Nadler c. Rogers Communications inc. |
2014 QCCQ 5609 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-207716-138 |
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DATE : |
9 juin 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MAGALI LEWIS, J.C.Q. |
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PAUL NADLER
Demandeur c. |
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ROGERS COMMUNICATIONS INC.
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Défenderesse
Et
TRANS UNION OF CANADA
Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur, Paul Nadler, réclame 24 900 $ à Rogers Communications inc. (Rogers) pour avoir atteint à sa réputation en produisant un rapport de crédit diffamatoire au bureau de Trans Union du Canada (TransUnion).
[2] Initialement, M. Nadler demandait également qu’il soit ordonné à TransUnion de retirer de son dossier de crédit l’information y apparaissant sous la rubrique Rogers. Cette question n’a toutefois pas été traitée, puisqu’en début d’audition Me Nadler a admis que TransUnion a corrigé son dossier de crédit à sa satisfaction.
[3] Rogers admet avoir commis une faute dans la gestion de la demande d’annulation du contrat du demandeur, mais soutient qu’elle n’a pas diffamé M. Nadler.
[4] Rogers offre donc de payer à M. Nadler 500 $ à titre de compensation pour les dommages qu’il aurait subis et demande au tribunal de déclarer bonne et valable la consignation qu’elle a faite durant l’instance, et d’y donner acte.
QUESTIONS EN LITIGE
a) La défenderesse a-t-elle porté atteinte à la réputation du demandeur?
b) Dans l’affirmative :
i. Quels sont les dommages causés au demandeur?
ii. Le demandeur a-t-il droit à des dommages punitifs?
CONTEXTE
[5] Le demandeur est avocat dûment inscrit au Tableau de l’Ordre depuis presque 46 ans au moment de l’audience.
[6] Avant les difficultés qu’il a éprouvées avec Rogers et la mention de mauvais crédit que la compagnie a fait inscrire à son dossier, il n’a jamais eu de problème avec ses créanciers.
[7] Au moment des événements, M. Nadler a plusieurs contrats de service avec Rogers. Le présent litige ne concerne qu’un seul de ses contrats, celui portant le numéro 1-1792-9299.
[8] Le 7 juillet 2008, l’épouse du demandeur signe un contrat de téléphonie cellulaire avec Rogers, par lequel elle lie M. Nadler pour une période de trois ans se terminant le 6 juillet 2011.
[9] Le 25 septembre 2011, M. Nadler, conscient que son engagement de trois ans avec Rogers est terminé, transfère son contrat de service à un autre fournisseur, mettant ainsi fin à son contrat avec Rogers. Selon sa compréhension, au moment où il le fait, il peut annuler son compte sans donner de préavis.
[10] M. Nadler reçoit une facture datée du 30 septembre 2011 pour les services du mois, qu’il paie suivant le délai accordé, comme à l’habitude.
[11] Au début du mois de novembre 2011, il reçoit une nouvelle facture de Rogers au montant de 66,10 $, payable au plus tard le 27 novembre 2011.
[12] M. Nadler ne comprend pas pourquoi Rogers le facture pour le mois d’octobre 2011, alors qu’il a annulé son contrat avant la fin du mois de septembre 2011.
[13] Il appelle Rogers pour demander des explications sur la raison d’être de cette facture et se fait dire que la facture a été émise parce qu’il devait donner un avis d’annulation de contrat de 30 jours.
[14] M. Nadler est d’avis qu’il n’a pas à donner de préavis, et, insatisfait de la réponse qu’il obtient lors de son entretien téléphonique, il écrit à Rogers le 11 novembre 2011 :
(…) Please be advised that this account was cancelled at the end of September and consequently, in my opinion, no amount whatsoever is due.
I have spoken to a person in your billing department who has informed me that the amount of this account represents a thirty (30) day notice period for which you allege that I am responsible prior to cancellation of this account. I disagree. Nevertheless, and without prejudice to my position that I disagree, I would ask that you show me a copy of an agreement bearing my signature in which I undertook to provide you with thirty (30) days notice prior to cancellation of this account. Unless and until I receive a copy of this document, your bill will receive not further consideration.
[15] La preuve ne révèle pas si quelqu’un chez Rogers a lu la lettre de M. Nadler, ni ce que cette personne a fait après avoir pris connaissance de son contenu, le cas échéant.
