[1] LA COUR, - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 17 décembre 2003 par la Cour supérieure, district de St-François (l'honorable Léo Daigle), rejetant, avec dépens, l'action en dommages-intérêts intentée par l'appelante contre les intimés et accueillant pour partie les demandes reconventionnelles formulées par certains d'entre eux;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Hilton et Dufresne :
[4] Quant à l'appel du rejet de l'action intentée par l'appelante contre les intimés, REJETTE l'appel, avec dépens, sauf quant à la conclusion figurant au paragraphe 124 du jugement de première instance, qui est biffée et remplacée par la conclusion suivante :
[124] REJETTE l'action de CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. avec dépens en faveur des défendeurs regroupés comme suit : DAVID RÉGIS BONNEAU, YVES BENOÎT, LUC NADEAU et LYRCO NUTRITION INC. incluant ses frais d'expert de 32 059,77 $; LES ÉLEVAGES BENOÎT ET NADEAU ENR. et GESTION BENOÎT ET NADEAU INC.; MARTHE BÉNARD et GARY BÉLANGER.
[5] Quant à l'appel des condamnations résultant des demandes reconventionnelles des intimés, ACCUEILLE l'appel, avec dépens, à la seule fin de retrancher 10 000 $ de chacun des montants figurant aux paragraphes 126, 127 et 128 du jugement de première instance, de façon que ces paragraphes énoncent dorénavant que :
[126] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à DAVID RÉGIS BONNEAU la somme de 6 699,45 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
[127] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à YVES BENOÎT la somme de 13 321,23 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
[128] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à LUC NADEAU la somme de 3 270 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
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MOTIFS DE LA JUGE BICH |
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[6] Le pourvoi soulève principalement la question de l'interprétation et de l'application de l'article 2088 C.c.Q.
I. Remarques préliminaires
[7] L'appel a été formé, initialement, par Concentrés Scientifiques Bélisle inc. Celle-ci est devenue Bélisle Solution-Nutrition inc., qui a repris l'instance le 18 avril 2006, après l'audience d'appel. Néanmoins, dans les pages qui suivent, je renverrai à l'appelante en usant d'un raccourci de son nom antérieur, à savoir « Concentrés ».
[8] Par ailleurs, par souci de concision et sauf exception, je renverrai aux personnes physiques dont il sera question dans les pages qui suivent en usant de leur seul nom de famille. Enfin, lorsque je parlerai du témoin Bélisle, je désignerai, sauf indication contraire, Pierre Bélisle, ancien chef de la direction de Concentrés, et non son fils Philippe Bélisle, qui a également témoigné.
II. Contexte procédural
[9] En août 1994, Concentrés intente une action en dommages-intérêts, au motif de concurrence déloyale, contre cinq ex-salariés, les intimés Bonneau, Benoît, Nadeau, Bénard et Bélanger, de même que contre trois sociétés auxquelles certains d'entre eux sont liés. Bonneau, Benoît et Nadeau sont en effet les actionnaires de Lyrco Nutrition inc. (« Lyrco »); Benoît et Nadeau exploitent Les Élevages Benoît et Nadeau enr. (« Élevages ») et ils sont par ailleurs les actionnaires de Gestion Benoît et Nadeau inc. (« Gestion »).
[10] D'amendement en amendement, la réclamation que Concentrés présente en première instance finit par totaliser 1 487 434 $, soit :
- 74 937 $ pour les pertes que Concentrés allègue avoir subies en raison des actes déloyaux commis par Bonneau, Benoît, Nadeau, Bénard et Bélanger, directement ou par l'intermédiaire de Lyrco, Élevages et Gestion, antérieurement à la rupture de leur contrat de travail respectif, en mai 1994;
- 1 357 497 $ pour les pertes que Concentrés allègue avoir subies en raison de la concurrence déloyale à laquelle Bonneau, Benoît, Nadeau, Bénard et Bélanger, directement ou par l'intermédiaire de Lyrco, Élevages et Gestion, se seraient livrés postérieurement à la rupture du contrat de travail de chacun, et ce, jusqu'au 31 décembre 1994;
- 30 000 $ (au moins) pour les frais extrajudiciaires encourus par Concentrés en raison du comportement déloyal des intimés;
- 15 000 $ pour atteinte à la réputation de Concentrés;
- 10 000 $ pour l'utilisation sans droit de données lui appartenant.
[11] À l'audience d'appel, l'avocat de Concentrés signale que sa cliente ne réclame plus les honoraires extrajudiciaires de 30 000 $ ni les dommages-intérêts de 15 000 $ pour atteinte à la réputation ni ceux de 10 000 $ rattachés à l'utilisation de certaines données. Il explique ne plus exiger que les dommages-intérêts découlant de la baisse des ventes de Concentrés (i.e. les pertes encourues par celle-ci du fait de la concurrence déloyale des intimés). Il réduit en outre cette dernière somme d'un montant de 200 000 $ afin de tenir compte du fait que certains des clients desservis par les intimés n'étaient pas des clients réguliers de Concentrés.
[12] À l'action de Concentrés, les intimés opposent une défense et demande reconventionnelle (elle aussi amendée). Les intimés nient tout acte déloyal et toute concurrence déloyale. Trois d'entre eux font en outre valoir diverses réclamations contre Concentrés. Estimant avoir été congédiés sans motif sérieux en mai 1994, Bonneau, Benoît et Nadeau réclament ainsi chacun le paiement d'une indemnité tenant lieu de délai de congé, selon l'article 2091 C.c.Q. (75 000 $ dans le cas de Bonneau, 127 500 $ dans celui de Benoît et 90 000 $ dans celui de Nadeau). Ils réclament également le paiement de commissions et de bonis qui ne leur auraient pas été versés au moment de leur départ (6 699,45 $ dans le cas de Bonneau, 13 321,23 $ dans celui de Benoît et 3 270 $ dans celui de Nadeau). De plus, ils réclament des dommages-intérêts substantiels pour atteinte à la réputation (50 000 $ chacun) et pour troubles, inconvénients et abus de droit (100 000 $ chacun). L'intimée Gestion réclame pour sa part 3 456,11 $ en paiement des intérêts sur une marge de crédit, intérêts que Concentrés aurait été tenue de payer pour la période de septembre 1993 à mai 1994.
III. Jugement de première instance
[13] Le juge de première instance rejette l'action de Concentrés, estimant, d'une part, que celle-ci n'a pas fait la preuve de la concurrence déloyale qu'elle reproche aux intimés et, d'autre part, qu'elle a plutôt intenté son action contre eux dans le but de neutraliser indûment leurs activités.
[14] En résumé, selon le juge, les intimés Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont pas, en cours d'emploi, manqué à leur obligation de loyauté, n'ont pas concurrencé Concentrés et ne se sont pas mis à l'égard de celle-ci en situation de conflit d'intérêts. Le juge attribue plutôt à Laurier Paré, directeur général de l'appelante, la responsabilité de la
dégradation des rapports entre les parties : Paré, au témoignage duquel le juge n'accorde pas foi, aurait envenimé ce qui n'était qu'un malentendu, monté en épingle un incident sans gravité (à propos d'un certain Valère Lieutenant et de l'épouse de ce dernier) et fait croire au chef de la direction de Concentrés, Pierre Bélisle, « que ses meilleurs vendeurs lui font une concurrence déloyale à partir des installations d'ÉLEVAGES alors qu'ils n'y mènent que des opérations encouragées jusque-là par CONCENTRÉS »[1]. Le juge est d'avis que Bonneau, Benoît et Nadeau ont été congédiés « sous le faux prétexte des activités de Lyrco et en raison du leadership qu'ils confirmaient en mettant sur pied un syndicat qui allait chambarder l'objectif de CONCENTRÉS de modifier leurs conditions de travail sans négocier »[2].
[15] Par ailleurs, selon le juge, l'appelante n'a fait la preuve d'aucun acte déloyal de la part des intimés Bénard et Bélanger qui, sans qu'on puisse leur reprocher d'avoir participé à un complot contre l'appelante, ont tout simplement suivi Bonneau, Benoît et Nadeau après le congédiement de ceux-ci. Aux paragraphes 102 et 103 de son jugement, le juge écrit que :
[102] Concentrés n'a pas expliqué non plus pourquoi elle a poursuivi Bénard et Bélanger qui ont décidé de suivre leur patron immédiat en raison du climat chez Concentrés après leur congédiement : ils n'avaient joué aucun rôle dans leur décision de mettre sur pied Lyrco et n'avaient aucune participation dans Gestion et Élevages.
[103] Ces défendeurs ont été associés au complot présumé de BONNEAU, BENOÎT et NADEAU par CONCENTRÉS qui n'a offert aucune preuve matérielle digne de foi à ce sujet : elle devra en subir les conséquences.
[16] Enfin, le juge estime apparemment que la preuve ne révèle aucun comportement déloyal des intimés postérieurement au congédiement. Le juge est plutôt convaincu que Concentrés a intenté son action dans le but malicieux de nuire à un concurrent. Il écrit que :
[118] La poursuite de CONCENTRÉS telle que présentée avait toutes les apparences d'un recours bien fondé entrepris de bonne foi dont la cause semblait raisonnable et probable. Ce n'est qu'au procès que sa mauvaise foi et sa témérité sont devenues évidentes par la preuve du prétexte qui rendait sa demande irrecevable étant elle-même fautive d'avoir congédié BONNEAU, BENOÎT et NADEAU pour activités syndicales.
[119] Une seule conclusion s'impose : CONCENTRÉS n'avait qu'un seul objectif lorsqu'elle a entrepris sa poursuite sur la base de ce faux prétexte de concurrence déloyale : neutraliser l'organisation de LYRCO dont les activités prenaient de l'importance en vue de nuire à ses actionnaires, leurs employés BÉNARD et BÉLANGER ainsi qu'à GESTION et ÉLEVAGES.
[17] Le juge rejette donc l'action de Concentrés.
