E.P. Poirier ltée |
2009 QCCLP 5856 |
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[1] Le 10 octobre 2008, E.P. Poirier ltée (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 23 septembre 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), dans le cadre d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 18 mars 2008 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Serge Whittom (le travailleur) le 8 juin 2006.
[3] Une audience était prévue le 12 juin 2009 à Saint-Jean-sur-Richelieu, mais l’employeur y a renoncé, préférant déposer une argumentation écrite. Un délai a été accordé à l’employeur pour produire ses représentations avant le 19 juin 2009. L’argumentation ayant été reçue à cette date, le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Dans un premier temps, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que le diagnostic d’algodystrophie réflexe constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), soit une lésion professionnelle survenue à l’occasion des soins. De ce fait, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’article 327 de la loi s’applique et permet d’imputer aux employeurs de toutes les unités les coûts des prestations reliées à cette lésion professionnelle, au sens de l’article 31 de la loi.
[5] De façon subsidiaire, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’il a droit à un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la loi, de l’ordre de 30 % à son dossier financier et de 70 % aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS
[6] Le travailleur est mécanicien pour l’employeur et est âgé de 47 ans.
[7] Le 8 juin 2006, en voulant enlever un joint universel de camion, le travailleur utilise une masse et frappe le joint. La masse glisse et heurte son pouce. Il subit une fracture avec plaie ouverte.
[8] Il consulte le docteur Bazinet le même jour, qui diagnostique une fracture ouverte du pouce gauche et met en place une attelle.
[9] Aux rapports médicaux des 9 et 26 juin 2006, le médecin note l’approche thérapeutique en cours, soit celle d’une immobilisation avec une orthèse.
[10] Dans les notes de consultation du docteur Mercier du 19 juin 2006, il est inscrit qu’il s’agit d’une fracture du pouce non déplacée.
[11] Le 23 juin 2006, la CSST accepte la réclamation pour un accident du travail ayant entraîné une fracture du pouce gauche.
[12] Le 25 juillet 2006, le docteur Mercier note que la fracture est guérie et met fin à l’immobilisation. Toutefois, il fait état d’une ankylose et dirige le travailleur en physiothérapie.
[13] Le 24 août 2006, le docteur Mercier constate un début d’algodystrophie du pouce gauche. Il dirige le travailleur à la clinique de la douleur. Dans ses notes de consultation, le docteur Mercier décrit des douleurs de type allodynique et causalgique, avec un œdème persistant ainsi qu’une rougeur.
[14] Le 29 septembre 2006, le docteur Pelletier procède à des blocs intraveineux. Le travailleur subit deux blocs par semaine, et ce, durant une période de dix semaines, pour le traitement de son algodystrophie.
[15] Le 15 novembre 2006, le travailleur est examiné par le docteur Kinnard, à la demande de l’employeur. Ce dernier retient le diagnostic de fracture ouverte du pouce gauche. Il fixe la date de la consolidation de la lésion à la date de son examen, en prenant en considération les complications de SUDECK. Il retient un déficit anatomo-physiologique (DAP) de 3,75 % ainsi qu’une limitation fonctionnelle, soit le port d’une orthèse.
[16] Le 23 novembre 2006, le docteur Mercier émet un rapport médical final dans lequel il fixe la date de consolidation le même jour, avec déficit anatomo-physiologique et limitations fonctionnelles à prévoir.
[17] Le même jour, il procède à la rédaction du rapport d’évaluation médicale et ne retient aucune limitation fonctionnelle, sauf pour l’utilisation de gants chauffants. Quant aux séquelles, il retient un déficit anatomo-physiologique de 6,65 % qui s’explique comme suit :
Ankylose incomplète à la MCP pouce gauche 101 927 1,25 %
Ankylose incomplète à l’IP du pouce gauche 101 936 2,50 %
Perte de sensibilité pouce gauche par analogie 101 936 2,50 %
PE pour cicatrice de 0,4 % 224 368 PE 0,4 %
[18] Le 27 novembre 2006, la CSST conclut que l’algodystrophie réflexe est en relation avec l’événement du 8 juin 2006. Cette décision est confirmée par la révision administrative le 19 avril 2007.
[19] Le 8 décembre 2006, le docteur Pelletier remplit un rapport en application de l’article 212.1 de la loi et mentionne que l’algodystrophie et les complications de SUDECK sont, en soi, des synonymes. Il se dit en accord avec les conclusions du docteur Kinnard et ajoute que la synovite est une complication de l’algodystrophie de même que l’ankylose.