[16] Le 13 novembre 2011, le système informatique de Rogers génère une note de rappel à l’attention de M. Nadler au sujet du compte impayé.
[17] Le 23 novembre 2011, après avoir pris connaissance de la note de Rogers, M. Nadler répond en transmettant une copie de sa lettre du 11 novembre 2011, réitérant sa demande d’obtenir une copie du document par lequel il s’est engagé à donner un préavis de 30 jours avant d’annuler son contrat.
[18] Le 6 décembre 2011, le système informatique de Rogers génère une nouvelle lettre électronique à l’attention de M. Nadler. Cette fois il s’agit d’une mise en demeure de payer, qui se lit en partie comme suit :
Our records indicate that the balance of your account is seriously in arrears in the amount of $66.10.
In order to protect your credit rating, please make your payment within 7 days from the date of this notice. All unpaid accounts are referred to a collection agency and are registered with the Credit Bureau. (…)
[19] Lorsqu’il prend connaissance de ce nouvel avis, M. Nadler appelle chez Rogers pour tenter d’obtenir les informations qu’il demande depuis le début du mois de novembre.
[20] Son entretien avec une personne du service à la clientèle est des plus déplaisant, et M. Nadler fait suivre cet entretien d’une dernière lettre, datée du 14 décembre 2011, qui se lit en partie comme suit :
(…) According to my records, I do not owe you any money at all. During my brief and unpleasant conversations with your customer service representatives, I had asked that you provide me with a copy of an agreement signed by me in which I undertook to provide you with 30 days notice of termination of my agreement. Your uncooperative customer service representatives advised that they do not have such an agreement and that they had no intention to locate one. As a result, I have decline and will continue to decline to pay this additional amount to you.
Finally, your veiled threat to adversely affect my credit rating has been noted as both unacceptable and reprehensible in the circumstances. Should you, or any collection agency acting on your behalf, make any attempt to adversely affect my credit rating, I will institute legal proceedings against you without any further notice or delay (…)
[21] Dès les premiers entretiens qu’il a avec les représentants de Rogers, M. Nadler se fait dire de consulter le contrat qu’il a signé, lequel renferme les conditions d’annulation du contrat.
[22] M. Nadler ne retrouve pas le contrat qui a été signé en juillet 2008 et son épouse ne se souvient pas dans quelle succursale le contrat a été signé.
[23] Tout ce que les représentants de Rogers font c’est de référer M. Nadler à la succursale où le contrat a été signé prétextant que ce sont les succursales qui ont la responsabilité d’entreposer les copies de contrat.
[24] Suite à l’avis du 6 décembre 2011 et malgré la lettre de M. Nadler du 14 décembre 2011, le compte impayé est transmis à une agence de recouvrement par le système de Rogers à une date qui n’a pas été précisée.
[25] Les factures émises à M. Nadler par Rogers en juillet 2008 mentionnent :
Rogers Terms of Service
(…)
11. Unless otherwise permitted by applicable law : you may terminate all or any part of your services upon no less than 30 days advance notice by contacting Rogers.(…)
Applicable charges continue to apply until the end of the notice period or until the services are no longer accessible by you, whichever is later.[1]
[26] Cette clause est différente de celle qui se trouve dans le document de 22 pages intitulé Rogers Terms of service and acceptable use policy - Things you should know about your terms of service with Rogers[2] dont les termes s’appliquent au contrat de téléphonie de M. Nadler.
[27] La clause 35 de ce document prévoit ce qui suit :
Applicable only to Residents of Québec:
You may terminate any or all of your Services at any time by sending us a written, dated notice or by contacting Rogers at the appropriate points of contact specified in the Terms. (…)
Applicable charges continue to apply until the date of the notice or a future date specified therein (if applicable), whichever is later. The transfer of your telephone number to another telecommunications service provider constitutes a termination of the applicable Service(s), and an ECF may apply as set in section 9[3].
[28] La section 9 concerne les frais d’annulation du contrat avant la fin de la durée prévue au contrat, clause qui ne s’applique pas ici puisque M. Nadler a changé de fournisseur après la durée de trois ans prévue au contrat.
[29] Dans les faits, aucune clause du contrat ou des conditions applicables au contrat de M. Nadler ne prévoit qu’il doit donner un avis d’annulation de 30 jours après l’expiration de la durée du contrat.
