Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

R. c. Deblois

2015 QCCQ 1653

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-MAURICE

LOCALITÉ DE

SHAWINIGAN

« Chambre criminelle et pénale »

No :

410-01-024641-127

 

DATE :

20 février 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUY LAMBERT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Sa Majesté la Reine

plaignante

c.

Sébastien DEBLOIS

accusé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE

EN EXCLUSION DE PREUVE

______________________________________________________________________

 

[1]           L’accusé fait face aux accusations suivantes :

1.     Le ou vers le 5 février 2012, à Saint-Alexis-des-Monts, district de Saint-Maurice, a conduit un véhicule à moteur, alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang et a causé un accident occasionnant des lésions corporelles à Julie Lebrun, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 255(2.1) du Code criminel.

2.     Le ou vers le 5 février 2012, à Saint-Alexis-des-Monts, district de Saint-Maurice, a conduit un véhicule à moteur, alors qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang et a causé un accident occasionnant des lésions corporelles à Marc Pellerin, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 255(2.1) du Code criminel.

3.     Le ou vers le 5 février 2012, à Saint-Alexis-des-Monts, district de Saint-Maurice, a conduit un véhicule à moteur (motoneige) de marque Yamaha, alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue et a causé par là des lésions corporelles à Julie Lebrun, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 255(2) du Code criminel.

4.     Le ou vers le 5 février 2012, à Saint-Alexis-des-Monts, district de Saint-Maurice, a conduit un véhicule à moteur (motoneige) de marque Yamaha, alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue et a causé par là des lésions corporelles à Marc Pellerin, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 255(2) du Code criminel.

[2]           La Défense présente une requête pour faire exclure de la preuve la prise d’un échantillon sanguin obtenu au Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (CHRTR) à la suite de l’arrestation de l’accusé survenue après un accident de motoneige. Elle invoque l’article 10(b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui se lit comme suit :

« Chacun a le droit en cas d’arrestation

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. »

[3]           À cette étape des procédures, le Tribunal doit être prudent lorsqu’il commente les témoignages entendus jusqu’à maintenant, il n’a pas à se prononcer sur le fond du litige. Nous sommes uniquement dans la preuve de la Poursuite.

[4]           L’accident de motoneige a lieu le 5 février 2012. Monsieur Marc Pelletier et sa conjointe Julie Lebrun reviennent d’une fin de semaine passée au chalet du père de cette dernière dans la ZEC Mastigouche à Saint-Alexis-des-Monts.

[5]           Monsieur Pellerin conduit la motoneige avec un traineau à l’arrière où se trouvent de l’équipement et de la nourriture. Chemin faisant, survient un impact avec une motoneige circulant en sens inverse. Monsieur Pellerin soutient que l’autre conducteur l’a frappé dans sa voie. Cependant, le Tribunal a constaté que l’accusé, en témoignant sur le voir-dire dans la présente requête, va fournir une version différente. Le Tribunal ne se prononcera pas sur cet aspect.

[6]           Lors de cet accident, madame Lebrun est blessée grièvement. Elle passe 76 jours à l’hôpital. Elle est encore en période de réhabilitation aujourd’hui tandis que monsieur Pellerin a subi une sérieuse blessure à la cheville.

[7]           L’accusé, monsieur Deblois, est lui aussi blessé et en garde encore aujourd’hui d’importantes séquelles.

Témoignage de François Pinard

[8]           L’agent Pinard patrouille dans la ville de Louiseville lorsqu’il reçoit à 15 h 3 un appel pour se rendre sur les lieux d’un accident de motoneige avec blessés dans la municipalité de Saint-Alexis-des-Monts.

[9]           À 15 h 45, il arrive sur place et constate que trois motoneiges sont impliquées dans l’accident. Les ambulanciers sont déjà à cet endroit. Monsieur Marc Pellerin est assis sur sa motoneige. Madame Lebrun est par terre et reçoit des soins. L’accusé est couché dans le sentier.

[10]        Le troisième impliqué, monsieur Gérard Jr Boulet, l’oncle de l’accusé, présente des symptômes très évidents d’ébriété. Une forte odeur d’alcool se dégage de son haleine, le langage est pâteux, l’écume est présente aux commissures des lèvres.

[11]        Après avoir interrogé rapidement quelques témoins, l’agent Pinard s’approche de l’accusé et il perçoit une bonne odeur d’alcool se dégageant de son haleine, les yeux sont rouges et à demi-fermés. Les ambulanciers le placent sur une civière après lui avoir mis un collier cervical. Le policier aide les ambulanciers pour amener l’accusé du sentier de motoneige à l’ambulance.