[20] Le 10 avril 2007, la CSST retient le pourcentage d’atteinte permanente évalué par le médecin qui a charge, soit 7,56 % qui se définit de la façon suivante : un DAP de 6,25 % + douleurs et perte de jouissance de la vie (DPJV) de 0,90 % et un préjudice esthétique (PE) de 0,40 % + DPJV de 0,01 %.
[21] Le 26 avril 2007, la CSST déclare le travailleur capable d’exercer son emploi prélésionnel depuis le 15 novembre 2006.
[22] Le 10 juillet 2007, l’employeur dépose une demande de partage d’imputation des coûts en vertu de l’article 329 de la loi. À l’appui de sa demande, l’employeur soumet une opinion médicale du docteur Bois émise le même jour. Dans son opinion médicale, le docteur Bois évoque que l’algodystrophie réflexe sympathique est une complication plutôt rare des suites d’une blessure au membre supérieur. Il recommande un partage d’imputation dans un ratio de 70 % au fond consolidé et 30 % au dossier de l’employeur.
[23] Le 23 septembre 2008, la révision administrative maintient la décision de refus de la demande de partage de coûts rendue le 13 mars 2008, d’où l’objet du présent litige.
[24] Le 8 juin 2009, le docteur Alain Bois, médecin désigné de l’employeur, émet une opinion médicale au soutien des représentations de l’employeur. Selon le docteur Bois, l’immobilisation prolongée est probablement la cause de la survenance du diagnostic d’algodystrophie réflexe. À cet égard, il s’exprime comme suit :
Dans le présent dossier de réclamation, l’immobilisation a été prolongée puisqu’elle était toujours présente au moment de l’examen du 25 juillet 2006. Ceci nous donne une immobilisation prolongée de sept semaines. Cette immobilisation est près d’une consolidation normale d’une telle fracture.
[…]
Comme autre élément négatif qui intervient dans la survenance de cette complication est l’immobilisation soit inappropriée ou prolongée. Dans le présent dossier de réclamation, je crois que cette maladie est nettement favorisée par une immobilisation prolongée d’environ sept semaines.
[25] Le docteur Bois ajoute dans son rapport :
Quant à la survenance de l’algodystrophie réflexe sympathique, il s’agit d’une complication non prévisible des suites d’une telle blessure. L’incidence d’une telle complication est très faible. Elle est un peu plus élevée lorsqu’il y a des blessures majeures qui nécessitent des manœuvres compliquées de traitements telles des immobilisations avec traction et mise en place de tiges intramédullaires ou mise en place de broches à l’intérieur des doigts. À ce moment-là, l’incidence peut être un peu plus élevée, pouvant atteindre selon certaines études jusqu’à 20 % de ces fractures complexes.
Dans le cas d’une fracture du pouce gauche non déplacée, l’incidence est sûrement de moins de 5 %.
[26] Selon le docteur Bois, une telle fracture aurait dû être consolidée entre six et huit semaines. Quant à la notion d’algodystrophie réflexe, le docteur Bois fait référence à la littérature médicale et s’exprime comme suit :
Il est connu dans la littérature médicale que ne fait pas une algodystrophie réflexe sympathique qui veut, dans le sens que la personne possède habituellement des prédispositions pour développer une telle complication, soit une dystonie neurovégétative. Là-dessus, je cite à nouveau le docteur Kinnard :
« la dystrophie sympathique peut arriver très rarement suite à un traumatisme. Plusieurs cas de jurisprudence, ou vu la rareté de ce diagnostic, on a accordé un partage des coûts suivant l’article 329 puisque développer une dystrophie de SUDECK est une déviation par rapport à la norme biomédicale et pas une rareté. Cette dystrophie a eu un impact important sur la prolongation de l’invalidité et le retard de consolidation. »
Effectivement, il est bien connu que certaines personnes en particulier peuvent développer une telle complication. Ceci est en relation avec une gestion particulière du cerveau de la douleur ou un terrain neurovégétatif de type dystonique. La prédisposition viendrait plutôt de ce processus anormal de gestion de la douleur.
Comme dans tous les cas d’algodystrophie réflexe sympathique, je crois que l’on peut facilement et de façon raisonnable invoquer une prédisposition personnelle particulière même si ceci n’était pas évident avant que ne survienne la lésion professionnelle. On ne peut faire de test de dépistage pour savoir qui va développer une telle complication. C’est la raison pour laquelle on mobilise rapidement tous les cas de fracture nécessitant une immobilisation afin d’éviter cette complication. La gestion de la douleur est également importante.
