Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Groupe TVA inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail

2014 QCCLP 4413

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

30 juillet 2014

 

Région :

Laval

 

Dossier :

517896-61-1307

 

Dossier CSST :

136635208

 

Commissaire :

Philippe Bouvier, juge administratif

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Groupe TVA inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 25 juillet 2013, le Groupe TVA inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 juin 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 mai 2013 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle survenue le 16 décembre 2009.

[3]           L’audience s’est tenue le 13 mars 2014 à Laval en présence de l’employeur et de sa procureure. La CSST est également représentée par procureur. La cause a été mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un transfert total d’imputation parce que l’accident du travail subi par le travailleur est attribuable à un tiers.

[5]           Subsidiairement, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit pas être imputé du coût des prestations de la lésion professionnelle du travailleur parce que celles-ci sont dues à un désastre.

LA PREUVE

[6]           Le travailleur est un journaliste bien connu qui œuvre depuis de nombreuses années pour le compte de l’employeur. Ce dernier opère un réseau de télévision et il est classé pour les années 2010 à 2011 dans l’unité de classification 57010.

[7]           Le 16 décembre 2009, le travailleur subit un accident du travail lorsque l’hélicoptère dans lequel il prend place pour réaliser des reportages sur l’état de la circulation s’écrase au sol. Le travailleur subit plusieurs blessures acceptées par la CSST dont des fractures au rameau pubien supérieur droit, de l’acétabulum gauche, de T12, de L5, du sternum, des 7e, 8e et 9e côtes droites et des 8e et 9e côtes gauches. De plus, il est affligé d’un état de stress post-traumatique. Selon la preuve, le travailleur est consolidé le 9 septembre 2011 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.

[8]           Le dossier contient deux rapports d’enquête relativement à l’écrasement de l’hélicoptère survenu le 16 décembre 2009. Le premier est un rapport d’enquête aéronautique portant le numéro A09Q0210 du Bureau de la sécurité dans des transports du Canada (le BST). Le second est un rapport final d’enquête daté du 3 février 2012, préparé par monsieur Vénessa Opdekamp Talbot, inspecteur en santé et sécurité au travail en aviation chez Transports Canada. Ce dernier rapport reprend essentiellement les principaux éléments du rapport du BST.

[9]           Dans le rapport d’enquête du BST, l’accident du 16 décembre 2009 est décrit de la façon suivante :

[…] À 7 h 052, l’appareil décolle de l’aéroport international de Montréal (Mirabel) (Québec) avec à son bord le pilote et un journaliste afin d’effectuer une patrouille de routine pour la retransmission télévisée des évènements de l’actualité dans la région métropolitaine de Montréal. L’appareil monte jusqu’à 13003 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl) et se dirige vers le sud-est. Vers 7 h 12, l’hélicoptère entre dans la zone de contrôle de l’aéroport Montréal / Pierre Elliott Trudeau International et est autorisé à se rendre au pont Mercier. Après avoir tourné en rond au-dessus du pont Mercier, l’appareil se dirige vers le nord-est à environ 1100 pieds asl en suivant la rive nord du fleuve Saint-Laurent.

 

À 7 h 24 min 55 s, juste à l’est du pont Champlain, le klaxon d’avertissement de bas régime rotor retentit pour la première fois et le régime moteur s’emballe. Le klaxon sonnera par la suite à 4 reprises. À 7 h 25 min 17 s, à une altitude d’environ 650 asl, le pilote informe le contrôleur qu’il effectue un atterrissage d’urgence au Studios Mel’s4. L’appareil se trouve alors quelque peu au nord de l’héliport des Studios Mel’s. À environ 500 pieds asl, le pilote exécute un virage vers la droite de 180°. Pendant les derniers moments du vol, le contrôle en tangage et en roulis5 de l’appareil est mou et presque inexistant. L’appareil s’écrase dans un fossé situé entre le Studios Mel’s et l’autoroute Bonaventure.

