LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
MONTRÉAL, le 12 novembre 1998
RÉGION: DEVANT LA COMMISSAIRE: Louise Thibault
LAVAL
DOSSIER: ASSISTÉE DES MEMBRES: Pierre Gamache,
88342-61-9705 Associations d'employeurs
Gertrude Laforme,
Associations syndicales
DOSSIER CSST: AUDIENCE TENUE LES: 14 avril 1998 et
05362 0076 1er juin 1998
DOSSIER BRP: À: Montréal
6219 0170
MONSIEUR MICHEL LANGEVIN
11, rue Lemay
Laval (Québec)
H7L 2E5
PARTIE APPELANTE
et
VIA RAIL CANADA INC.
Direction des ressources humaines
2, Place Ville-Marie
Bureau 600
Montréal (Québec)
H3B 2C9
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
1700, boul. Laval
2e étage
Laval (Québec)
H7S 2G6
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 6 mai 1997, monsieur Michel Langevin (le travailleur) dépose une déclaration d'appel à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) à l'encontre d'une décision rendue le 12 mars 1997 par le Bureau de révision de la région de Laval (le bureau de révision).
Par cette décision, le bureau de révision modifie la décision rendue le 29 février 1996 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et déclare que la plainte du travailleur du 28 novembre 1995 a été produite à l'intérieur du délai prévu par la loi, mais qu'elle est mal fondée puisqu'il n'a pas bénéficié de la prime de départ anticipé pour une cause juste et suffisante et non par le fait d'avoir été victime d'une lésion professionnelle.
La décision de la CSST du 29 février 1996 rejetait la plainte parce que faite hors délai et parce que non fondée en fait et en droit.
Bien qu'intervenante au dossier, la CSST n'était pas présente à l'audition.
Bien que l'appel du travailleur ait été déposé devant la Commission d'appel, la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles, conformément à l'article 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 1997, c. 27) entrée en vigueur le 1er avril 1998. En vertu de l'article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d'appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande de reconnaître qu'il a été l'objet de mesures discriminatoires l'empêchant de recevoir les bénéfices auxquels il aurait eu droit n'eût été de son accident du travail. Il demande d'ordonner à l'employeur de cesser d'exercer ces mesures discriminatoires et de lui verser les avantages dont il est privé, avec intérêts selon l'article 261 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) depuis le dépôt de la plainte ou subsidiairement, que la Commission des lésions professionnelles réserve sa compétence pour déterminer l'indemnité à verser au travailleur.
LES FAITS
Le travailleur entre en fonction chez Via Rail Canada inc. (l'employeur) comme tuyauteur le 13 juillet 1984.
Il fait, le 11 juillet 1990, une rechute, récidive ou aggravation d'un accident du travail antérieur du 13 décembre 1973. Cette lésion est consolidée le 10 juillet 1991 et il demeure avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
Le travailleur est référé en réadaptation et le 23 mars 1992, l'employeur avise la CSST qu'il ne peut réintégrer le travailleur, n'ayant pas d'emploi disponible répondant à ses limitations fonctionnelles.
La CSST procède à la détermination d'un emploi convenable le 4 septembre 1992, soit celui de préposé à l'exploitation du matériel informatique et le travailleur bénéficie de cours de formation.
Le 30 juin 1993, la CSST détermine qu'il est maintenant capable d'exercer son emploi convenable, et ce, depuis le 22 juin 1993.
Le travailleur demeure sur la liste des employés de Via et les parties n'ont jamais mis fin au lien d'emploi.
Au début de septembre 1995, le travailleur reçoit de l'employeur un formulaire de Demande de prime de départ anticipé. On y précise que l'employé qui veut bénéficier de la prime doit faire parvenir sa demande à l'employeur pour le 10 octobre 1995, ce que fait le travailleur.
Le 26 octobre 1995, monsieur Denis Noiseux, commis chez l'employeur, communique par téléphone avec le travailleur pour l'aviser qu'il n'a pas droit à la prime de départ anticipé et qu'il lui retournera ses formulaires. Vers le 30 octobre 1995, le travailleur les reçoit par la poste.
Le 6 novembre 1995, il écrit à son syndicat pour lui demander de faire un grief.
Aucune suite n'est donnée à cette lettre.
Le 28 novembre 1995, le travailleur dépose une plainte selon l'article 32 de la loi déclarant que le 26 octobre 1995 il a été victime de discrimination de la part de son employeur parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle et qu'il a exercé un droit résultant de la loi. Il demande en conséquence à la CSST d'ordonner à son employeur de cesser d'exercer des mesures discriminatoires ou de représailles à son endroit et de lui verser l'équivalent du salaire et des avantages dont il a été privé.
LES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION COLLECTIVE ET DE L'ENTENTE PERTINENTES AU LITIGE ET LE PROGRAMME DE PRIME DE DÉPART ANTICIPÉ
La Convention collective numéro 8 conclue entre l'Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie des États-Unis et du Canada et Via Rail inc. prévoit à l'article 11 que l'ancienneté d'un employé court à partir de la date où il entre en service dans la catégorie des tuyauteurs.