[18] Il n'accueille par ailleurs que partiellement la demande reconventionnelle des intimés. Tout d'abord, il conclut que le véritable motif du congédiement de Bonneau, Benoît et Nadeau réside dans le fait que ces derniers ont voulu former un syndicat après que Concentrés eut annoncé à l'ensemble des vendeurs de l'entreprise son intention de modifier leur rémunération (qui serait passée d'un salaire à commission à un salaire fixe) et de supprimer ou du moins de restreindre le principe d'exclusivité dont ils jouissaient jusque-là dans leurs territoires de vente respectifs. Le juge est d’avis que le recours de Bonneau, Benoît et Nadeau à l'encontre de ce congédiement était en conséquence régi par les articles 14 et 15 du Code du travail et relevait donc de la compétence exclusive de ce qui était à l'époque le commissaire du travail. Pour cette raison, il rejette la demande de Bonneau, Benoît et Nadeau, qui réclamaient de Concentrés une indemnité équivalente au délai de congé dont ils auraient été privés par leur congédiement. On notera immédiatement que Bonneau, Benoît et Nadeau n'ayant pas fait appel de ce rejet, la Cour n'est pas saisie de la question.
[19] Le juge conclut également que Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont réussi à prouver aucune atteinte à leur réputation : leur réclamation sous ce chef est donc rejetée. Les intéressés n'ont pas fait appel de ce rejet.
[20] Le juge condamne cependant Concentrés à verser à Bonneau, Benoît et Nadeau le montant des commissions et bonis que ces derniers prétendent leur avoir été dus au moment de leur congédiement, c'est-à-dire 6 699,45 $ pour Bonneau, 15 321,23 $ pour Benoît (ce montant est entaché d'une erreur d'écriture, Benoît ayant réclamé 13 321,23 $[3]) et 3 270 $ pour Nadeau[4]. Il condamne en outre Concentrés à verser à chacun d'entre eux une somme de 10 000 $ en compensation des ennuis résultant de l'action. Sur le total, il accorde l'intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter du 22 décembre 1994.
[21] Finalement, le juge conclut que Concentrés doit à Gestion la somme de 3 450,11 $.
IV. Appel et moyens d'appel
[22] Concentrés fait appel de ce jugement, dont elle allègue qu'il est entaché de nombreuses erreurs de droit et de nombreuses erreurs de fait manifestes et dominantes, ces dernières résultant d'une mauvaise compréhension du droit par le juge. À vrai dire, dans un mémoire touffu de 47 pages, elle demande à la Cour de refaire le procès de première instance et l'exhorte à traiter de plain-pied la totalité de la preuve versée au dossier de première instance et à l'analyser de nouveau à la lumière des arguments mêmes qui ont déjà été débattus.
[23] Sa thèse principale peut être résumée comme suit. À compter, au moins, du moment où fut créée Lyrco (en 1993), société dont la constitution a d'abord été tenue secrète, Bonneau, Benoît et Nadeau, salariés-clefs de Concentrés, ont comploté contre celle-ci, planifiant leur départ, détournant directement ou indirectement une part de la clientèle de leur employeur vers Lyrco, élargissant indûment, à cette fin, les activités d'Élevages et de Gestion et dépassant les limites de l'autorisation que leur avait à cet égard donnée Concentrés. Ils ont même carrément concurrencé leur employeur en faisant fabriquer et en vendant par Lyrco des produits identiques à ceux de Concentrés, utilisant de surcroît l'une des marques de cette dernière (« BB Courseur »). Lorsque Concentrés, mise au fait de leurs activités, en a exigé la cessation, Bonneau, Benoît et Nadeau ont refusé d'obtempérer, d'où leur congédiement, pleinement justifié, de mai 1994.
[24] Bénard et Bélanger ont participé à cette conspiration, d'abord en vendant des produits Lyrco alors qu'ils étaient encore à l'emploi de Concentrés et, ensuite, en démissionnant précipitamment de chez celle-ci pour se joindre à Lyrco quelques jours après le congédiement de Bonneau, Benoît et Nadeau.
[25] Par la suite, les cinq intimés, concrétisant le projet de détournement entamé en cours d'emploi, ont continué à concurrencer Concentrés de façon déloyale, notamment en faisant usage de données appartenant à Concentrés et concernant la clientèle de celle-ci, en desservant sans réserve ni réticence cette clientèle, en continuant de vendre certains produits identiques à ceux de Concentrés et en empruntant illégalement sa marque « BB Courseur ».
[26] Concentrés conteste également toutes les condamnations monétaires prononcées contre elle en faveur de Bonneau, Benoît et Nadeau, y inclus au chapitre des dépens.
[27] Les intimés, pour leur part, s'en remettent essentiellement au jugement de première instance, soulignant que la Cour ne devrait pas intervenir dans une affaire qui repose avant tout sur la façon dont le juge a apprécié la preuve documentaire et testimoniale et, surtout, la crédibilité des témoins. Le juge n'a pas accordé de poids aux témoignages de Bélisle, ancien chef de la direction de Concentrés, et de Paré, son directeur des ventes à l'époque. La Cour ne peut réviser cette appréciation, qui n'est entachée d'aucune erreur manifeste et dominante.
[28] Par ailleurs, selon les intimés, il ressort clairement de la preuve que Bonneau, Benoît et Nadeau, pendant le cours de leur emploi chez Concentrés et jusqu'au moment même de leur congédiement, ont été d'excellents vendeurs, qui ont rapporté beaucoup à leur employeur, dont ils ont toujours servi au mieux les intérêts. Toutes les activités d'Élevages et de Gestion ont été cautionnées et autorisées par Concentrés, qui ne peut se plaindre maintenant de ce qu'elle a elle-même permis. Il en va de même des activités de Lyrco, qui ne faisait d'ailleurs pas autre chose que ce que Bonneau lui-même faisait précédemment d'une autre manière, avec la permission de Concentrés et à sa connaissance.
[29] Toujours selon les intimés, c'est Concentrés qui, en janvier 1994, avec l'arrivée de Paré, son nouveau directeur des ventes, a tenté de modifier les règles du jeu et d'interdire à Bonneau, Benoît et Nadeau ce qui leur avait toujours été permis et que Paré lui-même avait d'abord approuvé, avant de changer d'idée.
[30] Bonneau, Benoît et Nadeau affirment n'avoir jamais rien caché à Concentrés et avoir en tout temps agi de façon ouverte et transparente.
[31] Selon les intimés, sont tout aussi mal fondés les reproches adressés à Bénard et Bélanger, qui pouvaient librement quitter Concentrés pour se joindre à Lyrco postérieurement au congédiement de leurs anciens collègues de travail.
[32] Enfin, pour ce qui est de la période post-congédiement, les intimés allèguent n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale. Ils affirment qu'on ne peut leur reprocher d'avoir desservi la clientèle de Concentrés ou une partie de cette clientèle, puisque ce sont les clients eux-mêmes qui, sans être sollicités ou poussés de quelque façon par les intimés, ont décidé de les suivre après leur congédiement. Quant aux données relatives aux clients de Concentrés, la preuve révélerait que ce sont les clients eux-mêmes qui les conservent entre leurs mains : on ne pourrait aucunement imputer aux intimés le fait que Concentrés a, selon ses dires, été incapable de récupérer ces données.
V. Analyse
1. Rappel de la norme d'intervention en appel
[33] Vu la nature du litige et celle des moyens d'appel, il convient de rappeler d'abord la norme qui préside à l'intervention de notre Cour.
[34] Cette norme est bien connue : une cour d'appel peut réformer le jugement de première instance lorsque ce dernier est entaché d'une erreur de droit (à moins que celle-ci soit sans effet sur l'issue du litige) ou lorsque le juge de première instance a commis une erreur de fait manifeste et dominante, notamment en écartant des éléments de preuve essentiels ou en tirant de la preuve des conclusions manifestement erronées, déraisonnables ou non étayées[5]. La réserve s'impose donc, particulièrement lorsque les déterminations factuelles du juge dépendent de son appréciation de la preuve et de la crédibilité des témoins.
[35] Considérant cette norme, je conclus que l'appel doit être rejeté, sauf quant à l'une des condamnations monétaires prononcées contre elle (i.e. dommages-intérêts pour le préjudice résultant d'une action abusive). Pour le reste, en effet, Concentrés n'a réussi à montrer ni erreur de droit de nature à influencer l’issue du litige ni erreur de fait manifeste et dominante.
[36] Je tiens à préciser que les pages qui suivent pourront donner l'impression que je cède à l'invitation que fait l'appelante de reprendre le procès, alors que telle n'est pas la nature d'une intervention en appel. Vu que l'appelant reproche au juge des erreurs de droit qui auraient affecté de manière déterminante sa compréhension et son appréciation de la preuve des faits et vu, surtout, la façon dont les arguments au soutien de cette allégation ont été présentés, il m'a paru nécessaire de revoir le dossier en entier, pour constater en effet l'absence de l'erreur alléguée (sauf sur un ou deux points sans grande conséquence). Ayant fait l'exercice, j'ai cru bon de l'exprimer et d'exprimer également le cheminement m'ayant menée à cette conclusion. C'est toutefois une approche exceptionnelle, qu'explique le caractère très particulier du présent dossier.
2. Devoir de loyauté : état général du droit
[37] Le litige portant essentiellement sur l'interprétation et l'application de l'article 2088 C.c.Q. et sur les différents aspects du devoir de loyauté qui incombe au salarié et à l'ex-salarié, il faut rappeler, brièvement, l'état du droit en la matière.
[38] Confirmant en cela le droit antérieur et le précisant, l'article 2088 C.c.Q. énonce que :
2088. Le salarié, outre qu'il est tenu d'exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information à caractère confidentiel qu'il obtient dans l'exécution ou à l'occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui.
