Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit CMQ

Commission municipale du Québec

______________________________

 

 

 

Date :

19 mars 2015

 

 

 

 

 

Dossiers :

CMQ-65090 et CMQ-65091 (28794-15)

 

                                                                                           

 

 

 

Juges administratives :

Sandra Bilodeau

Sylvie Piérard

 

 

 

 

 

 

Personnes visées par l’enquête :

ALAIN DÉPATIE

MAIRE

VILLE DE SAINT-LAMBERT

 

ET

 

JEAN BOUCHARD

CONSEILLER MUNICIPAL

VILLE DE SAINT-LAMBERT

 

 

 

 

 

 

 

 

_____________________________________________________________________

 

 

ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

 

 

 

 


DÉCISION

LES DEMANDES

[1]           La Commission municipale du Québec est saisie de deux demandes d’enquête en éthique et déontologie transmises par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire en vertu de l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1]. La première demande vise Alain Dépatie, maire de la Ville de Saint-Lambert, et la seconde, Jean Bouchard, conseiller municipal de la même ville[2].

[2]           Les deux élus auraient contrevenu au Code d’éthique et de déontologie régissant les élus et les administrateurs de la Ville de Saint-Lambert[3] (le Code).

[3]           Les manquements suivants sont allégués :

a)    En exerçant leur pouvoir de surveillance sur l’administration de manière abusive dans le but de provoquer le départ du directeur général de la Ville, messieurs Dépatie et Bouchard n’auraient pas respecté les dispositions législatives et administratives régissant les mécanismes de prise de décision de la Ville;

 

b)    Le 17 février 2014, en votant contre l’ajout à l’ordre du jour d’une résolution concernant une demande d’enquête devant la Commission, ils auraient favorisé leur intérêt personnel et se seraient placés dans une situation susceptible de mettre en conflit leur intérêt personnel et leurs devoirs et fonctions d’élu municipal.

[4]           Les demandes d’enquête reprochent principalement aux élus visés d’avoir contrevenu aux première et huitième règles du Code.

LA PREUVE

[5]           Aux fins de son enquête, la Commission entend 11 témoins ainsi que messieurs Dépatie et Bouchard.

[6]           La Commission prend également connaissance des documents produits au soutien des demandes et examine les pièces produites au cours de l’audience.

LES FAITS

Le contexte

[7]           À la fin de 2012, alors que Philippe Brunet est maire, la Ville entreprend un processus de recrutement d’un directeur général. Elle donne un mandat à une firme spécialisée en cette matière.

[8]           Le contrat entre la Ville et cette firme prévoit la clause de garantie suivante :

« Garantie sur le candidat

Dans le but de vous satisfaire pleinement, nous nous engageons à poursuivre notre travail sans honoraires supplémentaires (sauf les dépenses) dans le cas où la personne choisie était remerciée au cours des douze premiers mois. Cette garantie est conditionnelle au respect des modalités de paiement et est valide pour le recrutement d’une personne ayant les mêmes responsabilités et les mêmes qualifications[4]. »

[9]           Lors du processus de recrutement, le maire Brunet suggère à Georges Pichet, un directeur de service de la Ville depuis longtemps, de ne pas postuler pour le poste de directeur général.

[10]        Le 10 janvier 2013, au terme du processus, François Vaillancourt, un candidat externe, est embauché. Son contrat de travail prévoit ce qui suit :

« Rémunération au rendement

Une rémunération au rendement peut être versée selon les modalités prévues à la politique de rémunération des employés cadres de la Ville de Saint-Lambert. Cette rémunération peut atteindre 15 % du salaire annuel.

[…]

Congédiement :

La Ville de Saint-Lambert peut mettre fin à votre emploi, sans préavis ni indemnité pour faute grave.

Résiliation :

La Ville de Saint-Lambert peut, en tout temps, résilier le présent contrat moyennant un préavis d’un (1) mois.

Dans un tel cas, vous recevez à titre d’indemnité de départ, une somme équivalente à votre salaire annuel de base convenu pour une durée de six (6) mois. En contrepartie, vous renoncez à tout recours contre la Ville de Saint-Lambert en reconnaissant que telle renonciation est une considération essentielle au paiement de l’indemnité prévue. »

[11]        Bien que l’évaluation de rendement des cadres ait normalement lieu en décembre, le 4 octobre 2013, juste avant les élections municipales, le maire Brunet évalue monsieur Vaillancourt. Comme le directeur général a en 8 mois largement dépassé ses objectifs, une prime de rendement lui est octroyée.

[12]        À cette époque, monsieur Dépatie est conseiller municipal. Toutefois, il est exclu des réunions du comité plénier et du caucus  en raison de différends politiques.

[13]        Il est important de noter que les comités pléniers et les caucus se tiennent à huis clos. Le comité plénier est formé des membres du conseil, du directeur général, du directeur général adjoint et, selon les dossiers à l’étude, d’autres membres du personnel administratif de la Ville. Quant au caucus, il est composé uniquement des membres du conseil.

Le 3 novembre 2013 : élections municipales

[14]        En septembre 2013, la campagne électorale débute; Alain Dépatie se présente à la mairie et Jean Bouchard, conseiller du district 1.

[15]        La campagne électorale est difficile pour monsieur Dépatie. Sa famille lui conseille de retirer sa candidature en raison de propos acerbes à son égard.

[16]        Le 3 novembre 2013, messieurs Dépatie et Bouchard sont élus. À l’exception du maire et de Martin Croteau, tous les conseillers municipaux obtiennent un premier mandat.