Une Entente relative à la garantie d'emploi et de revenu passée entre les mêmes parties prévoit, à l'article 5 intitulé Prestations hebdomadaires de licenciement et indemnités de départ, une formule selon laquelle un employé licencié a droit à un «crédit de prestations» établi en fonction du nombre d'années de service rémunéré cumulatif. Ainsi, un employé licencié qui a accumulé 30 ans ou plus de service rémunéré cumulatif aura droit au versement de prestations hebdomadaires, pendant cinq ans, ceci, pour chaque licenciement. L'article 8, intitulé Changement d'ordre technologique ou touchant l'exploitation ou l'organisation prévoit qu'un employé affecté par un changement d'ordre technologique, en plus de bénéficier des autres prestations prévues par l'entente, continue d'être payé au taux horaire de base correspondant au poste qu'il occupait de façon permanente au moment du changement, si son salaire est réduit en raison de ce changement. L'article 9, intitulé Garantie d'emploi prévoit, quant à lui, qu'un employé bénéficie d'une garantie d'emploi après huit années de service rémunéré cumulatif chez Via et qu'un tel employé bénéficiant de cette garantie ne peut être licencié. L'article prévoit également comment il doit exercer son droit d'ancienneté pour supplanter un autre employé, le cas échéant. L'article 1 comporte les définitions suivantes:
«1.1 «Garantie d'emploi»: la garantie d'emploi conférée selon l'article 9 à un employé qui compte huit années de service rémunéré cumulatif au sein de la Société.
(...)
1.5 «Service rémunéré cumulatif»:
i) Un mois de service cumulatif, soit vingt-et-un jours ou la majeure partie de cette période.
ii) Douze mois de service rémunéré cumulatif constituent une année de service rémunéré cumulatif à compter de la dernière date d'entrée au service de la Société en qualité de nouvel employé. Six (6) mois ou plus de service rémunéré cumulatif sont considérés comme la majeure partie d'une année et comptent donc comme une année complète de service pour le calcul des prestations de licenciement ou des indemnités de départ. Si l'employé compte moins de six (6) mois de service rémunéré cumulatif, cette période n'est pas prise en compte dans le calcul. Aux fins de calcul du service rémunéré cumulatif, toute portion d'au moins six (6) mois de service rémunéré cumulatif compte comme une année complète de service pour le calcul des prestations de licenciement ou des indemnités de départ.
Exemple: 102 mois de service rémunéré cumulatif équivalent à neuf (9) années de service rémunéré cumulatif, tandis que 101 mois équivalent à huit (8) années.
iii) Dans le cas des employés en service rémunéré au cours d'une année civile, les congés pour cause de blessure ou de maladie authentique, un congé de maternité approuvé et les absences du travail pour participation aux réunions du comité, témoignage devant un tribunal ou fonctions de juré non rémunérées sont pris en compte dans le calcul du service rémunéré cumulatif d'un employé, à condition de ne pas dépasser cent jours par année civile.
iv) Dans le cas des employés en congé autorisé pour exercer à temps plein des activités syndicales, la durée du congé est considérée comme «service rémunéré cumulatif» selon la définition donnée en 1.5 i).
1.6 «Date d'entrée en service»: la dernière date à laquelle l'employé est entré au service de la Société ou d'une société ferroviaire antérieure s'il a été muté à la Société dans le cadre d'une entente de transfert dûment approuvée par l'agent négociateur actuel ou tout autre agent négociateur antérieur et la Société.»
Dans une décision du 8 octobre 1992, la Commission canadienne des relations de travail ordonna la consolidation en une seule de six conventions collectives touchant les catégories d'employés suivantes: électriciens, machinistes, chaudronniers, poseurs de métal en feuille, wagonniers et tuyauteurs. La convention collective numéro 8 fut donc intégrée dans la convention collective numéro 3 touchant les employés d'atelier.
Le 6 avril 1995, la Ministre du travail établit des commissions de médiation et d'arbitrage pour régler les différends qui subsistaient entre les parties; dans le rapport à la Ministre, ces commissions, présidées par l'honorable Kenneth C. Mackenzie, rapportent le cadre dans lequel doit s'inscrire leur action dans ces termes:
«Contexte
Le Parlement a demandé à chacune des commissions, dans le cadre de ses délibérations, d'être «guidée par la nécessité d'avoir des conditions d'emploi qui soient cohérentes avec la viabilité économique et la compétitivité d'un réseau ferroviaire pancanadien, à court et à long terme, tout en tenant compte de l'importance de bonnes relations patronales-syndicales»
Les points de vue respectifs des parties sont ainsi rapportés:
«Programme des négociations
Bien que l'adoption par Via des mesures de rationalisation du secteur privé ne soit pas nécessairement synonyme de survie de l'entreprise, il importe que celle-ci adhère aux normes d'efficacité opérationnelle de ce secteur. La direction propose des modifications aux conventions collectives conclues avec les employés syndiqués, qui devraient donner lieu à des réductions des coûts de fonctionnement d'environ 32 millions de dollars par année, sur une période de cinq ans, soit jusqu'en 1999. Les propositions comprennent des mesures visant à améliorer la productivité, ainsi qu'un gel de deux ans des salaires, soit jusqu'à la fin de 1996. La rémunération du personnel roulant serait fondée sur des taux horaires plutôt que sur des taux au millage. Le travail des employés d'atelier serait réorganisé, et certains emplois éliminés. La direction tente de modifier substantiellement les dispositions relatives à la garantie d'emploi des conventions collectives en place.