[30] M. Nadler n’entend plus parler du compte de Rogers jusqu’en 2013.
[31] Au début de l’année 2013, M. Nadler achète une maison en Floride où il ouvre un compte bancaire dans une succursale de la Banque TD. Lorsqu’il fait les démarches pour ouvrir le compte, on lui offre une carte de crédit. Il remplit les papiers pour en faire la demande et en février 2013, il reçoit une lettre de refus dans laquelle il lui est suggéré de vérifier son dossier à TransUnion.
[32] M. Nadler demande donc une copie de son dossier et reçoit un relevé daté du 31 mai 2013. Il constate que Rogers a fait inscrire la mention O5 à son dossier, c’est-à-dire, en souffrance depuis plus de 120 jours.
[33] Il est consterné, bouleversé par ce qu’il apprend; il se sent humilié et honteux.
[34] Il est admis qu’après le 31 mai 2013 mais à une date qui n’est pas précisée, la mention est modifiée pour celle de O9, c’est-à-dire compte ouvert, paiement total requis; mauvaise créance, remise à une agence de recouvrement.
[35] Au mois de mai 2013, M. Nadler a encore deux contrats de téléphonie cellulaire avec Rogers qu’il paie en respectant les délais octroyés, comme il l’a toujours fait, et reçoit des avis de sollicitation : « We’d like to have you back. Get 50% off your plan for 6 months. On a 3-year agreement».
[36] M. Nadler fait signifier son action en dommages le 26 septembre 2013.
[37] Lorsque Rogers prend connaissance de la poursuite, le contentieux transfère le dossier à Marine Hacquard, coordonnatrice au bureau du président chez Rogers, qui s’occupe des litiges qui ont escaladé.
[38] Bien qu’elle n’ait pas le contrat de M. Nadler, Mme Hacquard a le détail des conditions applicables au contrat.
[39] Les conditions applicables aux contrats Rogers ont changé entre 2008 et 2011. L’étude des conditions en vigueur en 2008 permet à Mme Hacquard de conclure que le montant de 66,10 $ n’aurait jamais dû être facturé. Le montant est donc crédité au compte de M. Nadler dès le 9 octobre 2013 et Rogers demande que la mention négative qui apparait au dossier de crédit de M. Nadler soit enlevée.
[40] Le 24 octobre 2013, Rogers adresse une lettre à M. Nadler lui précisant les démarches qui ont été faites et lui transmet un chèque de 500 $ en paiement des dommages (en capital, intérêts et frais) qui lui ont été causés par l’erreur de Rogers.
[41] Le 28 octobre 2013, M. Nadler refuse l’offre de règlement et retourne le chèque de 500 $ à Rogers, qui consigne la somme à la Cour.
ANALYSE
[42] Toute personne a le droit fondamental à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur, de sa réputation[4].
[43] Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte) donne droit à la victime d’obtenir cessation de cette atteinte et réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d’atteinte illicite intentionnelle, l’auteur de l’atteinte peut être condamné à des dommages-intérêts punitifs[5].
[44] Le droit à la réparation découle du fait que toute personne doit respecter les règles de conduite qui s’imposent suivant les circonstances, les usages ou la loi, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui[6].
[45] La personne qui ne respecte pas ces règles est responsable du préjudice qu’elle cause à autrui par ces actions, et doit le réparer.
[46] Une personne, lorsqu’elle exerce ses droits civils, doit le faire selon les exigences de la bonne foi. Elle ne peut donc les exercer dans le but de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable[7].
[47] De même, une personne qui n’honore pas les engagements qu’elle a contractés est responsable du préjudice qu’elle cause à son cocontractant, et est tenue de le réparer[8].
[48] Les atteintes à l’honneur et à la réputation constituent de la diffamation lorsqu’elles résultent de l’allégation ou de l’imputation d’un fait[9]. « Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute »[10].
[49] L’auteur de la diffamation commet une faute s’il agit sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire à sa victime, s’attaquant à sa réputation dans le but de la ridiculiser, de l’humilier, de l’exposer à la haine ou au mépris[11].
[50] En l’absence de volonté de nuire, il y a faute lorsque celui qui porte atteinte à la réputation de quelqu’un agit avec témérité, négligence, impertinence ou incurie[12].