 

Le 6 novembre 2013 : première rencontre de travail

[17]        Le 6 novembre 2013, une première rencontre de travail a lieu entre messieurs Dépatie et Vaillancourt. L’atmosphère est très cordiale.

[18]        À la fin de la rencontre, monsieur Vaillancourt expose au maire le déroulement de la cérémonie d’assermentation des nouveaux membres du conseil, prévue le 8 novembre 2013, en soirée. Il explique que traditionnellement, lors de cette cérémonie, les conseillers sortants assistent à la première heure de la soirée pour un vin d’honneur.

[19]        Monsieur Dépatie se lève brusquement et avise le directeur général que dans ces circonstances, il est hors de question qu’il s’y présente.

[20]        Il est offusqué de ne pas avoir été consulté pour l’organisation de la cérémonie et s’oppose à la présence d’anciens élus, surtout après avoir vécu une campagne électorale aussi difficile. Selon lui, il n’existe aucune tradition à la Ville à cet effet.

[21]        Comme les conseillers sortants avaient déjà été invités à la cérémonie par monsieur Vaillancourt, ce dernier annule l’invitation.

Le 8 novembre 2013 : assermentation des nouveaux élus municipaux

[22]        Dans la matinée du 8 novembre 2013, le conseiller Jean Bouchard tente de communiquer avec monsieur Dépatie, mais sa conjointe l’informe qu’il est hospitalisé. Monsieur Bouchard lui rend visite à l’hôpital ; le maire l’avise qu’il ne pourra être présent à la cérémonie d’assermentation, mais ne donne pas d’instructions particulières à monsieur Bouchard sur les motifs à déclarer publiquement pour expliquer son absence.

[23]        Vers midi, l’adjointe de monsieur Vaillancourt reçoit un appel téléphonique de monsieur Dépatie qui l’informe de la situation.

[24]        Le directeur général avise le greffier; ce dernier propose de proclamer le maire élu, mais de l’assermenter ultérieurement.

[25]        En soirée, juste avant la cérémonie officielle, monsieur Vaillancourt convoque en privé les nouveaux élus et les informe de l’absence de monsieur Dépatie, pour des raisons personnelles. Il demeure discret sur les motifs d’absence du maire, par respect pour ce dernier.

 

 

[26]        Monsieur Bouchard craint que la situation ne cause préjudice au maire; il demande au directeur général d’indiquer aux membres du conseil, les motifs d’absence. Le directeur général y consent, sans toutefois élaborer sur les raisons médicales.

[27]        Lors de la cérémonie officielle, monsieur Vaillancourt et le greffier mentionnent que le maire est absent pour des raisons personnelles, qu’il est proclamé élu et sera assermenté dès que possible; monsieur Vaillancourt précise que monsieur Brunet demeure maire jusqu’à l’assermentation de monsieur Dépatie.

Le 9 novembre 2013 : cours aux nouveaux élus

[28]        Le 9 novembre 2013, les membres du nouveau conseil reçoivent une formation donnée par monsieur Vaillancourt. Les directeurs de service sont présents.

[29]        Monsieur Vaillancourt dit à monsieur Bouchard qu’il a senti un inconfort de sa part la veille, lors de la cérémonie d’assermentation, à propos du motif d’absence de monsieur Dépatie. Après quelques explications, les deux hommes se serrent la main.

[30]        Monsieur Dépatie obtient son congé de l’hôpital le matin du 9 novembre. Il apprend que lors de la cérémonie d’assermentation, monsieur Vaillancourt a expliqué publiquement que monsieur Brunet demeurait en poste jusqu’à l’assermentation du nouveau maire.

[31]        Il se rend à l’hôtel de ville et entre dans la salle où la formation est donnée en disant au greffier : « On a dit que j’étais à l’article de la mort et que Brunet est encore maire! Tu vas m’assermenter tout de suite! » Ces paroles rendent monsieur Vaillancourt inconfortable.

[32]        Comme tous les documents sont prêts, le greffier assermente monsieur Dépatie sur le champ et la formation des élus se poursuit.

[33]        À la fin de la rencontre, le maire Dépatie réunit les membres du nouveau conseil en caucus. Il émet alors des réserves à l’endroit de monsieur Vaillancourt et indique qu’il n’est pas l’homme de la situation. Il reproche également au directeur général d’avoir invité les anciens élus municipaux lors de la cérémonie d’assermentation et d’avoir mal géré son absence pour maladie.

 

[34]        Monsieur Dépatie déplore que Georges Pichet, un employé de longue date, n’ait pas eu la chance de postuler lors du processus d’embauche du directeur général. Il associe François Vaillancourt à l’ancienne administration municipale et affirme qu’il ne se sent pas bien accueilli à l’hôtel de ville.

Le 11 novembre 2013 : demande de documents

[35]        Le 11 novembre 2013, monsieur Dépatie se rend au bureau du greffier et ferme les portes du bureau pour que la rencontre demeure privée. Il lui demande le contrat de travail du directeur général ainsi que l’offre de services de la firme de recrutement.

[36]        La directrice du Service des ressources humaines détient ces documents et les transmet au greffier le 14 novembre 2013. Par loyauté envers monsieur Vaillancourt, son patron, elle l’informe de la demande de monsieur Dépatie.

[37]        Monsieur Vaillancourt n’est pas rassuré que cette demande ait été faite à son insu. Il rencontre monsieur Dépatie pour lui expliquer qu’il est un employé permanent, qu’il adore travailler à la Ville et s’y voit au moins dix ans.