[39] En cours de contrat de travail, le premier alinéa de cette disposition impose au salarié une obligation assez lourde, particulièrement dans le cas d'un salarié-clef ou dans le cas d'un salarié jouissant d'une grande latitude professionnelle, la loyauté étant à la mesure de la confiance de l'employeur. On pourrait résumer comme suit les grandes lignes de ce devoir de loyauté[6] : puisqu'il ne travaille pas à son compte mais pour celui de l'employeur, qui seul dispose des fruits du travail, le salarié ne doit pas nuire à l'entreprise à laquelle il participe ou l'entraver; il doit faire primer (dans le cadre du travail) les intérêts de l'employeur sur les siens propres; il ne doit pas se placer en situation de conflit d'intérêts (ce qui pourrait l'amener à privilégier l'intérêt de tiers ou le sien propre plutôt que celui de l'employeur); il doit se conduire à tout moment avec la plus grande honnêteté envers l'employeur, ne peut s'approprier les biens matériels ou intellectuels de celui-ci ou les utiliser indûment à son avantage. Il ne peut évidemment pas détourner à son profit ou à celui de tiers la clientèle de l'employeur ni usurper les occasions d'affaires qui se présentent à ce dernier, etc. Dans certains contextes, même en l'absence d'une clause à cet effet, l'obligation de loyauté peut obliger le salarié à une exclusivité de services, quoique ce ne soit généralement pas le cas.
[40] L'employeur peut bien sûr permettre au salarié des gestes ou comportements qui, autrement, lui seraient interdits[7].
[41] L'obligation de loyauté imposée par le premier alinéa de l'article 2088 C.c.Q. comporte également un volet « discrétion » (« confidentialité ») qui n'est pas en cause ici et dont je ne traiterai pas.
[42] Par ailleurs, le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q. fait perdurer le devoir de loyauté au-delà de la rupture du contrat de travail. Le cadre et le contenu obligationnel de ce devoir de loyauté postcontractuel font l'objet d'une jurisprudence abondante, dont on peut résumer comme suit les enseignements :
- Le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q. et le devoir de loyauté qu'il énonce doivent être interprétés de façon restrictive, la survie d'une obligation contractuelle au-delà de la terminaison du contrat qui y a donné naissance étant exorbitante du droit commun. Cette interprétation restrictive se justifie également par le fait que, dans l'organisation de notre société, la concurrence, en affaires, est la règle.
- Le devoir de loyauté postcontractuel est un devoir atténué, qui n'a ni l'ampleur ni la rigueur de l'obligation telle qu'elle existe pendant la durée du contrat. Ce devoir de loyauté postcontractuel ne saurait par ailleurs imposer au salarié des restrictions équivalentes à celles d'une clause de non-concurrence.
- En l'absence d'une clause de non-concurrence, l'ex-salarié peut en principe concurrencer son ex-employeur (soit en trouvant un nouvel emploi chez un concurrent, soit en fondant sa propre entreprise concurrente, soit en investissant dans une entreprise concurrente, etc.). Il peut même se livrer à une concurrence vigoureuse, à condition toutefois que cette concurrence demeure loyale et respecte le principe de bonne foi.
- Le contenu obligationnel précis du devoir de loyauté postcontractuel variera selon les circonstances (par exemple : nature du contrat et de l'entreprise, nature, conditions et niveau hiérarchique du poste occupé par l'ex-salarié, motifs de la terminaison du contrat de travail, état de la concurrence dans le secteur d'activités de l'employeur, etc.).
- En elle-même, la sollicitation de clientèle n'est pas interdite, en principe, puisqu'il s'agit d'un acte de concurrence ordinaire, la recherche de la clientèle étant l'élément définitionnel de la concurrence.
- La jurisprudence tend à interdire des comportements tels : utiliser, aux fins de sollicitation de clientèle, des documents ou renseignements confidentiels de l'ex-employeur ou utiliser de tactiques de dénigrement ou se livrer à des tromperies ou à de fausses représentations; profiter indûment de certaines relations privilégiées avec la clientèle; solliciter de façon insistante et systématique ses ex-collègues de travail et tenter de les convaincre de quitter l'employeur; conserver des biens ou des documents de l'ex-employeur[8], etc.
- Enfin, le devoir de loyauté postcontractuel ne dure qu'un temps, celui d'un « délai raisonnable », comme le dit l'article 2088 C.c.Q. Là encore, la jurisprudence est assez réservée : la durée de l'obligation de
loyauté postcontractuelle dépend des circonstances de chaque espèce[9], mais elle dépasse rarement quelques mois. Il peut y avoir des cas exceptionnels, mais ils sont, justement, exceptionnels et doivent le rester si l'on ne veut pas indûment limiter le principe de concurrence qui régit notre société et avantager les employeurs au détriment des salariés. Après l'expiration de ce délai raisonnable, l'ex-salarié n'est plus assujetti qu'aux règles ordinaires applicables à la concurrence (en vertu de l'article 1457 C.c.Q.).[10]
[43] On notera qu'il semble parfois y avoir une certaine duplication entre l'interdiction des comportements déloyaux résultant de l'article 1457 C.c.Q. et l'interdiction découlant du second alinéa de l'article 2088 C.c.Q., alors que ces deux dispositions devraient avoir leur champ d'application propre, le second ajoutant au premier.
[44] Cela dit, la violation grave ou répétée du devoir de loyauté en cours d'emploi constitue un motif sérieux de congédiement au sens de l'article 2094 C.c.Q., que ce manquement ait ou non causé un préjudice à l'employeur. S'il y a préjudice, l'employeur pourra en outre exiger réparation. De même, l'ex-salarié qui viole son devoir de loyauté postcontractuel s'expose à être poursuivi par l'ex-employeur : demande d'injonction, s'il s'agit d'empêcher la violation ou de la prévenir, demande de dommages-intérêts, si la violation a engendré un préjudice, combinaison de ces remèdes, le cas échéant.
3. Première question : le juge a-t-il commis une erreur de droit?
[45] Sur le fond de l’affaire, l'appelante n'a pas établi d'erreur de droit de la part du juge de première instance, sauf sur un point qui n’affecte pas l’issue du litige.
[46] Bien que le jugement ne comporte pas un exposé formel du droit applicable, il en ressort que c'est en fonction de ce droit, qui constitue la trame implicite de son raisonnement, que le juge a procédé à l'examen de la preuve.
[47] Le pourvoi, en réalité, ne porte pas sur une question de droit. Les seules questions qui se posent sont les suivantes : les intimés ont-ils commis les actes que leur reproche l'appelante? Ces actes, à supposer qu'ils soient établis, peuvent-ils être qualifiés de déloyaux? La première question est factuelle; la seconde peut être qualifiée de question mixte de droit et de fait, la composante factuelle étant ici, encore une fois, significative.
4. Seconde question : le juge a-t-il commis une erreur de fait ou une erreur de droit et de fait?
[48] Comme on l'a vu précédemment, Concentrés prétend que Bonneau, Benoît et Nadeau, principalement, ainsi que Bénard et Bélanger, accessoirement, ont mijoté leur départ depuis (au moins) la création secrète de Lyrco, en 1993, et que, profitant des occasions d'affaires que leur offrait leur emploi chez Concentrés, ils ont établi les bases de leur future entreprise et, surtout, les bases de leur future clientèle. Cette entreprise a pris son envol dès après le congédiement, Bonneau, Benoît et Nadeau poursuivant ainsi, avec le concours de Bénard et de Bélanger, une activité déloyale amorcée précédemment.
[49] Concentrés a-t-elle fait la preuve des faits sous-jacents à cette thèse? A-t-elle prouvé que ses ex-salariés ont, antérieurement à la terminaison du contrat de travail, manqué au devoir de loyauté que leur impose le premier alinéa de l'article 2088 C.c.Q.? A-t-elle prouvé que ce manquement lui a causé préjudice? A-t-elle démontré que, postérieurement à la rupture du contrat de travail, les intimés ont enfreint le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q.? A-t-elle établi le préjudice qui en serait résulté?
[50] Le juge du procès a répondu à toutes ces questions par la négative. S'est-il, ce faisant, trompé de façon grave et déterminante?
[51] Je réponds également à cette question par la négative, sauf sur un point.
a. État des faits
[52] De façon préliminaire, on doit constater d'abord que l'affaire est extrêmement particulière et repose sur une situation de fait inusitée.
[53] Par ailleurs, la preuve présentée par les parties est contradictoire et la prudence est donc de mise dans la révision des conclusions tirées par le juge de première instance, qui a eu l'avantage d'entendre les parties et leurs témoins. Cette preuve est, sous certains rapports, troublante, comme on le verra plus loin, et cela tant d'un côté que de l'autre. J'estime cependant que la lecture de l'ensemble du dossier d'appel ne permet pas d'infirmer le jugement de première instance, qui a globalement retenu la version des ex-salariés plutôt que celle de leur ex-employeur. Il ne sera pas question de revoir ici toute cette preuve par le menu ni de reprendre l'analyse qu'en fait le juge de première instance, mais il peut être utile de faire état de certains éléments.
* *
[54] Concentrés fabrique et vend des produits destinés à l'alimentation animale. Sa clientèle est composée d'agriculteurs. Elle a divisé le territoire dans lequel elle fait affaire en régions dont elle a confié la responsabilité à des vendeurs principaux (les « gérants de territoire »), qui sont payés à commission. Cette attribution se fait selon le mode du territoire exclusif, chaque vendeur ayant seul le droit de solliciter et de s'occuper des clients dans la région qui lui a été attribuée. Certains gérants ont des adjoints, c'est-à-dire d'autres vendeurs qui desservent avec eux le territoire et dont les ventes sont prises en compte dans le calcul des commissions dues aux premiers.
