Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Commission scolaire des Samares

2013 QCCLP 4572

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

26 juillet 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

482585-63-1209

 

Dossier CSST :

132924952

 

Commissaire :

Jean M. Poirier, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Commission scolaire des Samares

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 20 septembre 2012, la Commission scolaire des Samares (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 septembre 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 juillet 2012 et déclare que l’employeur a démontré un motif raisonnable permettant de le relever de son défaut d’avoir respecté le délai de contestation prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Elle déclare également que la totalité du coût des prestations doit être imputée au dossier de l’employeur.

[3]           L’employeur est présent et représenté à l’audience tenue à Joliette le 8 mars 2012. L’affaire est mise en délibéré le même jour.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit pas être imputé du coût des prestations versées à madame Diane Laferrière (la travailleuse), pour la période s’écoulant du 8 septembre 2009 au 26 août 2011, période pendant laquelle la travailleuse s’est absentée de son poste en assignation temporaire pour une invalidité d’une nature étrangère à sa lésion professionnelle. L’employeur demande à ce que la Commission des lésions professionnelles étudie sa demande à la lumière du premier alinéa de l’article 326 de la loi. Subsidiairement, il invoque le second alinéa de cet article 326 de la loi.

LES FAITS

[5]           La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de madame Julie Bédard, conseillère en gestion de personnel au service de l’employeur. Le tribunal a pris connaissance du dossier médico-administratif qui lui a été soumis ainsi que des documents déposés dans le cadre de l’audience. Il retient les faits suivants.

[6]           Le 17 mars 2008, la travailleuse, une enseignante en anglais à l’école primaire au service de l’employeur, signe un formulaire de Réclamation du travailleur où elle mentionne : « depuis le début de septembre, à la rentrée scolaire, j’ai remarqué que ma voix était toujours fatiguée à la fin de la journée. J’ai consulté le docteur Bilodeau, il a vu des nodules sur une corde vocale donc dysphonie liée au travail. »

[7]           Le 26 février 2008, le docteur Gilles Bilodeau signe un formulaire d’Attestation médicale, après avoir examiné la travailleuse, où il diagnostique une dysphonie liée au travail. Il recommande à la travailleuse des traitements en orthophonie et un arrêt de travail pour un mois.

[8]           Le 4 avril 2008, le docteur Bilodeau mentionne en rapport médical que la travailleuse est atteinte de nodules sur les cordes vocales et lui prescrit un repos vocal.

[9]           Le 19 juin 2008, le docteur Bilodeau réitère le diagnostic de dysphonie et demande à la travailleuse de le revoir en août.

[10]        Le 18 août 2008, le médecin recommande que la travailleuse puisse effectuer un travail adapté en assignation temporaire. Lorsque la travailleuse est en classe, elle doit se servir d’un micro ainsi que d’un tableau blanc. Ce dernier élément diminue l’exposition à la poussière de craie. Elle ne fait pas de surveillance extérieure. Finalement, cette tâche adaptée comporte également des journées de travail à la maison permettant à la travailleuse de reposer sa voix.

[11]        L’employeur verse à la travailleuse la totalité de son salaire pendant cette assignation temporaire.

[12]        De plus, le dossier médico-administratif de la CSST démontre que l’organisme confirme que la travailleuse est en assignation temporaire pendant cette période débutant le 18 août 2008.

[13]        Pendant toute cette période, le médecin qui a charge, le docteur Bilodeau, supervise cette assignation temporaire.

[14]        Le 8 septembre 2009, la travailleuse dépose un formulaire d’assurance invalidité temporaire de l’employeur. Au soutien de cette demande, après une longue investigation s’échelonnant sur plusieurs mois, son médecin diagnostique finalement que la travailleuse souffre d’apnée du sommeil. La preuve établit clairement que cette condition est strictement personnelle et n’est aucunement en relation avec les problèmes de dysphonie dont souffre également la travailleuse.