Le 23 novembre 2013 : caucus à la suite de l’étude du budget

[38]        Le 23 novembre 2013, après une journée de travail sur le budget 2014, les membres du conseil se réunissent en caucus. Monsieur Dépatie explique que le contrat de travail entre la Ville et monsieur Vaillancourt prévoit une clause de résiliation au bénéfice de la Ville, moyennant un préavis d’un mois.

[39]        Il ajoute que le contrat entre la Ville et la firme de recrutement contient une clause de garantie en vertu de laquelle, dans l’éventualité où le directeur général recruté ne remplirait pas adéquatement ses fonctions, la Ville peut, dans l’année de sa nomination, reprendre sans frais le processus de sélection. Cette clause vient à échéance en février 2014.

[40]        Monsieur Dépatie réitère que monsieur Vaillancourt n’est pas l’homme de la situation et qu’il n’aime pas son style de gestion.

[41]        Le conseiller Croteau demande au maire qu’un dossier étoffé soit préparé au soutien de ses prétentions.

[42]        Un peu plus tard ce même jour, monsieur Vaillancourt reçoit un appel de monsieur Smith, un conseiller municipal, qui l’informe des propos tenus par le maire en caucus. Il lui mentionne que des démarches sont entreprises pour mettre fin à son contrat de travail.

 

[43]        Monsieur Vaillancourt n’en dort pas de la nuit.

Le 25 novembre 2013 : caucus

[44]        Le 25 novembre 2013, lors d’un caucus, monsieur Dépatie exprime à nouveau des réserves relativement au directeur général, devant les membres du conseil.

Le 2 décembre 2013 : rencontre entre messieurs Dépatie, Vaillancourt et Bouchard

[45]        Le dimanche 1er décembre 2013, monsieur Dépatie confie à sa conjointe qu’il trouve la situation difficile à l’hôtel de ville et qu’il regrette d’avoir été élu. Il est d’avis que l’aura de l’ancien maire Brunet plane encore à l’hôtel de ville. Après avoir vécu trois années difficiles comme conseiller municipal, il souhaite à titre de maire, effectuer certains changements.

[46]        Sa conjointe lui suggère de discuter de la situation avec monsieur Vaillancourt.

[47]        Monsieur Dépatie, qui ne connaît pas l’état d’esprit de monsieur Vaillancourt, décide de convoquer ce dernier à une réunion le lendemain matin. Il lui envoie un courriel laconique indiquant : « Réunion dans mon bureau 9 h 30 demain matin. »

[48]        Le directeur général en recevant ce courriel s’inquiète et craint que cette convocation ait pour but de mettre fin à son contrat d’emploi.

[49]        Quelques minutes plus tard, monsieur Dépatie transmet un second courriel à monsieur Bouchard : « Peux-tu être à mon bureau demain matin. Rencontre Vaillancourt. »

[50]        Le matin du 2 décembre, monsieur Vaillancourt est surpris de la présence de monsieur Bouchard. Monsieur Dépatie l’informe qu’il a peur de ses propres réactions et souhaite la présence d’un témoin.

[51]        Lors de cette réunion, monsieur Dépatie est volubile et exprime qu’il n’est pas heureux depuis son entrée en poste. Il se sent mal accueilli à l’hôtel de ville et n’aime pas la réaction des employés à son égard; il veut faire du ménage dans les employés-cadres.

 

 

[52]        Monsieur Vaillancourt tente de réconforter le maire en lui confirmant que l’appareil municipal travaille dans le but de le soutenir. Il lui propose une rencontre avec tous les employés afin de se présenter et de mieux se faire connaître. Il lui suggère également d’adopter avec le personnel une attitude plus souriante. Aucun reproche n’est formulé à l’égard du directeur général lors de cette rencontre.

[53]        Monsieur Vaillancourt est rassuré sur son avenir à la Ville et mentionne à son adjointe que la réunion s’est bien déroulée.

[54]        En soirée, le conseiller Smith informe monsieur Vaillancourt que les membres du conseil viennent de discuter de son dossier en caucus et que, selon monsieur Dépatie, la seule recommandation judicieuse que monsieur Vaillancourt lui ait faite le matin, est de sourire davantage.

Le 5 décembre 2013 : comité des finances

[55]        Le 5 décembre 2013, une réunion du comité des finances a lieu en présence des conseillers Smith, Bowles et Croteau, du directeur général et des directeurs de service Pichet et Béliveau.

[56]        À la fin de la rencontre, monsieur Vaillancourt relate aux membres du comité que le lundi 2 décembre, il a eu une réunion avec messieurs Dépatie et Bouchard.

[57]        Il dit se sentir continuellement enquêté par le maire et pense que ce dernier veut le congédier. Il sait que ses jours sont comptés à la Ville.

[58]        Monsieur Vaillancourt ajoute avoir eu connaissance que le maire ait rencontré des directeurs pour savoir comment la Ville était gérée et pour évaluer sa performance. Il sent que le maire ne l’apprécie pas.

Le 9 décembre 2013 : caucus

[59]        Le 9 décembre 2013, lors d’un caucus, le dossier de monsieur Vaillancourt est à nouveau discuté et les positions se cristallisent au sein du conseil.

[60]        Monsieur Smith questionne monsieur Dépatie sur la réunion du 2 décembre. Le maire explique que son lien de confiance est brisé avec le directeur général et qu’il serait justifié de le congédier.

 

Le 13 décembre 2013 : soirée de Noël

[61]        Le 13 décembre 2013, une soirée est organisée à la Ville avec les employés et les conseillers municipaux.

[62]        Le conseiller Croteau perçoit alors que le directeur général est fragilisé. Une dizaine d’employés se confient à lui et dénoncent le climat de travail difficile à l’hôtel de ville.