Comme autre élément négatif qui intervient dans la survenance de cette complication est l’immobilisation, soit inappropriée ou prolongée. Dans le présent dossier, de réclamation, je crois que cette maladie est nettement favorisée par une immobilisation prolongée d’environ sept semaines.
Il y a donc deux éléments qui interviennent dans la survenance de cette complication soit une prédisposition particulière et préexistante et une immobilisation prolongée qui constitue un traitement pour une telle fracture.
Cette prédisposition personnelle préexistante à développer une algodystrophie réflexe sympathique ne correspond pas à une norme biomédicale pour l’âge, considérant également que l’incidence est très faible suite à une telle blessure. Il faut croire que le travailleur présentait une telle prédisposition personnelle préexistante.
[…]
Par contre, il faut croire que cette complication a fait suite au traitement reçu pour la lésion professionnelle. L’immobilisation prolongée a favorisé l’apparition de cette complication.
C’est dans ce contexte que l’article 327 et 31 de la LATMP devrait être appliqué à compter soit du 25 juillet 2006 où l’on a précisé que la fracture était consolidée ou soit au 24 août 2006, à partir du moment où on a identifié cette complication d’algodystrophie.
Par la suite, on constate que tous les traitements sont orientés vers cette complication d’algodystrophie y incluant la synovite et l’ankylose.
Comme je le mentionnais, l’atteinte permanente à l’intégrité physique est probablement en relation avec cette complication d’algodystrophie de même que la limitation fonctionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Demande de transfert d’imputation en vertu des articles 327 et 31 de la loi
[27] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert du coût des prestations en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la loi. Cet article se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[28] Quant à l’article 31 de la loi, il prévoit ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
(Notre soulignement)
[29] L’article 31 de la loi vise une lésion distincte de la lésion professionnelle. En l’espèce, l’algodystrophie réflexe sympathique est un nouveau diagnostic apparu après la lésion initiale, soit une fracture avec plaie ouverte du pouce gauche.
[30] La CSST a reconnu que l’algodystrophie était en lien avec la lésion professionnelle survenue le 8 juin 2006. Elle n’a pas considéré que cette condition constituait une maladie survenue par le fait ou à l’occasion de soins ou de l’omission de soins, au sens de l’article 31 de la loi.
[31] Dans la présente affaire, la CSST refuse le transfert des coûts demandé par l’employeur en se basant notamment sur le fait que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique est une conséquence de la lésion professionnelle du 8 juin 2006. Selon la révision administrative, il s’agit d’une complication découlant directement de l’accident du travail subi par le travailleur, raison pour laquelle le diagnostic est reconnu en relation avec la lésion professionnelle d’origine. Comme cette condition est reconnue à titre de lésion professionnelle, la révision administrative précise qu’elle ne peut considérer l’algodystrophie réflexe sympathique comme un handicap au sens de l’article 329 de la loi.
[32] La décision de la CSST, confirmée par la révision administrative, ne traite que de l’application de l’article 329 de la loi. Ainsi dans un premier temps, le tribunal doit déterminer s’il dispose de la compétence nécessaire pour statuer sur la présente demande quant à l’application des articles 31 et 327 de la loi.
[33] La Commission des lésions professionnelles tire sa compétence de l’article 369 de la loi qui prévoit ce qui suit;
369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :
1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;
2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
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1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
[34] Afin d’exercer pleinement sa compétence, le législateur a attribué plusieurs pouvoirs à la Commission des lésions professionnelles qui sont définis aux articles 377 et 378 de la loi et qui se lisent comme suit :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
378. La Commission des lésions professionnelles et ses commissaires sont investis des pouvoirs et de l'immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf du pouvoir d'ordonner l'emprisonnement.
Ils ont en outre tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties.
Ils ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions.
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1985, c. 6, a. 378; 1997, c. 27, a. 24.
[35] Les recours portés devant la Commission des lésions professionnelles sont entendus « de novo », ce qui implique que le tribunal n’est pas limité à entendre ou à considérer les mêmes faits et motifs que ceux pris en ligne de compte par les instances antérieures en lien avec la question en litige[2].