___________________

2 Les heures sont exprimées en heure normale de l’Est (temps universel coordonné moins 5 heures), à moins d’avis contraire.

3 Toutes les altitudes de l’appareil proviennent des données enregistrées par le radar de Montréal situé sur l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal.

4 Studio d’enregistrement pour productions cinématographiques équipé d’un héliport.

5 Le contrôle en tangage et en roulis s’obtient par la commande cyclique (le manche).

 

 

[10]        L’hélicoptère immatriculé C-GDSF au cœur de cet accident est un Robinson R44, propriété de l’employeur. Au moment de l’accident, l’appareil avait accumulé 2 103 heures de vol. Ce type d’hélicoptère doit faire l’objet d’une révision après 2 200 heures de vol. Toutefois, le C-GDSF a fait l’objet d’une révision entre juin et août 2009 même s’il n’avait accumulé que 1 900 heures d’utilisation. Bien que la règlementation canadienne n’exige pas des propriétaires d’aéronefs privés de suivre les recommandations du manufacturier pour effectuer l’entretien de leur appareil, l’employeur avait choisi d’entretenir son appareil selon les normes des appareils commerciaux.

[11]        Au moment de l’accident, le pilote de l’hélicoptère C-GDSF est monsieur Antoine Léger de la compagnie Hélicon Aéronautique inc. Ce dernier pilote l’appareil pour le compte de l’employeur, de façon permanente, depuis 2009. Selon le rapport du BST, le pilote Léger cumulait, au moment de l’accident, 2 400 heures de vol sur des hélicoptères, dont 1 000 heures effectuées sur un modèle Robinson R44 et 164 spécifiquement sur l’appareil immatriculé C-GDSF. L’enquête révèle qu’au moment de l’accident, le pilote était bien reposé et que la fatigue ne constitue pas un facteur de l’accident. De plus, la preuve révèle que la vérification de l’appareil, avant le vol, n’a pas permis d’identifier de défectuosité.

[12]        Dans le rapport d’enquête du BST, les enquêteurs expliquent que le modèle d’hélicoptère Robinson R44 est doté d’un rotor principal qui a tendance à consommer rapidement l’énergie emmagasinée pouvant mener à une chute du régime rotor principale (Nr). Ainsi, la puissance motrice est transmise au rotor principal par un système de courroies. Par ailleurs, l’embrayage entre le rotor principal et la transmission s’effectue par une mise en tension de ces courroies.

[13]        Cette mise en tension des courroies s’effectue par un système servomoteur électrique qui s’arrête automatiquement à une tension préétablie. Un voyant avertisseur CLUTCH en jaune s’illumine lorsque que le servomoteur est en fonction que ce soit lors de la mise en tension ou la mise hors tension des courroies. Si ce voyant lumineux demeure allumé plus de sept ou huit secondes, le pilote doit tirer le disjoncteur CLUTCH, réduire la puissance de l’appareil et atterrir immédiatement.

[14]        Dans l’éventualité où le rotor n’est plus entraîné par le moteur, le pilote doit effectuer une manœuvre pour contrer la réduction rapide du régime du rotor principal. Selon le rapport, une perte de puissance de l’appareil peut être causée par une panne du moteur ou encore par une défaillance du système d’entraînement du moteur. Habituellement un klaxon d’avertissement signale au pilote une chute du régime du rotor.