[63]        Par contre, durant cette soirée, le maire et monsieur Vaillancourt se parlent de façon cordiale.

[64]        Le directeur général fait un discours empreint d’émotion à ses employés. Il a l’impression de leur parler pour la dernière fois.

Le 17 décembre 2013 : caucus

[65]        Le 17 décembre 2013, le conseil se réunit à nouveau en caucus. Le maire avise les membres du conseil qu’il doit rencontrer la firme de recrutement le lendemain relativement au dossier du directeur général.

[66]        La discussion entre les membres du conseil est animée. Le maire affirme qu’il ne veut plus travailler avec le directeur général, qu’il n’a plus confiance en lui et que si ce dernier demeure en poste, il ne se présentera qu’aux séances publiques du conseil. D’autres conseillers trouvent qu’il est prématuré de mettre fin à l’emploi de monsieur Vaillancourt.

[67]        Après le caucus, monsieur Smith informe monsieur Vaillancourt des discussions qui ont eu lieu.

Le 18 décembre 2013 : rencontre avec la responsable de la firme de recrutement

[68]        Le 18 décembre 2013, le maire rencontre la responsable de la firme de recrutement. Cette dernière explique au maire qu’elle va vérifier si elle peut prolonger le délai de la clause de garantie. Elle propose au maire d’être prêt à toute éventualité en cas de départ prématuré du directeur général.

[69]        Le même jour, elle accepte de prolonger la clause sans donner de date précise, dans le cas où le directeur général donnerait sa démission.

Le 20 décembre 2013 : rencontre entre messieurs Bouchard et Vaillancourt

[70]        Le 20 décembre 2013, la dernière journée de travail avant le congé des Fêtes, monsieur Pichet rencontre par hasard monsieur Bouchard dans la salle des comités. Ce dernier se demande si monsieur Vaillancourt est l’homme de la situation. Monsieur Pichet recommande à monsieur Bouchard d’avoir un entretien avec le directeur général.

[71]        Monsieur Bouchard se présente donc sans rendez-vous au bureau de monsieur Vaillancourt. La rencontre dure environ une heure et demie.

[72]        Monsieur Vaillancourt relate que Monsieur Bouchard lui fait alors part qu’il ne comprend pas pourquoi il a accepté le poste de directeur général en 2013, une année électorale. Il lui reproche d’être à la solde de l’ancien conseil et lui mentionne que le lien de confiance avec lui est rompu. Monsieur Vaillancourt dit s’être emporté, avoir parlé fort et utilisé un langage inhabituel.

[73]        Pour sa part, monsieur Bouchard ne se souvient pas des paroles précises prononcées lors de la rencontre. Selon lui, il y a eu trois phases : une période de «ventilation» de monsieur Vaillancourt dans laquelle monsieur Bouchard est en mode écoute, une période où monsieur Bouchard pose des questions et exprime son problème de confiance en l’ancienne administration et enfin, une période où les deux hommes parlent de choses personnelles.

[74]        Immédiatement après cette réunion, monsieur Vaillancourt dit à la directrice des ressources humaines qu’il est tanné de subir un procès et qu’il est épuisé. Quelques minutes plus tard, il apprend que monsieur Bouchard vient de poser des questions à son sujet au directeur du Service des finances.

[75]        Cette journée-là, monsieur Vaillancourt devait assister à un dîner au Service des travaux publics avec les employés, mais dans les circonstances, il n’y assiste pas. Lors de ce dîner, monsieur Dépatie demande à monsieur Pichet s’il est intéressé par le poste de directeur général de la Ville.

[76]        Monsieur Dépatie précise qu’il voulait vérifier si monsieur Pichet était disponible pour faire l’intérim dans l’éventualité où le directeur général quitterait ses fonctions. Il n’a selon lui jamais offert de poste permanent à monsieur Pichet.

Période du 23 au 30 décembre 2013 

[77]        Le 23 décembre 2013, un incendie majeur détruit un immeuble de plusieurs logements de Saint-Lambert.

[78]        Monsieur Vaillancourt met en place les mesures d’urgence. De l’avis de tous, sauf du maire, il gère très bien la situation.

[79]        Dans les jours suivants, monsieur Pichet, très mal à l’aise, informe monsieur Vaillancourt que le maire lui a offert le poste de directeur général.

[80]        Le 30 décembre, monsieur Vaillancourt entend une conversation entre messieurs Dépatie et Bouchard. Il relate que les deux hommes regardent son contrat de travail et comparent la prime de rendement qu’il a reçue avec celle de l’ancienne directrice générale. Monsieur Vaillancourt entend les hommes dirent : « Il faut trouver une faute grave si on veut s’en départir. On nommera monsieur Pichet par intérim et après, on verra … »

[81]        Pour sa part, monsieur Bouchard ne se souvient pas de cette conversation. Il affirme qu’il a peut-être été question de la clause de résiliation, mais qu’il n’a jamais discuté d’un motif de congédiement ou de faute grave.

[82]        Monsieur Dépatie ne se souvient pas non plus d’avoir discuté du contrat de monsieur Vaillancourt. Selon lui, il est possible qu’il ait relaté à monsieur Bouchard une conversation qu’il avait eue avec Hugues Létourneau, un conseiller municipal, relativement à l’impossibilité de congédier le directeur général en l’absence de faute grave.

[83]        La Commission retient le témoignage de monsieur Vaillancourt car messieurs Bouchard et Dépatie ne nient pas cette conversation, mais disent plutôt ne pas s’en rappeler. Ils ont certes abordé le contrat de travail du directeur général car monsieur Dépatie croit avoir référé à une conversation avec monsieur Létourneau.