[55] Bonneau, Benoît et Nadeau sont des gérants de territoire, le premier oeuvrant en Estrie, le second dans la région de St-Hyacinthe-Bagot-Shefford, le troisième dans celle du Haut-Richelieu et de la Haute-Yamaska[11]. Bénard est l'adjointe de Bonneau et Bélanger l'adjoint de Benoît. Bonneau se spécialise dans l'alimentation destinée aux vaches laitières, Benoît et Nadeau dans celle des porcs. Le juge décrit ainsi le travail des vendeurs :
[8] Leur travail comporte deux volets distincts mais complémentaires : celui de faire la promotion des produits de CONCENTRÉS et celui de conseiller les producteurs qui en achèteront davantage. Toutefois, ils ne facturent aucun service professionnel, leur rémunération se limitant aux commissions sur les ventes. […]
[56] On a affaire en la personne de Bonneau, de Benoît et de Nadeau à des vendeurs extrêmement performants, dont les ventes (incluant celles de Bénard et de Bélanger) représentent près de 48 % du chiffre d'affaires de Concentrés (qui compte plus d'une douzaine d'autres vendeurs). Personne ne conteste leur dynamisme ni le soin avec lequel ils traitent une clientèle qui leur est particulièrement fidèle et à laquelle ils offrent un service de haute qualité dans un secteur d'activités où la concurrence est féroce[12].
[57] Dans ce secteur, les rapports que chaque vendeur entretient avec ses clients pourraient être qualifiés d'intuitu personae. Là encore, personne ne conteste l'existence de ce lien étroit entre le vendeur et son client, lien qui est au cœur de leur relation d'affaires; personne ne nie l'importance de ce lien et personne ne nie non plus que la clientèle a fortement tendance à suivre le vendeur, s'attachant à ce dernier personnellement plutôt qu'à celui qui l'emploie. Il en résulte que l'achalandage de l'entreprise est donc principalement lié à la personne de ses vendeurs.
[58] Concentrés se distingue de ses compétiteurs en ce qu'elle promeut vigoureusement le modèle du « producteur-meunier ». Il s'agit d'une part d'encourager les producteurs (éleveurs de vaches ou de porcs, par exemple) à fabriquer eux-mêmes la moulée destinée à leurs animaux, à partir d'ingrédients que leur vend, en totalité ou en partie, Concentrés. Il s'agit d'autre part d'encourager les éleveurs ayant une capacité de production de moulée supérieure à celle dont ils ont besoin pour leurs animaux à produire de la moulée pour d'autres éleveurs, toujours à partir d'ingrédients vendus par Concentrés. Ce sont les vendeurs de Concentrés qui, devenant en quelque sorte des courtiers, se chargeront de mettre en contact les producteurs-meuniers avec les éleveurs ordinaires qui souhaiteraient s'approvisionner chez eux. Dans une brochure publicitaire reproduite au dossier d'appel (pièce D-1), Concentrés rappelle qu'elle est la pionnière de ce concept au Québec et que :
On croyait et on croit toujours que fabriquer sa propre moulée est la clé du succès pour un producteur agricole. En vingt ans, i.e. depuis de début des années soixante-dix, environ 50 % des producteurs québécois se sont installés pour faire eux-mêmes leur moulée. C'est appréciable mais malheureusement encore loin du 100 %.[13]
[59] La preuve révèle en outre que Concentrés (quoiqu'elle soit en mesure de vendre et vende elle-même de la moulée ou des sous-produits de type drèche de maïs, tourteau de soya, fin gluten de blé, etc.) centre son activité sur la vente de vitamines et minéraux, produits dont la marge de profit est beaucoup plus substantielle[14]. Bélisle insiste sur le fait qu'à l'époque des faits en litige, Concentrés, dont les installations de production avaient été revues et augmentées au début des années 1990, vendait de tout, comme l'attestent ses listes de produits et de prix, et souhaitait que ses vendeurs offrent aux clients l'ensemble des produits disponibles, incluant la moulée et les sous-produits. Cependant, Paré, témoignant pour la demande, affirme que :
R. C'était pas l'objectif de Bélisle de tout vendre la moulée complète, y étaient spécialisés dans l'alimentation pour les producteurs qui fabriquaient leur moulée à la ferme. C'était la grande spécialité, mais y a toutes sortes de besoins qu'une entreprise veut combler pareil. C'est sûr que la spécialité, le gros pourcentage des profits venait de là.
Q. Minéraux et vitamines?
R. Des minéraux et des vitamines et les suppléments, y compris, y avait un produit, le MSP, mélange de sous-produits, qui était un produit très important dans la rentabilité de l'entreprise aussi.[15]
Ceci confirme en bonne partie les affirmations de Bonneau, Benoît et Nadeau qui, tous, témoignent que Concentrés n'encourageait pas ses vendeurs à vendre des sous-produits et de la moulée, mais qu'elle insistait fortement sur la vente des vitamines et minéraux. Il ressort implicitement du jugement de première instance que le juge a préféré cette version, qui est en effet suffisamment étayée par la preuve. Ce n'est pas nier que Concentrés vendait aussi d'autres produits, mais elle n'en faisait pas son activité principale.
[60] En 1988, Benoît et Nadeau s'associent et créent Élevages en vue de l'achat d'une première ferme porcine. Ils s'en ouvrent à Bélisle, qui leur donne son aval. En acquérant et en exploitant cette ferme, Benoît et Nadeau accroissent et renforcent leur crédibilité professionnelle, ce qui devient un argument de vente des produits de Concentrés auprès de la clientèle, comme le note le juge du procès, au paragraphe 14 de son jugement.
[61] La ferme acquise par Benoît et Nadeau, ou, si l'on préfère, par Élevages, dont ils sont les associés, est équipée d'une « moulange », c'est-à-dire d'une unité de production de moulée, ce dont Bélisle est informé.
[62] En 1992, Élevages louera une seconde ferme porcine.
[63] Il y a débat, tant en première instance qu'en appel, sur la teneur précise de l'autorisation donnée par Bélisle à l'égard des activités d'Élevages.
[64] Bélisle soutient que lorsqu'il a permis à Benoît et à Nadeau d'acquérir leur ferme, il leur a interdit de produire de la moulée pour d'autres agriculteurs. Élevages n'aurait été autorisée qu'à fabriquer la moulée destinée à la consommation de ses propres porcs et encore à la seule condition de s'en procurer les ingrédients auprès de Concentrés. Il aurait donc interdit à Benoît et Nadeau de devenir eux-mêmes, en quelque sorte, producteurs-meuniers. À tout le moins, il affirme qu'il n'a jamais été question que Benoît et Nadeau, par l'intermédiaire d'Élevages, deviennent producteurs-meuniers, leur situation devant ainsi se distinguer de celle d'un certain Lebrun, autre vendeur de Concentrés[16].
[65] Benoît et Nadeau affirment plutôt que Bélisle ne leur a jamais interdit les activités de producteurs-meuniers. Au contraire, Bélisle leur aurait donné l'autorisation de se constituer producteurs-meuniers (et donc de vendre leur moulée à d'autres, moulée fabriquée à partir des produits de Concentrés), ce qui illustrait parfaitement le concept de producteur-meunier qui est la force de Concentrés et sur laquelle celle-ci axe son développement.
[66] Le juge de première instance a retenu de la preuve que Concentrés avait autorisé toutes les activités de Benoît et de Nadeau, par Élevages. Il est peu probable, cependant, que la question ait été expressément discutée en 1988. À cette époque, Benoît et Nadeau envisageaient sans doute déjà de se faire producteurs-meuniers, offrant ainsi une vitrine au concept promu par leur employeur ainsi qu'aux produits de celui-ci, mais il est possible que les choses aient été sous-entendues et implicites, chacun donnant maintenant son interprétation aux propos de l'autre. Quoi qu’il en soit, la suite des événements est assez révélatrice.
[67] La preuve, par ailleurs, ne permet pas d'établir que Benoît et Nadeau, par l'intermédiaire d'Élevages, ont agi comme producteurs-meuniers avant 1993, encore qu'il soit clair qu'ils l'ont fait à compter de cette date (à très petite échelle), par l'entremise de Lyrco, dont il faut maintenant parler.
[68] Lyrco, société dont Bonneau, Benoît et Nadeau sont actionnaires à parts égales, naît en mai 1993 et commence ses activités à l'été de la même année. Dans un formulaire destiné à l'Inspecteur général des institutions financières (pièce P-4[17]), on décrit ainsi ces activités : « Production et distribution de nourriture pour animaux ». Dans un document d'octobre 1993 présentant le profil de Lyrco, document destiné à une institution bancaire (pièce P-23), on trouve les mentions suivantes :
- Tous les trois sont vendeurs de concentré à animaux depuis 10 ans chez Bélisle et leur produit est complémentaire à ce qu'ils vendent pour leur employeur [cette dernière indication est manuscrite et on ne sait pas qui l'a apposée.]
- Yves et Luc possèdent deux entreprises à leur compte depuis 5 ans (secteur porcin)
[…]
Cette entreprise fabrique des suppléments protéiques (à base de sous-produits) pour la vache laitière et de la moulée pour les porcs. Elle s'occupe également de la distribution de son produit. De plus, de par leur compétence ils peuvent offrir un suivi technique auprès de leur clientèle.
[…]
La fabrication du produit est effectuée à même les installations (moulange et silos) de Les Élevages Benoît & Nadeau (propriété de Yves et Luc) moyennant un frais de location et d'échange de service. Un employé est utilisé à temps partiel par la cie (cet employé est également à l'emploi de Les Élevages Benoît et Nadeau).[18]
[Le texte entre crochets est de la soussignée.]
[69] Cette description est conforme à la preuve prépondérante. Celle-ci révèle en outre que les ventes de sous-produits sont destinées aux clients que Bonneau, Benoît et Nadeau desservent par ailleurs pour le compte de Concentrés. Elle révèle aussi que, dans l'ensemble, les ventes de moulées de Lyrco, de la date de sa création à celle du congédiement de Bonneau, Benoît et Nadeau, ne sont pas très importantes : en effet, en ce qui concerne la moulée (fabriquée par Élevages comme producteur-meunier), Lyrco, qui vend aux clients de Benoît et Nadeau, ne dessert que cinq ou six clients[19]. Comme le montre la liste des factures dressée dans le rapport des experts de Concentrés[20], le gros (pour ne pas dire la quasi-totalité) des ventes de Lyrco se rattache plutôt aux activités de Bonneau. Au cours de la même période, on trouve aussi dans les livres de cette société quelques factures rattachées à des ventes attribuées à Bénard et à Bélanger. Bonneau témoigne que c'est lui, en réalité, qui a fait les ventes mises au nom de Bénard parce qu'il s'agissait de clients dont cette dernière s'occupait chez Concentrés[21]. Pour ce qui est de la facture mise au nom de Bélanger, il semble que ce dernier ait effectivement utilisé les services de Lyrco pour faire produire une petite quantité de moulée et la vendre à un des clients qu'il desservait ordinairement chez Concentrés, client qui avait un besoin particulier[22].
