DÉCISION
[1] Le 6 avril 2001, monsieur Yves Masse (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 30 mars 2001, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 23 août 2000 statuant sur la capacité du travailleur d'occuper, à compter du 18 août 2000, l'emploi convenable déjà retenu de mécanicien de petits moteurs 2 temps / 4 temps, au revenu annuel estimé de 17 500 $.
[3] Le 13 août 2001, la Commission des lésions professionnelles tient une audience en présence du travailleur qui est représenté et de la représentante de la CSST, partie intervenante. Transport Stéphane Sévigny (l'employeur) est absent bien que dûment convoqué.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur l'emploi convenable déterminé antérieurement. Il allègue qu'il y a eu insuffisance de formation, qu'il n'a pas la capacité résiduelle pour exercer cet emploi, qu'il n'y a pas de possibilité raisonnable d'embauche et que le revenu annuel estimé de cet emploi a été surévalué.
[5] Subsidiairement, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu'il n'était pas capable, à compter du 18 août 2000, d'exercer cet emploi et que le revenu annuel estimé de celui-ci devrait être le salaire minimum.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[6] Au début de l'audience, la représentante de la CSST a soulevé un moyen préliminaire. Elle soumet que la Commission des lésions professionnelles ne peut revenir sur la détermination de l'emploi convenable faite le 19 avril 2000, dans la mesure où cette décision n'a pas été contestée par le travailleur et que celui-ci a terminé la formation et le stage qui avaient été autorisés.
[7] La représentante de la CSST soumet que la compétence du tribunal se limite à déterminer si le travailleur était capable, le 23 août 2000, d'exercer l'emploi convenable déterminé antérieurement.
[8] Le représentant du travailleur soumet que la décision du 19 avril 2000 déterminant l'emploi convenable a été contestée par une lettre qu'il a lui-même transmise à la CSST le 27 avril 2000 demandant qu'une formation plus longue soit autorisée et que le salaire de l'emploi convenable soit modifié.
[9] Subsidiairement, le représentant du travailleur soumet que la lettre qu'il a transmise à la CSST, le 27 avril 2000, justifiait que la CSST modifie le plan individualisé de réadaptation, ce qui n'a pas été fait. Il allègue également qu'il y a eu, suite à la détermination de l'emploi convenable, des circonstances nouvelles qui auraient dû amener la CSST à modifier le plan individualisé de réadaptation à savoir que la formation autorisée était insuffisante et que le travailleur n'avait pas la capacité physique d'exercer cet emploi.
L'AVIS DES MEMBRES
[10] Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis que le moyen préliminaire soulevé par la représentante de la CSST doit être accueilli. Les membres considèrent que la décision rendue par la CSST, le 18 avril 2000, déterminant l’emploi convenable de mécanicien de petits moteurs 2 temps/4 temps, n’a pas été contestée par le travailleur et qu’elle est en conséquence devenue finale.
[11] Les membres considèrent de plus que le représentant du travailleur a été très impliqué dans le processus de détermination de l’emploi convenable et qu’aucun fait nouveau, postérieur à la décision du 19 avril 2000 statuant sur l’emploi convenable, n’a été démontré de nature à remettre en cause cette décision. Les membres sont d’avis que le tribunal devrait se limiter à examiner la question de la capacité du travailleur d’exercer cet emploi de même que le revenu annuel estimé de celui-ci.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[12] La Commission des lésions professionnelles doit d'abord statuer si la contestation déposée par le travailleur, suite à la décision rendue par la révision administrative, vise la détermination de l'emploi convenable déterminé le 19 avril 2000 ou ne vise que la question relative à la capacité du travailleur d'exercer cet emploi convenable.
[13] Les dispositions suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) devront être analysées pour répondre à cette question :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
.{Modifications.}.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
147. En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.
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1985, c. 6, a. 147.
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 166.
172. Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.
Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.
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1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
[14] Le travailleur est âgé de 34 ans et exerce l’emploi de camionneur lorsque, le 29 janvier 1999, il fait une chute de son camion lors d'un chargement. La réclamation du travailleur pour cette lésion est acceptée par la CSST sur la base d'un diagnostic de fracture à L1. Cette lésion est consolidée et, dans un rapport d'évaluation médicale fait le 1er novembre 1999, le docteur Richard Bonin reconnaît qu'un déficit anatomo-physiologique de 8 % résulte de cette lésion et que le travailleur demeure avec des limitations fonctionnelles.
[15] Le travailleur est par la suite admis en réadaptation afin de déterminer un emploi convenable.