[12]        Il informe son collègue l’agent Turbide qui est aussi sur place des symptômes constatés sur la personne de monsieur Boulet. Il quitte ensuite les lieux pour suivre l’ambulance. On fait un arrêt au poste de police de Louiseville le temps que l’agent Pinard prenne place dans l’ambulance.

[13]        À 16 h 56, l’agent Pinard procède à l’arrestation de l’accusé pour avoir conduit une motoneige avec les facultés affaiblies par l’alcool. Ce dernier est en face de lui, une bonne odeur d’alcool est perceptible dans l’habitacle, les yeux sont rouges. Monsieur Deblois est couché sur la civière et ne peut bouger.

[14]        L’agent Pinard lui fait une lecture complète de la carte fournie par les corps de police. Cela comprend les motifs de l’arrestation, la mise en garde, le droit à l’avocat et l’ordre de fournir un échantillon sanguin. L’accusé manifeste alors le désir de communiquer avec Me Jacques Méthot.

[15]        À 17 h 10, on arrive au CHRTR. L’accusé est conduit à la salle de triage. À 17 h 27, on l’installe sur la civière numéro 2 de l’urgence. Monsieur Deblois reçoit des traitements. Il a beaucoup de douleurs, se plaint de blessures au poignet et dans le dos.

[16]        L’agente Laforge vient le rejoindre à 17 h 30. Les policiers surveillent l’accusé jusqu’à la venue du médecin à 18 h 44. À 19 h, l’agent Pinard rencontre la docteure Lemieux qui consent à ce qu’un échantillon sanguin soit prélevé sur l’accusé conformément aux dispositions prévues au Code criminel, mais seulement après la prise de radiographies.

[17]        À 20 h 10, l’agent Pinard refait encore une fois la lecture des droits constitutionnels. Par la suite, de 20 h 13 à 20 h 26, on tente sans succès à neuf reprises de joindre Me Jacques Méthot. La ligne téléphonique est toujours occupée.

[18]        Monsieur Deblois s’impatiente et décide de parler à un avocat de garde travaillant à l’Aide juridique. Les policiers se placent en retrait pour être certains que la conversation soit confidentielle. L’accusé discute avec l’avocate de 20 h 30 à 20 h 34. Par la suite, le prélèvement est effectué à 20 h 44.

[19]        L’agent Pinard explique qu’il attend que l’accusé voit le médecin avant de lui donner l’opportunité d’appeler un avocat. Il est difficile pour lui de pouvoir offrir un entretien confidentiel, car ce dernier se plaint de douleur et reçoit régulièrement la visite du personnel infirmier. Il est très conscient que le droit d’appeler un avocat est essentiel. D’ailleurs, il ne parle pas à l’accusé des faits de la cause et ne l’interroge pas.

[20]        L’agent Pinard est un policier d’expérience et nous dit que lorsqu’il conduit un accusé à l’urgence d’un hôpital, ce sont les soins de santé qui passent en premier lieu. Il doit attendre patiemment que le personnel infirmier fasse leur travail. Il sait que l’accusé est blessé, se plaint de douleur, il doit s’assurer qu’il reçoive les soins requis avant de procéder au côté criminel de son travail.

[21]        L’agent Pinard nous dit que jamais l’accusé ne lui a demandé de lui remettre son téléphone cellulaire, il ne savait même pas qu’il en avait un sur lui. De plus, dans l’ambulance, en sa présence, il n’a pas parlé au téléphone.

Témoignage de Arianne Laforge

[22]        L’agente Laforge arrive à l’hôpital à 17 h 30. Elle constate que l’accusé est sur une civière et il y a beaucoup de va-et-vient autour de lui tout au long de l’intervention. Monsieur Deblois souffre beaucoup, est exigeant envers le personnel de santé.

[23]        L’agente Laforge confirme son collègue Pinard en affirmant qu’à l’hôpital, on ne s’occupe pas de leur présence, mais seulement celle du patient. On a attendu le passage du médecin afin de pouvoir assurer la confidentialité de l’appel à l’avocat.

Témoignage de Sébastien Deblois

[24]        Témoignant sur la requête, monsieur Deblois nous raconte qu’il a voulu éviter une motoneige et qu’il a été blessé lors de l’impact. Il raconte également que lui aussi a une incapacité au niveau du bras et du dos à la suite de cet incident.