[70] Lyrco ne paie pas de commission sur ses ventes[23].
[71] Il faut maintenant dire quelques mots des activités de Bonneau.
[72] La situation de celui-ci est assez compliquée. Il appert qu'au cours des années 1980, Bonneau, dans son territoire, fait face à la concurrence d'un certain Richard Audy, rattaché au Centre de grains de Compton, qui vend lui-même des sous-produits destinés aux vaches laitières. Bonneau et Audy, qui se retrouvent souvent chez les mêmes producteurs, en viennent à l'entente suivante : chacun d'eux fera la promotion des produits de l'autre, avec échange de commissions, les produits de l'un et de l'autre se retrouvant dans l'alimentation des vaches de leurs clients communs. Grâce à cet accord, Bonneau se trouve ainsi à vendre plus de minéraux et vitamines de Concentrés.
[73] Il semble également qu'en vue de favoriser le concept de producteur-meunier chez les clients qu'il dessert pour le compte de Concentrés, Bonneau se soit également, à l'occasion, approvisionné en sous-produits ailleurs que chez Concentrés[24].
[74] Audy se retirant finalement du marché, Bonneau explique ce qui suit :
R. J'ai essayé de le remplacer par justement deux (2) autres personnes que j'avais identifiées. Y en a un qui en faisait déjà pour moi, qui est monsieur Fernand Roy dans le coin de St-Georges-de-Windsor là, mais lui y avait juste un silo et y avait un camion aussi, ça prenait quelqu'un qui avait un camion naturellement, et lui il dit je suis pas intéressé à m'équiper de d'autres silos, y était pas équipé. C'est d'ailleurs encore toujours un de mes fournisseurs. Et j'avais été voir un autre aussi qui était un de mes clients producteur meunier qui avait un camion et lui il m'a dit qu'il était pas intéressé non plus. Pierre Bélisle aussi m'avait dit, j'ai été voir Pierre Bélisle aussi à ce moment-là et Pierre Bélisle m'a dit d'essayer de m'arranger dans mon coin et c'était hors de question qu'on commence à faire ça, parce que c'était pas payant.[25]
[75] Selon Bonneau, Bélisle a donné son accord à ces arrangements et, principalement, à l'entente avec Audy. Bélisle l'admet dans ce dernier cas, mais nie avoir permis à Bonneau de continuer à vendre lui-même des sous-produits après qu'Audy se soit retiré du marché. Il nie que Bonneau lui ait jamais soumis son problème et nie les propos que Bonneau lui attribue ci-dessus[26].
[76] Il reste qu'incapable de résoudre le problème engendré par la retraite d'Audy, Bonneau approche Benoît et Nadeau. Il sait que ceux-ci projettent d'acheter un camion (afin de faciliter le transport de la moulée entre leurs deux fermes, notamment), camion dont il a lui-même besoin pour effectuer ses livraisons de sous-produits; il sait que ses collègues (par Élevages) ont une moulange, qui peut également servir à mélanger des sous-produits. Benoît et Nadeau acceptent d'unir leurs forces à celles de Bonneau et, pour ce faire, Lyrco est créée, en mai 1993. Élevages installera sur sa ferme principale des silos qui serviront à entreposer les sous-produits de Bonneau; elle en fera le mélange; elle produira la moulée. Sous-produits et moulée seront vendus et facturés par Lyrco, au nom de laquelle sera faite la livraison, grâce au camion qu'elle achètera, camion dont Élevages se sert également. Bonneau réaffirme enfin qu'il ne vendait pas de sous-produits à des clients qui n'étaient pas d'abord des clients de Concentrés pour les minéraux et vitamines. S'il ne pouvait pas leur vendre pareils minéraux et vitamines, il ne leur vendait pas de sous-produits[27].
[77] Lorsqu'ils créent Lyrco, en mai 1993, Bonneau, Benoît et Nadeau n'en informent pas Bélisle. Pour l'essentiel, ils expliquent leur silence en répétant que Lyrco leur permettait simplement de continuer à faire ce qu'ils faisaient précédemment, mais dans le cadre d'une structure administrative différente. Chacun d'entre eux insiste par ailleurs sur le fait qu'aucune de ces activités ne s'est faite en cachette ou en catimini, mais qu'au contraire, elles se sont faites au grand jour. Ils affirment qu'il s'agissait pour eux d'activités complémentaires à leurs activités principales chez Concentrés, qui leur permettaient d'accroître et de fidéliser la clientèle de celle-ci, augmentant ses ventes et, par conséquent, leurs propres commissions. Ils ont parlé librement de leur façon de faire aux autres vendeurs de Concentrés, lors de réunions chez l'employeur et autrement. Bonneau achetait régulièrement des produits de Concentrés. Nadeau signalera pour sa part que les chauffeurs de cette dernière venaient régulièrement faire des livraisons chez Élevages[28]. Cela semble confirmé par le témoignage de Gilbert (responsable de l'entrepôt de Concentrés à St-Valérien), qui dit tout bonnement que tout le monde savait qu'Élevages, à même les minéraux et vitamines de Concentrés, fabriquait de la moulée pour les clients de Benoît et Nadeau[29], autrement dit qu'elle agissait comme producteur-meunier. Il ajoute même que :
Q. Quand on parle en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze (1994), ils fabriquaient pour d'autres producteurs à ce moment-là?
R. Oui.
Q. À quel moment vous avez appris que ce qui se fabriquait sur les fermes Les Élevages Benoît et Nadeau, en réalité c'était pour une entreprise qu'ils possédaient à trois (3) plutôt que d'être Les Élevages Benoît et Nadeau?
R. Au début de l'année.
Q. Ils se sont jamais cachés de cette chose-là?
R. Non.[30]
[78] Bélisle nie avoir été informé des activités réelles de ses salariés et de leurs sociétés Lyrco et Élevages avant janvier 1994, mais cela est fort improbable, vu tout ce qui précède. Il paraît plutôt que, à supposer même que Concentrés n'ait pas formellement autorisé ces activités, elle l'a fait implicitement, en les tolérant alors qu'elle en avait connaissance.
[79] Par ailleurs, en 1989, Benoît et Nadeau mettent sur pied la société Gestion Benoît et Nadeau inc., qui achète les porcelets excédentaires des producteurs-naisseurs pour les vendre aux producteurs-engraisseurs, agissant en quelque sorte comme des courtiers. C'est un service que Concentrés, au contraire de ses compétiteurs, ne dispensait pas. Benoît et Nadeau décident de l'offrir et de l'offrir également à leurs collègues de travail, à compter de 1991. Concentrés a approuvé l'initiative et a même accepté de payer les intérêts dus par Gestion sur sa marge de crédit, à compter de 1991[31]. C'est ce que constate le juge de première instance au paragraphe 15 de son jugement :
[15] Le 19 octobre 1989, BENOÎT et NADEAU fondent GESTION BENOÎT ET NADEAU INC. dans le but d'accommoder les producteurs qui ont un surplus de porcelets. CONCENTRÉS, qui avait tenté sans succès de mettre sur pied un tel service, accepte de payer les intérêts de la marge de crédit de GESTION puisque tous ses vendeurs bénéficieront de ce service qui comporte des risques que peu acceptent de prendre : CONCENTRÉS refusait de les partager mais reconnaissait qu'il s'agissait d'un outil de promotion de ses produits.
[80] Dans un autre ordre d'idées, il appert qu'un certain contentieux existait entre Concentrés et l'ensemble de ses vendeurs, depuis au moins 1993. En janvier 1993, en effet, Concentrés, inquiète de sa santé financière, aborde divers sujets avec ses vendeurs, évoquant entre autres la possibilité qu'on abandonne ou qu'on modifie le principe d'intégrité des territoires auxquels les vendeurs sont affectés[32]. Les vendeurs n'ont pas accepté ces modifications, à la suite de quoi Concentrés s'est contentée, unilatéralement, de modifications mineures.
[81] Il ressort aussi de la preuve que Concentrés éprouvait certaines difficultés à contrôler ses vendeurs, entre autres sur la question des rapports de vente : Bélisle explique longuement que les vendeurs, suivant en cela l'exemple des leaders qu'étaient Bonneau, Benoît et Nadeau, refusaient de faire des rapports écrits de leurs activités ou s'y montraient réticents. En 1993, le directeur des ventes de l'époque, M. Jacques Francœur, avait en vain tenté d'imposer la remise de tels rapports. Il y avait finalement renoncé, apparemment, consentant par ailleurs à Bonneau, Benoît et Nadeau la permission de faire des rapports téléphoniques ou verbaux.
[82] Bonneau, Benoît et Nadeau, tout en admettant, à l'instar de leurs collègues, n'avoir en effet pas voulu faire ce genre de rapport, font remarquer que Concentrés obtenait tout de même, grâce aux réunions que tenaient régulièrement les vendeurs et grâce à certains comités spécialisés dont ils faisaient partie, tous les renseignements qu'elle prétend avoir voulu obtenir par le moyen des rapports écrits[33]. Cette version des choses est tout à fait plausible et, à vrai dire, plus plausible que la version qu'en donne Bélisle.