[84]        Durant cette période, le maire n’est pas conscient de la détresse psychologique du directeur général.

Entre les 7 et 12 janvier 2014 : retour du congé des Fêtes

[85]        Le 7 janvier 2014, les membres du conseil se réunissent en caucus. Le  dossier du directeur général est à  l’ordre du jour. Lors de cette réunion, le maire émet des reproches à l’égard du directeur général et réitère qu’il n’est pas l’homme de la situation.

[86]        Il explique aux membres du conseil que, selon les informations qu’il a obtenues, la Ville peut mettre fin au contrat de travail de monsieur Vaillancourt.

[87]        Afin de vérifier les assisses juridiques d’une telle décision, des élus qui apprécient le travail du directeur général, demandent au maire qu’un avis juridique soit obtenu.

[88]        Monsieur Vaillancourt est mis au courant par monsieur Smith de ces discussions.

[89]        Le 8 janvier 2014, les conseillers Smith, Croteau et Roy veulent rencontrer le directeur général pour connaître sa version des faits. Monsieur Roy appelle monsieur Vaillancourt pour fixer la rencontre. Lors de cet entretien téléphonique, le directeur général dit qu’il ne se sent pas capable de les rencontrer.

[90]        À compter du 10 janvier 2014, monsieur Vaillancourt est en arrêt de travail pour maladie.

13 et 16 janvier 2014 : avis juridiques

[91]        À la suite du caucus du 7 janvier 2014, à la demande du maire, le greffier obtient le nom d’une avocate spécialisée en droit du travail de l’étude Heenan Blaikie pour interpréter les clauses du contrat de monsieur Vaillancourt. Seuls le maire et le greffier sont au courant de cette démarche.

[92]        De son côté, monsieur Vaillancourt consulte un avocat du cabinet Casavant Mercier pour connaître et protéger ses droits.

[93]        Le 13 janvier 2014, l’avis juridique de Casavant Mercier est remis aux membres du conseil.

[94]        Le 16 janvier 2014, l’avocate d’Heenan Blaikie rend également son opinion sur la clause de résiliation du contrat et les implications pour la Ville de l’exercer.

[95]        Pour messieurs Dépatie et Bouchard, le dossier est alors clos et les clauses de congédiement et de résiliation ne peuvent être appliquées sans anticiper des coûts exorbitants pour la Ville en cas de contestation judiciaire par le directeur général. Ils concluent que les élus municipaux et le directeur général doivent travailler ensemble.

Le 16 janvier 2014 : rencontre de certains membres du conseil

[96]        Le 16 janvier 2014, à la lumière des avis juridiques, six conseillers municipaux sur huit se réunissent avec deux avocats, à l’extérieur de l’hôtel de ville, pour discuter du dossier du directeur général. Le maire et les conseillers Bouchard et Létourneau ne sont pas invités à la réunion.

[97]        Lors de cette réunion, les élus présents s’entendent pour mandater un professionnel pour effectuer un diagnostic organisationnel de la Ville.

Le 20 janvier 2014 : réunion du conseil

[98]        Le 20 janvier 2014, durant le comité plénier qui précède immédiatement la séance publique du conseil, le conseiller Croteau propose d’ajouter à l’ordre du jour le point Mandat pour diagnostic organisationnel.

[99]        Le conseil municipal mandate donc le cabinet d’avocats Heenan Blaikie pour planifier et faire exécuter un diagnostic organisationnel de concert avec la Direction des ressources humaines de la Ville.

Le 12 février 2014 : dépôt du diagnostic organisationnel

[100]     Le 12 février 2014, le diagnostic organisationnel est déposé à la Direction des ressources humaines et transmis aux membres du conseil. Les conclusions de ce document visent en grande partie les agissements de messieurs Dépatie et Bouchard.

[101]     Le lendemain, les membres du conseil se réunissent en caucus pour en discuter. Lors de cette réunion, le maire rejette d’emblée les conclusions du diagnostic.

Entre le 13 et le 17 février 2014 : rencontre de certains membres du conseil

[102]     Devant la réaction de monsieur Dépatie au diagnostic organisationnel, une seconde rencontre a lieu à l’extérieur de l’hôtel de ville entre les conseillers Croteau, Roy, Smith, Bowles et un avocat.

[103]     Les membres du conseil présents décident d’ajouter à la prochaine séance publique, un point à l’ordre du jour visant l’adoption d’une résolution en vue de demander à la Commission municipale, une enquête sur les agissements de messieurs Dépatie et Bouchard.

Le 17 février 2014 : caucus et réunion publique du conseil

[104]     Le 17 février 2014, en caucus, quelques minutes avant la séance publique du conseil, le conseiller Croteau avise les élus qu’il proposera d’ajouter le point  Plainte officielle auprès du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, à l’ordre du jour de la séance publique. À ce moment, monsieur Bouchard quitte.

[105]     Un projet de résolution est déposé. Il propose que la Ville porte plainte auprès du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire. Il ne prévoit pas de plainte spécifique contre des membres du conseil, mais fait amplement référence aux conclusions du diagnostic organisationnel. Le maire sait que la résolution le vise même s’il n’y est pas spécifiquement nommé.

[106]     Durant ce caucus, monsieur Dépatie s’oppose fermement à l’ajout tardif de ce point à l’ordre du jour. Il avise les membres du conseil qu’en assemblée publique, il votera contre et que si cela est nécessaire, il exercera son « droit de veto ».

[107]     Le maire demande à monsieur Bouchard de revenir afin de se prononcer sur la résolution.