[51] Le procureur de Rogers a admis à l’audition que son client a commis une faute dans la gestion du dossier de M. Nadler, sans préciser la faute que son client a commise. Il soutient, toutefois, que le dommage causé a une valeur de 500 $, montant que son client a offert et consigné dans le cadre du litige qui oppose les parties.
[52] M. Nadler, quant à lui, a prouvé par prépondérance de preuve que Rogers a transmis de fausses informations à TransUnion : alléguant une fausse facture, Rogers a fait porter à son dossier la mention de compte en souffrance, puis de compte transféré à une agence de recouvrement.
[53] Ce faisant, Rogers a contrevenu à l’article 11 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, en vertu duquel toute personne qui exploite une entreprise doit veiller à ce que les dossiers qu’elle détient sur autrui soient à jour et exacts au moment où elle les utilise pour prendre une décision relative à la personne concernée[13]. Rogers a aussi contrevenu à l’article 37 du Code civil du Québec qui prévoit qu’une personne « ne peut dans la constitution ou l’utilisation d’un dossier porter atteinte à la vie privée ou la réputation de l’intéressé »[14].
[54] Personne n’a pris le temps de vérifier les conditions d’annulation applicables au contrat de M. Nadler avant de faire inscrire une mention négative à son dossier de crédit.
[55] Lorsque M. Nadler mentionne qu’il ne trouve pas son contrat, le personnel de Rogers ne fait pas de démarche pour tenter de le retrouver, étant d’avis qu’il n’a pas à assumer cette responsabilité et alléguant faussement qu’il n’a pas accès aux dossiers des succursales.
[56] Or, non seulement Rogers aurait pu transmettre à M. Nadler le nom de la succursale où le contrat a été signé pour lui permettre de le récupérer, mais ses employés pouvaient récupérer le contrat pour valider leurs factures avant de porter atteinte au crédit de M. Nadler, ce qu’ils ont négligé de faire.
[57] Au cours de l’audience, Rogers a semblé prétendre qu’il appartenait à M. Nadler de faire la preuve qu’il ne devait pas d’argent à Rogers. Le Tribunal n’est pas de cet avis.
[58] Il appartient à celui qui prétend avoir droit à une somme d’argent d’établir en vertu de quoi la somme lui est due, d’autant plus si cette personne entend faire inscrire une note négative au dossier de crédit en lien avec sa réclamation.
[59] Les factures transmises à M. Nadler n’ont jamais mentionné qu’un préavis d’annulation de 30 jours devait être donné après la fin du contrat de trois ans.
[60] Les factures mentionnent par contre que les informations contenues au contrat signé en succursale sont transmises à Rogers pour permettre au service à la clientèle de répondre aux questions de ses clients. M. Nadler avait donc raison de s’adresser à Rogers, qui avait les factures, pour obtenir des précisions. Rogers avait l’obligation de faire les vérifications nécessaires et d’établir la validité de sa réclamation.
[61] D'ailleurs, l’information était disponible puisque Mme Hacquard a pu analyser les conditions applicables au contrat de M. Nadler et conclure en quelques jours que le montant réclamé n’était pas dû.
[62] Rogers a l’obligation d’agir de bonne foi au moment de l’extinction du contrat avec ses clients, comme au moment de son exécution[15], ce qu’elle n’a pas fait dans le cas de M. Nadler en ne prenant pas la peine d’analyser les conditions applicables à son contrat.
[63] Ce faisant et en faisant inscrire une note au dossier de crédit de M. Nadler, Rogers a porté atteinte à la réputation de ce dernier en permettant que soit publiée à son dossier de crédit une information erronée, sachant que cette information porterait atteinte à la réputation de son client.
[64] La mise à la disposition du bureau de crédit d’informations fausses constitue un comportement fautif[16].
[65] Ceci étant dit, suite à l’avertissement par Rogers que son dossier serait transmis à une agence de recouvrement et que cela aurait un impact sur son dossier de crédit, pour minimiser ses dommages, M. Nadler aurait dû prendre des mesures pour éviter l’atteinte à sa réputation[17].
[66] Il aurait pu consulter son dossier de crédit de temps à autre pour vérifier si Rogers avait mis son avertissement à exécution. Il aurait ainsi eu connaissance de la situation plus rapidement et limité le nombre de personnes qui a pris connaissance de la mention qu’il contenait, en plus de pouvoir faire ajouter un commentaire à son dossier de crédit dans le but de limiter la portée de la mention ajoutée par Rogers, comme l’y autorise l’article 40 du Code civil du Québec.