Les syndicats reconnaissent la nécessité d'assurer l'efficacité des opérations de Via, dans la plus large mesure possible, mais ils veulent avoir l'assurance que les modifications envisagées quant aux modalités de travail seront sécuritaires et pratiques. Ils reconnaissent les impératifs financiers pressants auxquels l'ensemble du secteur public fédéral fait face, mais ils ne veulent assumer que leur juste part du fardeau que cela représente. Ils veulent une assurance que les employés qui perdent leur emploi par suite de réductions de l'effectif seront traités de façon équitable et uniforme en vertu des conventions collectives en place.
Les objectifs de la direction et des syndicats sont généralement compatibles. Les délibérations des commissions ont porté principalement sur la prise en compte raisonnable et équitable des objectifs des parties ainsi que sur les modifications nécessaires des conventions collectives.»
L'un des différends subsistant entre les parties concernait la garantie d'emploi dont bénéficiaient bon nombre d'employés. Le rapport décrit la situation et l'objectif visés en ce qui concerne les employés d'atelier:
«Les conventions collectives des employés d'atelier comportaient elle aussi des dispositions de garantie d'emploi dans le cas de changements technologiques, opérationnels ou organisationnels, après 8 ans de service. Aux termes de ces conventions, des employés d'atelier n'exercaient leur ancienneté qu'à l'intérieur de leur région et non pas dans l'ensemble du réseau pour conserver leur admissibilité. Environ la moitié des employés d'atelier, y compris les électriciens et les machinistes, comptant 7 ans de service, bénéficiaient aussi d'une protection contre les mises à pied pour une période égale au nombre d'années de service accumulées, selon certaines modalités. Parmi ces modalités figurait l'obligation d'être muté dans les ateliers plus grands de Montréal ou Toronto, comme condition au maintien des droits d'ancienneté, dans les cas où les personnes touchées n'avaient pas suffisamment d'ancienneté pour conserver leur poste dans leur gare d'attache. Le reste des employés d'atelier disposaient d'une protection contre les mises à pied similaire à celle des employés non itinérants et itinérants, soit en général 5 semaines pour chaque année de service, pour un total pouvant atteindre 5 ans pour les employés comportant 30 ans de service. Environ 80 employés d'atelier désirent aller en arbitrage pour déterminer s'ils disposent d'une garantie d'emploi, comme ils le prétendent, ou d'une protection contre les mises à pied. Il s'agit en fait de déterminer s'ils ont perdu leur emploi par suite de changements technologiques, opérationnels ou organisationnels de nature permanente, qui ont des répercussions négatives sur les emplois, conformément aux clauses relatives à la garantie d'emploi des conventions collectives, ou s'ils ont perdu leur emploi pour d'autres raisons. Les différences quant à la protection contre les licenciements entre les employés d'atelier a nui à la fusion des unités de négociations de ces employés et s'est ajouté aux tensions déjà existantes.
Les plans de Via prévoient l'abolition d'environ 144 postes dans les unités de négociation des TCA, outre ceux des employés qui reçoivent déjà des prestations de garantie d'emploi et des employés d'atelier mis à pied à l'automne de 1994, dont le statut n'est pas encore déterminé. Via veut aussi éliminer 75 postes «réguliers à temps partiel» environ, par suite de la réduction d'effectif effectuée en 1990, depuis laquelle des employés travaillent à temps partiel, mais sont payés à temps plein. Il est peu probable que suffisamment d'employés excédentaires opteront pour la retraite anticipée.
Via propose une indemnité de départ ou un incitatif au départ anticipé aux employés excédentaires qui restent, dont les employés ayant le plus d'expérience «doivent» se prévaloir, c'est-à-dire qui est optionnelle pour les premiers et obligatoire pour les derniers. Étant donné qu'il s'agira d'une mesure obligatoire de remplacement de la garantie d'emploi et de la protection à long terme contre les mises à pied comprises dans les conventions collectives en place, elle devrait prévoir une compensation raisonnable pour la perte de ces avantages. Nous concluons que l'indemnité forfaitaire de départ devrait être de 50 000 $, auxquels s'ajouteraient 2 semaines de salaire pour la première année de service, et 1 semaine de salaire pour chaque année de service additionnelle. Ce paiement serait offert à tous les employés touchés qui comptent un nombre d'années de service suffisant pour être admissible à la garantie d'emploi.
