______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 13 juin 2003, Le Centre Sheraton de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 30 mai 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision infirme un rapport d’intervention émis le 13 mars 2003 par une inspectrice de la CSST relativement à l’avis de correction numéro 11 concernant les bancs devant être mis à la disposition des travailleurs oeuvrant à l’accueil chez l’employeur. L’inspectrice avait accepté la solution proposée par l’employeur et considéré que la dérogation avait été corrigée dans son rapport d’intervention du 13 mars 2003 et à la suite de la révision administrative, la dérogation a été considérée comme n’ayant pas été corrigée et ordre fut donné à l’employeur de mettre des bancs à la disposition de ses travailleurs oeuvrant à l’accueil.
[3] L’audience s’est tenue le 21 septembre 2004. L’employeur et le Syndicat des travailleurs et des travailleuses du Centre Sheraton (le Syndicat) étaient représentés ainsi que la CSST qui est intervenue au présent dossier.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision du 30 mai 2003, de confirmer l’avis de l’inspectrice de la CSST en date du 13 mars 2003 et de déclarer que la solution proposée par l’employeur, en réponse à l’avis de correction numéro 11, est conforme à ce que requiert l’article 170 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail[1] (le Règlement).
LES FAITS
[5] Le 9 janvier 2003, l’inspectrice de la CSST intervient chez l’employeur pou y effectuer une visite de conformité. À la suite de cette intervention, elle émet plusieurs avis de correction, en date du 22 janvier 2003, dont le suivant :
11. Des bancs ne sont pas mis à la disposition des travailleurs lorsque la nature du travail le permet.
[6] Cet avis de correction est émis pour les travailleurs oeuvrant à l’accueil chez l’employeur. L’employeur a cinq jours pour s’y conformer.
[7] Le 31 janvier 2003, l’inspectrice effectue le suivi des avis de correction émis le 22 janvier 2003 et note dans son rapport d’intervention, en date du 13 mars 2003, en ce qui concerne l’avis de correction numéro 11 :
« Dérogation #11 : L’employeur ne veut pas mettre à la disposition des travailleurs un banc pour éliminer les risques de maux de dos et de jambes dont se plaignent les travailleurs depuis plusieurs mois. Cependant l’employeur a modifié le travail de telle sorte qu’il soit permis au travailleur à la réception de poursuivre ses activités de travail en position assise pour des périodes de 5 à 10 minutes par heure. Le travailleur rencontré affirme que la portion du travail en position assise à chaque heure est salutaire pour diminuer de manière considérable les maux de dos et aux jambes; moins de fatigue est ressentie à la fin du quart de travail. Cette mesure mise en place par l’employeur est considérée comme un moyen équivalent et est par conséquent acceptée; dérogation corrigée. »
[8] Le Syndicat conteste le rapport d’intervention du 13 mars 2003 en ce qui concerne deux dérogations dont celle relative aux bancs. On peut lire dans sa lettre de contestation en ce qui concerne l’avis de correction numéro 11 :
« No 11 : Nous considérons que la nature de l’emploie dont il est question permet tout à fait l’utilisation de bancs pour alléger le stress physique relié à une position debout prolongée. » (sic)
[9] À la suite d’une révision administrative, le Syndicat obtient gain de cause. Le rapport d’intervention du 13 mars 2003 est infirmé en ce qui concerne l’avis de correction numéro 11 et l’employeur est contraint de mettre des bancs à la disposition de ses travailleurs oeuvrant à l’accueil. Les motifs qui amènent le réviseur administratif à conclure ainsi sont exposés aux paragraphes suivants de la décision :
« […]
Le seul critère d’application de l’article 170 du Règlement est que la nature du travail permet la présence des bancs. Le poste de travail d’un préposé à l’accueil peut sûrement entraîner de nombreux déplacements derrière le comptoir. Le nombre de ces déplacements dépend cependant de l’aménagement du poste de travail. En ergonomie, il y a un principe qui veut qu’un poste de travail soit conçu en fonction de l’humain et du travail à exécuter. Il est certain qui si l’aménagement du poste de travail de préposé à l’accueil chez l’employeur a été conçu en prenant comme base que le travailleur est toujours debout, cet aménagement sera différent de celui où le travailleur œuvre en position assise.
Pour la Révision administrative, la nature du travail de préposé à l’accueil permet l’utilisation de bancs. Il s’agit essentiellement d’un poste de travail où le travailleur utilise des équipements tels un ordinateur, un téléphone et une imprimante. Tous ces équipements peuvent être aménagés pour un travail en position assise ou semi-assise. D’ailleurs, on retrouve l’utilisation de bancs dans d’autres postes de travail similaires tels les préposés à l’accueil de compagnies aériennes dans les aéroports et les caissières dans les caisses populaires et les banques. De même, certains hôtels fournissent déjà des bancs à leurs préposés à l’accueil. Il existe de nos jours des types de bancs adaptés au travail de préposé à l’accueil.
Finalement, le fait qu’un accident ne soit survenu à ce poste de travail n’est pas un critère à retenir en vertu de l’article 170 du Règlement. Seule la nature du travail doit être analysée.
[…] »
[10] L’employeur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles d’où le présent litige.
[11] En vue de l’audition devant la Commission des lésions professionnelles, l’employeur mandate monsieur Yves Montpetit, ergonome, de la firme Ergo Excel inc., afin de procéder à une revue de la littérature ergonomique récente sur les risques reliés au travail en position assise, en position debout et en position assis-debout. À la lumière de cette littérature, monsieur Montpetit est également invité à identifier la meilleure alternative pour les travailleurs oeuvrant à l’accueil d’un établissement hôtelier et à soumettre ses recommandations. Monsieur Montpetit remet son rapport le 20 janvier 2004. Après avoir passé en revue les avantages et inconvénients de chaque position étudiée, monsieur Montpetit discute dans son rapport de chacune d’elles et en vient à la conclusion qu’aucune n’est souhaitable. Il privilégie plutôt l’alternance des positions assise et debout. Il y a lieu de citer quelques extraits de cette discussion :
« 6.1 Discussion - position debout
[…]
Même si la position debout au comptoir d’accueil ne peut être considérée comme statique, il demeure que si cette position est maintenue de façon prolongée, elle pourra devenir inconfortable et l’alternance avec la position assise apparaît souhaitable du point de vue ergonomique.
