Décision

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Gabarit EDJ

Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Mercure

                                                2016 QCCDBQ 079

 

 

 
CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° :

06-16-03004

 

DATE :

29 septembre 2016

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me JULIE CHARBONNEAU

Présidente

Me CHRISTIAN CHARBONNEAU

Membre

Me STÉPHANE DAVIGNON

Membre

______________________________________________________________________

 

Me BRIGITTE NADEAU, en sa qualité de syndique adjointe du Barreau du Québec

Partie plaignante

c.

Me JEAN MERCURE

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE POUR ÉMISSION D’UNE ORDONNANCE

DE RADIATION PROVISOIRE IMMÉDIATE

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Conseil de discipline s’est réuni le 22 septembre 2016, pour procéder à l’audition de la Requête pour émission d’une ordonnance de radiation provisoire immédiate contre l’intimé déposée par la plaignante.

[2]           La plainte portée contre l’intimé, accompagnée de la requête pour émission d’une ordonnance de radiation provisoire et immédiate, est ainsi libellée :

1.    « À Sainte-Thérèse, entre le 10 août 2015 et le 8 avril 2016, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise la somme ou une partie de la somme de 346 615, 75 $, à même la somme totale de 556 034,07 $, reçue de la Société d'assurance automobile du Québec («SAAQ»), entre le ou vers le 10 août 2015 et le ou vers le 26 février 2016, en paiement d'une indemnité due à sa cliente, Madame C.K., ès qualités de curatrice à son époux, Monsieur G.K., contrevenant ainsi aux dispositions des articles 4, 20 et 94 du Code de déontologie des avocats et de l'article 59.2 du Code des Professions;

 

2.    À Sainte-Thérèse, entre le 4 juin 2015 et le 14 août 2015, a utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles elle lui avait été remise la somme ou une partie de la somme de 147 677,14 $, reçue de la SAAQ le 4 juin 2015, en paiement d'une indemnité due à son client, Monsieur A.M., contrevenant ainsi aux dispositions des articles 4, 20 et 94 du Code de déontologie des avocats et de l'article 59.2 du Code des Professions; »

CONTEXTE

[3]           La radiation provisoire immédiate d’un professionnel est une mesure d’exception qui vise la protection du public. 

[4]           Elle revêt un caractère d’urgence et nécessite d’agir avec diligence.  Elle doit en effet débuter au plus tard dans les 10 jours de la signification de la plainte[1].

[5]           Cette procédure permet qu’un professionnel soit privé de son droit d’exercer sa profession sans que le Conseil statue sur la plainte déposée contre lui.

[6]           Il n’est pas ici question de débattre de la culpabilité ou de la non-culpabilité du professionnel quant aux infractions reprochées[2]. Ce débat se fait ultérieurement.  Le caractère d’urgence de la demande de radiation provisoire ne se prête pas à « une enquête exhaustive ni à une démonstration étoffée du professionnel tendant à y établir qu’il ne saurait être coupable »[3].

[7]           L’article 130 du Code des professions[4] énonce les situations qui donnent ouverture à la radiation provisoire d’un professionnel. 

« 130.  La plainte peut requérir la radiation provisoire immédiate de l’intimé ou la limitation provisoire immédiate de son droit d’exercer des activités professionnelles :

1o lorsqu’il lui est reproché d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1;

2o lorsqu’il lui est reproché de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte d’un client ou d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession; 

3o lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis une infraction de nature telle que la protection du public risque d’être compromise s’il continue à exercer sa profession.

4o lorsqu’il lui est reproché d’avoir contrevenu à l’article 114 ou au deuxième alinéa de l’article 122. »

[8]           Le Conseil a un pouvoir discrétionnaire d’ordonner cette mesure.

[9]           Toutefois, ce pouvoir est balisé par la jurisprudence qui a établi quatre critères pour guider le Conseil dans l’exercice de sa discrétion :

1o la plainte doit faire état de reproches graves et sérieux;

2o les reproches doivent porter atteinte à la raison d’être de la profession;

3o la preuve à première vue démontre que le professionnel a commis les gestes reprochés;

4o la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession.

[10]        De son côté, le professionnel doit établir si, à première vue, la protection du public ne risque pas d’être compromise s’il continue à exercer sa profession.