Cette indemnité correspond à l'indemnité de départ anticipé proposé par le Conseil du Trésor aux fonctionnaires excédentaires. Elle prévoit une compensation supérieure à celle comprise dans la proposition de Via, particulièrement pour les employés qui ont le moins d'ancienneté, et qui sont le plus susceptibles d'être forcés d'accepter cette indemnité. Les prestations bonifiées de retraite et de départ pour les unités de négociation des TCA se limiteront au 144 employés à temps plein, ainsi qu'à ceux qui disposent déjà d'une garantie d'emploi, à ceux qui ont un poste régulier à temps partiel et aux employés d'atelier dont la situation n'est pas encore réglée. Les dispositions des conventions collectives en place continueront de s'appliquer aux autres employés. C'est donc dire que toutes les réductions d'effectif découlant de changements technologiques, opérationnels ou organisationnels, non prévus dans le plan d'affaires actuel de Via, feront l'objet des dispositions en vigueur de la convention collective. Cela va dans le sens de l'intervention limitée du gouvernement fédéral quant à la sécurité d'emploi de ses employés.» (sic)
Le Rapport de la Commission de médiation arbitrage relativement à la convention collective numéro 3 entre Via Rail inc. et le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) régissant le barème des salaires et les conditions de travail des employés d'atelier, est entré en vigueur le 14 juin 1995. L'article U de ce rapport, intitulé Meilleures possibilités de retraite et incitatifs de départ anticipé établit le nombre de postes à abolir et le programme d'incitatifs au départ anticipé dont le travailleur réclame l'application. Les dispositions pertinentes se lisent:
«1. Entre le 1er septembre 1995 et le 31 décembre 1997, la Société peut abolir des postes en nombre égal à ce qui suit :
a) le nombre d'employés visés par la présente convention collective qui touchent normalement des indemnités de garantie d'emploi en vertu de l'article 8.9 de l'Entente supplémentaire régissant la garantie d'emploi et du revenu (ci-après l'«Entente supplémentaire»);
b) Le nombre d'employés d'atelier mis à pied en octobre 1994 moins ceux qui avaient accepté de quitter leur emploi à la Société.
c) Soixante-six autres postes,
pourvu que le nombre des postes libérés par attrition normale soit déduit du nombre de postes pouvant être abolis conformément à cet article.
2. Pour chaque poste aboli conformément à la section 1 aux présentes, on offrira une possibilité de départ à retraite (ci-après une «opportunité améliorée de retraite») à tout employé âgé d'au moins 55 ans et dont le total des années de service et de l'âge donne au moins 85 points. La pension offerte doit être une pleine pension basée sur le service de l'employé ouvrant droit à pension.
(...)
4. Des possibilités de départ à la retraite seront offertes aux employés admissibles selon l'ordre d'ancienneté. Si le nombre de postes à abolir excède le nombre de demandes de mise à la retraite, la Société offrira un incitatif au départ anticipé en nombre égal au nombre des autres postes à abolir par ordre d'ancienneté à des employés ayant quatre années de service ou plus, selon les modalités suivantes :
a) 50 000 $;
b) deux semaines de salaire au taux de salaire hebdomadaire de base du poste de l'employé pour la première année de service;
c) une semaine de salaire au taux hebdomadaire de base du poste pour chacune des années de service subséquentes complètes.
Les rapports employeur-employé de la Société avec l'employé cesseront dès l'acceptation de l'incitatif de départ anticipé.
5. Les opportunités améliorée de retraite et les incitatifs au départ anticipé peuvent être offerts concurremment et l'offre doit demeurer en vigueur pendant un minimum de 60 jours. Les opportunités améliorées de retraite auront préséance sur les incitatifs au départ anticipé dans l'établissement d'une concordance entre les départs à la retraite et les postes à abolir.
6. Si malgré l'application des sections 1 à 5 ci-dessus il n'y a pas suffisamment d'employés qui prennent leur retraite ou choisissent le départ pour parvenir au nombre de postes à abolir, le nombre d'employés moins anciens correspondant au nombre de postes qui restent à abolir seront tenus d'accepter un incitatif à un départ anticipé en compensation satisfaisante pour la cessation de leur emploi avec la Société, ce qui fera cesser les rapports d'employeur à employé.
7. Si des employés ayant de l'ancienneté et régulièrement affecté aux fonctions optent pour une opportunité améliorée de retraite ou un incitatif au départ anticipé, les employés qui bénéficient d'une garantie d'emploi seront rappelés au travail avant des employés mis en disponibilité, nonobstant l'article 13 de la Convention collective. Si le nombre de demandes est insuffisant, les employés qui bénéficient actuellement d'une garantie d'emploi doivent suivre les procédures prévues à la section 6.
8. Les employés auront droit à une période de 41 semaines suivant la réception d'un avis de départ obligatoire avant d'accepter l'incitatif de départ anticipé et de quitter leur emploi. Au cours de cette période, l'employé peut être rappelé s'il survient une vacance pour laquelle il a l'ancienneté voulue pour pouvoir poser sa candidature. Au cours de la période, l'employé bénéficiera d'une garantie d'emploi ou sécurité d'emploi en fonction de son admissibilité. L'employé visé qui choisit de ne pas exercer ses droits d'ancienneté pour obtenir un autre poste à la suite de l'abolition du sien et qui renonce à sa garantie d'emploi aura droit à la même période de 41 semaines avant la cessation obligatoire de son emploi. Un employé peut accepter l'incitatif de départ anticipé volontaire en tout temps au cours de la période de 41 semaines.
À la fin de la période de 41 semaines, l'employé peut choisir de ne pas se prévaloir de l'incitatif de départ anticipé auquel il a droit. En l'occurrence, tous les avantages et toutes les indemnités de garantie d'emploi et de sécurité d'emploi cessent, mais l'employé doit demeurer sur la liste de rappel jusqu'à ce qu'il se prévale de l'incitatif de départ anticipé, soit au plus tard 24 mois après l'échéance des 41 semaines. S'il est rappelé à un poste permanent au cours de cette période, il pourra accepter le poste permanent et renoncer à l'incitatif de départ anticipé ou accepter l'incitatif de départ anticipé et mettre fin à son emploi à la Société.» (sic)
AVIS DES MEMBRES
Le membre issu des associations syndicales est d'avis, quant à la question préliminaire, que le travailleur a démontré un motif raisonnable lui permettant d'être relevé de son défaut d'avoir agi dans le délai prévu par la loi. Quant à la question de fond, elle est d'avis que la plainte du travailleur doit être accueillie parce que l'employeur a exercé une mesure discriminatoire à son égard. N'eût été de son accident du travail, le travailleur aurait pu bénéficier des avantages prévus en vertu du programme de prime de départ.
Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis, sur la question préliminaire, que la plainte n'est pas recevable car le travailleur n'a pas agi dans les 30 jours de la connaissance de la mesure prise par l'employeur. Sur le fond, il est d'avis que la plainte doit être rejetée. Il n'y a pas eu de discrimination, le travailleur ayant été traité comme tous les employés selon les règles prévues par la convention collective et l'entente intervenue entre les parties. Par ailleurs, il ne rencontre pas les critères prévus pour l'application du programme, ne détenant pas de poste permanent, n'ayant pas effectué les huit ans de service rémunéré cumulatif nécessaire pour la garantie d'emploi et n'étant pas apte au travail. Il n'y a pas eu accroc à l'article 235 de la loi, les règles de cumul de l'ancienneté ayant été respectées par l'employeur.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit décider si la plainte du travailleur doit être accueillie.
Mais, dans un premier temps, ayant réservé sa décision sur cette question, elle doit disposer de la question préliminaire soulevée par l'employeur et selon laquelle le travailleur n'a pas intenté son recours dans le délai prévu par la loi.
L'article 253 prévoit ceci:
253. Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.
Le travailleur transmet copie de cette plainte à l'employeur.
La représentante de l'employeur plaide que le travailleur devait agir dans les 30 jours de la connaissance de la mesure dont il se plaint et qu'il a acquis cette connaissance le 26 octobre 1995.
Le représentant du travailleur dit, pour sa part, que ce dernier a agi en temps utile puisqu'il n'a été informé que le 30 octobre 1995 lorsqu'il a reçu les documents par la poste. Subsidiairement, il plaide qu'il devrait être relevé de son défaut parce que les faits étaient complexes et qu'il a agi avec diligence.
La Commission des lésions professionnelles est d'avis que le travailleur a agi dans les 30 jours de la connaissance de la mesure. Il a été informé en deux étapes. Il a d'abord reçu un appel téléphonique d'un commis de l'employeur l'informant qu'il n'avait pas droit à la prime et qu'on lui retournait ses documents. La Commission des lésions professionnelles considère que ce n'est que lors de la deuxième étape, c'est-à-dire lors de la réception des documents, que le travailleur a acquis la connaissance nécessaire au sens de l'article 32 de la loi. Cette réception a concrétisé le contenu de l'appel téléphonique. Ce retour de documents avait été annoncé par le commis et le travailleur était justifié de s'attendre à ce qu'ils soient postés pour valider l'information reçue verbalement et qui ne lui était pas fournie par la personne à qui il avait lui-même transmis ses documents.
Le travailleur a donc agi en temps utile et sa plainte ne peut être rejetée pour ce motif.
La Commission des lésions professionnelles conclut, cependant, de la preuve qu'elle a entendue que, sur le fond, le travailleur n'a pas établi avoir été victime d'une mesure discriminatoire donnant ouverture à l'application de l'article 32 de la loi.
La présomption de l'article 255 de la loi ne s'appliquant pas dans le présent cas, il appartient au travailleur de démontrer qu'il a été victime d'une mesure discriminatoire ou de représaille ou d'une autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi. Le travailleur n'a pas fait cette démonstration.
Outre le travailleur, la Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de monsieur Claude Bergeron et de monsieur James Young, appelés par le travailleur, de même que celui de monsieur Dino Trebiano, appelé par l'employeur, qui ont témoigné sur les modalités d'application du programme et sur le statut du travailleur à l'intérieur de l'entreprise. Elle a également pris connaissance des différents documents au dossier et des nouveaux documents soumis. Elle retient particulièrement le témoignage de monsieur Young, qui a participé aux diverses étapes de la négociation, qui lui est apparu comme le témoin le plus compétent et dont le témoignage est le mieux soutenu par les différents textes débouchant sur le programme. Celui-ci déclare que les programmes ERO et EDI visaient les employés susceptibles d'occuper les postes visés par les compressions et que c'était là une condition essentielle pour que le programme s'applique à un employé donné. Ce témoignage est supporté par le texte même de l'article U cité plus haut. Cet article prévoit une correspondance entre le nombre de postes abolis et le nombre de personnes qui bénéficieront du programme ERO sur une base volontaire et du programme EDI sur une base volontaire ou obligatoire. Il prévoit également des règles de rappel au travail différentes de celles prévues à la convention collective et à l'entente sur la garantie d'emploi. Il résulte de ces règles qu'un employé doit être susceptible d'être rappelé au travail ou, selon les termes du témoin Young, qu'il soit «fit for work».
L'effet de la convention collective et de l'entente intervenues entre le syndicat représentant les employés et l'employeur est tel qu'à moins qu'il ne soit dans la situation de supplanter un autre employé par le jeux des règles de l'ancienneté, un travailleur mis à pied peut continuer de percevoir son salaire (garantie d'emploi) ou une indemnité basée sur ses années de service rémunéré cumulatif.