[108]     En séance publique, la proposition d’ajouter le point à l’ordre du jour est rejetée à la majorité. Les conseillers Smith, Roy, Bowles et Croteau votent en faveur et les conseillers Bouchard, Chassagne, Lebeau, Létourneau ainsi que le maire Dépatie, votent contre.

[109]     Monsieur Bouchard affirme qu’il n’a pas lu le projet de résolution en cause.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[110]     Le maire Dépatie et le conseiller Bouchard - s’il a un tel pouvoir- ont-ils contrevenu à la huitième règle  du Code  en exerçant abusivement leur pouvoir de surveillance et d’investigation sur l’administration municipale dans le but de provoquer le départ du directeur général, faisant ainsi défaut de respecter les prescriptions législatives et administratives régissant les mécanismes de prise de décision de la Ville?

[111]     Lors de la séance publique du conseil du 17 février  2014, ont-ils contrevenu à la première règle du Code en se plaçant en conflit d’intérêts en votant contre l’ajout à l’ordre du jour d’une résolution concernant une demande d’enquête devant la Commission municipale?

LE CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE

[112]     Les dispositions applicables du Code sont les suivantes :

 

 

 

 

« PREMIÈRE RÈGLE :

 

Éviter d’être ou de se placer, sciemment, dans une situation susceptible de mettre en conflit, d’une part, leur intérêt personnel ou celui de leurs proches, et d’autre part, les devoirs de leurs fonctions.

 

Sans limiter la généralité de ce qui précède, il est interdit à toute personne d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.

 

Il est également interdit à toute personne de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.

 

[…]

 

HUITIÈME RÈGLE :

 

Respecter les prescriptions législatives et administratives régissant les mécanismes de prise de décision de la Ville et des organismes municipaux. 

 

[…]

 

 

Directives additionnelles

 

Les dispositions législatives visant à assurer le respect des lois sont relativement nombreuses. En étendant la règle de droit voulant que tous soient égaux devant la loi et que tous doivent se conformer aux prescriptions de la loi et aux prescriptions administratives en vigueur à la Ville, le Conseil de la Ville de Saint-Lambert demande à tous ses administrateurs municipaux de se conformer aux règles et aux pratiques administratives en vigueur à la Ville ou dans les organismes municipaux.

 

En effet, au fil des ans, l’administration municipale a édicté un grand nombre de règles, de directives et de pratiques administratives en vue d’une gestion adéquate des affaires municipales. Les membres du Conseil, le personnel de direction de même que les personnes qui représentent la Ville au sein d’organismes municipaux ne peuvent, de leur propre chef, décider de ne pas respecter ces règles en raison de la nature des fonctions qu’ils exercent dans l’administration municipale ou parce qu’ils ne les considèrent pas adéquates. Un des rôles essentiels des administrateurs municipaux est justement d’appliquer ces règles ou, s’ils ne les jugent pas appropriées, de proposer leur modification, leur remplacement ou leur abrogation. »

ANALYSE

[113]     Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code.

[114]     En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision peut avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, plusieurs décisions de la Commission[5] ont établi que pour conclure à un manquement au Code, la preuve obtenue doit avoir une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités et être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté.

Premier manquement : exercice du pouvoir de surveillance de façon abusive par Alain Dépatie et Jean Bouchard

[115]     Le 3 novembre 2013, après une campagne électorale mouvementée, monsieur Dépatie est élu maire. Sous l’ancienne administration, il était conseiller municipal, mais exclu des comités pléniers et des caucus du conseil.

[116]     Le directeur général de la Ville a été nommé sous l’ancienne administration à la suite d’un concours orchestré par une firme spécialisée en recrutement de personnel.

[117]     Dès les premiers jours de son mandat, lors d’un caucus, en présence uniquement des membres du conseil, le nouveau maire émet des réserves à l’endroit du directeur général. Il associe ce dernier à l’ancienne administration et se demande s’il est l’homme de la situation.

[118]     Il obtient confidentiellement du greffier le contrat de travail du directeur général et constate que ce contrat prévoit une clause de résiliation.

[119]     Monsieur Dépatie fait part à plusieurs reprises aux élus réunis en caucus, de son questionnement au sujet de monsieur Vaillancourt. Monsieur Dépatie ne se sent pas bien accueilli à l’hôtel de ville et croit que monsieur Vaillancourt doit quitter son poste.

[120]     Parallèlement à ces faits, dès novembre 2013, monsieur Vaillancourt est informé par d’autres membres du conseil qui apprécient son travail, des propos du maire à son égard lors des caucus.

[121]     Jean Bouchard intervient auprès de monsieur Vaillancourt le 20 décembre 2013, lors d’une rencontre improvisée et houleuse. Il questionne des collègues du directeur général sur un éventuel intérim. Par son attitude, monsieur Bouchard attise le conflit.

[122]     Par loyauté envers le directeur général, des employés informent ce dernier des demandes d’information qui sont formulées à son égard par le maire et de l’enquête menée par monsieur Bouchard auprès de directeurs de service.

[123]     Toutes les informations reçues par monsieur Vaillancourt ainsi qu’une attitude brusque de monsieur Dépatie et ambivalente de monsieur Bouchard, ont pour effet de provoquer chez monsieur Vaillancourt de grandes inquiétudes et beaucoup d’insécurité relativement à son emploi.

[124]     Selon la preuve, les caucus sont confidentiels; le maire ne pouvait donc pas savoir que François Vaillancourt était informé de sa volonté de mettre fin à son contrat d’emploi et de l’enquête qu’il menait à son sujet.