[15]        Ainsi, lorsqu’il y a une panne de moteur ou toute autre défaillance mécanique, la technique de l’autorotation permet à l’hélicoptère de descendre sans perte de maîtrise. Cette technique est décrite de la façon suivante :

Lorsqu’une panne moteur survient, le pilote doit abaisser la commande de pas collectif au minimum, dans le but d’empêcher la perte du Nr afin de procurer un écoulement d’air favorisant la rotation du rotor principal. Durant le vol, le moteur fournit la puissance nécessaire pour entraîner les rotors. Si celui-ci s’arrête ou qu’il survient un bris mécanique au système d’embrayage, une autre force doit alors entraîner les rotors afin que le vol puisse se poursuivre jusqu’à l’atterrissage. Cette force,  produite en descente  par l’écoulement de l’air au travers du rotor principal et suffisante pour contrer la traînée des pales, est fournie par l’énergie potentielle accumulée par l’hélicoptère. En d’autres termes, la descente de l’hélicoptère transforme le potentiel d’altitude  perdu en énergie cinétique, suffisante pour entraîner les rotors.

 

 

[16]        Le rapport mentionne que l’atterrissage sans moteur, en autorotation, est une manœuvre difficile pour n’importe quel pilote car il doit faire appel à des compétences qu’il n’a pas souvent l’occasion de mettre en pratique.

[17]        Il appert du rapport du BST que l’accident est survenu alors qu’il y a eu une baisse de l’énergie du rotor et une augmentation du régime du moteur. Les enquêteurs du BST évoquent donc la situation suivante pour expliquer l’accident :

L’accident s’est produit suite à une baisse du Nr concurrente à une augmentation du régime moteur. Étant donné que l’examen de l’épave n’a révélé aucune anomalie, il est raisonnable de penser que le système de courroies s’est distendu en vol. Un glissement des courroies entraîne une augmentation du régime moteur parce que celui-ci n’est plus en demande de tension de la part du système d’embrayage. De plus, comme le rotor  principal n’est plus entraîné par le moteur, le Nr subit un ralentissement. En conséquence, on peut conclure que l’hélicoptère a subi une défectuosité du système d’entraînement. L’analyse traitera de la défaillance qui aurait causé la diminution du Nr et de l’exécution de l’atterrissage d’urgence par le pilote.

 

[…]

 

Aucune défectuosité n’a été observée lors de l’examen de l’appareil. Par ailleurs, on a noté sur le site de l’accident que le disjoncteur Clutch / Start était déclenché. Trois scénarios pouvant expliquer le déclenchement du disjoncteur ont été étudiés.

 

 

[18]        L’enquête du BST n’a pas été en mesure de déterminer la cause du déclenchement du disjoncteur CLUTCH/START même si trois scénarios ont été examinés par les enquêteurs.

[19]        Par ailleurs, ces derniers expliquent qu’au moment où le klaxon retentit, le moteur de l’hélicoptère continuait à générer de la puissance et aucun voyant lumineux n’était allumé pour indiquer un problème d’embrayage. Ils estiment que le pilote malgré le klaxon a cru qu’une certaine force se rendait au système de rotor principal, faisant en sorte qu’il n’a pas mis l’appareil en autorotation. De ce fait, le régime du rotor principal a chuté rendant difficile le contrôle de l’appareil et les possibilités d’un atterrissage normal en autorotation.

[20]        Quant aux qualités requises pour enclencher la manœuvre en autorotation, les enquêteurs du BST écrivent :

Étant donné que les symptômes d’un problème d’embrayage ne sont pas reproduits pendant les vols de formation, le pilote ne pouvait pas s’appuyer sur une expérience contextuelle pour évaluer rapidement la situation.

 

[…]

 

L’autorotation est une manœuvre qui fait appel à des compétences rarement mises en pratique, mis à part lors des formations périodiques. Au moment du déclenchement du klaxon bas Nr, le pilote disposait de peu de temps pour choisir un site propice à l’atterrissage forcé. Bien que plusieurs sites permettant un atterrissage sécuritaire étaient disponibles dans la zone survolée, peu de ces endroits convenaient à un atterrissage en autorotation. Le choix d’un endroit convenable pour un atterrissage forcé est tributaire de l’altitude de l’appareil au moment de la panne, de son emplacement par rapport à l’hélicoptère, de sa surface, et des obstacles dans ses environs.