[15]        La travailleuse doit cesser d’occuper son assignation temporaire vu que son médecin lui recommande d’arrêter de travailler.

[16]        Pendant cette période, la travailleuse est indemnisée dans un premier temps par le régime d’assurance invalidité de l’employeur.

[17]        Le dossier médico-administratif de la CSST démontre que cette dernière est bien au fait de la maladie personnelle de la travailleuse qui l’a retirée totalement de son assignation temporaire de travail du mois de septembre 2009 au mois d’août 2011, tel qu’en fait foi une note de l’agent de la CSST datée du 28 novembre 2011.

[18]        Cette cause personnelle d’arrêt de travail cessera le 26 août 2011.

[19]        À cette date, la travailleuse recommence à travailler dans son poste en assignation temporaire avec les mêmes moyens et aides et elle est toujours supervisée par son médecin qui a charge.

[20]        En ce qui a trait à la reprise de son assignation temporaire de travail au mois d’août 2011, sans rendre de décision particulière, la CSST informe l’employeur que la travailleuse est considérée en « continuité » de sa réclamation initiale.

[21]        De fait, sans rendre de décision écrite et, rétroactivement, la CSST versera à la travailleuse des prestations d’indemnité de remplacement du revenu pour la période d’absence de son assignation temporaire de travail, soit du 8 septembre 2009 au 26 août 2011.

[22]        Le 21 mars 2012, l’employeur demande à la CSST d’imputer le coût des prestations versées à la travailleuse, pour la période couvrant le 8 septembre 2009 jusqu’au 26 août 2011, date de son retour à son assignation temporaire de travail, à l’ensemble des employeurs. Dans sa lettre datée du 21 mars 2012, l’employeur demande de transférer ces coûts, considérant qu’il se dit obéré injustement d’avoir à assumer l’imputation de ces coûts. À l’audience, l’employeur demande de traiter sa demande dans un premier temps, selon le principe général prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi, s’appuyant sur les principes développés dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc.[2].

[23]        Dans son témoignage, madame Bédard affirme que, lors des discussions tenues avec l’agent de la CSST, il avait été convenu que l’employeur ne serait pas imputé pour cette période. Cependant, l’imputation n’a pas été modifiée et l’employeur constate que son dossier est chargé du coût des prestations versées pour la période en litige.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au retrait de l’imputation demandé, en vertu de l’article 326 de la loi, pour la période où la travailleuse a été en arrêt de travail de son assignation temporaire à cause de sa maladie personnelle identifiée comme de l’apnée du sommeil, soit du 8 septembre 2009 jusqu’au 26 août 2011.

[25]        Cette disposition énonce ce qui suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

 

 

[26]        Dans un premier temps, le tribunal constate que l’employeur invoque l’application de l’alinéa premier de l’article 326 de la loi. Dans un tel cas, comme l’a reconnu à maintes reprises la jurisprudence[3] du tribunal, le délai d’un an prévu au dernier alinéa de l’article 326 de la loi ne s’applique pas. Ce délai s’applique uniquement à l’égard d’une demande de transfert de coût formulée, en vertu du second alinéa de l’article 326 de la loi, soit si l’employeur est obéré injustement si les coûts lui sont imputés ou encore si l’accident est attribuable à un tiers.

[27]        Ainsi, le tribunal étudie la requête en contestation de l’employeur sous l’angle du premier alinéa de l’article 326 de la loi. Si l’employeur a raison dans ses prétentions, la Commission des lésions professionnelles n’aura pas à discuter de l’existence d’un motif raisonnable pour être relevé du défaut d’avoir déposé sa demande de transfert d’imputation dans l’année suivant la date de l’accident. Dans le cas contraire, le tribunal ne pourra étudier le fond de la requête de l’employeur sous l’angle du second alinéa de l’article 326 de la loi, aucun motif n’ayant été déposé pour justifier une prolongation du délai.