[125]     Le 16 janvier 2014, à la lumière de deux avis juridiques, le maire et monsieur Bouchard concluent qu’il sera difficile de mettre fin au contrat de monsieur Vaillancourt sans engendrer des frais importants pour la Ville en cas de contestation judiciaire.

[126]     Par contre, des conseillers craignant que le maire ne congédie sans raison le directeur général, se réunissent et décident d’obtenir un diagnostic organisationnel. Une enquête sommaire est faite par un consultant qui, dans un rapport, reproche au maire et au conseiller Bouchard leurs agissements dans le dossier et conclut à du harcèlement psychologique à l’égard de monsieur Vaillancourt.

[127]     Dans ce contexte, messieurs Dépatie et Bouchard ont-ils contrevenu au Code ?

[128]     Plus spécifiquement, ce qui est reproché à messieurs Dépatie et Bouchard, est d’avoir utilisé de façon abusive leur pouvoir de surveillance de l’article 52 de la Loi sur les cités et villes[6].

[129]     Pour conclure à cet égard, il faut rattacher l’exercice du pouvoir de surveillance à une règle déontologique. Le plaignant invoque, par le biais de la huitième règle du Code, que la Politique concernant le harcèlement et la violence en milieu de travail de la Ville aurait été enfreinte par l’enquête abusive du maire.

[130]     Cette règle du Code vise le respect par les élus des prescriptions législatives et administratives régissant les mécanismes de prise de décision de la Ville. Les politiques adoptées par la Ville sont des prescriptions administratives.

[131]     Or, la politique concernant le harcèlement prévoit ce qui suit :

« 3. Champ d’application

 

3.1  La présente politique s’applique à l’ensemble des personnes à l’emploi de la Ville de Saint-Lambert, y comprit (sic) les membres du Conseil municipal. Elle concerne les relations entre les gestionnaires et le personnel, les relations des membres du personnel entre eux et des gestionnaires entre eux ainsi que les relations avec les tiers et les élus.

 

[…]

 

 

8.  RÔLES ET RESPONSABILITÉS

 

Tous les employés de la Ville de Saint-Lambert et les membres du conseil ont la responsabilité de se comporter de façon respectueuse et professionnelle, autant envers les autres employés qu’envers les citoyens et autres personnes qu’ils côtoient dans l’exercice de leurs fonctions.

 

Ils sont aussi responsables de souligner toute situation de harcèlement dont ils sont témoins ou victimes.

 

[…]

 

8.1  Responsabilités du conseil municipal

      8.1.1  Adopter la présente politique;

      8.1.2  Prendre l’engagement de prévenir et prendre les moyens pour faire cesser le harcèlement au travail. »

[132]     Cette politique concerne les relations entre les individus et vise le comportement des personnes; elle ne concerne donc pas les mécanismes de prise de décision de la Ville.

[133]     De plus, même si la politique faisait partie d’un processus décisionnel, les termes généraux et imprécis de la huitième règle du Code ne pourraient pas créer une obligation déontologique, puisqu’un élu doit savoir précisément les comportements proscrits par son code d’éthique et de déontologie[7].

[134]     En effet, le Code crée une obligation de respecter les prescriptions législatives et administratives régissant les mécanismes de prise de décision, sans énumérer ce qui est spécifiquement visé. La référence au respect de lois et de politiques de la Ville, crée une obligation trop générale.

[135]     La Commission a  déjà statué à cet égard dans l’affaire Thibeault, Blais et Côté[8] :

«  [59]   Rappelons que l’article 5 de la LEDMM prévoit qu’un code d’éthique et de déontologie énonce « […] des règles qui doivent guider la conduite d’une personne à titre de membre du conseil […] » ou encore « […] la conduite de cette personne après la fin de son mandat […] ». La Commission ne cherche aucunement à nier ou banaliser l'obligation faite à tout membre de la société de respecter la loi mais, dans le présent cas, l’article 5 du Code crée une obligation qui ne guide en rien la conduite d’une personne. Au contraire, l’élu doit résoudre une énigme constante : sa participation aux décisions se fait-elle dans le respect des « lois », des « politiques » ou des « normes de la Municipalité »? Si le Code doit être un guide, il ne peut constituer un piège pour l’élu.

[60]       À moins d’un texte clair reprenant l’obligation de produire la déclaration écrite des intérêts pécuniaires prévue à l’article 357, la Commission ne peut sanctionner un manquement à cette obligation sur la seule base d’un texte imposant le respect des « lois », des « politiques » ou des « normes de la municipalité ».  L’exigence de produire ladite déclaration découle de la LERM et non du Code. »

[136]     La Commission en vient donc à la conclusion qu’aucun manquement de messieurs Dépatie et Bouchard à la huitième règle du Code n’a été établi.

[137]     Toutefois, même si elle ne sanctionne pas les deux élus, elle déplore qu’il n’est pas rare que des conflits éclatent entre un directeur général nommé par une ancienne administration et un nouveau conseil municipal. Certains élus associent parfois ce cadre à l’ancienne administration et doutent de sa loyauté envers le nouveau conseil.

[138]     Or, un directeur général est un administrateur public, apolitique et nommé pour servir un conseil municipal, quel qu’il soit. Il est prématuré, dès l’entrée en fonction d’un maire, de s’acharner contre cet employé, sans que ce dernier ait eu la chance de démontrer sa loyauté envers la nouvelle administration. Rien ne justifie que les directeurs généraux soient les boucs émissaires d’un changement d’administration municipale, à moins de circonstances suffisantes et sérieuses. L’intérêt public doit toujours gouverner les décisions d’une ville.