[…]
6.2 Disposition - position assise
[…]
Un des problèmes importants lié à la position assise, est l’inadéquation avec le poste de travail. Si le poste de travail n’a pas été conçu pour travailler en position assise, le manque de dégagement pour les jambes entraînera des flexions du tronc vers l’avant ou latérale, pour atteindre le comptoir et les autres outils de travail. Le dossier de la chaise ne peut remplir adéquatement son rôle puisque dans une telle situation, le gens ont tendance à s’asseoir sur le bout du siège pour s’approcher davantage du comptoir. C’est notamment le cas au poste d’accueil du Centre Sheraton à Montréal. Ce poste de travail a été conçu pour le travail debout. Il n’y a pas de dégagement sous le comptoir pour les jambes lorsque la position assise est adoptée. Il en résulte que la zone d’atteinte est éloignée, impliquant fréquemment un dos fléchi et une position allongée des bras. Cette situation n’est pas souhaitable du point de vue ergonomique.
La position assise est également considérée confortable mais du point de vue ergonomique, il faut favoriser l’alternance avec la position debout, surtout si le poste de travail n’est pas conçu pour la position assise. Même si le poste était conçu pour travailler assis, la position assise prolongée ne serait pas souhaitable.
6.3 Discussion - position assis-debout
Les bancs assis-debout n’apparaissent pas comme une alternative viable à la station debout ou assise prolongée. En effet, des études récentes ont démontré que cette position entraîne plus d’enflure des membres inférieurs que la position assise ou debout. De plus, l’enflure est immédiate.
Ils permettent par ailleurs de s’approcher davantage des outils de travail sur le comptoir que la position assise, lorsqu’il n’y a pas de dégagement pour les jambes. Néanmoins, cet avantage est largement surpassé par l’inconfort de cette position, sans compter le problème de l’enflure mentionné précédemment.
[…]
6.4 Discussion - alternance assis-debout
[…]
Toute activité qui se traduit par une variation de la posture a pour effet de réduire, retarder et voir même jusqu’à inhiber l’apparition des symptômes de fatigue ou de blessure (Chapados, 2003). L’incidence des lombalgies serait moins élevée dans les professions où les personnes peuvent varier leur posture. Des situations de travail qui permettent de bonnes possibilités d’alternance des différents muscles et ligaments sont donc préférables (Carson, 1994). Ces changements de posture entraînent une variation de la pression au niveau des disques intervertébraux, ce qui facilite les échanges nutritionnels nécessaires à la santé de disques.
On réduit l’inconfort de la position debout prolongée en procurant dans un horaire de travail de la variation et des périodes de repos (Dieën et Vrielink, 1998). Les pauses sont définies par des périodes d’activité dynamique, comme la marche, et un repos assis. Des pauses fréquentes et courtes ont un effet beaucoup plus bénéfique sur le confort de l’individu et sur la charge posturale, particulièrement sur les muscles du dos, que des pauses longues et moins fréquentes. L’augmentation d’une pause au-delà de 10 minutes aurait peu d’effet sur la colonne vertébrale (Dieën et Vrielink, 1998).
[…] »
[12] En conclusion monsieur Montpetit écrit :
« Conclusions
Le meilleur compromis réside dans l’alternance entre la position assise et la position debout. Depuis toujours et ceci partout à travers le monde, le poste à l’accueil d’un établissement hôtelier est un poste debout, sans doute basé sur les règles élémentaires de bienséance, selon lesquelles toute personne se lève pour accueillir un visiteur. D’ailleurs, le docteur Joly et ses collaborateurs (1993) le confirme dans son article sur « L’Homo Informaticus Erectus » nous l’avons rencontré. »
Il cite entre autre le cas des pharmaciens et des employés de l’hôtellerie.
Si donc ce travail est effectué debout, les connaissances actuelles en ergonomie recommandent de favoriser des pauses courtes et plus fréquentes afin d’augmenter le confort musculaire. Les pauses courtes et fréquentes sont plus efficaces et une pause au-delà de 10 minutes aurait peu d’effet sur la décompression des disques intervertébraux (Van Dieën J.H. et coll, 1998). Ainsi, une période assise d’une durée de 5 minutes après 25 minutes de travail debout non stationnaire représenterait une alternance de travail assis-debout tout à fait convenable du point de vue ergonomique. »
[13] Ses recommandations sont les suivantes :
« Recommandations
En vue d’améliorer le confort d’un individu lors d’un travail principalement debout, il est recommandé de :
· Procurer un siège dans l’environnement de travail, de manière à permettre une alternance de la position debout avec la position assise :
25 minutes debout / 5 minutes assis.
· Éviter le maintien des postures penchées ou en extension importante (Gambin et col.).
· Procurer surface de plancher plus molle tel un tapis cousiné (Gambin) mais pas trop épais car ceci engendre la fatigue (Carson).
· Varier la posture (Gambin, McCulloch).
· Chaussures appropriées. Pas de talons plus hauts que 2 pouces (Carson).
· Réduire l’exposition des femmes enceintes à la position debout. » (sic)
[14] Le Syndicat demande également une évaluation ergonomique du poste de travail. Le mandat est confié à madame Jocelyne Dubé, ergonome. Le Syndicat le précise ainsi :
« […]
Pour le poste de travail à la réception, nous aimerions savoir si le poste de travail, tel qu’il existait au moment de l’intervention de l’inspecteur, était un poste de travail susceptible d’affecter la santé ou la sécurité des personnes qui y travaillent (travail position debout).
Dans l’affirmative, quels seraient le ou les moyens les plus appropriés pour rendre ce poste de travail ergonomiquement adéquat? Nous vous serions gré de nous indiquer si le poste de travail en cause, par la nature du travail à y être exécuté, en est un qui peut être réalisé avec un banc.
Nous vous serions gré de nous indiquer, le cas échéant, si l’opinion transmise par l’employeur complète et couvre l’éventail des catégories de personnes (sexe, âges, etc.) susceptibles d’occuper le poste en cause.