Dans le cadre de sa réorganisation administrative, l'employeur désirait procéder à l'abolition de postes et réduire sa masse salariale. Or, comme l'indique le rapport Mackenzie, il y avait déjà un certain nombre d'employés recevant des bénéfices en vertu de la garantie d'emploi. De nouvelles coupures de postes faites conformément aux règles en vigueur entre les parties n'auraient pas permis d'atteindre l'objectif de rationalisation des effectifs et des budgets souhaités, à cause de la protection accordée aux employés en poste. Le programme vise essentiellement à éviter cet effet de la convention collective et de l'entente. Pour pouvoir bénéficier du programme, l'employé doit donc démontrer qu'il serait dans la situation d'être payé sans être au travail en vertu de l'entente si on abolissait son poste. Or, le travailleur est inapte à exercer son métier de tuyauteur et on lui a déterminé un emploi convenable répondant à ses limitations fonctionnelles.
Le représentant du travailleur invoque que ce dernier devrait bénéficier de la garantie d'emploi et que le défaut de l'employeur de lui reconnaître ce droit constitue une violation de l'article 235 de la loi. Cet article se lit:
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle:
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
Selon l'entente convenue entre les parties, un employé bénéficie d'une garantie d'emploi après huit années de service rémunéré cumulatif chez l'employeur.
L'article 235 de la loi prévoit que le travailleur qui s'absente de son travail continue d'accumuler de l'ancienneté et du service continu.
Cependant, comme la Commission d'appel l'a décidé dans l'affaire Sauvageau et AFG Industries ltée (Glaverbec), [1997] C.A.L.P. 831, l'ancienneté ou le service continu qu'un travailleur accumule durant sa période d'absence ne correspond pas à des «heures travaillées». Il s'agit là de deux notions distinctes. Or, dans le présent cas, le travailleur se voit attribuer son ancienneté conformément à l'article 235 puisqu'elle est calculée depuis sa date d'entrée en fonction, le 13 juillet 1984, comme le démontrent les différentes listes d'ancienneté déposées au dossier.
Toutefois, le calcul de l'admissibilité à la garantie d'emploi se fait en fonction non pas du nombre d'heures de service continu mais bien du nombre d'heures de service rémunéré cumulatif, c'est-à-dire des heures effectivement travaillées. L'article 235 n'a pas pour effet de transformer les heures de service continu en heures effectivement travaillées. Le calcul fait par l'employeur, à savoir que le travailleur a sept ans de service rémunéré cumulatif, soit:
1984 6 mois
1985 12 mois
1986 12 mois
1987 12 mois
1988 12 mois (inclus 3 mois crédits pour service non-rémunéré)
1989 12 mois (inclus 5 mois crédits pour service non-rémunéré)
1990 12 mois (inclus 4 mois crédits pour service non-rémunéré)
Total: 78 mois - 12 = 7 ans.
est conforme à l'entente en vigueur, n'enfreint pas l'article 235 de la loi et ne permet pas au travailleur de bénéficier de la garantie d'emploi.
Le fait que le programme ne vise que les personnes aptes à occuper un des emplois parmi lesquels on veut effectuer des coupures constitue-t-il une mesure discriminatoire à l'égard du travailleur au sens de l'article 32?
Cet article se lit:
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
L'article prévoit donc un recours en faveur du travailleur lorsque l'employeur exerce à son endroit des mesures discriminatoires parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle.
Pour réussir dans sa preuve, le travailleur devait démontrer qu'il a été traité différemment des autres travailleurs dans des circonstances semblables ou identiques. Il n'a pas fait cette preuve.
Il a tenté de démontrer que d'autres employés, dont une dame L'Heureux, bénéficiaient du programme EDI même s'ils étaient absents du travail pour cause de lésion professionnelle. Il n'a toutefois pas réussi à faire cette démonstration. Tout au plus, a-t-il été établi que le cas de madame L'Heureux était en suspens jusqu'à ce que sa lésion soit consolidée et qu'on puisse déterminer si elle est ou non apte au travail. Le travailleur n'a donc pas démontré qu'il a été traité différemment des autres employés de sa catégorie.
Le fait que le programme EDI ne s'applique qu'aux employés susceptibles d'occuper un poste crée-t-il, comme le voudrait le représentant du travailleur, une discrimination «systémique» donnant ouverture à l'application de l'article 32? La Commission des lésions professionnelles ne le croit pas.
Les parties ont toutes deux soumis à l'appui de leur argumentation des décisions et jugements rendus dans un cas présentant certaines similarités avec le présent dossier.