[36] En l’espèce, l’employeur soumet initialement une demande de transfert d’imputation à la CSST en invoquant l’article 329 de la loi. La CSST et la révision administrative refuse la demande statuant que l’employeur n’a pas démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. L’employeur modifie sa demande de transfert d’imputation lors de ses représentations écrites dans le cadre du litige dont est saisi le présent tribunal et demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer les coûts imputés à partir du 25 juillet 2006, date à laquelle apparaît le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique, et subsidiairement, de partager les coûts de la lésion en application de l’article 329 de la loi dans une proportion de 70 % aux employeurs de toutes les unités et 30 % à son dossier financier.
[37] La jurisprudence reconnaît que la Commission des lésions professionnelles qui est saisie d’un litige portant sur l’imputation a le pouvoir de décider si un transfert ou un partage d’imputation peut être accordé en vertu d’une autre disposition, et ce, même si la CSST ne s’est pas prononcée sur une telle demande[3].
[38] Le tribunal peut donc trancher la question de savoir si l’employeur est en droit ou non d’obtenir un transfert d’imputation en application de l’article 327 de la loi.
[39] Dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision rendue par la CSST le 19 avril 2007 à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST déclare que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique est en relation avec l’événement du 8 juin 2006. Elle y précise d’ailleurs que les fractures, écrasements et plaies peuvent se compliquer par une algodystrophie réflexe sympathique.
[40] Le fait de reconnaître l’algodystrophie réflexe sympathique en relation avec la lésion professionnelle n’est cependant pas inconciliable avec le fait que cette même pathologie puisse découler des soins ou de l’omission de soins selon l’article 31 de la loi.
[41] En accord avec la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[4] sur le sujet, l’absence de décision de la CSST au sujet de l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non recevoir à une demande de transfert d’imputation logée par l’employeur en vertu de l’article 327 de la loi.
[42] Il reste maintenant à déterminer si l’algodystrophie réflexe sympathique constitue une lésion au sens de l’article 31 de la loi.
[43] Une certaine jurisprudence, à laquelle souscrit le présent tribunal, suggère que l’article 31 de la loi n’exclut pas les conséquences prévisibles de la lésion initiale[5].
[44] En effet, en retirant de l’application de l’article 31 de la loi les blessures ou maladies survenues par le fait ou à l’occasion des soins médicaux, du fait qu’une blessure ou une maladie est une conséquence directe de la lésion professionnelle, cela aurait pour effet de rendre inopérant le premier alinéa de l’article 327 de la loi[6].
[45] Ce raisonnement est d’autant plus pertinent lorsqu’une conséquence constitue une complication inhabituelle, occasionnelle et impossible à prévoir[7].
[46] Dans le cas de l’algodystrophie, pour conclure qu’elle est secondaire à des soins, la jurisprudence[8] a retenu que les soins doivent être contemporains au moment où le médecin soupçonne l’existence de cette condition.
[47] Dans le présent dossier, le travailleur subit une fracture non déplacée avec plaie ouverte à son pouce gauche le 8 juin 2006. Le médecin lui immobilise le pouce à l’aide d’une orthèse d’immobilisation jusqu’au 25 juillet 2006. À cette date, le docteur Mercier, médecin qui a charge du travailleur, note que la fracture est guérie mais constate une certaine ankylose résiduelle pour laquelle il recommande un suivi en physiothérapie. La preuve médicale démontre que la condition du travailleur s’est détériorée malgré la guérison de sa fracture au pouce.
[48] Le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique est posé le 24 août 2006, soit de façon relativement contemporaine à l’immobilisation. Dans ses notes, le docteur Mercier, décrit des douleurs de type allodynique et causalgique avec un œdème persistant et une rougeur. Ces signes orientent le médecin vers un diagnostic de début d’algodystrophie. Le docteur Mercier prescrit un suivi thérapeutique en regard de cette condition à partir de cette date.
[49] Le tribunal retient l’opinion du docteur Bois à l’effet que l’algodystrophie réflexe sympathique résulte probablement de l’immobilisation de sept semaines du pouce gauche du travailleur. En effet, le développement d’une algodystrophie peut être favorisé par une immobilisation prolongée.
[50] Pour le tribunal, l’évolution des symptômes à la suite du traumatisme et de l’immobilisation prolongée permettent d’établir un lien prépondérant entre ce soin et la manifestation progressive d’un phénomène d’algodystrophie réflexe sympathique.