 

L’emplacement de l’héliport des Studios Mel’s présentait un défi plus important que d’autres endroits disponibles situés droit devant. En effet, les hangars du côté est gênaient une approche de l‘est et son emplacement par rapport à l’hélicoptère exigeait l’amorce d’un virage d’au moins 180° à une altitude de 700 pieds agl. Ces deux éléments complexifiaient la tâche du pilote en limitant l’axe d’approche et en augmentant le taux de descente pendant le virage.

 

 

[21]        Le rapport du BST fait état que l’employeur n’exploitait pas un service aérien commercial et qu’il s’en servait exclusivement aux fins de son entreprise. Ainsi, l’hélicoptère de l’employeur immatriculé C-GDSF était exploité selon les règles des aéronefs privés moins contraignantes que celles s’appliquant aux exploitants commerciaux. Les enquêteurs notent que l’employeur avait décidé que l’entretien de son hélicoptère serait effectué selon les normes commerciales alors que son exploitation opérationnelle s’accomplirait selon les règles moins exigeantes des aéronefs privés.

[22]        Quant à la compétence du pilote, les enquêtes écrivent :

Dans le cas qui nous concerne, le pilote détenait une licence professionnelle. Toutefois, son dernier CCP sur KM remontait à 2002 et sa dernière formation en vol sur type avait eu lieu 2,5 ans avant l’accident. On peut donc conclure que ses compétences pour faire face à la situation étaient moindres que si sa formation périodique avait été effectuée selon les exigences pour une exploitation commerciale. On ne peut pas affirmer de façon catégorique que le pilote aurait réussi l’atterrissage forcé s’il avait suivi le programme de formation exigé par la Partie VIl du RAC. Toutefois, cette formation aurait accru la possibilité de réussir l’autorotation.

 

 

[23]        Enfin, les enquêteurs du BST concluent que le disjoncteur du système d’embrayage s’est déclenché pour une raison inconnue, entraînant l’arrêt du système et une diminution du régime rotor. Ils estiment que comme la défectuosité s’est produite à basse altitude, le pilote a eu très peu de temps pour réagir.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert d’imputation en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[25]        Cet article énonce ce qui suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[26]        Le premier alinéa de cet article consacre le principe général d’imputation que le coût d’une lésion professionnelle doit être imputé au dossier financier de l’employeur. Or, dans le présent dossier, l’employeur soulève l’exception prévue au second alinéa de cet article selon laquelle il peut bénéficier d’un transfert d’imputation si l’accident du travail dont est victime le travailleur est attribuable à un tiers et de ce fait qu’il est injuste qu’il en supporte le coût des prestations. L’application de cette exception du principe général d’imputation implique donc la preuve des éléments suivants :

·        l’existence d’un accident du travail;

·        la présence d’un tiers;

·        que l’accident du travail soit attribuable à un tiers;

·         l’effet injuste de l’imputation pour l’employeur.

 

 

[27]        Dans la décision Ministère des Transports et CSST[2], une formation de trois juges administratifs procède à une étude approfondie de cette exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. La grille d’analyse élaborée par la Commission des lésions professionnelles dans cette décision vient cristalliser l’état du droit dans l’interprétation du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

[28]        La notion de tiers n’est pas définie dans la loi. Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[3], la Commission des lésions professionnelles retient la définition suivante de tiers :

[276]    Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.

____________

201         Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.

 

 

[29]        Au chapitre de la notion d’« attribuable à un tiers », la formation de trois juges administratifs décide que l’interprétation suivante doit prévaloir :

[240]    Ce que l’article 326 de la loi exige en effet, c’est que l’accident soit attribuable à un tiers188, non pas que l’employeur soit exempt de la moindre contribution à son arrivée.

 

[241]    D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.

 

[242]    En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur191 pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.

 

[243]    Rien ne s’objecte à ce que pour les fins de l’application de la règle, les apports combinés de plusieurs personnes équivaillent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci ont fait en sorte que l’accident se produise.