[25]        Il admet avoir perdu des bouts avant de monter dans l’ambulance. Il trouve le trajet pour se rendre à l’hôpital très long, car il souffre beaucoup. Il se rappelle que l’agent Pinard le met en état d’arrestation. Il est frustré parce qu’il a voulu éviter un accident et il veut parler à son avocat.

[26]        Durant le trajet, son téléphone cellulaire vibre, il prend l’appareil qui est dans la poche de son manteau et discute avec sa conjointe qui s’interroge sur son retard. Il lui parle un peu, car l’agent Pinard lui demande de terminer sa conversation. Il replace son cellulaire dans son manteau.

[27]        Rendu à l’hôpital, on le place sur une civière de l’urgence pendant des heures, il souffre beaucoup, demande s’il peut parler à un avocat, mais l’agent Pinard ne répond pas. Tout le monde lui dit qu’il doit attendre la venue du médecin.

[28]        Monsieur Deblois dit qu’il se sent seul, aurait aimé avoir son cellulaire pour communiquer avec ses proches. Son manteau est sous la civière, mais il ne peut y accéder.

[29]        Ce n’est qu’après avoir vu le médecin que l’agent Pinard fait les démarches pour communiquer avec son avocat. Il l’informe qu’il est incapable de le rejoindre, mais qu’il a en ligne un avocat de l’Aide juridique. L’accusé nous dit qu’il n’a pas confiance, mais accepte de lui parler après que l’agent le menace de poursuite s’il ne donne pas de sang. Après avoir discuté avec l’avocate, il accepte de donner un échantillon sanguin.

[30]        En contre-interrogatoire, l’accusé mentionne que son oncle vient le voir à l’hôpital après le départ des policiers. Ce dernier l’informe que lui aussi a été arrêté par les policiers. L’accusé est souffrant, mais il demande à son oncle de lui donner son cellulaire. Il appelle sa conjointe et sa mère. Il souffre beaucoup et on lui donne du « dilaudid ».

Théorie de la Défense

[31]        L’avocat de la défense soutient que le droit de consulter sans délai un avocat a été bafoué par les policiers et que le Tribunal devrait exclure de la preuve le résultat des analyses sanguines pour les raisons suivantes :

31.1.             De 16 h 53 à 20 h 30, il aurait été très facile pour les policiers de communiquer l’avocat de monsieur Deblois et de lui permettre d’avoir une conversation confidentielle avec lui;

31.2.             Monsieur Deblois possède un cellulaire, il a demandé à plusieurs reprises de communiquer avec son avocat. On lui a refusé sans raison;

31.3.             Il n’y avait aucune raison d’attendre que monsieur Deblois rencontre le médecin pour lui permettre d’exercer son droit constitutionnel.

[32]        La Défense base son argumentation sur les arrêts de jurisprudence suivants :

Sa Majesté la Reine c. James Kenneth Taylor, 2014, C.S.C. p. 50

Sa Majesté la Reine c. Alexandre Grondin, 750-01-030675-092

Sa Majesté la Reine c. Marc-André Lauzier, 505-01-095728-115

[33]        Quant à la Poursuite, elle soutient que même si le délai peut paraître long, il est justifié dans les circonstances de l’espèce :

33.1.             Monsieur Deblois est blessé sérieusement et son état nécessite des soins médicaux. D’ailleurs, il se plaint de douleurs et est insistant auprès du personnel infirmier;

33.2.             La préoccupation des policiers va du côté de l’état de santé de ce dernier, ils ne veulent pas gêner le travail du personnel;

33.3.             L’agent Pinard veut avoir l’avis du médecin avant de permettre à l’accusé d’appeler son avocat, car de 17 h 27 à 18 h 44, monsieur Deblois se plaint de douleurs, change d’humeur avec le personnel de l’hôpital, il est insistant, confus à l’occasion, veut enlever le collier cervical, demande pour aller fumer;

33.4.             L’accusé dit qu’il insiste pour parler à un avocat et à des proches. Pour quelle raison lorsque son oncle arrive, n’appelle-t-il personne?

33.5.             C’est impossible aussi qu’il parle au cellulaire lorsqu’il se trouve dans l’ambulance. L’agent Pinard est catégorique sur ce point. D’ailleurs, l’accusé ne se rappelle pas qu’un des ambulanciers se trouve à ses côtés.

DÉCISION

[34]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Taylor (précité) établit les règles que doivent suivre les policiers concernant l’exercice du droit à l’avocat lorsqu’ils sont à l’urgence d’un hôpital avec une personne arrêtée pour un acte criminel.