Position de la plaignante

[11]        À la demande de la plaignante, C.K. (la cliente) et son fils témoignent.

[12]        Elle relate que son époux a subi un accident d’automobile en 1981. En 2009, elle signe au bénéfice de l’intimé un mandat[5] qui s’intitule : Annexe à la convention d’honoraires Dossier administratif (SAAQ/CAAT/IVAC) Montant forfaitaire.

[13]        L’objet principal du mandat est effectivement d’obtenir une indemnité de la SAAQ en sa qualité de curatrice pour son époux.

[14]        Le fils de la plaignante témoigne à l’effet que, tel que prévu par le mandat, une autorisation a été donnée afin que l’intimé puisse encaisser directement les chèques qui seraient émis par la SAAQ à titre d’indemnité forfaitaire alors que les chèques émis à titre de pension mensuelle seraient versés au compte de la cliente. En 2012, cette dernière reçoit un premier paiement par l’intermédiaire de l’intimé au montant de 55 000 $ à même une première somme de 81 000 $ perçue de la SAAQ.

[15]        En 2015, la cliente constate que sur le talon d’un chèque de pension reçu pour son époux, il y est inscrit que la SAAQ aurait versé un peu plus de 300 000 $. À ce moment, son époux vit dans une institution.

[16]        À une date non précisée au cours de l’année 2016, l’intimé confirme à la cliente et/ou à son fils qu’il a effectivement reçu une somme d’environ 300 000 $ de la SAAQ au bénéfice de son époux, mais qu’il ne peut lui faire remise de cette somme pour différents motifs.

[17]        La cliente caresse alors le projet de voir son époux vivre à nouveau à la maison familiale. Pour ce faire, la famille doit déménager dans une maison qui sera adaptée aux besoins de son époux. Elle informe l’intimé de ce projet et que la somme de 300 000 $ est requise pour procéder à la transaction immobilière projetée qui lui confirme qu’elle pourra aller de l’avant avec la transaction envisagée et ainsi utiliser les sommes perçues de la SAAQ.

[18]        La cliente trouve l’immeuble qui correspond à ses besoins et convient avec le vendeur de signer l’acte de vente chez un notaire à la fin du mois de juin 2016.

[19]        La veille de la date prévue pour la signature de l’acte de vente, le notaire annule le rendez-vous, faute d’avoir reçu de l’intimé la somme qu’il détenait pour la cliente et perçue de la SAAQ.

[20]        L’intimé est interpellé par la cliente et son fils pour ce défaut de transmettre la somme convenue.

[21]        Le fils de la cliente reçoit un courriel[6] transmis par l’intimé le 7 juillet 2016. Essentiellement, ce courriel comporte une admission de la réception des sommes par l’intimé et de son incapacité à les remettre à la cliente. Le Conseil reproduit le tableau contenu dans ce courriel.

«[…]

 VOICI LES MONTANTS REÇUS DE LA SAAQ :

Dates     Motifs

Montants

Périodes

Retenue RRQ

ln Trust

10-08-2015  IRR

190,47931

01 01-88 au 31-12-95

61,99743

128,48188

24-08-2015 IRR

246,23200

26-07-08 au 18 08-15

45,44052

200,79148

26-02-2016 IRR

337,72369

01-01-97 au 25-07-08

137,56962

200,15407

26-02-2016 IRR

26,60664

01-01-96 au 31 12-96

0

26,60664

Total                        801,041.64                                           245,007.57         

556,034.07

  […] »

[22]        Dans ce même courriel du 7 juillet 2016, l'intimé admet qu'il n'est pas en mesure de produire un état de compte à sa cliente, qu'il ne détient plus l'argent dans son compte en fidéicommis, que sa comptabilité est à ce point en désordre qu'il a dû mandater une équipe externe pour la remettre en ordre et qu’il devra procéder à un transfert personnel de fonds provenant de l'extérieur pour la rembourser, tout en précisant que cela serait terminé dans les 14 jours.

[23]        Le 13 juillet 2016, la cliente dépose une demande d’enquête au Bureau du syndic de Barreau du Québec[7].

[24]        Le 15 juillet 2016, la plaignante transmet une correspondance à l'intimé l’informant de la demande d’enquête transmise par la cliente et lui demandant ses explications relativement au courriel transmis à sa cliente, le 7 juillet.