[67] M. Nadler aurait aussi pu payer la facture de Rogers sous protêt et réclamer le remboursement du montant par la suite, ce qui aurait évité toute mention à son dossier de crédit[18].
[68] M. Nadler devait être proactif dans la gestion de son dossier de crédit, d’autant plus qu’il attache, selon ses dires, beaucoup d’importance au fait d’avoir une excellente réputation dans la communauté et au sein de sa profession. En tant qu’avocat, il ne pouvait raisonnablement pas tenir pour acquis que Rogers ne mettrait pas son avertissement à exécution.
[69] L’inaction de M. Nadler a contribué au dommage qu’il allègue avoir subi. Son inaction n’est toutefois pas la source de l’atteinte et n’amoindrit pas le comportement fautif de Rogers[19].
[70] M. Nadler réclame 14 900 $ pour l’atteinte à sa réputation, 5 000 $ pour humiliation, stress et inconvénient et, enfin 5 000 $ à titre de dommages punitifs.
[71] Il s’est écoulé environ un mois entre le dépôt de la poursuite contre Rogers et la correction de son dossier de crédit pour y faire enlever la mention concernant le non-paiement de sa facture à Rogers. La mention concernant le compte de Rogers a été au dossier de crédit de M. Nadler au plus une dizaine de mois.
[72] Il s’agissait là de la seule mention « négative » dans le dossier de crédit de M. Nadler, sur 35 entrées.
[73] Hormis le fait que Me Nadler se soit vu refuser une carte de crédit par une succursale de la Banque TD en Floride, carte dont il n’avait pas besoin et qu’il a sollicitée seulement parce qu’elle lui a été offerte par la banque, il n’a fait la preuve d'aucune autre conséquence du fait des mentions O5 et O9 à son dossier de TransUnion.
[74] Macy’s/Department Stores National Bank a consulté le dossier de M. Nadler le 10 février 2012 suite à une demande de crédit, mais la preuve ne révélant aucune conséquence négative pour M. Nadler suite à cette consultation, leTribunal conclut que, soit la mention concernant le compte de Rogers n’apparaissait pas encore, soit qu’elle n’a pas influencé la compagnie dans sa décision concernant M. Nadler.
[75] Entre janvier 2012 et mai 2013, sept compagnies ont consulté le dossier de M. Nadler constitué par TransUnion dans le cadre de leurs relations d’affaires avec lui. M. Nadler n’a pas témoigné que ses relations d’affaires avec ces sept compagnies en ont souffert.
[76] M. Nadler n’a eu à faire aucune démarche pour faire corriger son dossier de crédit, Rogers ayant fait rectifier la mention rapidement après le dépôt de la poursuite.
[77] Comme l’honorable Marie Pratte l’a fait remarquer dans une affaire similaire, bien que la mention d’un retard de paiement peut susciter des interrogations de la part de créanciers quant aux habitudes de remboursement d’un client, cela ne prouve pas qu’un défaut de paiement rapporté à l’égard d’un seul créancier sur 35 porte fatalement atteinte à la réputation du client en question, alors que 34 créanciers rapportent une cote parfaite[20].
[78] Toute mention portée à un dossier de crédit a pour but d’aviser les créanciers potentiels d’un débiteur du risque financier qu’il présente.
[79] Le préjudice que M. Nadler allègue avoir subi n’a pas ici l’ampleur qu’il veut lui donner. On ne peut toutefois nier que le fait d’apprendre qu’une carte de crédit ne lui est pas accordée à cause d’une mauvaise cote dans son dossier de crédit peut générer du stress, de l’inquiétude, du trouble et, dans le cas de M. Nadler, de la colère étant donné les circonstances.
[80] Le demandeur a expliqué qu’il n’a plus la lettre de la Banque TD dans laquelle elle l’invitait à consulter son dossier de TransUnion parce que sa secrétaire a envoyé la lettre avec la demande d’accès au dossier de TransUnion, sans en garder de copie.
[81] Le Tribunal est satisfait de cette explication et retient le témoignage de M. Nadler lorsqu’il affirme que c’est par la lettre de la Banque TD qu’il a appris qu’une mention négative apparaissait à son dossier de crédit.