[…] »
[15] Madame Dubé a effectué une visite du poste de travail. Elle en fait une description détaillée dans son rapport :
« […]
Description de l’activité de travail
Le travail de commis à la réception consiste principalement en deux activités principales, soit l’accueil du client à son arrivée (check-in) et l’accueil du client à son départ (check - out). De plus, le commis peut être appelé à répondre à des demandes de clients tout au long de leur séjour. Dans tous les cas, l’activité de travail en tant que telle est similaire, à quelques détails près, et peut être décrite de la façon suivante :
· Accueil du client, salutations;
· Échanges verbaux avec le client pour connaître ses besoins;
· Vérifications ou entrées de données à l’ordinateur;
· Échange de documents/effets tels que facture, carte de crédit, etc.;
· Rassemblement de documents/effets à remettre au client tels que la clé et divers dépliants d’information;
· Prise de renseignements auprès du supérieur immédiat (en personne ou par téléphone);
· Encodage de la clé (check-in seulement);
· Transaction financière avec le client (carte de crédit, carte de débit, argent comptant).
D’autre part, bien que la majorité du travail se déroule au comptoir de réception, le commis peut avoir à quitter son poste pendant qu’un client s’y trouve ou lorsqu’il est seul. Ceci se produit notamment pour les raisons suivantes :
· Saisie d’une clé dans le pigeonnier réservé aux clients « Starwood preferred guests »;
· Saisie d’une prime cadeau à l’arrière de la réception (du côté où sont situés les standardistes) afin de la remettre au client;
· Recours au supérieur immédiat pour obtenir une information ou une directive lorsque ce dernier n’est pas joignable par téléphone.
[…] »
[16] Elle a également eu l’occasion d’observer des commis en fonction, ce qui lui a permis de relever certaines caractéristiques de l’activité de travail qui méritent d’être soulignées :
« […]
· La majorité des clients qui se présentent à la réception y demeurent pendant moins de deux minutes;
· Certains commis « réaménagent » leur poste en disposant leurs outils de travail selon leurs préférences personnelles;
· Les commis doivent régulièrement se pencher pour saisir des effets situés sous le comptoir;
· La profondeur du comptoir (1 mètre), engendre des mouvements de grandes amplitudes des épaules et des mouvements de flexion antérieure lors des échanges d’effets entre le commis et le client;
· On observe régulièrement des périodes de plusieurs minutes pendant lesquelles aucun client ne se présente à la réception;
· Le commis demeure à son poste pendant plusieurs minutes, parfois plus de 30, sans avoir à se déplacer pour une des raisons citées ci-dessus;
· Afin de sauver du temps au client et de limiter le temps passé à la réception, les commis effectuent parfois la partie de la transaction impliquant le client en priorité et terminent la transaction une fois ce dernier parti;
· De même, les commis prennent parfois de l’avance dans certaines tâches pour sauver du temps lors de l’arrivée du prochain client. »
[17] Ses observations en ce qui concerne l’utilisation de la chaise et l’aménagement actuel du poste de travail sont également pertinentes :
« […]
· Les commis utilisent présentement les chaises mises à leur disposition, de façon continue ou en alternance avec la position debout;
· En l’absence de clients, les commis ont tendance à s’asseoir confortablement sur la chaise et à appuyer leurs pieds sur le cerceau servant de repose-pieds;
· L’espace disponible pour les genoux, sous le comptoir, est restreint mais les commis y insèrent malgré tous leurs genoux, dans la mesure de l’espace disponible;
· En raison de l’espace restreint sous le bureau, les commis doivent disposer leur chaise loin du comptoir, ce qui les éloigne du client et peut augmenter les mouvements de flexion antérieure du dos et de flexion des épaules lors des échanges d’effets avec les clients;
· Certains commis ont tendance à s’asseoir confortablement sur la chaise et à utiliser le plus possible le dossier alors que d’autres s’assoient sur le bout de la chaise, en ne se servant pas du tout du dossier pendant les échanges avec les clients;
· Le déplacement avant-arrière de la chaise semble un peu difficile sur le tapis actuel;
· Les commis ajustent la hauteur de leur chaise de façon à être à une hauteur compatible avec celle des clients qui sont debout;
· Lorsqu’ils n’utilisent pas leur chaise, les commis la reculent derrière eux et ne semble pas gênés par sa présence. La présence d’une chaise non utilisée ne semble pas gêner les autres commis non plus lorsqu’ils se déplacent;
· Lorsqu’ils utilisent la chaise, les commis peuvent être contraints à se pencher de façon prononcée, en s’agrippant au comptoir afin de saisir des effets situés sous le bureau. »
[18] Lors de son passage chez l’employeur, madame Dubé a aussi eu l’occasion de discuter avec les commis, les représentants syndicaux et le directeur de l’hébergement. Ces discussions lui ont permis de comprendre certains aspects de l’organisation du travail dont elle fait état dans son rapport et qui ne sont pas sans intérêt :
« […]
· Le nombre de commis à la réception varie à chaque jour, en fonction des arrivées et départs prévus dans la journée;
· Il n’y a généralement qu’un seul commis à la réception en fonction pendant le quart de nuit;
· La direction de l’hôtel préconise un système avec un minimum de papier et de transactions afin de limiter le temps que le client devra passer à la réception;
· Afin d’accélérer le service à la clientèle et de réduire au minimum la présence des clients à la réception, chaque poste est muni de tous les outils de travail nécessaires à une transaction (ordinateur, machine à encoder les clés, imprimantes, etc.);
· Il y a toujours un commis à la réception attenant au pigeonnier réservé aux « Starwood Preferred Guests »;
· Les comptoirs situés du côté « est » sont plus utilisés par les commis parce que la majorité de la clientèle arrive également de ce côté;
· On retrouve rarement plus de quatre ou cinq commis en fonction pendant le même quart de travail. »
[19] L’essentiel de la position de madame Dubé est résumé dans les paragraphes suivants :
« DISCUSSION
La revue de la littérature effectuée par monsieur Montpetit, de même que les autres articles consultés sur le sujet confirment les inconvénients et les dangers du travail en position debout prolongée pour la santé, de même que l’importance de se déplacer ou de changer de position fréquemment et ce, tant en position debout qu’assise. Il semble donc qu’à ce sujet, tous les intervenants soient d’accord.