[25]        Entre le 15 juillet 2016 et le 11 août 2016, la plaignante demeure sans nouvelle de l’intimé. Au cours de cette période, elle tente de rejoindre l’intimé par téléphone et laisse trois messages détaillés à son adjointe.

[26]        Le 11 août 2016, la plaignante transmet une deuxième correspondance[8] à l’intimé l’ordonnant de lui fournir sans délai ses explications et la documentation relative à sa comptabilité en fidéicommis.

[27]        Le 15 août 2016, l'intimé transmet un courriel à la plaignante dans lequel il confirme ne plus détenir la somme due à sa cliente. Il l’informe qu’il est en attente d’une somme afin de remettre ce qui est dû à la cliente.

[28]        Le 24 août 2016, Mme Suzanne Laberge, inspectrice au Bureau du syndic se rend à l’étude de l’intimé. Lors de cette visite, elle recueille des copies de pièces comptables de la comptabilité en fidéicommis de l’intimé ainsi que de son compte d’affaires.

[29]        Le témoignage de Mme Laberge, appuyé d’une preuve documentaire colligée par cette dernière, permet au Conseil de retenir les conclusions de Mme Laberge énoncées à son rapport[9] et déposé à l’audition :

 

«[…]

L'examen préliminaire du compte en fidéicommis […] de Me Jean Mercure m'a permis de constater qu'une somme totale nette de 556 034,07$ aurait été versée par la Société de l'assurance automobile du Québec pour Monsieur […], entre le 10 août 2015 et le 26 février 2016.

De cette somme de 556 034,07$, une portion de 355 242,59$ aurait été déposée au compte en fidéicommis […] de Me Mercure, soit le 10 août 2015, une somme de 128481,88$ et le 29 février 2016, une somme de 226 760,71$ (200 154,07$ + 26 606,64$).

Par ailleurs, une portion de 200 791,48$ aurait été déposée au compte d'affaires […] de Me Jean Mercure, le 24 août 2015 (2e versement).

En date du 13 janvier 2016, il ne restait plus qu'une somme de 488,55$ au compte en fidéicommis […], suivant le premier versement de 128 481,88$ (1er versement).

En date du 8 avril 2016, il ne restait plus qu'une somme de 2 767,89$ au compte en fidéicommis […], suivantes versements totalisant 226 760,71$ du 29 février 2016 (3e et 4e versements).

Selon les informations obtenues et suivant le courrier électronique du 7 juillet 2016, il appert qu'aucune somme n'aurait été remise au bénéfice de Monsieur […].

D'autre part, l'examen préliminaire effectué par la soussignée démontre qu'un chèque de 132 003,02$ a été émis du compte en fidéicommis […] de Me Mercure le 25 février 2016, payable à l'ordre d'un bénéficiaire qui ne semble avoir aucun lien avec la présente demande d'enquête. Ce chèque a été décaissé du compte en fidéicommis, le 29 février 2016.

D'autre part, l'examen préliminaire a également révélé qu'un chèque de 30 000,00$ a été émis du compte en fidéicommis […] de Me Mercure le 1er mars 2016, payable à l'ordre d'un bénéficiaire qui ne semble avoir aucun lien avec la présente demande d'enquête. Ce chèque a été décaissé du compte en fidéicommis, le 3 mars 2016.

N'eut été du dépôt de 226 760,71$ effectué au compte en fidéicommis […] de Me Mercure, le 29 février 2016 pour et au nom de Monsieur […], Me Mercure aurait été dans l'impossibilité d'émettre les chèques à ces bénéficiaires qui ne semblent avoir aucun lien avec la présente demande d'enquête.

[30]        Ainsi pour le chef 2, l’inconduite pour le client mentionné à ce chef se termine le 29 février 2016 puisqu’à partir des sommes reçues au bénéfice de la cliente du chef 1, l’intimé remet à son client visé par le chef 2, la somme qui lui est due.

[31]        Pour la somme de 30 000 $ versée à un bénéficiaire sans lien avec la cliente du chef 1, à partir des sommes appartenant la cliente, tel que révélé par Mme Laberge, la plaignante a mentionné qu’aucun des deux chefs ne réfère à cette somme, pour le moment.

