider lors de la signature de ces documents et n'a pas requis de modifications à ces clauses ou l'ajout d'articles prévoyant une compensation ou des dommages-intérêts liquidés par exemple en cas de résiliation unilatérale par Olco.
[73] D'ailleurs, le premier avocat qu'elle consulte à la suite de la réception de la lettre du 3 octobre l'avise de ceci[6] :
[…]
Q Est-ce que vous avez demandé à avoir plus de temps que ce soixante (60) jours-là?
R … Sur le coup, non. Sur le coup, ce que j'ai fait, j'ai contacté un avocat pour faire vérifier le bail pour savoir si je pouvais faire quelque chose.
Q O.K.
R L'avocat que j'ai contacté à ce moment-là m'a dit que, selon lui, il y avait rien à faire, que c'était un contrat à sens unique, que j'aurais dû le faire étudier avant de le signer.
Fait que là, j'étais encore plus démolie.
[…]
(Reproduction intégrale)
[74] De l'ensemble de la preuve, il ressort qu'Olco a agi de bonne foi et n'a pas résilié les deux contrats signés le 26 mai par madame Asselin, de manière abusive.
[75] Au printemps 2011, c'est la première fois que madame Asselin se lance en affaires. Certes, Olco, par l'entremise de ses représentants, doit l'informer de la teneur de ses obligations en vertu des contrats qu'elle va signer, ce qui a été fait par monsieur Loignon. Par ailleurs, elle a aussi l'obligation de se renseigner.
[76] Les auteurs Jean-Louis Baudoin et Pierre-Gabriel Jobin écrivent ceci sur ce point dans leur volume Les obligations[7] :
314 - Limite : l'obligation de se renseigner - Comme l'écrivait déjà Portalis, « un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables et ne pas négliger ce qui est utile »70. L'obligation de se renseigner est l'envers de la médaille de l'obligation d'information : c'est la limite qui lui est imposée. Dans la mesure, en effet, où, dans les circonstances de l'espèce, le contractant a la possibilité de connaître l'information ou d'y avoir accès (en dehors évidemment des hypothèses où la loi impose l'obligation stricte de communiquer le renseignement), celui qui s'apprête à passer un contrat doit prendre les mesures raisonnables pour en bien connaître les enjeux importants, les faits susceptibles d'influencer sa décision71; l'obligation de se renseigner vient ainsi faire échec au devoir corrélatif de renseignement de l'autre partie. […]
(Nos soulignements)
(Références omises)
(Reproduction intégrale)
[77] L'auteur Vincent Karim écrit à cet égard dans son volume aussi intitulé Les obligations[8] :
L'obligation de se renseigner peut être considérée comme une condition que doit remplir la personne qui cherche à se prévaloir d'un droit ou d'un recours quelconque. Cette obligation consiste à se renseigner et à obtenir l'information nécessaire soit pour prévenir toute erreur lors de la conclusion du contrat ou lors du paiement d'une dette, soit pour éviter un préjudice ou un dommage au moment de l'exécution d'un contrat, ou encore pour savoir s'il est possible de tirer tous les avantages escomptés d'un bien que la personne veut acquérir pour en faire un usage utile.
[…]
Les tribunaux ont traité à maintes reprises de l'obligation de se renseigner et ont conclu que le défaut de se renseigner constituait une fin de non-recevoir pour celui qui devait se renseigner et obtenir les informations qui lui étaient nécessaires et utiles. Le recours était alors rejeté, car en raison de ce défaut, une erreur était à l'origine d'un dommage ou d'un préjudice, dont la personne qui se prétendait lésée ne pouvait se plaindre par la suite.