 

[244]    Rien, non plus, n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pu être établie192, en autant que le prochain élément de la condition préalable soit démontré, c’est-à-dire qu’il s’agit bel et bien de tiers.

____________

188         Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M.  - D. Lampron, (03LP-15).

189         Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin & Dickner inc., 36997-03-9203, 30 septembre 1994, J.-G. Roy, (J6-21-05); Protection Incendie Viking ltée et Prairie, 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, révision rejetée, 15 novembre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 866, révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, É. Harvey; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239; A. Lamothe 1991 inc. et Macameau, [1998] C.L.P. 487; Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., 126248 -62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix; Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, 100174-72-9804, 26 mai 2000, Marie Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre jeunesse Montréal, 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et CSST, 134249-61-0003, 29 novembre 2000, G. Morin.

190         CSST et Les Industries Davie inc., 95042-03B-9803, 18 février 1999, P. Brazeau ; Hydro-Québec et CSST, 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault.

191         Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582 ; Les Coffrages CCC inc. et Terramex inc., 294890-63-0607, 19mars 2007, M. Juteau.

192         Laiterie Dallaire et Zavodnik, 35021-08-9112 et autres, 10 novembre 1992, L. McCutcheon; Centre jeunesse de Montréal et CSST, 218751-63-0310, 16 décembre 2004, F. Dion-Drapeau; Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 7 septembre 2006, J.-F. Martel ; Services Ultramar inc., [2007] QCCLP 344 ; Centre d'hébergement Champlain-Limoilou, 289124-31-0605, 23 mars 2007, J.-L. Rivard, révision rejetée, 12 octobre 2007, A. Suicco.

 

 

[30]        Bien qu’un accident du travail soit attribuable à un tiers, encore faut-il que l’imputation des coûts de cet accident du travail au dossier de l’employeur représente une injustice. Dans la décision Ministère des Transports et CSST[4], la Commission des lésions professionnelles dégage de l’ensemble de la jurisprudence les facteurs qui doivent être pris en compte pour analyser cette notion d’injustice :

[339]    Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

-  les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;

 

-  les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

-  les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340]    Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

 

 

[31]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles estime que les deux premières conditions requises par la jurisprudence pour l’application de l’exception au principe général d’imputation lorsqu’il s’agit d’un accident attribuable à un tiers sont remplies. En effet, la CSST a reconnu la survenance d’un accident du travail le 16 octobre 2009 et celui-ci n’a jamais été remis en question par l’employeur. Quant à la notion de tiers, le tribunal considère que le pilote de l’hélicoptère doit être considéré comme tel puisqu’il est lié contractuellement avec la firme Hélicom Aéronautique inc., une entreprise distincte de celle de l’employeur, et ce, malgré le fait qu’il est aux commandes de l’hélicoptère de l’employeur[5].

[32]        La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si ce tiers, le pilote de l’hélicoptère, par son action ou son omission, a contribué a plus de 50 % à la survenance de l’accident survenu le 16 décembre 2009. Dans sa plaidoirie, la procureure de l’employeur soulève d’emblée que les actions de l’employeur n’ont aucunement contribué à la survenance de l’accident. Le tribunal précise que la contribution du tiers à l’accident doit s’analyser à travers le prisme de ses actions ou omissions et non à travers celui des actions ou gestes posés par l’employeur.

[33]        Dans le présent dossier, l’employeur soulève que le pilote de son hélicoptère n’avait pas les qualifications et l’expérience requises pour réagir adéquatement aux problèmes techniques survenus le 16 décembre 2009 et ainsi prévenir l’accident. Bien que le comportement du pilote ait pu jouer un rôle dans la survenance de l’écrasement de l’hélicoptère de l’employeur, le tribunal estime que les actions ou omissions du pilote n’ont pas contribué majoritairement à cet événement.