[83] À tout événement, Francœur, à l'automne 1993, démissionne de son poste de directeur des ventes de Concentrés. Il est remplacé par Paré qui entre en fonction le 10 janvier 1994. Bélisle confie à Paré le mandat d'insuffler un nouvel esprit d'équipe et une nouvelle discipline aux vendeurs, admettant presque au passage que Paré avait aussi pour mission de mettre Bonneau, Benoît et Nadeau au pas. Il explique ainsi que :
Q. Quel était son mandat quand vous avez engagé monsieur Paré?
R. Quand j'ai engagé monsieur Paré son mandat lui était de essayer de améliorer l'esprit qu'on avait dans notre équipe de vente et puis d'avoir à nouveau une équipe de vente qui collaborerait avec la compagnie. Et nécessairement d'augmenter les ventes de la compagnie.
Q. Qu'est-ce que vous voulez dire vous vouliez une équipe de vente qui collaborerait avec la compagnie?
R. Bien c'est que messieurs Benoît, Bonneau et Nadeau étaient reconnus comme des bons vendeurs, alors nécessairement dans une entreprise les meilleurs vendeurs sont pas justes bons vendeurs pour vendre des produits, ils sont aussi bons vendeurs pour vendre leur personne, alors c'étaient des gens à forte personnalité, c’étaient des gens qui exerçaient un fort leadership. Et puis c'est certain qu'un moment donné si Benoît, Bonneau et Nadeau faisaient pas de rapports de vente pis que c'était toléré y a plus personne qui en faisait de rapport des ventes là.[34]
[84] En contre-preuve, Bélisle aura des propos fort intéressants, qui montrent bien ce à quoi il cherchait à remédier en embauchant Paré après avoir perdu successivement quelques directeurs de vente. On peut presque y voir un cri du cœur et, certainement, l'affirmation d'un désir de reprendre les choses en main, qui a sans doute renforcé le malentendu entre les parties :
R. Comment j'explique ça? J'explique ça, c'était très difficile d'avoir la collaboration des représentants. À un moment donné j'ai réalisé que les représentants, à partir du moment où y étaient payés à commission, ils ne se considéraient plus des employés de la compagnie. Dans leur tête c'était plus des employés de la compagnie. C'était comme si y avait une compagnie dans ma compagnie pis que moi dans leur territoire, dans la gestion du territoire, l'entreprise Concentrés scientifiques Bélisle avait rien à faire là. Essayer de trouver des moyens monsieur le Juge pour mieux développer ces territoires là, avoir une plus grande pénétration du marché, avoir la collaboration des gérants de territoire pour faire ça c'était difficile. Les gérants de territoire étaient d'une façon générale les meilleurs vendeurs de la compagnie, donc ceux qui exerçaient le plus grand leadership. Pis quand ceux qui exercent le plus grand leadership ont de la difficulté et ne se considèrent pas des employés de la compagnie pis ne collaborent pas, ben l'ensemble de l'équipe de vente suit les leaders, ceux qui exercent le leadership.[35]
[85] Paré entre donc en fonction le 10 janvier 1994 et, en vue de se familiariser avec l'entreprise, rencontre tour à tour les membres de son équipe de vente, incluant Bonneau, Benoît et Nadeau, le 25 janvier 1994. Les récits que les protagonistes font de cette réunion divergent, sauf sur le point suivant : Bonneau, Benoît et Nadeau ont informé Paré, en détail, de l'ensemble de leurs activités et de leurs méthodes de travail et de recrutement de la clientèle; ils ont expliqué les services offerts par Lyrco, Élevages et Gestion, etc.
[86] Selon Paré cependant (que le juge de première instance n'a pas cru[36]), Bonneau, Benoît et Nadeau auraient été fort agressifs : ils auraient réclamé de devenir actionnaires de Concentrés, menaçant de quitter l'entreprise si on ne se pliait pas à leur demande et ne dévoilant leurs activités que pour mieux montrer qu'ils avaient les moyens, déjà, de concurrencer leur employeur et de lui nuire.
[87] Comme on s'en doute, Bonneau, Benoît et Nadeau nient avoir menacé qui que ce soit. Seul Benoît, par ailleurs, aurait évoqué la possibilité d'acquérir des actions de Concentrés; Nadeau n'y ayant pas d'intérêt particulier et Bonneau ne le désirant pas. C'est simplement pour renseigner Paré, nouvellement arrivé dans l'entreprise, qu'ils lui ont expliqué toutes leurs activités, activités que tous connaissaient par ailleurs.
[88] Le juge de première instance a retenu la version des intimés et on ne saurait lui donner tort. On doit noter en outre que les salariés ont volontairement et sans réticence dévoilé leurs activités à Paré, ce qui est peu compatible avec l'idée d'un départ secrètement planifié.
[89] Après la réunion, et selon son témoignage, Paré a informé Bélisle de ce qu'il venait d'apprendre et que ce dernier prétend n’avoir pas su avant ce moment. Plutôt que d'agir immédiatement, on convient de laisser à Paré le temps de rencontrer les autres vendeurs et de voir ce qu'il en est.
[90] Le 2 mars 1994, à l'improviste, Paré demande à Nadeau de visiter la ferme d'Élevages en compagnie de Bélisle. Nadeau acquiesce. Sur les lieux, Bélisle aurait succombé à la colère, estimant qu'Élevages concurrence manifestement Concentrés. Selon Nadeau, il finit par se calmer et tout le monde se retrouve au restaurant. Bélisle affirme plutôt être allé au restaurant avant la visite, et non après, et affirme également n'avoir pas été heureux de sa « découverte » des activités d'Élevages et de Lyrco.
[91] Les choses dégénèrent par la suite.
[92] Il y a d'abord l'incident « Valère Lieutenant ». Lieutenant est un producteur laitier; il est le client le plus important que Bonneau dessert chez Concentrés. Lieutenant ne veut cependant plus faire affaire avec cette dernière en raison de déconvenues antérieures. Bonneau, par l'intermédiaire de Lyrco, vend à Lieutenant (ou à l'épouse de celui-ci, qui s'occupe de veaux de lait) des minéraux et vitamines qu'il se procure chez Concentrés. Paré ayant découvert l'affaire, il convoque Bonneau. Celui-ci explique qu'il a usé de ce stratagème afin de conserver la clientèle de Lieutenant, qui est son plus gros acheteur. Paré ordonne à Bonneau de laisser tomber le client. Il reproche également à Bonneau de ne pas avoir soutenu son employeur lors de l'un des différends avec Lieutenant et d'être plutôt « du bord »[37] de ce dernier. Or, Bonneau tient à son client, qui est un leader dans le milieu et qui lui a adressé plusieurs autres clients. Selon Bonneau, s'il perd la clientèle de Lieutenant, il risque en outre de perdre une bonne partie de sa crédibilité[38]. Bonneau demeure convaincu qu'en agissant ainsi, il faisait vendre une grosse quantité de minéraux et vitamines à Concentrés et préservait ainsi tant l'intérêt de celle-ci que ses propres commissions.
[93] Bonneau déclare avoir été estomaqué de la demande de Paré : à son avis, « quelqu'un qui a une mentalité de vendeur à commission ne peut dire une chose comme ça »[39]. Pour sa part, Paré déclare :
R. Oui, on préférait perdre le client que de continuer à l'alimenter comme ça en cachette et des affaires qu'on sait pas par une compagnie qu'on connaissait pas, non.[40]
[94] Paré convoque par la suite Bonneau à une réunion à laquelle Benoît et Nadeau, informés des ennuis de leur collègue, et sentant apparemment la soupe chaude, assisteront également (sans en prévenir préalablement Paré). Là encore, les compte-rendus de cette rencontre, qui se tient le 25 mars 1994, divergent : Paré affirme avoir interdit à Bonneau de continuer à vendre des sous-produits, que ce soit par Lyrco ou autrement; il lui remet également une lettre à cet effet. Il affirme en outre avoir interdit à Benoît et à Nadeau de poursuivre leurs activités de producteurs-meuniers. Bonneau, Benoît et Nadeau reconnaissent que Paré a en effet intimé au premier l'ordre de cesser la vente de sous-produits, mais ils déclarent avoir reçu la permission expresse de continuer à vendre de la moulée. Le juge a retenu cette version, que la preuve étaie de façon suffisante.
[95] Le 8 avril 1994, Bonneau rencontre Élisabeth Bélisle et Paré, à l'hôtel Delta de Sherbrooke. Bonneau raconte que :
R. Ça l'a duré environ trois quarts d'heure et j'ai tout répété ce que j'avais déjà dit, que je trouvais ça inconcevable qu'on puisse m'accuser d'être déloyal envers la compagnie, de faire de la compétition. J'ai dit, ça arrêtez ça, c’est pas vrai et je le sais, moi je croyais pas ça, j'ai dit c'est pas une bonne raison, ça ne se peut pas. Ça je n'acceptais pas ça qu'on me dise que j'ai confectionné, que j'ai fait de quoi de mal.[41]
[96] Le 11 avril 1994, Paré écrit à Benoît et à Nadeau une lettre comportant, dans chaque cas, les passages suivants :
Je me permets donc de vous confirmer ce qui a été dit à cette occasion : la compagnie CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. ne tolérera d'aucune façon que ce soit que ses employés ne la compétitionnent d'une façon directe ou indirecte; tout agissement démontrant cette intention sera sanctionné par un congédiement immédiat.
Si vous voulez éclaircir la situation concernant vos activités, vous pouvez être assuré du support de la compagnie pour régulariser la situation et trouver un terrain d'entente clair et avantageux pour chacun de nous.[42]
[97] Benoît, après avoir consulté un avocat, répond à cette lettre de la manière suivante, le 17 avril 1994 :
Pour donner suite à votre lettre du 11 avril 1994, je tiens à vous rassurer sur le point qui vous préoccupe. Je ne compétitionne d'aucune façon directe ou indirecte Concentrés Scientifiques Bélisle inc.
Je ne comprends pas l'envoi d'une telle lettre par contre si vous trouvez matière à discussion sur ce sujet, il me fera plaisir de vous écouter.[43]
[98] Nadeau, ayant lui aussi consulté un avocat, répond ainsi à Paré, le 17 avril également :
Suite à votre lettre du 15 avril 1994, je désire mettre au clair certains points.