(Nos soulignements)
(Références omises)
(Reproduction intégrale)
[78] En regard de l'opportunité de consulter un professionnel avant la signature d'un contrat, le juge Paul Mayer, J.C.S., affirme dans l'affaire Entreprises MTY Tiki Ming inc. c. McDuff[9] :
[…]
[209] À cet effet, le Tribunal rappelle que les dispositions du C.c.Q. en matière de contrat d'adhésion n'entendent pas favoriser l'insouciance d'une partie qui se devait d'être vigilante quant à ses intérêts.6
[210] Pascale Cloutier, Marie-Hélène Gay et Vanessa Leblanc soulignent l'obligation d'un franchiseur d'informer adéquatement le franchisé de façon complète et juste et que le franchisé a également l'obligation de s'informer.7
[211] Elles notent qu'un franchisé peut s'informer de différentes façons:
« … soit en faisant un examen soigné de la documentation remise par le franchiseur, y inclus la convention de franchise que lui présente le franchiseur, en consultant des professionnels, en posant des questions, en faisant un examen attentif des équipements qui lui sont vendus accessoirement à la signature de la convention, en demandant de rencontrer des franchisés du réseau, etc. »
[212] Selon ces auteures, quand un franchisé se plaint de ne pas avoir été informé, il doit démontrer qu'il a rempli sa propre obligation de s'informer.
[213] Il apparaît des faits qu'un comptable ou un avocat s'y connaissant dans le domaine de la franchise aurait pu aider McDuff à mieux comprendre les documents.
[214] Est-ce que McDuff a agi de façon prudente avant et après avoir signé afin de s'informer de ses droits et obligations? Évidemment pas.
[215] Elle-même admet qu'elle était emballée par l'idée d'exploiter une franchise.
[216] Elle s'empresse à signer. Le Tribunal est d'avis que personne la forcer à signer, parce qu'elle voulait signer.
[217] Le Tribunal conclut que McDuff a manqué à son obligation de se renseigner de façon raisonnable.
[…]
(Nos soulignements)
(Références omises)
(Reproduction intégrale)
[79] En vertu de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence citées plus haut, le Tribunal conclut que madame Asselin n'a pas rencontré son fardeau de preuve afin d'établir qu'Olco, par l'entremise de ses représentants, a agi de mauvaise foi, a commis un dol et a agi abusivement dans le cadre des deux contrats intervenus le 26 mai 2011. En conséquence, la demande de madame Asselin est rejetée.
[80] À l'audience, l'avocate de cette dernière requiert que le Tribunal mitige les dépens en vertu de l'article 477 du Code de procédure civile (C.p.c.) :
477. La partie qui succombe supporte les dépens, frais du sténographe compris, à moins que, par décision motivée, le tribunal ne les mitige, ne les compense ou n'en ordonne autrement.
Le tribunal peut également, par décision motivée, mitiger les dépens relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties, notamment lorsqu'il estime que l'expertise était inutile, que les frais sont déraisonnables ou qu'un seul expert aurait suffi.
Dans le cas d'une action personnelle et sous réserve de l'article 988, la somme des frais de poursuite, à l'exclusion des frais d'exécution, que le défendeur condamné peut être appelé à payer ne doit pas excéder le montant de la condamnation, si celui-ci n'est pas supérieur au montant prévu au paragraphe a de l'article 953, à moins que, par décision motivée, le tribunal n'en ait ordonné autrement.
[81] Le Tribunal n'entend pas mitiger les dépens car lorsque madame Asselin a entrepris son recours, elle sait qu'il y a un risque qu'elle n'obtienne pas gain de cause. En effet, l'avocat qu'elle a consulté peu de temps après avoir reçu la lettre du 3 octobre 2011 l'avise, tel qu'en fait foi l'extrait de l'interrogatoire avec défense cité plus haut, qu'elle aurait dû consulter un professionnel avant de signer les deux contrats plutôt qu'après avoir reçu l'avis de 60 jours. Madame Asselin devait certes être renseignée adéquatement par Olco mais elle devait aussi se renseigner telle que la doctrine et la jurisprudence l'établissent. En raison de cela, elle est condamnée aux dépens.
[82] À la suite de la conclusion du Tribunal sur la demande de madame Asselin, le Tribunal va traiter des dommages que celle-ci réclame à Olco.
[83] Le Tribunal conclut à cet égard que madame Asselin n'a pas davantage rencontré son fardeau de preuve.