Dans ce cas, des employés victimes de lésion professionnelle avaient été exclus de l'application d'un programme d'aide aux employés (PAE) mis sur pied afin de favoriser les départs volontaires et de diminuer les mises à pied lors de la fermeture de certains services. Une clause du programme précisait que tout employé absent pour maladie ou accident du travail ne pourrait bénéficier du programme que si son état était consolidé et s'il ne recevait plus d'indemnités d'invalidité, ceci afin d'éviter une double indemnité. La Commission d'appel a décidé à deux reprises qu'il y avait mesure discriminatoire au sens de l'article 32 dans les affaires: Gemme et Sidbec-Dosco inc., 62258-62-9409, 19 février 1996 et Gagné et Sidbec-Dosco inc., [1995] C.A.L.P. 1895. Ces deux décisions firent l'objet de requêtes en évocation, accueillie dans le premier cas par le juge Croteau (Sidbec-Dosco (Ispat) inc c. CALP, [1996] C.A.L.P. 1318), celui-ci jugeant la décision manifestement déraisonnable, et rejetée dans le deuxième cas, par le juge Tannenbaum, ce dernier étant d'avis que la décision n'était pas déraisonnable (Sidbec-Dosco (ISPAT) inc. c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, CS, 500-05-015014-960, 24 septembre 1996. Les deux décisions de la Cour supérieure font l'objet d'un appel à la Cour d'appel. La question demeure donc ouverte.
Cependant, la Commission des lésions professionnelles retient les propos du juge Croteau lorsqu'il dit (p. 1323):
«L'article 32 L.A.T.M.P. délimite la juridiction de la CALP aux victimes d'une lésion professionnelle. Il permet au commissaire de conclure à une mesure discriminatoire lorsqu'il peut comparer le plaignant à ceux qui sont dans la même situation que lui et mentionnés à la clause d'exclusion. Cette dernière a pour objet tous les employés absents de leur travail pour invalidité (maladie ou accident). Le commissaire intimé ne pouvait intervenir. Il devait rejeter la plainte. Il devait conclure qu'aucune distinction ou mesure discriminatoire n'avait été prise contre le mise en cause Gemme en tant que victime d'une lésion professionnelle.
Mais quand il décide d'utiliser l'article 32 pour sanctionner l'employeur, la requérante, implicitement pour statuer une interdiction de discrimination basée sur l'invalidité en général des employés absents, il excède son champ de compétence; sa décision ne se concilie pas du tout au sens et à la portée de l'article 32 L.A.T.M.P.
Dans les faits, lorsque le commissaire intimé intervient pour déclarer que le travailleur a été victime de mesures discriminatoires, il réalise, par cette conclusion, une discrimination à rebours en plaçant M. Gemme, victime d'une lésion professionnelle, dans une situation plus, avantageuse que les autres employés de la requérante absents de leur travail pour cause de maladie ou d'invalidité.»
Dans le présent cas, l'objectif du programme mis sur pied par Via est différent de celui établi par Sidbec-Dosco: il vise à couper des postes sans augmenter le nombre d'employés visés par l'Entente relative à la garantie d'emploi et de revenu et qui sont payés même s'il n'y a pas de travail pour eux. La condition essentielle pour que le programme s'applique à un employé est qu'il soit susceptible d'occuper un poste que l'on veut couper et d'être en conséquence payé sans travailler. S'il fallait conclure qu'il y a discrimination à son égard, il faudrait également conclure que cette discrimination existe à l'égard de tous les employés de Via Rail qui ne sont pas visés par le programme, pour quelque raison que ce soit, et non seulement à ceux qui sont absents de leur travail comme dans le cas des employés de Sidbec-Dosco. Or, si, dans ce dernier cas, le juge Croteau estimait qu'on ne répondait pas aux conditions d'application de l'article 32, à plus forte raison doit-on conclure ainsi dans le cas du présent programme.
La preuve démontre que le travailleur a été traité de la même façon que tous les employés qui ne répondaient pas aux critères d'application du programme. Il n'en a pas été écarté «parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle». Bien sûr, il est possible que dans l'éventualité où il n'aurait pas subi de lésion professionnelle, il ait pu se retrouver parmi les employés admissibles au programme. On ne peut en conclure pour autant qu'il en a été écarté à cause de sa lésion professionnelle. La soussignée est d'avis que ce n'est pas là la portée que le législateur a voulu donner à l'article 32 de la loi. Il faut plutôt se demander si le travailleur a été privé de droits accordés aux autres travailleurs qui sont dans sa situation: Les Centres Jeunesse de Montréal et Vincent, [1997] C.A.L.P. 1809 et Fortin et Hydro-Québec, [1993] C.A.L.P. 1143. Ce n'est pas le cas.
Conclure autrement équivaudrait à exercer une discrimination à rebours où le travailleur victime d'une lésion professionnelle serait avantagé par rapport aux autres employés ne répondant pas aux critères du programme, du fait de sa lésion professionnelle.
Le représentant du travailleur plaide également la discrimination systémique. Ce concept, que certains auteurs appellent discrimination indirecte, a été développé par la jurisprudence dans le cadre de l'interprétation des Chartes des droits de la personne. Elle amène le tribunal à dépasser l'examen de l'intention de l'auteur d'un acte discriminatoire pour s'interroger plutôt sur l'effet de l'acte posé. Par exemple, certaines pratiques d'embauche en apparence neutre pourront être jugées discriminatoires à l'égard de certaines personnes ou groupes sans qu'on ait consciemment voulu les viser, à cause de l'effet qu'elles ont d'exclure ces personnes ou groupes des emplois à combler. Pour qu'il y ait discrimination, la constatation d'une différence de traitement entre une personne ou catégorie de personnes et une autre est essentielle. Mais distinguer, préférer n'est pas en soi interdit:
«Une distinction n'est illicite que si elle est fondée sur un critère interdit ou, si l'on préfère, sur l'une des caractéristiques prévues à l'article 10 de la Charte. L'énumération qu'on retrouve à cet article trace ainsi la frontière entre la discrimination illicite et l'exercice légitime de la faculté de distinguer entre deux choses.» (Pierre Bosset, La discrimination indirecte dans le domaine de l'emploi - aspects juridiques, 1989, Les éditions Yvon Blais inc., Cowansville, p. 64).