[34]        Ce qui ressort du rapport du BST c’est qu’il y a eu, le 16 décembre 2009, la survenance de certains problèmes techniques. Ainsi, en plein vol, le klaxon d’avertissement retentit, signe de la présence d’un problème technique bien qu’aucun signal lumineux n’était allumé pour indiquer un problème d’embrayage. De plus, le moteur de l’hélicoptère continuait à générer de la puissance. Les enquêteurs indiquent que, dans ce contexte, le pilote a cru qu’une certaine force se rendait au rotor principal ce qui dans les faits n’était pas le cas.

[35]        Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles à la lumière des explications techniques énoncées dans le rapport du BST estime que l’un des principaux facteurs contributoires à l’accident du 16 décembre 2009 réside dans la survenance d’un problème technique non identifié par les enquêteurs qui a entraîné une perte d’énergie du rotor principal. Il appert du rapport du BST que lorsque survient une perte d’énergie du rotor principal, le pilote doit enclencher une manœuvre d’autorotation afin de poser l’appareil.

[36]        L’employeur reproche au pilote de ne pas avoir la formation, les qualifications et l’expérience requises pour d’une part réagir à cette situation d’urgence et d’autre part réussir l’autorotation. Les prétentions de l’employeur reposent notamment sur cet extrait du rapport du BST :

Dans le cas qui nous concerne, le pilote détenait une licence professionnelle. Toutefois, son dernier CCP sur KM remontait à 2002 et sa dernière formation en vol sur type avait eu lieu 2,5 ans avant l’accident. On peut donc conclure que ses compétences pour faire face à la situation étaient moindres que si sa formation périodique avait été effectuée selon les exigences pour une exploitation commerciale. On ne peut pas affirmer de façon catégorique que le pilote aurait réussi l’atterrissage forcé s’il avait suivi le programme de formation exigé par la Partie VIl du RAC. Toutefois, cette formation aurait accru la possibilité de réussir l’autorotation.

 

 

[37]        Dans cet extrait, les enquêteurs du BST mentionnent que le pilote aurait été mieux outillé si sa formation avait été effectuée selon les exigences pour une exploitation commerciale. Le tribunal rappelle que le pilote, selon le rapport du BST, n’avait pas à suivre une telle formation puisqu’il pilote un aéronef privé. De plus, dans ce même extrait sur lequel l’employeur attire l’attention du tribunal, les enquêteurs ne peuvent affirmer de façon catégorique que le pilote aurait réussi cet atterrissage forcé s’il avait suivi le programme de formation commerciale.

[38]        De plus, le tribunal retient que dans le rapport du BST, les enquêteurs mentionnent que les symptômes d’un problème d’embrayage ne sont pas reproduits pendant les vols de formation, le pilote ne pouvait pas s’appuyer sur une expérience contextuelle pour évaluer la situation. Ils ajoutent que l’autorotation est une manœuvre qui fait appel à des compétences rarement mises en pratique, sans compter la présence d’autres paramètres comme l’altitude de l’appareil et l’emplacement possible pour atterrir.

[39]        Dans cette perspective, la Commission des lésions professionnelles estime que si par son omission ou par son action le pilote de l’hélicoptère a contribué à l’accident survenu le 16 décembre 2009, cette contribution n’est certes pas majoritaire puisque parmi les facteurs contributoires à celui-ci, il y a la baisse de régime du rotor principal causée par un problème technique non identifié dans le rapport du BST. Le fait que l’employeur n’ait aucun contrôle sur l’apparition de ce problème technique ne signifie pas que le tiers a contribué de façon significative à la survenance de l’accident.