[84] Relativement aux dommages matériels requis, l'avocat d'Olco formule une objection, prise sous réserve, en ce qui concerne les pièces P-21, P-22, P-27 et P - 29 que madame Asselin souhaite produire. Il souligne que celles-ci ne peuvent faire preuve en faveur de leur auteur contre un tiers[10].
[85] Elle requiert 12 310,97 $ pour l'inventaire qu'elle affirme avoir perdu. Cela fait l'objet d'une liste énoncée à la pièce P-29. Le Tribunal accueille l'objection relativement à cette pièce car il ne s'agit que d'une liste avec divers montants ne comportant aucune facture, aucune référence spécifique à une facture produite ou pas parmi les autres pièces au dossier. Dans sa réclamation sur ce point, madame Asselin s'appuie également sur les pièces P-21 et P-22. Les pièces P-21 et P-29 sont des documents préparés par madame Asselin, lesquelles ne réfèrent en aucune façon de manière précise pour chaque élément aux factures produites en liasse avec la pièce P-22. En conséquence, le Tribunal accueille également l'objection d'Olco relativement aux pièces P-21 et P-22 et conclut que la demande de dommages matériels pour l'inventaire perdu est non fondée. Au surplus, madame Asselin témoigne à l'audience qu'elle a rapporté chez elle ce qu'il restait d'inventaire à la fin novembre 2011, jetant ce qui était périssable, sans spécifier ce dont il s'agissait, et conservant ou consommant le reste.
[86] Pour des frais d'entretien, elle demande 982 $, plus spécifiquement pour de la peinture qu'elle a faite (Olco fournissant les gallons de peinture), le lavage de vitres et un mois de déneigement qui n'a pas eu lieu en raison de la résiliation des deux contrats. En ce qui concerne la peinture, à l'audience, madame Asselin affirme qu'elle facture le temps qu'elle aurait mis pour l'exécuter. Elle ne fournit aucun document attestant du temps en question et n'établit pas sur quelle base elle fixe un taux horaire pour ce faire.
[87] En regard du contrat de déneigement, elle a conclu celui-ci avec le beau-père de l'une de ses amies. Il a refusé de lui rembourser son premier acompte. Olco n'est aucunement responsable de cela.
[88] Par ailleurs, elle affirme à l'audience que les frais d'entretien comprennent aussi ceux relatifs au lavage de vitres. Tel qu'elle l'a mentionné lors de son témoignage, son commerce a bénéficié des différents services qu'elle a requis ou rendus pendant la période de location. Ainsi, elle n'a subi aucun dommage à cet égard.
[89] Dans sa demande, elle réclame 4 429,27 $ pour des fournitures de bureau, notamment pour l'achat d'un ordinateur et d'un logiciel Acomba, ceci lui a coûté au total 1 657,55 $. Elle produit en liasse comme pièce P-27, une série de factures dont celle de 1 657,55 $, sans préciser comment elle arrive au total de 4 429,27 $. L'avocat d'Olco s'objecte à la production de la pièce P-27. Le Tribunal accueille l'obligation sauf pour la facture de 1 657,55 $. Le Tribunal conclut que cette partie de la réclamation est non fondée car madame Asselin s'est servie des différentes fournitures de bureau pendant l'exploitation de son commerce.
[90] Pour les frais de sa prime d'assurance, elle demande 1 088,57 $. Encore une fois, il ne s'agit pas de dommages puisqu'elle a bénéficié d'une couverture d'assurance pendant le temps où elle a été locataire des lieux.
[91] Elle requiert aussi 335 $ pour ce qu'elle intitule « dépenses liées au commerce », ce qui s'avère, selon ce qu'elle dit à l'audience, le coût du permis qu'elle a payé au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec pour du « chaud - froid ». Ceci est une dépense d'opération et il ne s'agit pas d'un dommage. Donc, cette réclamation est aussi non fondée.