[32]        En date de l’audition de la requête en radiation provisoire, malgré des promesses formulées tant à sa cliente qu'à la requérante, l'intimé n'a toujours pas remis à celle-ci la somme due.

[33]        Au cours de sa plaidoirie, la plaignante invite le Conseil à considérer la preuve présentée dont les aveux de l’intimé quant à la réception des sommes et qu’il ne les détient plus. Cette situation est confirmée par l’intimé tant par des écrits que lors de la présente audience.

[34]        Elle appuie sa demande de radiation provisoire par le deuxième paragraphe de l’article 130 du Code des professions.

[35]        Elle plaide que le Conseil a devant lui un avocat qui ignore tout de sa comptabilité. Les explications données par l’intimé ne peuvent pas être retenues. La cliente et sa famille ont cru de bonne foi l’intimé et ils ont déposé une offre d’achat sur une propriété, à laquelle ils ont dû renoncer à la suite des agissements de l’intimé.

[36]        Elle est d’avis que l’intimé n’a pas la moindre crédibilité. La protection du public exige une ordonnance de radiation provisoire à l’encontre de l’intimé.

Position de l’intimé

[37]        Après avoir initialement annoncé qu’il n’avait aucune preuve à offrir, l’intimé a par la suite témoigné brièvement. Au cours de son témoignage, il réitère à quelques reprises qu’il ne nie pas avoir reçu les montants au bénéfice de sa cliente et qu’il doive remettre ces montants à sa cliente.

[38]        Il précise que l’employée qui s’occupait de sa comptabilité ne travaille plus à son étude depuis le 6 juin 2016. Il a depuis retenu les services d’une autre personne qui a débuté la reconstitution de sa comptabilité à partir de janvier 2014. Le travail n’est pas terminé.

[39]        Il souhaite payer la cliente et il est en attente d’une somme en provenance de l’extérieur.

[40]        Il n’a jamais fait de conciliation bancaire à la fin de chaque mois.

[41]        Il a appris des choses au sujet de sa comptabilité en fidéicommis par le témoignage de Mme Laberge.

[42]        La somme déposée à son compte d’affaires (deuxième versement pour la cliente) est une erreur de la Banque TD. Cette somme aurait dû être déposée à son compte en fidéicommis tel qu’en fait foi le bordereau de dépôt qui indique Créditer le compte Lexauris[10] in trust. Il a écrit à la Banque et cette dernière lui aurait transmis une lettre d’excuses.

[43]        Par ailleurs, d’autres sommes ont erronément été déposées à son compte d’affaires par la Banque alors que le bordereau de dépôt indique bien de Créditer le compte Lexauris in trust.

ANALYSE

[44]        Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés par l’intimé. Sans être précis, l’intimé a plutôt semblé demander un délai afin de lui permettre de recevoir une somme de l’extérieur afin de verser les sommes dues à la cliente.

[45]        Le Conseil se doit de déterminer si la requête et la preuve présentées par la plaignante satisfont les quatre critères cumulatifs qui doivent guider le Conseil dans son évaluation du bien-fondé d’émettre une ordonnance de radiation provisoire immédiate à l’encontre de l’intimé.

1 o  La plainte fait-elle état de reproches graves et sérieux?

[46]        Ce critère se rapporte à la nature de l’infraction.  Comme l’indique le Tribunal des professions, ce premier critère et le deuxième ne nécessitent ni enquête ni longue analyse : « Ils font appel au jugement objectif fondé essentiellement sur la description des manquements et leur renvoi aux dispositions légales ou réglementaires invoquées dans la plainte disciplinaire.[11]»

[47]        Les dispositions du Code de déontologie des avocats[12] invoquées au soutien des deux chefs sont les suivantes :

« 4. L’avocat agit avec honneur, dignité, intégrité, respect, modération et courtoisie.

20. L’avocat a, envers le client, des devoirs d’intégrité, de compétence, de loyauté, de confidentialité, de désintéressement, de diligence et de prudence.