[40]        La procureure de l’employeur soumet deux décisions au soutien de ses prétentions. Le tribunal ne peut souscrire aux motifs de ces décisions puisque la trame factuelle de celles-ci diffère du présent dossier. Dans la décision A Hébert & Fils et Aéropro[6], la Commission des lésions professionnelles retient la négligence, la témérité et le manque de professionnalisme du pilote et son horaire trop chargé, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier. Dans l’affaire Ministère des ressources naturelles & Faune et CSST[7], le tribunal retient comme contribution majoritaire l’erreur du pilote. Or, dans le présent dossier, il y a la présence à l’origine d’une défaillance technique.

[41]        En conséquence, le tribunal conclut que l’accident du travail survenu le 9 décembre 2009 n’est pas attribuable à un tiers puisque la contribution du pilote à cet accident n’est pas majoritaire. Dans cette perspective, le tribunal n’a pas à se prononcer s’il y a une injustice pour l’employeur d’assumer les coûts de cet accident du travail.

Application de l’article 330 de la loi

[42]        La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si l’employeur a droit un transfert d’imputation en vertu de l’application de l’article 330 de la loi qui énonce ce qui suit :

330.  La Commission peut imputer le coût des prestations dues à la suite d'un désastre à la réserve prévue par le paragraphe 1° de l'article 312.

__________

1985, c. 6, a. 330.

[43]        De plus, les articles 311 et 312 de la loi édictent ce qui suit :

311.  La Commission peut augmenter le taux de cotisation de toutes les unités ou imposer une cotisation supplémentaire à tous les employeurs pour combler un déficit causé par un désastre.

 

La cotisation supplémentaire est réputée à tous égards une cotisation ordinaire.

__________

1985, c. 6, a. 311; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

312.  La Commission peut augmenter le taux de cotisation d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou ajouter à la cotisation imposée à un, plusieurs ou tous les employeurs, selon qu'elle le juge équitable, un pourcentage ou un montant additionnel afin de créer une réserve pour supporter les coûts dus en raison :

 

1° de circonstances qui, à son avis, entraîneraient une augmentation trop considérable du taux de cotisation d'une unité de classification;

 

2° des maladies professionnelles;

 

3° des retraits préventifs prévus par l'article 32 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1);

 

4° du défaut de certains employeurs de payer leur cotisation.

__________

1985, c. 6, a. 312; 1996, c. 70, a. 24.

 

 

[44]        Bien que cette notion de désastre ne soit définie pas dans la loi, ces trois dispositions y font référence que ce soit explicitement pour les articles 311 et 330 de la loi ou de façon implicite pour ce qui est de l’article 312 de la loi.

[45]        En 1986, la CSST publie une Loi annotée sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Dans l’avant-propos de cette Loi annotée, la CSST précise le but de ce document :

Le présent document vise à faciliter la compréhension et l’utilisation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, entrée en vigueur le 19 août 1985.

 

Il reprend le texte de cette loi, article par article, en fournissant lorsque cela s’avère pertinent :

 

·         le texte des articles de lois et règlements en vigueur avant l’adoption de la loi et ayant le même objet (il s’agit le plus souvent de la Loi sur les accidents du travail);

 

·         un commentaire qui précise les buts visés par l’article, souligne s’il est de droit nouveau, le situe dans la loi et explique son contenu;

 

·         des exemples qui en illustrent l’application;

 

·         des notes qui font référence aux dispositions similaires d’autres lois en vigueur (par exemple, la Loi sur l’assurance automobile).

 

Chaque chapitre est par ailleurs précédé d’une synthèse qui en donne une vue d’ensemble et un index détaillé est fourni dans les dernières pages de la publication.

 

Ce document est produit par la Commission de la santé et de la sécurité du travail; il est le fruit d’une collaboration entre la Direction des services juridiques, la Direction de la programmation-Réparation et la Direction des communications.

 

Les textes qui y sont présentés ont une valeur purement explicative. Advenant la nécessité d’appliquer ou d’interpréter la loi, le lecteur doit se référer à la version publiée par l’Éditeur officiel du Québec; cette version officielle est la seule référence juridique admissible à ces fins.