[28]        Lorsque l’on considère les articles 326, 327, 328 et 329 de la loi[4], on constate que les situations où le partage ou le transfert d’imputation se présentent de la façon suivante :

·        Faute due à un tiers (article 326 alinéa 2 de la loi), le coût des prestations est entièrement transféré aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités;

·        Lorsque l’employeur est obéré injustement (article 326 alinéa 2 de la loi), le coût des prestations est transféré totalement la plupart du temps à l’ensemble des employeurs;

·        Lorsqu’une blessure ou une maladie survient à l’occasion à des soins ou à l’omission de recevoir de tels soins ou encore lors d’une activité prescrite au travailleur lors de traitements médicaux en lien avec sa lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation (article 327 paragraphe 1 et article 31 de la loi), le coût des prestations est alors totalement transféré à l’ensemble des employeurs;

·        Lorsque la lésion professionnelle n’entraîne, pas pour le travailleur, une perte de temps au-delà de la journée de la survenance de la lésion (article 327 paragraphe 2 de la loi), le coût de frais d’assistance médicale encouru est également totalement transféré à l’ensemble des employeurs;

·        Lorsque la lésion professionnelle est une maladie professionnelle (article 328 de la loi), l’imputation du coût des prestations se fait chez le ou les employeurs, chez qui le travailleur a fait un travail de nature à engendrer cette maladie; le partage de cette imputation se fait selon la durée de ce travail et l’importance du danger que représente ce travail chez chacun de ces employeurs, et finalement;

·        Lorsque le travailleur était porteur au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle, d’un handicap (article 329 de la loi), le partage de cette imputation des coûts des prestations se fait alors entre l’employeur au service duquel œuvre le travailleur et l’ensemble des employeurs.

[29]        De ce constat, on observe que le coût des prestations sera, soit partagé c'est-à-dire que le ou les employeurs visés se verront déterminer un pourcentage de l’ensemble des coûts, soit transféré au sein d’une ou de plusieurs unités ou encore à l’ensemble des employeurs.

[30]        En ce qui a trait aux demandes de transfert prévues au second alinéa de l’article 326, il semble opportun de se questionner sur la volonté du législateur, à savoir de n’y traiter que les cas de transfert total.

[31]        Le tribunal croit opportun de se référer à la décision Système Erin ltée[5].

[32]        Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles fait l’analyse de l’article 326 de la loi et en vient à conclure qu’à l’égard des cas de transfert lorsque l’employeur est obéré injustement ou lors des cas de transfert si la faute est due à un tiers, le transfert sera total. Il faut donc comprendre que les cas de transfert prévus au second alinéa de l’article 326 ne visent que des situations particulières et pour des cas de transfert total.

[33]        En ce sens, l’expression utilisée dans l’affaire Système Erin ltée « c’est tout ou rien » semble confirmer cette volonté [6].

[34]        Dans une récente affaire Olymel Vallée-Jonction[7], la Commission des lésions professionnelles mentionne :

[105]    Cette application, référant en quelque sorte au « tout ou rien », peut se comprendre aisément dans un contexte d’accident du travail attribuable à un tiers. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles nous révèle toutefois d’autres issues possibles lorsqu’il s’agit notamment d’un cas où un employeur est obéré injustement.

 

 

[35]        Cette analyse laisse une zone grise pour les cas de transfert des coûts partiels ou, autrement dit, des situations où les coûts ne sont pas reliés ou imputables directement à la lésion professionnelle, et ce, pendant une période de temps donné.

[36]        À l’égard de la situation où une période d’invalidité étrangère (maladie personnelle) survient, le tribunal se questionne sur l’approche que l’on doit avoir afin de respecter les finalités du régime de financement mis en place par le législateur.

[37]        Manifestement, l’article 326 de la loi ainsi que les articles 327, 328 et 329 ne couvrent pas la situation des maladies personnelles. Jusqu’à maintenant, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a traité la majorité de ces cas sous le spectre de la disposition prévue au second alinéa de l’article 326 - lorsqu’il est fait la démonstration que l’employeur est obéré injustement - soit l’une des deux exceptions au principe général prévu au premier alinéa.