En revanche, à l’inverse de Monsieur Montpetit, nous n’accordons pas autant d’importance aux résultats de la seule étude, celle de Chester (2002), qui conclut que l’utilisation d’un banc assis-debout entraîne plus d’enflure des membres inférieurs que lors du travail assis ou debout. En effet, tel que nous le mentionnons à la section 4.1.3 de ce rapport, l’étude de Chester a été effectuée dans des conditions qui sont loin de la réalité de l’activité de travail observée en situation réelle. Rappelons que les contractions musculaires améliorent la circulation sanguine. Or, dans l’étude de Chester, ces contractions étaient limitées par les contraintes établies dans la méthodologie de l’étude. Dans une situation réelle de travail, telle que nous l’avons noté lors de nos périodes d’observation, on peut affirmer que l’utilisation d’un siège assis-debout s’effectuerait avec des mouvements plus prononcés des membres inférieurs que ceux de l’étude de Chester.
De plus, nos observations ont mis en évidence que les commis à l’accueil ont l’opportunité, voire parfois l’obligation de se déplacer pour aller saisir une clé dans le pigeonnier, chercher une prime cadeau ou parler au superviseur. Ainsi, ils ont la possibilité de bouger et de marcher, ce qui engendre des variations de positions et de la marche. Bien que ces déplacements ne soient pas fréquents, ceux-ci combinés aux périodes où le commis peut choisir, de son propre chef, de travailler debout, nous apparaissent suffisants pour en tirer des effets significatifs.
D’ailleurs, comme tous les auteurs, incluant Monsieur Montpetit, convergent vers une recommandation qui va dans le sens de fréquents changements de position, quelle que soit la posture principale de travail, on doit conclure que l’utilisation d’une chaise ou d’un banc assis-debout est toute indiquée afin de permettre l’alternance entre les positions, sans interrompre l’activité de travail. (…)
(…) Il nous apparaît clair que les postures assises ou assis-debout doivent être privilégiées dans le cadre du travail à la réception étant donné qu’elles permettent des changements de posture, selon les besoins des travailleurs, liberté que n’offre malheureusement pas l’avenue proposée par Monsieur Montpetit qui préconise une période assise de 5 minutes après un travail de 25 minutes en position debout. Bien que cette avenue soit convenable sur le plan ergonomique, on peut se questionner sur la pertinence et le réalisme de l’appliquer dans le contexte de travail du Sheraton. (…)
(…) Si les commis à la réception doivent plutôt se retirer à l’arrière pour s’asseoir afin de ne pas être visibles par la clientèle, comment pourront-ils respecter cette consigne lorsque de longues files d’attente surviendront et que leur souci de bien servir la clientèle prendra le dessus, ou qu’un superviseur insistera pour que la file d’attente soit réduite le plus rapidement possible? Par ailleurs, il est important de mettre en évidence qu’un principe fondamental en ergonomie est l’adaptation du travail au travailleur et non le contraire. Ainsi, en imposant une telle répartition des postures de travail (25 minutes debout pour 5 minutes assis), on place les travailleurs dans une situation où ils doivent s’adapter à une contrainte plutôt que de conserver leur liberté de choix de s’asseoir ou de se lever au moment où ils en ressentent le besoin. L’être humain ne choisit pas à quel moment il ressent le besoin de se dégourdir les jambes en se levant ou de reposer sa région lombaire en s’assoyant. Conséquemment, la suggestion de Monsieur Montpetit, bien que préférable au maintien du statu quo (travail continu en position debout), est loin d’être la solution optimale dans les circonstances.
Par ailleurs, il est clair qu’aucune règle formelle de bienséance n’existe pour justifier le travail en position debout lors de l’accueil des clients et que cela relève davantage d’un jugement subjectif du milieu hôtelier qui estime que le service à la clientèle est mieux assuré par des travailleurs debout et que l’image de l’hôtel s’en trouve rehaussée. Or, on peut également se questionner quant aux impacts sur l’image de l’entreprise que pourraient avoir les commis quand, aux termes d’une longue journée de travail en position debout, ils doivent s’appuyer au comptoir ou transférer régulièrement leur poids d’une jambe à l’autre pour se soulager de la douleur et de la fatigue, ou même qu’ils ont du mal à sourire.
Bref, le travail en position assise ou assis-debout, en alternance avec la position debout et à la marche nous apparaît nettement souhaitable du point de vue ergonomique afin d’assurer la santé et la sécurité des commis à la réception. »
(nos soulignements)
[20] Enfin, aux questions posées par le Syndicat, madame Dubé répond :
« 6.1 Est-ce que le travail en position debout, tel qu’il l’était au moment de l’inspection, est susceptible d’affecter la santé?
Les études scientifiques démontrent clairement que le travail en position debout peut entraîner divers effets négatifs sur la santé. Nous partageons donc l’avis de notre collègue, Monsieur Montpetit, à ce sujet à l’effet que le travail en position debout peut entraîner divers malaises, notamment de l’inconfort, de la fatigue, une plus grande consommation d’énergie, une diminution de la circulation sanguine et de l’enflure aux membres inférieurs. De même, nous partageons son opinion à l’effet que l’alternance avec la position assise est souhaitable du point de vue ergonomique.
6.2 Quels sont les moyens de rendre le poste plus ergonomique?
Tout d’abord, en offrant la possibilité aux travailleurs de varier leur position de travail, tout en continuant à travailler, c'est-à-dire en leur offrant un siège (chaise à cylindre haut ou banc assis-debout) qu’ils pourront utiliser à leur convenance et selon les exigences ponctuelles de l’activités de travail en cours.