L'article 32 de la loi qui retient comme critère celui d'être victime d'une lésion professionnelle ou d'exercer un droit conféré par cette loi peut-il être interprété comme couvrant la discrimination systémique? La soussignée ne le croit pas. La lecture de la disposition et l'examen du but poursuivi par le législateur permet de croire que le caractère intentionnel ou à tout le moins conscient du geste posé par celui qui discrimine ou exerce une sanction ou des représailles constitue un élément essentiel pour l'application de l'article 32. C'est d'ailleurs l'interprétation retenue par le juge Croteau dans l'affaire Gemme déjà citée (p. 1324):
«La disposition ne dit pas que quiconque a subi une lésion professionnelle ne peut pas être l'objet d'une mesure quelle qu'elle soit. L'article 32 mentionne que l'accidenté du travail ne pourra faire l'objet d'un mesure discriminatoire parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou en raison du fait qu'il a été victime d'une lésion professionnelle.
Saisi d'une plainte sous l'article 32, cette disposition obligeait le commissaire intimé d'évaluer la cause d'une telle mesure, le caractère intentionnel et les motivations des parties signataires du PAE.
Dire que tout cela n'est pas pertinent en se fondant sur l'arrêt Andrews est pour le commissaire intimé ignorer le mécanisme mis en place par le législateur aux articles 32 et 255. La LATMP n'est pas une loi constitutionnelle ou quasi constitutionnelle mais une loi statutaire. L'article 255 établit le processus à suivre pour la CALP lorsqu'elle est saisie d'une plainte en vertu de l'article 32. Elle n'est pas un tribunal des droits de la personne saisi d'une plainte pour discrimination tirant sa compétence en vertu de l'article 111 de la Charte des droits et libertés de la personne(6).
(6) L.R.Q., C. C-12. Voir l'opinion du commissaire Laurent McCutcheon dans l'affaire Giroux et Filochrome Inc., [1989] C.A.L.P. 1127, 1132; aussi l'opinion de la commissaire Micheline Paquin dans l'affaire Mendes et Victoria Précision inc., Banque CALP 25797-62-9101, le 19 août 1991 (SOQUIJ), p. 22 de la décision.»
Par ailleurs, même si l'on concluait que la jurisprudence sur la discrimination systémique est applicable à l'article 32 de la loi, encore faudrait-il conclure que, dans l'espèce, il y a eu discrimination fondée sur le critère interdit. Or, la soussignée est d'avis que si une distinction ou une exclusion a été faite par l'employeur, elle est fondée non pas sur le fait qu'une personne a été victime d'une lésion professionnelle mais sur l'aptitude à exercer certains emplois. Une distinction est faite entre les employés qui peuvent exercer les catégories d'emploi où on veut couper des postes et ceux qui ne le peuvent pas. Le programme est ouvert au premier groupe seulement. Il s'agit là d'une distinction légitime et licite.
La question du type de poste que détient le travailleur a fait l'objet d'un débat devant la Commission des lésions professionnelles. La soussignée est cependant d'avis qu'il importe peu de déterminer si le travailleur est encore techniquement affecté à un poste permanent de tuyauteur ou à un poste temporaire, puisqu'il n'est pas apte à occuper un tel poste et que le programme vise les employés aptes au travail et susceptibles d'être rémunérés s'ils perdent leur poste. Ce n'est pas le cas du travailleur.
Ce dernier a bénéficié, après son accident du travail, de toute la protection accordée par la loi. Ses limitations fonctionnelles l'empêchant d'exercer son emploi de tuyauteur, on lui a déterminé un emploi convenable et il a perçu son indemnité pendant la période de recherche d'emploi. Il n'a jamais, pendant les années précédant septembre 1995, revendiqué quelque droit que ce soit en vertu de l'entente sur la garantie d'emploi ci-haut mentionnée, reconnaissant ainsi par ses agissements qu'elle ne lui était pas applicable. Il est vrai que l'employeur lui a d'abord laissé croire qu'il avait droit aux bénéfices du programme. Il faut également reconnaître que les paramètres d'application de ce programme semblent prêter à confusion même chez certains représentants de l'employeur. Toutefois, il n'a pas été établi que ce programme avait été administré de façon discriminatoire à l'égard du travailleur au sens de l'article 32.
Sa plainte doit donc être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE la plainte du travailleur, monsieur Michel Langevin.
Louise Thibault
Commissaire
DAGENAIS, MAGNAN
(Me Charles Magnan)
5320, boul. des Laurentides
Laval (Québec)
H7K 2J8
Représentant de la partie appelante
ME CARMEN POULIN
4635, rue Garnier
Montréal (Québec)
H2J 3S6
Représentante de la partie intéressée
PANNETON, LESSARD
(Me Jean-Marie Robert)
1199, rue de Bleury
12e étage
Case postale 6056
Montréal (Québec)
H3C 4E1
Représentant de la partie intervenante
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