[21]       L’alinéa 10b) a pour objet « de permettre à la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits » : Manninen, p. 1242-1243. Le droit à l’assistance d’un avocat « vise […] à aider les détenus à recouvrer leur liberté et à les protéger contre le risque qu’ils s’incriminent involontairement » : R. c. Suberu, [2009] 2 R.C.S. 460, par. 40. L’accès à des conseils juridiques fait en sorte qu’une personne qui se trouve sous le contrôle de l’État et encourt un risque juridique « [est] en mesure d’exercer un choix libre et éclairé quant à la décision de parler ou non aux enquêteurs de la police. » : R. c. Sinclair, [2010] 2 R.C.S. 310, par. 25.

[24]       L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41-42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat. Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé. Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)). La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.

[32]       Les policiers ont l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la chose est possible en pratique. Le fait de présumer, comme le suggère le juge du procès, qu’il est raisonnable de tarder à donner effet au droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la période où l’accusé attend de recevoir un traitement médical à l’urgence d’un hôpital ainsi que pendant toute la durée de ce traitement, et ce, en l’absence de toute preuve des circonstances particulières en cause, compromettrait le respect de l’obligation constitutionnelle relative à l’accès « sans délai » à l’assistance d’un avocat.

[33]       Les cas traités en salle d’urgence ne constituent pas nécessairement tous des urgences médicales telles que les communications entre un avocat et un accusé ne sont pas raisonnablement possibles. Des droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique. L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée - et non pas supposée -, et des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.

[34]       La personne qui entre dans un hôpital pour y recevoir des soins médicaux ne se trouve pas dans une zone sans Charte. Lorsqu’une personne a demandé à avoir accès à un avocat et qu’elle est sous garde à l’hôpital, les policiers sont tenus par l’al. 10b) de prendre des mesures pour vérifier s’il est dans les faits possible à cette personne d’avoir accès privément à un téléphone, eu égard aux circonstances. Comme la plupart des hôpitaux sont dotés de téléphones, la question ne consiste pas simplement à déterminer si le détenu se trouvait à l’urgence, mais plutôt si le ministère public a démontré que les circonstances étaient telles qu’une conversation téléphonique privée n’était pas raisonnablement possible en pratique.

[35]        Pour décider de la présente requête, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances. L’accident a lieu dans un sentier de motoneige à Saint-Alexis-des-Monts. Le poste de la Sûreté du Québec (SQ) le plus près est à Louiseville. Le territoire couvert par les policiers est vaste. C’est la raison pour laquelle l’agent Pinard arrive sur les lieux de l’accident 40 minutes après avoir reçu l’appel initial.

[36]        Il se rend compte de la gravité des blessures subies par trois personnes, dont l’accusé, monsieur Deblois. Il essaie rapidement de savoir ce qui s’est passé. Il constate immédiatement que la personne qui accompagne l’accusé a des symptômes évidents d’ébriété.

[37]        Il remarque aussi que monsieur Deblois est blessé, les ambulanciers s’occupent de lui. Il perçoit une odeur d’alcool qui se dégage de son haleine et que les yeux également rouges et mi-clos. Il ne peut constater autre chose puisque l’accusé est couché sur une civière et on lui a mis un collier cervical. Il aide ensuite les ambulanciers à monter la civière dans l’ambulance.

[38]        Il décide alors après l’arrivée de ses confrères de suivre l’ambulance, car il sait qu’il va procéder à l’arrestation de l’accusé pour une conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool ayant causé des lésions corporelles. Il demande aux ambulanciers d’arrêter chemin faisant au poste de la SQ où il laisse sa voiture.

[39]        En prenant place dans l’ambulance, il procède à l’arrestation de l’accusé et lui fait une lecture complète de ses droits constitutionnels. Ce dernier comprend et veut communiquer avec Me Jacques Méthot.

[40]        L’agent Pinard a toujours voulu tout au long de l’intervention permettre à l’accusé d’exercer son droit à l’avocat. Il nous mentionne qu’il a attendu de connaître l’avis du médecin concernant l’état de monsieur Deblois et l’autorisation de la prise de sang avant de prendre les dispositions nécessaires à l’exercice de ce droit.

[41]        Pour l’agent Pinard, il est primordial que la conversation soit confidentielle et il était difficile de l’assurer compte tenu des soins prodigués à l’accusé et l’attitude revendicatrice de ce dernier.