Toutefois, un réaménagement mineur du poste de réception et des outils de travail doit être entrepris afin d’assurer une meilleure adéquation entre le travailleur et son poste et ainsi éviter l’apparition de nouveaux problèmes. En effet, l’aménagement actuel n’est pas optimal dans un contexte de travail avec une chaise ou un banc assis-debout puisqu’il n’a pas été conçu en ce sens. Ainsi les divers outils de travail ne sont pas tous situés à l’intérieur des zones d’atteinte normales et l’espace pour les membres inférieurs est limité. Ceci réduit donc les bénéfices pouvant être retirés de l’utilisation de la chaise. Soulignons néanmoins que malgré le fait que l’aménagement actuel n’est pas optimal, les travailleurs que nous avons observés utilisaient tous la chaise au moment de nos observations.
Par conséquent, nous suggérons que les outils de travail soient disposés différemment pour réduire les mouvements du dos et des épaules, notamment pour aller chercher des documents situés sous le comptoir. De même, le retrait des tablettes de la section centrale où l’on retrouve l’ordinateur devrait être suffisant pour créer un espace adéquat pour les membres inférieurs. Soulignons toutefois qu’une étude plus approfondie de l’activité de travail nous apparaît essentielle avant d’émettre des recommandations précises sur l’aménagement final et optimal du poste et sur la disposition des outils de travail. (…)
Par ailleurs, compte tenu de l’activité de travail observée, l’utilisation d’une chaise telle que celle qui est utilisée actuellement nous apparaît préférable à un banc assis-debout. En effet, le banc assis-debout est un compromis très utile lorsque l’espace pour les membres inférieurs est restreint et/ou que les travailleurs doivent se lever fréquemment et/ou qu’ils ont à se déplacer latéralement, comme le font les caissières de supermarché. Ceci n’est toutefois pas le cas chez les commis à la réception qui effectuent leur travail dans une zone plutôt restreinte (et d’autant plus si le poste en venait à être réaménagé) et qui peuvent passer parfois plus de 30 minutes sans avoir à se lever ou à marcher. Ainsi, dans ce contexte, et dans l’éventualité où les tablettes pourraient être retirées, afin de créer un espace pour les genoux, l’utilisation de la chaise est sans contredit la meilleure option.
6.3 Est-ce que la nature du travail permet le travail en position assise?
La nature de l’activité de travail de commis à la réception nous apparaît tout à fait compatible avec le travail en position assise, conformément à l’article 170 du Règlement sur la santé et sécurité du travail. Ainsi, à notre avis, comme le prévoit l’article, des chaises ou des bancs peuvent être mis à la disposition des travailleurs puisque la nature de leur travail le permet.
En effet, nos observations nous ont permis de constater que le travail à la réception de l’hôtel Sheraton est effectué en majeure partie à l’arrière du comptoir et comporte uniquement des déplacements occasionnels. De plus, en raison de la politique de l’hôtel qui prévoit un usage minimum de papier, de même qu’une présence la plus courte possible du client à la réception, tous les outils de travail sont déjà situés à proximité, permettant ainsi au commis de demeurer à son poste le plus souvent et longtemps possible.
Soulignons par ailleurs que les règles de bienséances évoquées pour justifier l’absence de chaise ne sont pas fondées sur quelque règle formelle que ce soit. De surcroît, on peut trouver d’autres règles de bienséance tout aussi discutables pour supporter le choix d’une chaise, comme par exemple le balancement d’un pied à l’autre lorsqu’on est fatigué et qui pourrait être vécu par les clients comme un manque de savoir-vivre.
6.4 Couvre-t-on tout l’éventail de personnes dans l’étude de Monsieur Montpetit?
Mises à part certaines études spécifiques sur le travail debout par les femmes enceintes, la revue de littérature de Monsieur Montpetit nous semble couvrir un échantillonnage de population représentatif de la population de travailleurs que l’on retrouve dans le poste de commis à la réception. »
[21] Lors de l’audience, le tribunal a l’occasion d’entendre les témoignages de monsieur Montpetit et de madame Dubé et de visionner une vidéocassette montrant le poste de travail, laquelle a été réalisée par madame Dubé lors de sa visite des lieux.
[22] Monsieur Montpetit déclare qu’il a lui aussi fait une visite du poste de travail en septembre 2003 mais il n’en a pas fait mention dans son rapport. Son observation a duré environ une heure. Il explique que son mandat consistait à faire une revue de la littérature scientifique récente et que ses conclusions se basent sur cette littérature. Il n’a donc pas jugé utile de faire état de sa visite du poste de travail dans son rapport mais il tient à ce que le tribunal sache qu’il connaît bien les lieux. Il y est même retourné à deux reprises en septembre 2004. Monsieur Montpetit dépose la littérature[2] sur laquelle s’appuient ses conclusions. Il dépose également des photographies montrant le poste de travail avec les chaises qui ont été ajoutées à la suite de la décision rendue en révision administrative. Monsieur Montpetit réitère que le poste n’est pas conçu pour une position assise. Il mentionne qu’il n’y a pas de dégagement pour les genoux et que les travailleurs doivent exécuter de nombreuses et importantes flexions antérieures du tronc lors des échanges de mains à mains avec les clients ainsi que de nombreux mouvements de torsion à droite ou à gauche pour accéder aux objets rangés sous le comptoir, ce qui est plus dommageable selon lui que la solution qu’il préconise.
[23] Monsieur Montpetit formule certains commentaires en ce qui concerne la description de l’activité de travail que l’on retrouve dans le rapport de madame Dubé :
- La position statique est très rare. Il ne s’agit pas d’un poste debout stationnaire.
- Certains commis n’utilisent pas la chaise actuellement mise à leur disposition.
- L’utilisation de la chaise entraîne un risque supplémentaire pour le dos compte tenu des nombreux mouvements de flexion et de torsion requis.
- La présence de chaises dans un espace relativement restreint est incommodante pour ceux qui ne l’utilisent pas et nuit à la mobilité du personnel.
[24] Sous réserve de ces commentaires, monsieur Montpetit se dit en accord avec la description faite par madame Dubé, dans son rapport, en ce qui concerne l’activité de travail.
[25] Monsieur Montpetit se dit également d’accord avec plusieurs autres points du rapport de madame Dubé, notamment sur la nécessité de varier la posture et le fait que l’utilisation d’un banc assis-debout ne soit pas la solution idéale dans le contexte.