Je ne me considère aucunement en compétition avec la compagnie Concentrés Scientifiques Bélisle inc. Je n'ai pas de liens directs dans la vente de sous-produits avec David Régis Bonneau. De plus David Régis Bonneau n'est pas, lui non plus, en compétition avec la compagnie Concentrés Scientifiques Bélisle inc. Il ne fait que desservir ses clients en produit complémentaire au minéral comme il a toujours fait depuis bientôt 11 ans avec l'accord de la compagnie Concentrés Scientifiques Bélisle inc.
Je tiens aussi à vous rappeler que vous m'avez confirmé à au moins deux reprises lors de la rencontre du 25 mars 1994 que je pouvais distribuer et vendre de la moulée directement de ma ferme sans être en compétition avec Concentrés Scientifiques Bélisle inc.
Je demeure disponible pour en discuter plus à fond avec vous si vous en voyez la nécessité. [44]
[99] Il ressort de ces lettres que Benoît et Nadeau ne semblent pas comprendre ou feignent de ne pas comprendre que leur association avec Bonneau dans Lyrco les associe tout aussi bien aux activités de vente de sous-produits, sous-produits qui sont de surcroît fabriqués par Élevages.
[100] Quant à lui, Bonneau adresse à Paré la lettre suivante, en date du 18 avril 1994 :
J’ai pris connaissance de votre lettre du 24 mars 1994 et désire répondre à certaines de vos inquiétudes.
Je voudrais vous rappeler que je n’ai jamais été en conflit d’intérêts avec les Concentrés Scientifiques Belisle inc. En effet, pour ne pas perdre de mes clients j’ai du vendre d’autres produits que vous n’offrez pas et ainsi m’assurer que mes clients continue d’acheter vos produits tout ceci avec votre assentiment. De plus, il serait difficile de parler de conflit d’intérêts car depuis que j’ai commencé la vente de sous-produits, non seulement j’ai conservé ma clientèle mais j’ai même réussi à augmenter le volume des ventes des produits fabriqués par Concentrés Scientifiques Belisle inc. et ce années après années.
Comme vous le savez et me l’avez dit, je n’ai jamais eu à choisir entre les intérêts de Belisle et mes intérêts propres. J’ai toujours joué « Fair Play » depuis le début et encore aujourd’hui mon attitude n’a pas changé.
Comme vous le dites si bien lorsque vous parlez des clients, en les qualifiant de « mes clients », je vous rappelle que j’ai mis plus de 10 ans à construire ma clientèle et à répondre à leurs besoins avec mon génie, ma droiture et ma compétence. Je suis très attaché à mes clients et réciproquement, il serait dommage qu’un jour, ils aient à choisir entre moi et Belisle.
Récemment, j’ai perdu un client très important qui faisait affaire avec moi et vous depuis longtemps. Je me suis battu pour tenter de le conserver mais hélas ce fut impossible et comme il me l’a dit : « Ce n’est pas votre compétence qui est en jeu mais un autre facteur que vous connaissez… ». Je n’insiste pas, vous savez de qui il s’agit et vous en connaissez les raisons.
À mes yeux, la clientèle est précieuse et ni vous ni moi n’avons les moyens de perdre un client. Il est à craindre qu’il y ait réaction à la chaîne.
Vous qualifier la situation de grave. Cela m’étonne beaucoup car dans le passé mon comportement a été impeccable et j’ai toujours pris à cœur les intérêts de Belisle et les intérêts de mes clients. Je n’ai jamais été un problème pour vous. Tout d’un coup, il y a revirement et je deviens une source de conflit! Il n’y a pas de mots pour décrire ma déception et mon étonnement face à votre lettre du 24 mars 1994. Je ne comprend pas le pourquoi d’une telle lettre, sinon pour des fins accessoires et détournées.
Je profite également de la présente pour vous sommer de cesser immédiatement de véhiculer tous propos mensongers me concernant à l’effet que je suis en conflit d’intérêts. En agissant de la sorte, vous nuisez à ma réputation et vous savez fort bien que ce que vous propagez est absolument faux.
À défaut de vous conformer à cette demande, je serai dans l’obligation de voir à ce que mes droits soient respectés.
Je vous prie d’agir en conséquence.[45]
[101] Ni Bonneau, ni Benoît, ni Nadeau (pas plus qu'Élevages ou Lyrco) ne cessent par la suite leurs activités de vente de sous-produits ou de moulée.
[102] Le 22 avril 1994, la direction de Concentrés convoque les vendeurs pour leur annoncer une nouvelle fois son intention de modifier la nature de leur rémunération et de remettre en cause le principe de l'intégrité des territoires de vente. Un des vendeurs parlant de la nécessité de se regrouper pour lutter contre ces changements, Benoît évoque l'idée de syndicat. Quelques jours plus tard, il fera d'ailleurs, en compagnie de Bonneau et de Nadeau, certaines démarches auprès de la Centrale des Syndicats Démocratiques.
[103] Concentrés congédie Bonneau le 2 mai 1994 et, le lendemain, Benoît et Nadeau[46], alléguant dans les trois cas un inacceptable conflit d'intérêts.
[104] Au moment du congédiement, Concentrés n'a pas payé à Gestion les sommes qu'elle lui doit en remboursement des intérêts sur la marge de crédit depuis le mois d'octobre 1993. Nadeau affirme avoir envoyé un état de compte à Concentrés en date du 15 mars 1994, visant les intérêts d'octobre 1993 à février 1994 inclusivement. Cet état de compte aurait été produit au procès comme pièce P-63. Cette demande totalisait 2 603,06 $. Par la suite, pour arriver à la réclamation de 3 455,11 $, Nadeau a ajouté les intérêts de mars et d'avril. La facture totale a été faite à la suite des interrogatoires au préalable de 1995[47]. Ni cet état de compte ni cette facture ne se trouvent dans le dossier d'appel.
[105] Bélisle explique ainsi la raison pour laquelle Concentrés n'a pas remboursé à Gestion les intérêts qu'elle aurait pu lui devoir :
Q. Admettez-vous que si vous avez pas payé ces intérêts-là sur la marge, que vous les devez monsieur Bélisle?
R. Moi j'admets qu'on payait sur états de compte, production d'états de compte. Si les sommes qui sont inscrites là ont pas été payées, c'est parce qu'il y a pas eu production d'états de compte et qu'au moment où je les ai congédiés, ben j'ai considéré qu'après le congédiement, je ne devais plus rien à personne, y étaient congédiés. S'ils voulaient être payés avant, c'était à eux autres de produire leurs états de compte avant.[48]
[106] À la suite de leur congédiement et après le désarroi des premiers jours, Bonneau, Benoît et Nadeau, dont la preuve révèle qu'ils ont un sens certain de l'entrepreneuriat, décident de faire de Lyrco leur gagne-pain. Forts de leurs connaissances et de l'expérience acquise chez Concentrés, ils réorientent les activités de Lyrco : celle-ci vendra elle aussi des vitamines et minéraux, concurrençant directement Concentrés.
[107] Bénard (par lettre datée du 11 mai 1994) et Bélanger (dont le dernier jour de travail a été le 27 mai 1994) démissionnent de leur poste chez Concentrés et se joignent à Lyrco quelques jours plus tard, comme vendeurs. On leur confie alors les territoires qu'ils desservaient antérieurement chez Concentrés et ils se mettent immédiatement au travail.
[108] Il est important de noter que la preuve ne révèle pas que Bonneau, Benoît et Nadeau aient incité leurs anciens collègues à démissionner de leur poste chez Concentrés. Bonneau admet avoir parlé à Bénard dans les jours qui ont suivi son congédiement, ce qui était normal entre personnes ayant travaillé étroitement ensemble au cours des dernières années, mais il nie formellement avoir poussé Bénard à démissionner ou l'en avoir convaincue[49].
[109] La preuve ne montre pas non plus que Bonneau, Benoît et Nadeau (et pas davantage Bénard ou Bélanger) aient conservé des recettes de produits appartenant à Concentrés ou autres documents ou renseignements du genre. Ils ont mis au point leur propres recettes, avec l'aide d'experts externes, et Lyrco en a commencé la production en juin 1994. On note, de la mi-mai à la fin mai 1994, des ventes de sous-produits et de moulée (vraisemblablement fabriqués par Élevages) et quelques ventes de vitamines et minéraux[50]. Bonneau, Benoît et Nadeau ont loué un entrepôt (qui se trouve face à celui de Concentrés à St-Valérien). Ils ont entrepris leur production à partir d'installations louées[51]. Lyrco serait devenue pleinement fonctionnelle quelques trois ou quatre mois plus tard[52], ce que confirme la progression de ses ventes au cours de cette période et par la suite[53].
[110] Ayant appris la nouvelle du congédiement, les clients que Bonneau, Benoît et Nadeau desservaient chez Concentrés les ont presque tous suivis chez Lyrco. La preuve prépondérante révèle que Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont pas sollicité leur ancienne clientèle, pas plus que Bénard ou Bélanger. Ce sont plutôt les clients qui ont décidé de continuer de faire affaire avec eux, en raison du lien de confiance développé précédemment.
[111] Paré était bien conscient d'ailleurs du risque qu'il faisait courir à Concentrés en congédiant ses trois meilleurs vendeurs. Bélisle l'était également : il a même tenté de contacter divers clients de Bonneau, Benoît et Nadeau, leur offrant des conditions avantageuses pour les retenir, mais en vain Le témoignage de Philippe Bélisle est lui aussi éloquent.
[112] Le fait est que Concentrés a donc perdu la majorité des clients de Bonneau, Benoît, Nadeau, Bénard et Bélanger.
[113] Signalons enfin que Bénard a quitté Lyrco peu de temps après qu'eût été intentée l'action de Concentrés. Le sort de Bélanger n'est pas clair.