[38]        Par ailleurs, si la maladie personnelle, subie par le travailleur, survient à une date dépassant l’année de délai maximal pour présenter une demande de transfert[8], est-ce à dire que l’employeur perd tout recours? Le tribunal ne peut souscrire à une telle position.

[39]        Il y a lieu de scruter une avenue différente.

 

[40]        De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le législateur a souhaité que la réhabilitation d’un travailleur accidenté se fasse dans les meilleures dispositions possibles et que ce dernier puisse retourner au travail, d’où l’existence du mécanisme de l’assignation temporaire.

[41]        Il faut garder en tête que l’article 1 de la loi a pour objet la réparation de la lésion subie, c'est-à-dire la réhabilitation et le retour au travail. Dans un cas d’assignation temporaire, il est fondamental de garder en tête que le but de cette assignation est de favoriser la réhabilitation. L’article 179 de la loi prévoit que :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1°le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

2°ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3°ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

[Notre soulignement]

 

 

[42]        Le législateur a mis en place un régime financier où les dépenses liées à un accident du travail sont imputées au dossier de l’employeur, au service duquel est le travailleur au moment où survient sa lésion.

[43]        Il faut aussi se poser la question si, pour un employeur de la taille d’une multinationale, le fait, que le travailleur ait subi une maladie personnelle de quelques semaines, voire quelques mois, pouvait obérer injustement la condition financière de cet employeur? Le tribunal croit que poser la question c’est y répondre.

[44]        Même si ces coûts n’ont pas l’heure de l’obérer injustement, est-ce qu’il est équitable que cet employeur devienne, à lui seul, par le régime financier de la loi, le seul assureur pour l’invalidité de cause étrangère à la lésion? À cette question, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le législateur n’a pas pu vouloir une telle mesure qu’il faut considérer comme inéquitable à sa face même.

[45]        Le tribunal juge pertinent de reproduire la notion de « prestation », définie comme suit à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

 

« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[46]        La Commission des lésions professionnelles rappelle que l’interprétation du premier alinéa de l’article 326 de la loi, plus particulièrement du terme « le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail », est au cœur du présent litige.

[47]        La Loi d’interprétation[9] énonce en son article 41 ce qui suit :

41. Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

 

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

__________

S. R. 1964, c. 1, a. 41; 1992, c. 57, a. 602.

 

 

[48]        En se fondant sur la Loi d’interprétation précitée, le tribunal est d’avis que le législateur a voulu, de par l’usage du terme « le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail » à l’alinéa premier de l’article 326 de la loi, qu’il existe un lien entre les prestations versées au travailleur et imputées au dossier de l’employeur et l’accident du travail survenu chez l’employeur.

[49]        La Commission des lésions professionnelles rappelle, qu’en aucun temps, le droit de la travailleuse de recevoir des prestations d’indemnité de remplacement du revenu ne doit être remis en question. Cette dernière n’en recevait pas jusqu’au moment de son invalidité pour un motif personnel, car elle recevait son plein salaire de son employeur considérant son assignation temporaire de travail.

[50]        Il faut considérer que n’eût été de cette condition d’invalidité due à cette maladie personnelle, l’assignation temporaire de la travailleuse n’aurait pas cessée, bien encadrée qu’elle était par le médecin qui a charge.

[51]        Le droit de la travailleuse de recevoir des prestations d’indemnité de remplacement du revenu n’étant pas remis en cause, il est cependant opportun de questionner le lien entre les prestations qu’elle reçoit et la lésion professionnelle subie.

[52]        De l’avis du tribunal, il n’y a pas matière à précédent en questionnant ce lien. En effet, le tribunal s’inspire du principe retenu dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc.[10].