[92] De plus, elle demande 4 000 $ pour ce qu'elle intitule « salaire non versé » pour les mois de juin, juillet, août et septembre 2011. Elle mentionne qu'il s'agit d'un montant de 1 000 $ par mois. Or, ce qu'elle peut réaliser ou non avec son commerce, ce sont des profits et non le versement d'un salaire. De ce fait, cette réclamation est non fondée d'autant plus qu'elle a déclaré une perte d'entreprise dans ses déclarations d'impôt tant au fédéral qu'au provincial de plus de 5 000 $.
[93] Enfin, dans la rubrique des dommages matériels, elle réclame 1 010,73 $ pour les intérêts qu'elle a versés sur le prêt qu'elle a contracté auprès de la Banque Nationale du Canada. Tel que mentionné plus haut, dans la section sur Les Faits, son contrat de prêt comprend une clause lui permettant de payer celui-ci par anticipation, sans pénalité, ce qu'elle fait. La preuve démontre aussi qu'à la fin novembre 2011, elle a plus de 18 000 $ dans son compte, ce qui sert à effectuer ce paiement. Elle n'a donc subi aucun dommage à cet égard.
[94] Dans sa requête introductive d'instance amendée, sous le titre « Dommages moraux », madame Asselin demande 17 724 $ pour troubles et inconvénients. À l'audience, elle soutient que cela représente le temps qu'elle n'a pu consacrer à ses deux enfants, plus particulièrement à partir de la réception de la lettre d'Olco le 3 octobre 2011, sans autres précisions. Elle dit qu'elle a dû passer plus de temps à son commerce en raison de l'avis de 60 jours, plusieurs employés quittant celui-ci. Elle n'a pas fait la démonstration des dommages moraux requis, et ce, pour un total de 17 724 $.
[95] En terminant, elle demande 25 000 $ à titre de dommages punitifs. En vertu de l'article 1621 C.c.Q., une loi doit prévoir l'attribution de ceux-ci. À l'audience, l'avocate de madame Asselin dit qu'elle se base sur les articles 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[11] :
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[96] L'avocat d'Olco conteste cela. Dans ce dossier, il n'y a eu aucune atteinte aux droits de madame Asselin « à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens ». De plus, il n'y a aucune preuve qu'il y a eu une atteinte « illicite et intentionnelle » à ses droits de la part d'Olco à quelque moment que ce soit durant leur relation d'affaires. À cet égard, la Cour suprême du Canada a écrit récemment ceci dans l'arrêt Cinar Corporation c. Robinson[12] :
[…]
118 […] Aux termes de l'art. 49 de la Charte, des dommages-intérêts punitifs ne sont attribués que si l'atteinte aux droits ou aux libertés garantis par la Charte est «intentionnelle». Une atteinte est intentionnelle lorsque «l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera» : St-Ferdinand, par. 121 ([1996] 3 R.C.S. 211).
(Reproduction intégrale)
[97] Ainsi, le Tribunal conclut qu'à l'égard des dommages qu'elle réclame, madame Asselin n'a pas davantage rencontré son fardeau de preuve.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande;
LE TOUT avec dépens.
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______________________________ PIERRE CODERRE, J.C.Q. |
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MeJoanne Richard, avocate DUSSAULT GERVAIS THIVIERGE Casier no : 101 Procureurs de la demanderesse
Me Ponora Ang, avocat McMILLAN S.E.N.C.R.L., s.r.l. 1000, rue Sherbrooke Ouest, bureau 2700 Montréal (Québec) H3A 3G4 Procureurs de la défenderesse
Dates d'audience: 13 et 14 mars 2014 |
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[1] 2012 QCCS 33, appel rejeté (2014-01-20), 2014 QCCA 111.
[2] Interrogatoire avant défense le 12 octobre 2012 de madame Nathalie Asselin par Me Ponora Ang, p. 40, lignes 14 et 15.
[3] Id., p. 54-55.
[4] Id., p. 89.
[5] Id., paragr. 25, p. 22, paragr. 1 à 11, p. 23.
[6] Id., p. 84.
[7] 7e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 413-414.
[8] 3e édition, vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 76.
[9] 2008 QCCS 4898.
[10] Me Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson & Lafleur, no 443, p. 181.
[11] RLRQ, c. C-12.
[12] EYB 2013-230908.
AVIS :
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