 

 

[46]        Ainsi à l’article 311 de la loi, la CSST émet le commentaire suivant :

Le taux de cotisation étant fixé à partir de prévisions actuarielles, il peut arriver que celles-ci soient sérieusement faussées à l’occasion d’un désastre (par exemple, une tragédie industrielle). Pour corriger la situation, il est nécessaire de prévoir la possibilité pour la Commission d’augmenter le taux de cotisation ou d’imposer une cotisation spéciale. Cette disposition s’inspire des articles 98 et 99 de la Loi sur les accidents du travail.

 

 

[47]        Par ailleurs, la CSST formule le commentaire suivant sous l’article 312 de la loi :

Pour stabiliser les taux de cotisation et éviter de surcharger les employeurs lorsque des circonstances spéciales se présentent, cet article donne à la Commission le pouvoir de créer une réserve pour supporter les coûts entraînés par les maladies professionnelles, les retraits préventifs, le défaut de certains employeurs, ou d’autres circonstances spéciales.

 

La Commission avait déjà le pouvoir de créer un fonds spécial en vertu du paragraphe 2 de l’article 99 de la Loi sur les accidents du travail.

 

 

[48]        Certes, la Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par ces commentaires formulés par la CSST en 1986. Toutefois, le tribunal estime qu’ils constituent un apport important dans l’interprétation de la notion de désastre puisqu’ils sont élaborés à la naissance de la loi, exprimant le but poursuivi, selon l’organisme chargé d’appliquer la loi.

[49]        La Commission des lésions professionnelles rappelle que le principe général d’imputation veut que la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail. Or, comme à l’article 330 de la loi le législateur parle du coût des prestations dues à la suite d’un désastre, le tribunal estime que l’accident du travail en soi ne peut être le désastre mais que ce dernier doit avoir causé l’accident du travail pour pouvoir bénéficier d’un transfert d’imputation.

[50]        Dans les commentaires formulés par la CSST dans la Loi annotée, la notion de désastre s’explique par les termes de tragédie industrielle ou de circonstances spéciales. De fait, la Commission des lésions professionnelles estime que si le législateur a prévu la possibilité de mettre en place une réserve pour supporter les coûts dus en raison de certaines circonstances, dont un désastre, il faut nécessairement que celles-ci soient exceptionnelles dans leur survenance ou encore dans leur impact.

[51]        Dans cette perspective, le tribunal considère qu’un désastre représente une situation exceptionnelle qui peut se caractériser par la rareté de sa survenance ainsi que son ampleur de même que par l’étendue de ses effets sur l’ensemble des activités de l’employeur, l’empêchant ainsi de réaliser que ce soit de façon temporaire ou permanente une partie substantielle de sa mission.

[52]        Dans le présent dossier, la procureure de l’employeur soumet que la défectuosité technique survenue en vol constitue un désastre. La Commission des lésions professionnelles estime que la défectuosité technique d’un équipement utilisé par un employeur ne représente pas une situation exceptionnelle et ne peut être assimilée à un désastre. Le côté spectaculaire d’un événement comme c’est le cas en l’espèce ne fait pas en sorte que la cause de cet accident représente un désastre au sens de l’article 330 de la loi.

[53]        En conséquence, l’employeur doit être imputé du coût des prestations versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle du 16 décembre 2009.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête du Groupe TVA inc., l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 juin 2013;

DÉCLARE que l’employeur doit être imputé du coût des prestations versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle du 16 décembre 2009.

 

 

__________________________________

 

Philippe Bouvier

 

 

 

 

Me Geneviève Mercier

LE CORRE & ASSOCIÉS, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Yves Lavallée

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           [2007] C.L.P. 1804.

[3]           Id.

[4]           Précitée, note 2.

[5]           Grimard.ca Inc. et Hélicoptères Canadiens ltée, 2013 QCCLP 3698.

[6]           2010 QCCLP 7204.

[7]           2010 QCCLP 8714.

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