[53]        Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’un travailleur qui recevait, au moment de son accident du travail, des prestations d’indemnité de replacement du revenu réduites (tirées d’une précédente lésion professionnelle) et son salaire versé par son employeur avait droit, comme il se doit, à une indemnité de remplacement du revenu calculée sur la base de ces deux sources financières. Ainsi, le travailleur reçoit, selon les calculs prévus à la loi, 90 % de son revenu composé de son salaire et de l’indemnité de remplacement du revenu réduite.

Mais le juge administratif a considéré, qu’aux fins de l’imputation, le coût des prestations à être imputé au dossier de l’employeur devait être constitué que de la partie représentant le salaire gagné chez cet employeur. Il mentionne :

[72]      Il est difficile de concevoir que le législateur veuille d’une part favoriser l’embauche d’un travailleur réadapté en octroyant des avantages financiers à un employeur, et qu’il soit d’accord avec une politique d’imputation dont l’effet est de le pénaliser financièrement dans l’éventualité où ce même travailleur subit une lésion professionnelle.

 

[73]      Il y a là une incohérence manifeste qui s’accorde mal avec la présomption selon laquelle le législateur est censé être rationnel et cohérent dans sa législation.10 Le législateur est en effet présumé être logique avec lui-même et vouloir que les dispositions d’une loi s’harmonisent entre elles et non qu’elles se heurtent.

 

[74]      Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois11, Pierre-André Côté écrit ce qui suit :

 

Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de l’aptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique s’appuie sur l’idée que le l’auteur de la loi est un être rationnel : la loi qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et l’interprète doit préférer le sens d’une disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le loi.

 

 

[75]      Selon le soussigné, l’approche retenue jusqu’ici par le tribunal est certes défendable sur le plan de l’analyse grammaticale. Elle ne l’est pas, pour les raisons déjà expliquées, lorsqu’on la soumet à la méthode d’interprétation contextuelle préconisée par les plus hautes juridictions.

______

10          Ordre des chimistes du Québec c. Chimitec Ltée, C.A, 200-10-000993-001, 9 février 2001, A. Brossard, T. Rousseau-Houle, F. Thibault.

11          Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, 1982, p. 256.

 

 

[54]        De l’avis du tribunal, la méthode contextuelle d’interprétation doit être retenue afin de déterminer, dans le cadre du régime de financement de la loi, le sens à donner à l’expression « impute le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail ».

[55]         Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles reprend également les principes précités retenus dans Les Systèmes Erin Ltée[11] :

[31]      Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.

 

 

[56]        Cette approche a été reprise récemment dans plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles[12]. Le présent tribunal a également déjà souscrit à l’approche de la décision J.M. Bouchard & Fils inc. dans l’affaire Coopérative de soutien à domicile de Laval[13].

[57]        La Cour suprême du Canada s’est penchée à plusieurs reprises sur les principes d’interprétation de la loi. À ce propos, notre collègue, la juge administrative Beaudin, fait état de la jurisprudence de la plus haute cour du pays dans l’affaire Nettoyeur Clin d’œil[14]. Le tribunal trouve à propos de reprendre les passages pertinents de cette décision :

[34]  Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a rappelé dans plusieurs décisions que la méthode contextuelle moderne est désormais celle qui doit guider les tribunaux dans leur interprétation des lois, notamment dans l’arrêt Verdun c. Banque Toronto-Dominion6 :

 

2. Les tribunaux doivent généralement utiliser la « méthode contextuelle moderne » comme méthode normative standard d’interprétation des lois et ils peuvent exceptionnellement recourir à l’ancienne règle du « sens ordinaire » quand les circonstances s’y prêtent. […]

 

6. En conséquence, la méthodologie exposée dans Driedger on the Construction of Status (3e éd. 1994) à la p. 131, est appropriée :

 

[TRADUCTION] Il n’existe qu’une seule règle d’interprétation moderne : les tribunaux sont tenus d’interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l’objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d’interprétation, ainsi que des sources acceptables d’aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d’un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée. L’interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité, c’est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l’objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste. [Les soulignés sont dans le texte.]