[42]        Il n’a pas cherché à recueillir de la preuve, n’a pas interrogé monsieur Deblois. Lui et sa collègue l’ont surveillé et gardé à vue jusqu’à la prise de l’échantillon de sang. L’agent Pinard a respecté les directives du médecin et du personnel hospitalier à la lettre. Il a privilégié les soins médicaux même si l’attente a été très longue.

[43]        Il a par la suite tenté de rejoindre Me Méthot, mais sans succès. Il mentionne que l’accusé a accepté de parler à un avocat d’Aide juridique sans qu’il le force à le faire. Il s’est aussi assuré que la conversation se fasse de façon confidentielle.

[44]        En ce qui concerne le témoignage de l’accusé, le Tribunal ne le croit pas sur certains points. D’abord, il est blessé gravement, souffre beaucoup, est agité. Selon sa version des faits, sa principale demande aurait été de parler à un avocat. C’est contraire à la preuve présentée par l’agent Pinard et sa collègue Laforge, et aussi à l’attitude de l’accusé qui demande constamment des soins pour contrer sa douleur. De plus, il dit qu’il demande à son oncle dès son arrivée qu’il lui donne son cellulaire pour appeler sa conjointe et sa mère. La liste des appels qu’il dépose en preuve démontre qu’il n’a pas effectué d’appels durant la nuit, mais seulement à partir de 8 h le matin et uniquement par obligation pour son commerce.

[45]        Le Tribunal ne croit pas qu’il ait parlé à sa conjointe lorsqu’il est dans l’ambulance. La teneur de la conversation qu’il prétend avoir eue n’est pas crédible. D’ailleurs, madame aurait certainement tenté de le rejoindre pour connaître son état de santé, mais aucun appel n’est signalé entre 17 h 5 et 8 h le lendemain matin.

[46]        Dans ce cas particulier, le Tribunal conclut que la Poursuite a démontré que le délai pour permettre à l’accusé d’exercer son droit à l’avocat est raisonnable et qu’il n’y a pas de violation de la Charte canadienne des droits et libertés.

[47]        Quant à l’avocat de son choix, l’agent Pinard a fait les démarches nécessaires pour entrer en contact avec lui. Le Tribunal croit les policiers Pinard et Laforge lorsqu’ils disent que l’accusé s’est impatienté et a accepté d’obtenir les services d’un avocat de garde et il a obtenu des conseils juridiques de façon confidentielle.

[48]        Si le Tribunal en était venu à considérer que le délai entre le moment où l’accusé arrive à l’hôpital et celui où il communique avec un avocat était trop long et déraisonnable, il en serait venu à la conclusion qu’en vertu de l’article 24(2) que l’acception de la preuve recueillie ne déconsidère pas l’administration de la justice. Les policiers ont agi de bonne foi en faisant passer en premier les soins de santé requis par l’accusé tout en ayant toujours à l’idée de respecter les droits constitutionnels de ce dernier. Le Tribunal applique les critères émis par l’arrêt Grant pour en arriver à cette conclusion :

48.1.     La gravité de la conduite attentatoire de l’État :

Dans ce cas, l’accusé a pu avant de donner les échantillons sanguins communiquer avec un avocat et avoir les conseils juridiques. Le délai est long, mais il n’y a eu aucune preuve additionnelle incriminante recueillie pendant cette période;

48.2.     L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte :

Il est bien évident que la prise d’un échantillon sanguin porte atteinte à l’intégrité corporelle et à la dignité de l’accusé. L’exclusion de cette preuve est habituellement exclue par les tribunaux;

48.3.     L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond :

La preuve du résultat des tests sanguins est pertinente et fiable;

48.4.     Mise en balance de l’ensemble de ces facteurs.

[49]        Tenant compte de la fiabilité de la preuve et aussi que la violation dans ce cas ne serait que sur le délai avant de communiquer avec un avocat, que l’agent Pinard a toujours voulu respecter ce droit, qu’aucune preuve incriminante n’a été recueillie, que l’accusé est blessé grièvement et que la priorité est donnée aux soins de santé, c’est ce qui explique en grande partie le délai. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve recueillis ne considèrent d’aucune façon l’administration de la justice.

[50]        La requête d’exclusion de preuve est rejetée.

 

 

 

__________________________________

HONORABLE GUY LAMBERT, J.C.Q.

 

Me Vicky Belleville

Procureure de la partie poursuivante

 

Me Johnny Bianchi

Procureur de l'accusé

 

Date d’audience :

2 octobre 2014 et 3 février 2015

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.