[26] Il y a cependant certaines divergences que monsieur Montpetit tient à souligner. Ces divergences sont à propos du « danger » que représenterait la station debout, des modifications dites « mineures » qui seraient requises advenant l’installation de chaises en permanence et des facteurs de risque que comporte la situation actuelle. Selon monsieur Montpetit, la station debout ne représente pas un « danger » pour la santé comme le laisse entendre madame Dubé. Elle engendre de la fatigue et un certain inconfort, ce qui est différent. Il souligne que la littérature parle d’un facteur de risque uniquement lorsqu’il s’agit d’une position statique prolongée (au-delà de 8 heures), ce qui n’est pas le cas des commis à l’accueil qui vont et viennent, effectuant de nombreux déplacements dans une journée. Si des chaises étaient installées en permanence, il estime que les modifications requises seraient majeures. Il n’est pas d’accord avec les modifications suggérées par madame Dubé. À son avis, il faudrait réaménager complètement le poste de travail car il n’a pas été conçu pour un travail en position assise. Le maintien de la situation actuelle (ajout de chaises sans réaménagement) ne lui apparaît pas souhaitable à cause des risques élevés de blessure qu’elle comporte, notamment pour le dos.
[27] La solution qu’il préconise, soit une pause de 5 minutes à toutes les 25 minutes durant laquelle les travailleurs pourraient se livrer à des tâches cléricales, lui apparaît être la meilleure solution dans le contexte, celle qui favorise le mieux le principe de l’alternance. Il considère que cette solution est parfaitement réaliste et réalisable. Il ne s’agit que d’organiser le travail en conséquence. De plus, fait-il remarquer, cette solution respecte une règle tacite dans le domaine de l’hôtellerie voulant que l’on accueille les clients en position debout.
[28] Madame Dubé mentionne qu’elle est allée sur les lieux à deux reprises, à quelques jours d’intervalle, en février 2004. Ses visites ont été effectuées en avant-midi et ont duré environ une heure et demie à chaque fois. Elle a observé, tout comme monsieur Montpetit, que certains travailleurs utilisaient la chaise et d’autres pas (dans son rapport, elle avait plutôt donné l’impression que tous les travailleurs utilisaient la chaise). Elle considère que la nature du travail est tout à fait compatible avec l’utilisation d’une chaise et que, même en position debout, l’aménagement n’était pas optimal sur le plan ergonomique. À cause de la disposition des différents éléments, elle mentionne que les mouvements de flexion antérieure, de flexion latérale et de torsion du tronc étaient aussi fréquents lorsque le travail s’effectuait en position debout. Elle explique que l’ajout d’une chaise au poste de travail permet beaucoup plus de latitude qu’une pause à toutes les 25 minutes, les travailleurs pouvant varier leur posture selon leur besoin et réduire ainsi fatigue et inconfort. Elle ne croit pas que cette mesure nécessitera des modifications majeures du poste de travail, faisant remarquer que le but de l’intervention n’est pas d’éliminer toutes les contraintes qui étaient, de toute façon, présentes et tolérées avant l’ajout de la chaise. Il suffit seulement, selon elle, de rapprocher certains éléments. Cette mesure lui apparaît beaucoup plus efficace et fonctionnelle que celle préconisée par monsieur Montpetit même si elle reconnaît que cette dernière solution est également acceptable sur le plan ergonomique.
L’AVIS DES MEMBRES
[29] Conformément à l’article 429.50 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (LATMP), la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs.
[30] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la contestation de l’employeur doit être rejetée. Il considère que la nature du travail permet l’ajout de chaises et que selon l’article 170 du Règlement applicable en l’espèce, si la nature du travail le permet, les chaises doivent être « mises à la disposition des travailleurs », ce qui implique qu’elles y soient en tout temps de façon à ce que les travailleurs puissent les utiliser à leur convenance et non pas y avoir accès seulement à un moment précis et déterminé par l’employeur. Ces chaises doivent, selon ce membre, être installées au poste de travail même.
[31] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la contestation de l’employeur doit être accueillie. Il considère que la solution préconisée par l’employeur, laquelle a été reconnue comme étant acceptable sur le plan ergonomique par les deux ergonomes au dossier, satisfait aux exigences de l’article 170 du Règlement.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la solution préconisée par l’employeur est conforme à ce que requiert l’article 170 du Règlement.
[33] La Commission des lésions professionnelles n’entend pas se prononcer sur l’applicabilité, en l’espèce, de l’article 170 du Règlement car bien que l’employeur ait soulevé cette question lors de son argumentation, faisant valoir que l’existence d’un danger pour la santé et la sécurité des travailleurs n’avait pas été démontrée, il est clair qu’il a renoncé à faire valoir ce moyen et que sa contestation n’a d’autre but que de faire reconnaître la solution qu’il préconise comme étant conforme à l’article 170 du Règlement. L’employeur veut que l’avis de l’inspectrice de la CSST, en date du 13 mars 2003, soit confirmé. Il ne remet pas en cause son intervention. Ce passage de son argumentation écrite et ses conclusions ne laissent aucun doute à ce sujet :
« [...]
L’on pourrait donc, à la lumière de la preuve ergonomique au dossier, questionner l’intervention même de l’inspecteur dans ce dossier à la lumière des enseignements de la CALP et de la CLP. L’on pourrait plaider que l’employeur n’a pas à fournir de bancs.
Solution de l’employeur
· Mais ce n’est pas ce que l’employeur fait. L’employeur, conscient que le meilleur compromis réside dans l’alternance entre la position assise et la position debout, offre une méthode de travail permettant de rencontrer les impératifs ergonomiques sur lesquels s’entendent les deux experts au dossier.
· L’employeur propose en effet que les employés disposent de bancs derrière la réception, hors de la vue des clients, où ils pourront se livrer à des tâches cléricales pour des périodes de 5 minutes par demi-heure ou de 10 minutes par heure.
[…] »
POUR TOUS CES MOTIFS VEUILLEZ
[…]
ACCUEILLIR l’appel de l’employeur;
CASSER la décision de la DRA du 30 mai 2003
CONFIRMER l’avis de l’inspecteur de la CSST du 13 mars 2003
Et DÉCLARER que la méthode proposée par l’employeur est conforme à l’article 170 du règlement. »
[34] Dans ce contexte, toute discussion sur l’applicabilité de l’article 170 du Règlement serait purement académique.