 _______

6          [1996] 3 R.C.S. 550.

 

[Nos soulignements]

 

 

 

 

 

[35]  De plus, dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd7, le juge Iacobucci note que :

 

21. Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

27. (…) Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 4232). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile.

_______

7          [1998] 1 R.C.S. 27.

 

[Notre soulignement]

 

 

[36]  Enfin, la Cour suprême énonçait également dans l’arrêt Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc.8 :

 

Comme notre Cour l’a maintes fois répété : [traduction] « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26). Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (par. 21).

 

Des mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode moderne d’interprétation.

_____

8                     [2003] 3 R.C.S. 141, par. 9-10.

 

 

[58]        À la lumière de ce qui précède, sous réserve des cas prévus par les articles contenus à la section VI - imputation des coûts, le tribunal estime que l’interprétation de l’alinéa premier de l’article 326 de la loi commande d’exclure du dossier financier de l’employeur le coût des prestations versées à un travailleur, prestations qui ne sont pas dues en raison d’un accident du travail survenu chez l’employeur.

[59]        À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles rend, en 2008, une décision[15] par une formation de trois juges administratifs et rappelle ce qui suit de l’alinéa premier de l’article 326 de la loi :

[284]  En statuant que le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur doit être imputé à l’employeur auquel il était alors lié, le premier alinéa de l’article 326 applique une règle de « justice » distincte de celle ayant cours en droit civil, celle que le législateur a spécifiquement retenue comme étant équitable pour les fins particulières du régime d’assurance qu’il a instauré.

 

[…]

 

[286]  Ainsi, la « justice » de toute imputation repose sur la prise en compte du risque assuré pour chaque employeur

 

 

[60]        La preuve démontre que la maladie personnelle dont a été atteinte la travailleuse n’a aucun lien avec les activités professionnelles de cette dernière, et encore moins avec la lésion professionnelle qu’elle a subie le 2 novembre 2007.

[61]        Comme le tribunal l’a déjà souligné[16], « imputer à l’employeur le coût des prestations dues à un accident du travailleur qui n’a aucun lien avec son emploi est contraire au principe général de l’imputation du premier alinéa de l’article 326 de la loi ».

[62]        La Commission des lésions professionnelles considère que l’employeur recherche l’application du principe général énoncé au premier alinéa de l’article 326 de la loi en demandant que le coût des prestations reliées aux indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse pour la période où cette dernière est en arrêt de travail suite à une maladie personnelle ne lui soit pas imputé.

[63]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’application du principe général prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi ne nécessite aucunement la démonstration d’une situation correspondant à la notion d’injustice que l’on retrouve au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Pour ce faire, il suffit à l’employeur de démontrer de façon prépondérante que les prestations versées à la travailleuse victime d’un accident du travail ne sont pas dues en raison de cet accident du travail survenu au sein de son entreprise.

[64]        Il convient de mentionner que la Commission des lésions professionnelles ne crée pas un nouveau recours par le raisonnement qu’elle tient ici. Le recours à une demande de retrait de coûts imputés à un dossier d’employeur est utilisé depuis longtemps et est employé aussi sous d’autres rubriques. En effet, dans l’affaire CSST c. Commission des lésions professionnelles et Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Pavillon Marcoux[17], la Cour supérieure constate que ce recours existe depuis plusieurs années. La Cour supérieure confirme que les employeurs peuvent contester l’imputation de coût - en l’occurrence des visites médicales tenues après la date de consolidation - sur la base que ces derniers ne seraient pas « reliés à la lésion professionnelle » :

[88]      Sans remettre en cause le droit des travailleurs de recevoir leurs prestations, la décision de la CLP de reconnaître aux employeurs un recours pour contester l'imputation à leurs dossiers du coût de visites médicales effectuées après la consolidation, sans atteinte permanente ni limite fonctionnelle, est-elle déraisonnable?