94. L’avocat conserve en fidéicommis les sommes ainsi que les autres biens qu’un client ou un tiers lui a confiés. Il ne peut notamment les prêter ou les utiliser à d’autres fins que celles pour lesquelles ils lui ont été confiés. »

[48]        Ces trois dispositions, en sus de l’article 59.2 du Code des professions, invoquées à titre de lien de rattachement aux deux chefs de la plainte, prévoient des obligations déontologiques qui se situent au cœur de la profession d’avocat.

[49]        Le Conseil conclut, par ses dispositions, que la plainte fait état de reproches graves et sérieux.

2o Les reproches portent-ils atteinte à la raison d’être de la profession?

[50]        Le Conseil reprend à son acquis les propos d’une autre division du Conseil de discipline du Barreau du Québec[13] :

« [82] Il ne fait aucun doute que les gestes reprochés dans la présente plainte sont au cœur même de l’exercice de la profession d’avocat.

[83] Il est de jurisprudence constante que toute plainte disciplinaire reliée à l’utilisation irrégulière d’un compte en fidéicommis est non seulement grave et sérieuse, mais porte aussi atteinte à la raison d’être de la profession d’avocat. »

[51]        Les deux chefs d’infraction reprochent à l’intimé d’avoir utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles une somme importante lui avait été remise, notamment au premier chef.

[52]        La détention de sommes en fidéicommis est un privilège confié aux membres de quelques ordres professionnels[14], dont les avocats et les notaires.

[53]        La comptabilité en fidéicommis permet « de rendre compte en tout temps de l’utilisation de toutes sommes, valeurs ou biens pour le compte d’un client »[15]. Les sommes et biens déposés dans ce compte demeurent la propriété du client. Ce dernier n’en étant pas dessaisi, il peut les réclamer en tout temps au fidéicommissaire.

[54]        L’intimé, à l’égard des sommes détenues en fidéicommis, se doit de respecter les règles qui gouvernent l’administrateur du bien d’autrui suivant les articles 1299-1370 du Code civil du Québec.

[55]        En conséquence, l’intimé n’est pas devenu le propriétaire des sommes reçues, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais prétendu.

[56]        Toutefois, son comportement à l’égard de ces sommes amène le Conseil à conclure qu’il s’est, dans les faits, comporté comme le propriétaire de ces sommes, ce qui est en contradiction directe avec ses obligations déontologiques et d’administrateur du bien d’autrui.

[57]        Les reproches formulés à l’encontre de l’intimé portent à la raison d’être de la profession.

3o La preuve à première vue démontre-t-elle que le professionnel a commis les gestes reprochés?

[58]        Lors de son témoignage devant le Conseil, l’intimé a admis, à plus d’une reprise avoir reçu les sommes et ne pas les avoir remises à la cliente.

[59]        À cet aveu, s’ajoute la preuve documentaire émanant de l’intimé, soit les courriels transmis les 7 juillet et 15 août 2016 dans lesquels il confirme avoir reçu les sommes et ne pas les avoir remises à la cliente.

[60]        Au surplus, le témoignage et le rapport de Mme Laberge permettent, de façon certaine, à la plaignante de se décharger de son fardeau de démontrer, suivant les exigences d’une preuve à première vue, que l’intimé a commis les gestes reprochés, notamment en utilisant les sommes perçues de la SAAQ au bénéfice de la cliente, pour payer des sommes dues à un autre client.

[61]        Comme l’indique le Tribunal des professions, « le professionnel peut aussi faire valoir une preuve « à première vue » établissant qu’il n’a pas commis les infractions dont on l’accuse. »[16]

[62]        L’intimé n’a pas tenté de présenter une telle preuve.

4. La protection du public risque-t-elle d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession?

[63]        L’inconduite de l’intimé à l’égard de la cliente perdure depuis plusieurs mois et la somme en cause est particulièrement importante : 556 034, 07 $.

[64]        De plus, la tenue de sa comptabilité en fidéicommis de l’intimé est à ce point déficiente qu’elle doit être reconstituée à partir du 1er janvier 2014, soit pour une période de plus de deux ans.

[65]        Par ailleurs, la preuve présentée par la plaignante démontre que l’intimé présente un lourd passé disciplinaire. Il est reconnu que les antécédents disciplinaires peuvent être considérés au stade d’une requête en radiation provisoire[17].