[16] Les notes évolutives de la CSST indiquent qu'il y a eu, entre le 3 novembre 1999 et le 18 avril 2000, onze rencontres entre le travailleur et la conseillère en réadaptation pour déterminer un emploi convenable. Il y a eu de plus quatre rencontres entre le travailleur, Me André Laporte qui le représente et la conseillère en réadaptation pour discuter du même sujet. Les notes évolutives de la CSST rapportent de plus de nombreuses conversations téléphoniques, certaines impliquant Me Laporte, concernant la détermination de l'emploi convenable.
[17] Sans reprendre en détails les sujets discutés au cours de ces rencontres, la Commission des lésions professionnelles retient que dans un premier temps, les recherches se sont orientées vers la détermination d'un emploi convenable de commis aux pièces et magasinier.
[18] Lors de la rencontre du 27 mars 2000, à laquelle participaient le travailleur, son représentant et la conseillère en réadaptation, Me Laporte a fait la proposition de deux emplois qui pourraient être convenables pour le travailleur, soit celui de mécanicien de petits moteurs 2 temps / 4 temps ou celui de réparateur de petits appareils. Les notes indiquent que le travailleur était intéressé par ces deux emplois.
[19] Lors de la rencontre du 5 avril 2000, à laquelle participaient le travailleur, son représentant et la conseillère en réadaptation, le travailleur indique qu'il préfère l'emploi de mécanicien de petits moteurs et la conseillère s'engage à chercher l'information pour ce genre d'emploi. Il y a par la suite des communications téléphoniques avec le travailleur et son représentant pour discuter de la formation envisagée et, le 18 avril 2000, Me Laporte se dit d'accord avec le contenu de formation proposé en précisant qu'il demande que le revenu annuel estimé de cet emploi convenable soit le salaire minimum.
[20] Le 18 avril 2000, une rencontre a lieu entre la conseillère en réadaptation et le travailleur afin de déterminer les dates de formation et les frais qui seront remboursés à celui-ci dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation. Le travailleur est alors informé que suite à la réussite de cette formation, il y aura une décision statuant sur sa capacité à exercer cet emploi.
[21] Le 19 avril 2000, la CSST rend une décision concernant le plan individualisé de réadaptation et la détermination de l'emploi convenable. Par cette décision, la CSST indique qu'après avoir procédé à l'évaluation des possibilités professionnelles, il a été convenu d'un commun accord de retenir l'emploi convenable de mécanicien de petits moteurs 2 temps/4 temps. Afin de rendre le travailleur capable d'exercer cet emploi, la CSST autorise une mesure de réadaptation, soit un programme de formation intensive en institution d'enseignement privé d'une durée de 149 heures pour la période du 26 avril au 28 juillet 2000. Dans cette décision, la CSST indique que le travailleur peut contester cette décision.
[22] Le 26 avril 2000, le travailleur signe un document acceptant le plan de formation chez Formation Samo Gestion-conseils.
[23] Le 27 avril 2000, Me Laporte transmet à la CSST une note demandant que le programme de formation comprenne également la réparation des véhicules tout terrain (VTT) afin de lui permettre d'obtenir une plus grande gamme de véhicules à réparer. Dans ce document, Me Laporte demande à la CSST de retenir la base salariale au salaire minimum.
[24] La CSST ne rend pas de décision écrite suite à cette lettre de Me Laporte mais les notes évolutives, en date du 9 mai 2000, indiquent qu'un appel est fait à Me Laporte pour l'aviser que la demande de formation complémentaire est refusée dans la mesure où la réparation de VTT implique la manipulation de poids, ce qui ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur. En ce qui a trait à la base salariale, la CSST l'informe qu'elle s’en tiendra à ce qu'elle avait convenu avec le travailleur, soit un revenu annuel estimé de 17 636,89 $.
[25] Par la suite, les notes évolutives révèlent que la conseillère en réadaptation a communiqué avec le travailleur et la responsable du centre de formation qui l'ont informée qu'ils étaient satisfaits du déroulement de la formation.
[26] Le 22 juin 2000, le travailleur débute son stage en entreprise.
[27] Le 27 juin 2000, Me Laporte communique avec la conseillère en réadaptation pour solliciter une rencontre dans le but de discuter de la subvention d'un projet d'entreprise du travailleur.
[28] Les notes évolutives du 15 août 2000 indiquent que le travailleur a complété la formation et le stage en entreprise avec succès.
[29] Le 18 août 2000, il y a une rencontre entre le travailleur, Me Laporte et la conseillère en réadaptation. À cette occasion, le travailleur l'informe qu'il considère que la formation qu'il a reçue était une formation de base et qu'il ne se sent pas suffisamment formé.