 

[89]      Le tribunal est d'avis que non.

 

[90]      Par sa décision, la CLP identifie un mécanisme qui découle de l'application de la LAMTP, plus particulièrement de son article 326, en force depuis plusieurs années, et qui permet aux employeurs de contester l'imputation à leurs dossiers du coût de visites médicales qu'ils prétendent non reliées à la lésion professionnelle.

 

[91]      Il s'agit là certes d'une issue possible acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit, longuement expliquée dans sa décision et de façon intelligible.

 

 

[65]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur a rempli son fardeau de preuve et qu’il a démontré qu’il n’a pas à être imputé du coût des prestations versées à la travailleuse suite sa maladie personnelle, qui a débutée le 8 septembre 2009, ces dernières n’étant pas dues en raison de son accident du travail.

[66]        Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère qu’en vertu du principe général d’imputation édicté au premier alinéa de l’article 326 de la loi, l’employeur ne doit être imputé que des seuls coûts attribuables à la lésion professionnelle de la travailleuse survenue le 2 novembre 2007 alors qu’elle est à son emploi.

[67]        Par conséquent, le coût de l’indemnité de remplacement de revenu relié à la maladie personnelle de la travailleuse, pour la période du 8 septembre 2009 au 26 août 2011, n’est pas imputable au dossier financier de l’employeur.

[68]        Considérant la conclusion à laquelle en arrive la Commission des lésions professionnelles à l’égard de ce qui précède, le tribunal n’a pas à analyser les prétentions de l’employeur voulant qu’il ait pu être obéré injustement selon le second alinéa de l’article 326 de la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en contestation de la Commission scolaire des Samares, l’employeur, déposée le 20 septembre 2012;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 septembre 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse en raison de sa lésion personnelle, soit l’apnée du sommeil, pour la période débutant le 8 septembre 2009 et se terminant le 26 août 2011.

 

 

 

 

JEAN M. POIRIER

 

 

Me Guillaume Saindon

Morency, société d’avocats

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]               L.R.Q., c. A-3.001.

[2]               C.L.P., 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal, juge administrative.

[3]               Service d’entretien Empro inc., C.L.P. 360660-31-0810, 23 avril 2009, J.-L. Rivard; Hôpital Laval, C.L.P. 356825-31-0808, 15 janvier 2009, M. Beaudoin.

[4]               L’article 330 de la loi ne visant que les cas de désastre ne fera pas l’objet de la présente discussion.

[5]               Voir à cet effet Les Systèmes Erin ltée, C.L.P. 195814-01A-0211, 29 décembre 2005, L. Desbois, juge administrative.

[6]               Précitée note 4, par. 28.

[7]               Olymel Vallée-Jonction et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2013 QCCLP 2476.

[8]               Dernier alinéa de l’article 326 de la loi.

[9]               L.R.Q. c. I-16.

[10]             C.L.P. 372840-02-0903, 17 mai 2010, M. Sansfaçon, juge administratif.

[11]             Précitée note 5.

[12]             Notamment dans les affaires suivantes :Entreprises Cafection (Les), 2012 QCCLP 3578; Construction BCK, 2012 QCCLP 1184; Sodexho Québec ltée-Cafétéria, 2012 QCCLP 3516; Forage Dynami-tech, 2012 QCCLP 1935; Serres Serge Lacoste 2000 inc. (Les), 2012 QCCLP 5308; Programme Emploi-Service, 2012 QCCLP 5852; Maison du Pain inc. (La), 2012 QCCLP 6098; Signotech inc., 2012 QCCLP 6333; Coopérative de soutien à domicile de Laval, 2012 QCCLP 7748.

[13]             Précitée note 11.

[14]             2012 QCCLP 5185.

[15]             Québec (Ministère des Transports) et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P.               288809-03B-0605, 28 mars 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie et J.F. Martel.

[16]             Transelec/Common inc., 2013 QCCLP 1008.

[17]             2013 QCCS 1289.

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