[66]        Le 5 février 2010, l’intimé, aux termes de quatre décisions disciplinaires[18] le concernant, est reconnu coupable de fautes déontologiques lui reprochant d’avoir donné un caractère de lucre et de commercialité à la profession d’avocat et d’avoir réclamé des honoraires injustes et déraisonnables.

[67]        Le 9 mai 2016, l’intimé, aux termes de trois décisions disciplinaires[19] le concernant, est à nouveau reconnu coupable de fautes déontologiques lui reprochant d’avoir donné un caractère de lucre et de commercialité à la profession d’avocat et d’avoir réclamé des honoraires injustes et déraisonnables. De plus, certains chefs lui reprochent d’avoir réclamé des honoraires alors que les services professionnels n’ont pas été dispensés.

[68]        La date d’audience de ces trois dossiers était le 1er février 2016.

[69]        Il est utile de noter que des inconduites reprochées à la présente plainte se sont produites le 29 février 2016.

[70]        Le passé disciplinaire très récent de l’intimé, tout comme celui de 2010, s’ajoute aux autres facteurs, dont son témoignage, dans l’évaluation du quatrième critère sous étude, soit que la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession.

[71]        Quant au terme « risque », le Tribunal des professions[20] souligne qu’il évoque l’idée d’un danger éventuel par opposition à une ferme conviction ou une certitude que le danger se réalisera si le professionnel continue d’exercer sa profession.

[72]        Le Conseil n’a ainsi aucune hésitation à conclure que la protection du public risque d’être compromise si l’intimé continue à exercer sa profession.

[73]        En conséquence, le Conseil est d’avis que la plaignante a satisfait les quatre critères permettant au Conseil de décider qu’une ordonnance de radiation provisoire immédiate doit être prononcée contre l’intimé.

POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL :

ACCUEILLE la présente Requête en radiation provisoire immédiate de la plaignante déposée à l’encontre de l’intimé;

ORDONNE la radiation provisoire immédiate de l’intimé  jusqu’à la signification de la décision rejetant la plainte ou imposant une sanction, selon le cas, à moins que le Conseil n’en décide autrement;

DÉCIDE que le secrétaire du Conseil de discipline doit faire publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel, conformément à l’article 156 du Code des professions;

CONDAMNE l’intimé au paiement des frais de publication de cet avis;

DEMANDE au secrétaire du Conseil de discipline de fixer avec la collaboration des parties, la date de l’audition sur culpabilité;

ORDONNE que les autres déboursés soient à suivre avec le sort du dossier.

 

 

__________________________________

Me Julie Charbonneau

Présidente

 

 

 

__________________________________

Me Christian Charbonneau

Membre

 

 

 

__________________________________

Me Stéphane Davignon

Membre

 

 

 

 

Me Brigitte Nadeau

Plaignante

 

Me Jean Mercure

Intimé

 

Date d’audience :

22 septembre 2016

 

 



[1] Article 133 du Code des professions, RLRQ c. C-26

[2] Bohémier c. Avocats (Ordre professionnel des) 2005 QCTP 140

[3] Mailloux c. Médecins (Ordre professionnel des) 2009 QCTP 80

[4] RLRQ c. C-26

[5] Pièce R-4, p. 6 à 8

[6] Pièce R-3

[7] Pièce R-4, p. 3 à 5

[8] Pièce R-5

[9] Pièce R-2, en liasse

[10] Lexauris est le nom de l’étude de l’intimé

 

[11] Précité note 3

[12] RLRQ c. B-1, r. 3.1

[13] Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Shatner, 2009 QCCDBQ 105 (CanLII)

[14] Art. 89 Code des professions RLRQ, c. C-26

[15] BRUNELLE, Stéphane. La comptabilité en fidéicommis, R.D./N.S-Pratique notariale-Doctrine-Document 2, par. 10

[16] Précité note 3

[17] Normand c. Médecins (Ordre professionnel des), 1996 CanLII 12203

[18] Pièce R-7, en liasse, Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2010 QCCDBQ 020; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2010 QCCDBQ 021; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2010 QCCDBQ 022; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2010 QCCDBQ 023

[19] Pièce R-7, en liasse, Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2016 QCCDBQ 43; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2016 QCCDBQ 44; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mercure 2010 QCCDBQ 45

[20] Mailloux c. Médecins (Ordre professionnel des) 2008 QCTP 9

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