Il considère aussi que le revenu annuel estimé de cet emploi est surévalué. De plus, Me Laporte veut regarder le projet d'entreprise proposé par le travailleur qui aimerait se partir en affaires dans le domaine de la mécanique de petits moteurs; il voudrait ouvrir son commerce et offrir les services de vente, d'entretien et de réparation des petits moteurs 2 temps / 4 temps, tels que les tondeuses, tracteurs à gazon, souffleuses, débroussailleuses, coupe-bordures, scies mécaniques, pompes à eau et génératrices. La conseillère en réadaptation s'engage à discuter, tel que demandé par Me Laporte, du plan d'affaires proposé par le travailleur avec son supérieur mais l’avise que si cette proposition est refusée, elle statuera sur la capacité du travailleur d'exercer l'emploi convenable. Le travailleur et son représentant sont d'accord avec cette façon de procéder.
[30] Les notes évolutives du 22 août 2000 indiquent que le plan d'affaires du travailleur est refusé et, le 23 août 2000, la CSST statue sur la capacité du travailleur d'exercer l'emploi convenable déterminé préalablement de mécanicien de petits moteurs 2 temps / 4 temps à compter du 18 août 2000, au revenu annuel estimé de 17 500 $.
[31] À la lumière de la preuve résumée plus haut, la Commission des lésions professionnelles constate qu'il y a eu, dans le présent dossier, plusieurs rencontres, discussions et conversations téléphoniques dans le but de déterminer l'emploi convenable de mécanicien de petits moteurs. Le tribunal constate de plus que Me Laporte a été directement impliqué dans le choix de cet emploi convenable, qu'il a même été celui qui en a fait la suggestion lors d'une rencontre ayant eu lieu le 27 mars 2000. Par la suite, Me Laporte a été informé continuellement des démarches et des solutions envisagées dans le cadre du plan individualisé de réadaptation et il s’est dit en accord avec celles-ci.
[32] La Commission des lésions professionnelles considère que la CSST a déterminé l'emploi convenable de mécanicien de petits moteurs en ayant obtenu au préalable la participation tant du travailleur que de son représentant qui ont tous les deux agréé à cette solution. Le travailleur a par la suite suivi, avec succès, la formation qui était prévue au plan individualisé de réadaptation de même que le stage en entreprise. Pendant cette période de formation, le travailleur a communiqué avec la conseillère en réadaptation et lui a fait part qu'il était satisfait de celle-ci.
[33] Dans les circonstances décrites plus haut, compte tenu des nombreuses démarches entreprises, de la participation active du travailleur au plan individualisé de réadaptation auquel il avait adhéré et de l'implication importante de Me Laporte dans le processus de détermination de cet emploi convenable, la Commission des lésions professionnelles considère que la lettre transmise par cet avocat, le 27 avril 2000, ne peut être considérée comme étant une contestation de la décision rendue par la CSST, le 19 avril 2000, statuant sur l'emploi convenable déterminé.
[34] En effet, la lettre de Me Laporte ne porte que sur la demande d’un ajout au plan de formation. Cette lettre ne remet nullement en cause la détermination de l'emploi lui-même et elle ne peut être considérée comme une demande de modification du plan de réadaptation convenu dans les jours précédents.
[35] Par ailleurs, s'il est vrai que la CSST n'a pas rendu de décision écrite relativement à la demande faite par Me Laporte, le 27 avril 2000, la CSST a quand même répondu à cette demande. En effet, les notes évolutives indiquent qu'un appel a été fait à Me Laporte pour l'informer que sa demande était refusée en lui précisant les motifs justifiant cette conclusion. Me Laporte n'a entrepris par la suite aucune démarche relativement à la position adoptée par la CSST dans le dossier de son client.
[36] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles considère que la décision rendue par la CSST, le 19 avril 2000, déterminant le plan individualisé de réadaptation et l'emploi convenable, n'a jamais été contestée par le travailleur et qu'en conséquence, il s'agit là d'une décision finale sur laquelle le tribunal ne peut se pencher à l'occasion de la contestation de la décision rendue subséquemment relative à la capacité du travailleur d'exercer cet emploi convenable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE le moyen préliminaire soulevé par la représentante de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que la preuve soumise par les parties sera uniquement analysée en regard de la capacité ou non de monsieur Yves Masse (le travailleur) d'exercer l'emploi convenable de mécanicien de petits moteurs 2 temps / 4 temps, déterminé le 19 avril 2000, et du revenu annuel estimé qui s’y rattache.
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DIANE BESSE |
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Commissaire |
LAPORTE & LAVALLÉE (Me André Laporte) |
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Représentant de la partie requérante |
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PANNETON, LESSARD (Me Carole Bergeron) |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.