[35] L’article 170 du Règlement se lit ainsi :
170. Chaises et bancs : Des chaises ou des bancs doivent être mis à la disposition des travailleurs lorsque la nature de leur travail le permet.
__________
D. 885-2001, a. 170
[36] C’est sur la base de cette disposition que l’inspectrice de la CSST a émis l’avis de correction numéro 11 qui est au cœur du présent litige.
[37] Pour se conformer à l’article 170 du Règlement, la preuve révèle que l’employeur a proposé de placer des chaises ou bancs derrière la réception, hors de la vue des clients, où les travailleurs pourraient se livrer à des tâches cléricales pour des périodes de 5 minutes par demi-heure ou de 10 minutes par heure. C’est la solution que recommandait l’ergonome Montpetit en se basant sur la littérature scientifique récente en matière d’ergonomie. Selon cette littérature, la position assise prolongée et la position debout prolongée ne sont pas souhaitables à plusieurs égards : inconfort, enflure des membres inférieurs, impact sur la colonne vertébrale, etc. Le meilleur compromis réside dans l’alternance de ces deux positions et il s’avère, selon les connaissances actuelles en ergonomie, que des pauses courtes et fréquentes sont préférables à des pauses plus longues et moins fréquentes pour augmenter le confort musculaire.
[38] L’ergonome Dubé est tout à fait d’accord avec l’ergonome Montpetit en ce qui concerne la nécessité d’alterner les positions. Les divergences entre les deux ergonomes se situent au niveau des moyens à mettre en œuvre pour rendre le poste plus ergonomique. Madame Dubé est plutôt en faveur de l’utilisation d’une chaise installée en permanence au poste de travail, comme c’est le cas actuellement, en raison de la flexibilité que cela permet. Toutefois, si madame Dubé se questionne sur la pertinence et le réalisme d’appliquer la solution proposée par monsieur Montpetit dans le contexte de travail de l’employeur, elle reconnaît que cette solution est tout à fait convenable sur le plan ergonomique. Cela étant, peut-on considérer que la solution préconisée par monsieur Montpetit et proposée par l’employeur est conforme à ce que requiert l’article 170 du Règlement?
[39] Le Syndicat et la CSST font une interprétation littérale de cette disposition et répondent négativement à cette question. Pour eux, si la nature du travail le permet, l’employeur a l’obligation de mettre des chaises ou des bancs à la disposition des travailleurs et ces chaises ou bancs doivent être installés au poste de travail afin d’être accessibles en tout temps et de permettre aux travailleurs de les utiliser selon leurs besoins. Le tribunal n’est pas d’accord avec cette interprétation.
[40] L’article 170 du Règlement prévoit que, dans la mesure où la nature du travail le permet, l’employeur doit mettre des chaises ou des bancs à la disposition des travailleurs. Il ne précise pas où doivent être installés ces chaises ou bancs ni ne mentionne qu’ils doivent être accessibles en permanence. Une telle interprétation a pour effet d’ajouter au texte de l’article 170 et va au-delà du but visé par le Règlement. Même si la nature du travail le permet et que l’employeur doit mettre des chaises ou bancs à la disposition des travailleurs, il conserve son droit de gérance et peut décider de la façon dont il s’acquittera de cette obligation en tenant compte de l’ensemble des conditions dans lesquelles le travail s’exécute.
[41] Il faut également mentionner que la situation actuelle, avec l’ajout de chaises à la réception, n’est pas souhaitable et ne peut être envisagée à long terme sans un réaménagement du poste de travail. Si les deux ergonomes ne s’entendent pas sur l’ampleur de ce réaménagement, ils s’entendent sur sa nécessité car le poste n’a pas été conçu pour un travail en position assise. Le maintien de la situation actuelle causerait plus de problèmes qu’il n’en règlerait en raison, notamment, de l’augmentation des mouvements de flexion antérieure, de flexion latérale et de torsion du tronc. L’article 170 du Règlement oblige l’employeur à mettre des chaises ou des bancs à la disposition des travailleurs lorsque la nature du travail le permet. Il n’oblige pas l’employeur à réaménager le poste de travail pour pouvoir y disposer des chaises ou des bancs. C’est pourtant là où nous conduit une interprétation littérale de l’article 170 du Règlement, voulant que des chaises ou bancs soient disposés au poste de travail même sans tenir compte du contexte et des conditions particulières dans lequel le travail s’exécute.
[42] La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) et la Commission des lésions professionnelles ont déjà eu à se prononcer dans des situations où les syndicats réclamaient des solutions différentes de celles proposées par l’employeur en regard de l’application d’un règlement destiné à assurer la protection de la santé, de la sécurité et de l’intégrité physique des travailleurs. Dans plusieurs cas, la solution préconisée par l’employeur a été retenue parce qu’elle s’avérait adéquate pour atteindre l’objectif visé par la réglementation[4].
[43] Même s’il ne s’agit pas de l’application de la même disposition réglementaire dans le cas qui nous occupe, la situation n’est pas tellement différente. L’employeur a proposé de mettre des chaises ou bancs à la disposition des travailleurs oeuvrant à l’accueil mais derrière la réception, hors de la vue des clients, où ils pourront se livrer à des tâches cléricales pour des périodes de 5 minutes par demi‑heure ou de 10 minutes par heure. Il s’agit d’une solution qui permet de varier la posture en alternant la position assise et la position debout et qui rencontre les impératifs ergonomiques sur lesquels s’entendent les deux ergonomes. Cette solution est de nature à assurer de façon adéquate le maintien de la santé et de la sécurité des travailleurs tout en permettant le respect de cette règle élémentaire de bienséance, selon laquelle toute personne se lève pour accueillir un visiteur et qui a cours dans les établissements hôteliers où le poste à l’accueil est généralement un poste debout et même si une telle règle n’existait pas, comme le prétend l’ergonome Dubé, cela ne changerait rien aux conclusions que tire le tribunal de la preuve qui lui a été soumise quant à la conformité de la solution proposée avec l’article 170 du Règlement. La solution proposée a également l’avantage d’éviter un réaménagement du poste de travail. Quant au caractère fonctionnel de la solution proposée, soulevé par madame Dubé, il n’appartient pas au tribunal d’en décider. C’est à l’employeur, en vertu de sont droit de gérance, qu’il appartient d’apprécier si l’organisation du travail qu’il préconise respecte ses objectifs de qualité et d’efficacité en ce qui concerne le service à la clientèle.