[82] Le dossier de TransUnion fait d’ailleurs bel et bien état que la Banque TD a consulté le dossier de M. Nadler le 2 février 2013 quant à une demande de crédit[21].
[83] Compenser l’atteinte à la réputation, c’est chercher à réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont le demandeur a fait l’objet[22].
[84] Le montant de la condamnation doit constituer un incitatif suffisant pour que la défenderesse révise ses méthodes de façon à ce que lorsqu’un client conteste la facturation d’un montant, quelqu’un vérifie la validité du montant facturé avant de communiquer de l’information à des tiers concernant le montant dû[23].
[85] Tenant compte de l’impact minime sur les relations d’affaires de M. Nadler et du fait qu’il n’a rien fait pour minimiser ses dommages, à ce titre, le Tribunal fixe le montant des dommages pour atteinte à la réputation et humiliation à 2 000 $.
[86] Pour le stress et les inconvénients, le Tribunal accorde 500 $ au demandeur.
Dommages punitifs
[87] Il y a atteinte illicite à un droit ou une liberté reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne lorsque l’auteur de l’atteinte a un état d’esprit qui dénote une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou s’il agit en toute connaissance des conséquences immédiates ou probables que sa conduite engendrera[24].
Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[25]
[88] Comme la preuve ne révèle aucune intention malveillante de la part de Rogers, ni de négligence équivalant à une atteinte intentionnelle, le montant réclamé à titre de dommages punitifs n’est pas accordé.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[89] ACCUEILLE partiellement la requête introductive d’instance;
[90] CONDAMNE Rogers Communications inc. à payer à Paul Nadler la somme de 2 500 $ avec intérêts depuis l’assignation;
[91] DONNE ACTE à Rogers Communications inc. de l’offre et consignation de 500 $ faite par elle au dossier;
[92] DÉCLARE insuffisante et non libératoire l’offre et consignation de Rogers Communications inc.
[93] AUTORISE Paul Nadler à retirer la somme consignée de 500 $;
[94] ORDONNE compensation entre cette somme et le montant de la condamnation
[95] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ MAGALI LEWIS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
1er mai 2014 |
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[1] D-9.
[2] D-3
[3] D-2
[4] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 4 et 5; Code civil du Québec, art. 3, 35; Valiquette c. Clouâtre, 2013 QCCQ 10701.
[5] Charte des droits et libertés de la personne, préc. note 1, art 49; Valiquette c. Clouâtre, précité, note 1; Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e édition, Volume I, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 1 - 580; Vincent KARIM, Les obligations, vol. 2, (art. 1497 à 1707 C.c.Q.), 3e édition, 2009, Wilson Lafleur, p. 785.
[6] Code civil du Québec, art. 1457
[7] Code civil du Québec, art. 4 et 5.
[8] Code civil du Québec, art. 1458.
[9] Edith DELEURY, Le droit des personnes physiques, 4e édition, 2008, par. 164.
[10] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e édition, Volume I, Éditions Yvon Blais, 2007, par 1-293.
[11] Id.
[12] Id.; Edith DELEURY, Le droit des personnes physiques, préc. note 8, par. 164.
[13] RLRQ, c. P-39.1; Wallack c. Services financiers Daimler-Chrysler Canada inc., 2011 QCCQ 4532.
[14] Caisse populaire Desjardins d’Aylmer c. Roy, 2012 QCCQ 287.
[15] Code civil du Québec, art. 1375.
[16] Id.
[17] Stoica c. Banque Royale du Canada/Visa, 2006 QCCQ 16672 (Division des petites créances), par. 25.
[18] Gallico c. Équifax Canada inc., 2006 QCCQ 15723 (Division des petites créances), par. 17.
[19] Caisse populaire Desjardins d’Aylmer c. Roy, préc. note 14.
[20] Caisse populaire Desjardins D’Aylmer c. Roy, 2012 QCCQ 287.
[21] P-9, page 5.
[22] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e édition, Volume I, Éditions Yvon Blais, 2007, par 1-580.
[23] Labrecque c. GE Money Canada, 2009 QCCQ 11569 (Division des petites créances), par 23.
[24] Charte des droits et libertés de la personne, art. 49; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211; Savard c. Lecompte 2010 QCCQ 6808
[25] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc. note 11, par. 121.