[139]     Dans le présent cas, c’est plutôt le ressentiment du maire Dépatie à l’encontre de l’ancienne administration qui a motivé sa décision de vouloir se départir de monsieur Vaillancourt. Il a cherché des prétextes pour justifier une décision précipitée; Jean Bouchard a épousé ses vues et s’est arrogé un pouvoir d’enquête qui ne lui appartenait pas.

Deuxième manquement : conflit d’intérêts d’Alain Dépatie et de Jean Bouchard lors du vote du 17 février 2014

[140]     Le 17 février 2014, lors d’un caucus précédant immédiatement la séance publique du conseil, le conseiller Croteau propose d’ajouter à l’ordre du jour de cette séance une résolution visant à ce que la Ville dépose une plainte au ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, dénonçant les comportements de messieurs Dépatie et Bouchard dont il est fait état au diagnostic organisationnel.

[141]     Bien que le projet de résolution ne spécifie pas nommément le nom de ces derniers, la preuve démontre clairement que monsieur Dépatie savait qu’il était visé par la résolution. Quant à monsieur Bouchard, il prétend ne pas avoir lu le projet de résolution avant son adoption. La Commission doute cependant qu’il en ignorait le contenu puisque, à la demande du maire, il est revenu voter.

[142]     En séance publique, la proposition d’ajouter le point à l’ordre du jour est déposée. Le maire et monsieur Bouchard votent contre l’ajout du point à l’ordre du jour. La proposition est rejetée par la majorité du conseil par un vote de cinq contre quatre. Le sujet n’est donc pas pris en considération par les membres du conseil.

[143]     Pour conclure à un manquement en vertu de la première règle du Code, il faut démontrer que l’élu s’est placé sciemment dans une situation susceptible de mettre en conflit son intérêt personnel et ses devoirs d’élu.

[144]     Dans le présent cas, selon la preuve, c’est uniquement à l’occasion du vote que le conflit d’intérêt pouvait se matérialiser puisque les élus ont été saisis de la question à la dernière minute, tout juste avant d’entrer en séance publique du conseil.

[145]     Pour se placer dans une situation de conflit d’intérêts en vertu du Code, la Commission est d’avis que messieurs Dépatie et Bouchard devaient prendre en considération une question de fond et non simplement une question procédurale comme l’ajout d’un point à l’ordre du jour.

[146]     La Cour supérieure a statué à cet égard dans l’affaire Proulx c. Duchesneau[9] :

« Ainsi, il est sans doute raisonnable de croire qu’une question est prise en considération lorsqu’elle est soumise à l’appréciation de quelqu’un qui procédera à en examiner toutes les facettes lui permettant d’en évaluer les avantages et les désavantages. »

[147]     Le vote sur l’ajout d’un point à l’ordre du jour a uniquement pour but de décider si le sujet sera pris en considération par le conseil. Il s’agit là d’une simple question de procédure qui ne peut être susceptible de mettre un élu en conflit d’intérêts.

[148]     Afin de gérer et d’encadrer les conflits d’intérêts, le Guide des bonnes pratiques de la Commission recommande d’ailleurs aux élus municipaux de ne pas hésiter à prendre une pause ou à reporter un sujet à l’ordre du jour d’une séance du conseil, si le report n’a pas de conséquence, et ce, de manière à leur laisser le temps d’évaluer chaque situation[10].

[149]     C’est précisément ce que messieurs Dépatie et Bouchard voulaient faire, soit évaluer la proposition qu’on voulait leur imposer à la dernière minute.

[150]     Dans ce contexte, la Commission est d’avis qu’aucun manquement de ces deux élus à la première règle du Code n’a été établi.

 

 

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-     CONCLUT QUE la conduite d’Alain Dépatie alléguée dans la demande d’enquête, ne constitue pas un manquement aux première et huitième règles du Code d’éthique et de déontologie régissant les élus et les administrateurs de la Ville de Saint-Lambert.

 

 

 

 

-     CONCLUT QUE la conduite de Jean Bouchard alléguée dans la demande d’enquête, ne constitue pas un manquement aux première et huitième règles du Code d’éthique et de déontologie régissant les élus et les administrateurs de la Ville de Saint-Lambert.

 

 

 

_________________________________

SANDRA BILODEAU

Juge administrative

 

 

 

 

 

 

 

 

_________________________________

SYLVIE PIÉRARD

Juge administrative

 

SB/SP/lg

 

 

Audiences tenues à Montréal les 8, 9, 10, 15, 16 et 17 octobre et les 26 et 27 novembre 2014.

 

Me André Comeau

Dufresne Hébert Comeau Inc.

Procureur d’Alain Dépatie et de Jean Bouchard



[1].   RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.

2.   Les demandes sont formulées par Martin Croteau, conseiller municipal de la Ville.

[3].   Règlement 2011-89, entré en vigueur le 23 novembre 2011.

[4].   Contrat avec Raymond Chabot Ressources Humaines inc., pièce R-41.

[5].   Bourassa, CMQ-63969 et CMQ-63970, 30 mars 2012; Moreau, CMQ-64261, 14 décembre 2012.

[6].   RLRQ, c. C-19. Plus spécifiquement, cet article octroie au maire un droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur tous les départements et fonctionnaires ou employés de la municipalité. Ce droit n’est pas octroyé à un conseiller municipal.

[7].   Gendron, CMQ-64887, 10 octobre 2014, par. 24

[8].   Thibault, Blais et Côté, CMQ-65049, CMQ-65050 et CMQ-65051, 7 novembre 2014.

[9].   J.E. 99-1213 (C.S.).

[10].  Commission municipale du Québec, Guide des bonnes pratiques, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2012, page 17.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.