[44] Le tribunal considère que la solution proposée par l’employeur respecte les exigences de l’article 170 du Règlement et que l’inspectrice de la CSST a eu raison de considérer, dans son rapport d’intervention du 13 mars 2003, que la dérogation numéro 11 avait été corrigée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de l’employeur, Le Centre Sheraton de Montréal;
INFIRME la décision rendue le 30 mai 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que la solution proposée par Le Centre Sheraton de Montréal, en ce qui concerne les chaises ou bancs qui doivent être mis à la disposition des travailleurs oeuvrant à l’accueil, est conforme à ce que requiert l’article 170 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail.
|
|
|
Me Mireille Zigby |
|
Commissaire |
|
|
|
|
Me François Côté |
|
OGILVY RENAULT |
|
Procureur de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Yvan Malo |
|
C.S.N. (Service juridique) |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
Me Micheline Plasse |
|
PANNETON LESSARD |
|
Procureure de la partie intervenante |
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR L’EMPLOYEUR
Provigo Distribution inc. et Girard, C.A.L.P. 17818-09-9003, 26 février 1991, J.-G. Roy
Demo Pop et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 79635‑60 9605, 7 mai 1998, J.-D. Kushner
Demo Pop et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 79635‑71‑9605-R, 31 mars 1999, L. Couture
Société des alcools du Québec et Syndicat des employés de la S.A.Q., C.A.L.P. 19019‑07-9005, 3 avril 1992, S. Moreau
Société des alcools du Québec et Syndicat des employés de la S.A.Q., C.A.L.P. 19019‑07-9005, 22 mars 1993, S. Moreau
Syndicat des employés du C.H.R.G. (C.S.N.) et Centre hospitalier Robert-Giffard, [1989], C.A.L.P. 661
Société de l’assurance automobile du Québec et Provencher, C.L.P. 89545-60E-9706, 4 novembre 1998, E. Harvey
C.S.N. et CHUM (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 151521-71-0012, 2 juin 2004, A. Vaillancourt
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE SYNDICAT ET/OU LA CSST
Provigo Distribution inc.et Girard, [1991] C.A.L.P. 539
Commission de la santé et de la sécurité du travail et Demo Pop, J.C.Q. Montréal 500‑63-003807-994, 11 février 2000, j. Ménard
Sears Canada inc. et Sears (Affichage), C.L.P. 176571-71-0201, 26 novembre 2002, R. Langlois
Demo Pop et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 79635‑71‑9605-R, 31 mars 1999, L. Couture
Demo Pop et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 79635‑60‑9605, 7 mai 1998, J-D. Kushner
Supermétal-Mojan inc. et F.T.Q., Local 7910, C.L.P. 122382-02-9908, 17 septembre 1999, A. Vaillancourt
Commission de la santé et de la sécurité du travail et Demo Pop, J.C.Q. Montréal 500‑63‑003808-992, 11 février 2000, j. Ménard
Commission de la santé et de la sécurité du travail et Demo Pop, J.C.Q. Montréal 500‑63‑3806-996, 14 février 2000, j. Ménard
[1] Règlement sur la santé et la sécurité
du travail, (2001)
[2] Christiane GAMBIN, « Chronique ergonomie : les hauts et les bas des positions assise et debout », (1994) 17 Objectif Prévention p. 40-41; Roberta CARSON, « Stand by Your Job », (1994) 63 Occupational Health & Safety p. 38-42; K. MESSING et A. KILBOM, « Standing and Very Slow Walking : Foot Pain-Pressure Threshold, Subjective Pain Experience and Work Activity », (2001) 32 Applied Ergonomics p. 81-90; John McCulloch, « Health Risks Associated with Prolonged Standing », (2002) 19 Work, p. 201; R. JOLY, P. BRUNETEAU, C. EXPERT, C. HESS et A. KNAB, « "L'homo informaticus erectus" existe, nous l'avons rencontré (ou "le travail sur écran en position debout" », (1993) no. 1 Cahiers de médecine interprofessionnelle p. 15-21; N. VÉZINA et A. LAJOIE, « Le siège assis-debout : une solution de rechange à la posture debout statique », (1996) 19 Objectif Prévention p. 38-41; M. R. CHESTER, M. J. RYS et S. A. KONZ, « Leg Swelling, Comfort and Fatigue when Sitting, Standing, and Sit/Standing », (2002) 29 International Journal of Industrial Ergonomics p. 289-296; P. MADELEINE, M. VOIGT et L. ARENDT-NIELSEN, « Subjective, Physiological and Biomechanical Responses to Prolonged Manual Work Performed Standing on Hard and Soft Surfaces », (1998) 77 European Journal of Applied Physiology and Occupational Physiology p. 1-9; M. RYS et S. KONZ, « Standing », (1994) 37 Ergonomics p. 676-687; M. C. MIEDEMA, M. DOUWES et J. DUL, « Recommended Maximum Holding Times for Prevention of Discomfort of Static Standing Postures », (1997) 19 International Journal of Industrial Ergonomics p. 9-18; C. THIVIERGE, La posture debout, ça s'organise!, coll. « La filière ergo », [s.l.], CSST, 1997, 2 p.; « La bonne chaise à la bonne place », (1993) no. 6 Promosafe p. 16-21; J. H. VAN DIEEN et H. H. OUDE VRIELINK, « Evaluation of Work-Rest Schedules with Respect to the Effects of Postural Workload in Standing Work », (1998) 41 Ergonomics p. 1832-1844;
[3] L.R.Q., c. A-3.001
[4] Syndicat des employés du C.H.R.G. et Centre hospitalier Robert Gifford, [1989] C.A.L.P. p. 661; Société d’assurance-automobile du Québec et Provencher, [1998] C.L.P. 745 ; CSD et CHUM, [2004] C.L.P. 129
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.