[51] Le tribunal est donc d'avis que l’algodystrophie réflexe sympathique au membre supérieur gauche constitue une maladie survenue par le fait ou à l’occasion des soins rendus nécessaires en raison de la lésion professionnelle, soit l’immobilisation prolongée du pouce gauche du travailleur.
[52] Toutefois, le tribunal ne peut accorder de désimputation qu’à compter de la date où le diagnostic d’algodystrophie est officiellement posé, soit à partir du 24 août 2006. Il est probable que l’ankylose constatée le 25 juillet 2006 soit le premier signe de l’évolution de l’algodystrophie réflexe sympathique, mais il faut que la lésion soit diagnostiquée pour permettre d’être reconnue à titre de lésion au sens de l’article 31 de la loi.
[53] Ainsi, le tribunal considère qu’il y a lieu de transférer les coûts de la lésion professionnelle à l’ensemble des employeurs en vertu de l’article 327 de la loi, à partir du 24 août 2006, date à laquelle le docteur Mercier diagnostique l’algodystrophie réflexe sympathique. Il y a également lieu de procéder au transfert des coûts afférents à l’indemnité pour préjudice corporel, découlant de l’algodystrophie réflexe sympathique, soit l’indemnité pour les DAP de 6,25 % et DPJV de 0,90 %. Le tribunal est toutefois d’avis qu’il ne peut procéder au transfert des coûts d’indemnité pour préjudice corporel découlant de la lésion professionnelle initiale, soit la fracture et la plaie au pouce gauche. En conséquence, le transfert de l’imputation ne couvre pas l’indemnité reliée au préjudice esthétique de 0,40 % + DPJV de 0,01 %, puisque cette atteinte permanente découle de la plaie survenue à la suite de l’accident et non pas de l’algodystrophie réflexe sympathique.
Demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi
[54] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le tribunal en regard de l’application des articles 31 et 327 de la loi, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’application de l’article 329 de la loi puisqu’il s’agit de demande de conclusions subsidiaires de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de E.P. Poirier ltée, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 septembre 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’algodystrophie diagnostiquée le 24 août 2006 constitue une maladie au sens de l’article 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que les coûts reliés à cette maladie (algodystrophie) doivent être transférés à l’ensemble des employeurs, soit à partir du 24 août 2006, incluant l’indemnité pour préjudice corporel, (soit l’indemnité pour un DAP de 6,25 % + DPJV de 0,90 %), qui relève de l’algodystrophie.
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Claire Burdett |
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Me Isabelle Montpetit |
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Béchard, Morin et ass. |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Hétu et Centre hospitalier Royal-Victoria, [2000] C.L.P. 365 .
[3] Pâtisserie Chevalier inc. C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal; Hôpital Ste-Croix, C.L.P. 126743-04B-0406, 13 juillet 2005, J.-F. Clément; Soudo-Technic inc., C.L.P. 338172-09-0801, 3 juin 2008, J.-F. Clément; Ville de Matane, C.L.P. 319679-01A-0706, 12 juin 2008, J.-F. Clément.
[4] Chum (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 129659-71-9912, 19 juin 2000, C. Racine; Hôpital Général de Montréal, C.L.P. 133422-71-0003, 21 septembre 2001, C. Racine; Corporation urgence santé, C.L.P. 155751-63-0102, 8 avril 2002, J-M Charrette; Ministère de la Solidarité sociale (Programme expérience travail extra), C.L.P. 117998-72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre; Construction R. Bélanger inc., C.L.P. 303100-05-0611, 31 octobre 2007, M. Allard.
[5] H.P. Cyrenne ltée, C.L.P. 131759-04B-0002, 29 juin 2000, A. Gauthier; Bell Canada et CSST, C.L.P. 120568-04B-9907, 7 septembre 2000, A. Gauthier; Ressources Meston inc. et CSST, [2001] C.L.P. 355 ; Structures Derek inc., C.L.P. 243582-63-0409, 30 novembre 2004, J.-F. Clément.
[6] Ressources Meston inc. et CSST, [2001] C.L.P. 355 ; Arrondissement Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles, C.L.P. 270978-63-0509, 10 septembre 2008, M. Gauthier.
[7] Structures Derek inc., C.L.P. 243582-63-0409, 30 novembre 2004, J.-F. Clément; Arrondissement Rivière-des-Prairies/Pointe-aux-Trembles, C.L.P. 270978-63-0509, 10 septembre 2008, M. Gauthier.
[8] Nico Métal inc., C.L.P. 222093-04-0312, 23 avril 2004, S. Sénéchal.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.