* *
[114] Ce récit n'est pas exhaustif et d'autres éléments auraient pu être mentionnés, que l'on retrouve en partie dans le jugement de première instance. Certains de ces faits, considérés en eux-mêmes, semblent aller dans le sens des prétentions de l'appelante au sujet de la déloyauté de ex-salariés en cours d'emploi (par exemple : l'incident « Hoffmann Laroche »[54]; l'incident « Gilbert » - s'il est vrai[55]; le fait qu'en octobre 1993, Lyrco a souscrit une marge de crédit de 50 000 $ s'ajoutant aux 30 000 $ investis dans l'entreprise au moment de son démarrage - ce qui fait peut-être beaucoup pour une entreprise dont les activités, qu'on prétend n'être pas profitables, sont présentées comme un complément à celles de Bonneau, Benoît et Nadeau chez Concentrés; le fait qu'une liste d'employés de Lyrco, liste datée de décembre 1993, contient déjà les noms de Bénard et de Bélanger - ce que Bonneau explique d'une manière qu'on pourrait trouver plus ou moins convaincante; l'usage indélicat (et vraisemblablement illégal), par Lyrco, de la marque « BB Courseur »; le fait qu'en produisant et en vendant eux-mêmes de la moulée par l'intermédiaire d'Élevages et de Lyrco, Benoît et Nadeau se trouvaient aussi à concurrencer leurs propres clients producteurs-meuniers). À l'inverse, en plus de ceux dont il est fait état plus haut, d'autres éléments favorisent plutôt la thèse des intimés (par exemple, le fait que le chiffre d'affaires de Concentrés a augmenté pendant la période 1993-1994[56], le fait que Concentrés se plaint que ses ex-salariés refusent de lui remettre les dossiers des clients qu'ils desservaient avant leur congédiement, alors que ces dossiers se trouvent entre les mains des clients eux-mêmes[57]; la lenteur avec laquelle Concentrés a agi après avoir prétendument appris les agissements de Bonneau, Benoît et Nadeau en janvier 1994, etc.). Certains éléments nuisent par ailleurs à la crédibilité générale de Bélisle, entre autres la façon dont il présente les tentatives de Concentrés de modifier les conditions de travail des salariés ou les explications qu'il donne pour justifier l'emploi d'apralan et de sélénium - ingrédients non approuvés au Canada - dans certains de ses produits. Quant à la crédibilité de Paré, elle a pu être affectée négativement par l'importance excessive qu'il accorde à l'incident « Valère Lieutenant », par l'omission de certains faits non négligeables ou encore par le fait qu'il a demandé à un autre vendeur (un certain Lemire) de commencer à s'occuper du territoire de Bonneau avant même le congédiement de celui-ci, etc.
[115] Cela dit, bien que ne reprenant pas tous les aspects de la preuve, le récit des pages précédentes met en relief des éléments qui, conjugués à ceux que retient le juge de première instance, justifient amplement les déterminations factuelles de ce dernier, dont les suivantes, principalement :
- Concentrés a permis à Bonneau de vendre ses sous-produits et à Benoît et Nadeau d'agir comme producteurs-meuniers.
- Les activités de Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont jamais été cachées et elles étaient connues de Concentrés, tant avant qu'après la création de Lyrco.
- Avec l'arrivée de Paré, Concentrés a voulu modifier unilatéralement le statu quo.
- Que ce soit directement ou par l'entremise de Lyrco et d'Élevages, Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont fait rien d'autre que ce qu'ils avaient toujours fait, avec l'autorisation de Concentrés, par d'autres moyens.
- On ne peut rien reprocher à Bénard et à Bélanger.
b. Application du droit aux faits
[116] Sur la base de ces déterminations factuelles, j'examinerai d'abord la question de savoir si Bonneau, Benoît, Nadeau, Bénard et Bélanger ont violé le devoir de loyauté contractuel puis postcontractuel que leur impose l'article 2088 C.c.Q. L'affaire étant essentiellement ciblée sur le comportement des trois premiers, c'est à eux que je m'intéresserai surtout.
i. Bénard et Bélanger
[117] On peut en effet d'emblée exclure Bénard et Bélanger du débat. La preuve à leur sujet ne suffit tout simplement pas à démontrer qu'ils ont, pendant la durée de leur contrat de travail chez Concentrés, manqué à leur devoir de loyauté ou collaboré aux activités prétendument déloyales de leurs collègues Bonneau, Benoît et Nadeau avant le congédiement de ces derniers. Il y a sans doute dans cette preuve certains éléments curieux (par exemple, les factures portées à leur nom dans les livres de Lyrco, antérieurement à la mi-mai 1994 ou la mention de leur nom sur une liste d'employés de Lyrco en décembre 1993), mais outre qu'ils sont expliqués par Bonneau d'une façon plausible, ces éléments sont si peu nombreux qu'on ne peut conclure à déloyauté.
[118] Par ailleurs, le fait que Bénard et Bélanger ont songé à démissionner puis effectivement démissionné de leur poste chez Concentrés, pour se joindre ensuite à Lyrco, ne peut être considéré comme un geste déloyal. Un salarié lié à son employeur par un contrat de travail à durée indéterminée peut démissionner à son gré, mettant ainsi fin au contrat, le tout conformément à l'article 2091 C.c.Q. Le fait que Bénard a parlé à Bonneau après le congédiement de ce dernier, alors qu'elle était encore à l'emploi de Concentrés, ne peut pas non plus être considéré, en lui-même, comme un geste déloyal : lorsqu'un salarié est congédié, il n'est pas déloyal pour ceux qui demeurent chez l'employeur de rester en contact avec leur ex-collègue ou de conserver des liens personnels.
[119] Que Bénard et Bélanger se soient ensuite joints à Lyrco, nouveau concurrent de Concentrés, ne peut pas non plus leur être reproché, en l'absence d'une clause de non-concurrence, et l'article 2088 C.c.Q. ne les en empêchait d'aucune façon.
[120] Enfin, la preuve ne démontre pas que Bénard et Bélanger, après leur arrivée chez Lyrco, se soient livrés à des actes de concurrence déloyale.
ii. Bonneau, Benoît et Nadeau
- Avant le congédiement (article 2088, premier alinéa, C.c.Q.)
[121] À l'instar du juge du procès, une revue attentive de l'ensemble de la preuve me convainc que, malgré certains éléments troublants et en raison des circonstances extrêmement particulières de l'espèce, Bonneau, Benoît et Nadeau, alors qu'ils étaient encore à l'emploi de Concentrés, n'ont pas manqué aux obligations qu'énonce le premier alinéa de l'article 2088 C.c.Q., du moins jusqu'en mars 1994.
[122] Il est vrai que n'eût été l'autorisation de Concentrés, les activités « complémentaires » de Bonneau, de Benoît et de Nadeau auraient été déloyales (sauf en ce qui touche l'achat et l'exploitation d'une ferme porcine par Benoît et Nadeau, la preuve ne démontrant pas, malgré les affirmations de Bélisle, que le contrat de travail de ceux-ci avec Concentrés ait stipulé une exclusivité de service[58]). En vendant leurs propres produits aux producteurs clients de Concentrés, plutôt que les produits similaires offerts par celle-ci, Bonneau, Benoît et Nadeau auraient commis des actes d'appropriation ou de détournement de clientèle ou, à tout le moins, se seraient placés dans une situation de conflit d'intérêts incompatible avec le devoir de loyauté que consacre le premier alinéa de l'article 2088 C.c.Q.
[123] De même, en vendant à d'autres la moulée qu'ils produisaient grâce à Élevages et en agissant ainsi eux-mêmes comme producteurs-meuniers (et non simplement comme éleveurs ou producteurs de porcs), Benoît et Nadeau, même si leurs ventes ont somme toute été modestes, auraient manqué à leur obligation de loyauté, puisque, d'une part, ils auraient ainsi privé Concentrés de certaines occasions de vendre de la moulée, produit qu'elle offre, et, d'autre part, ils se seraient également trouvés à faire concurrence aux producteurs-meuniers faisant partie de leur propre clientèle et à les priver d'occasions d'affaires. À première vue, cela aurait pu être considéré comme une façon de miner indirectement le concept que mousse Concentrés, qui cherche précisément à convaincre ses clients qu'il est rentable de devenir producteurs-meuniers en approvisionnant d'autres producteurs.
[124] Cependant, Concentrés ayant autorisé ces activités, on ne peut plus parler de manquement au premier alinéa de l'article 2088 C.c.Q.
[125] Comme on l'a vu plus haut, le juge de première instance a conclu que Concentrés avait permis le commerce parallèle de Bonneau (vente de sous-produits) parce qu'elle y trouvait son compte, profitant en effet par ce moyen d'une augmentation de ses ventes de minéraux et vitamines, qui sont ses produits-vedettes (et aussi les plus rentables). Par ailleurs, à supposer même que Bonneau ait quelque peu étiré les termes de l'autorisation que Concentrés lui avait donnée à l'époque de l'« entente Audy », il n'a pas caché ses activités, la preuve démontrant plutôt qu'il a agi ouvertement (notamment par ses achats chez Concentrés), sans hésiter à parler de sa « méthode de vente » à ses collègues de travail. Il est difficile, à vrai dire impossible, de croire que la direction de Concentrés n'en ait pas été informée. Et si elle a toléré la situation, sa tolérance, dans les circonstances, ne peut être interprétée autrement que comme une acceptation implicite.
[126] Quant à Benoît, Nadeau et Élevages, là encore, à l'instar du juge de première instance, on doit conclure que non seulement Concentrés, en la personne de Bélisle, les a autorisés à exploiter une ferme porcine et à produire leur propre moulée aux fins de nourrir leurs animaux, mais qu'elle les a aussi autorisés à se constituer producteurs-meuniers (et donc à vendre à d'autres), ce qui mettait en valeur, illustrait et exemplifiait le concept qu'elle promeut, le tout favorisant la vente de ses produits et particulièrement celle des vitamines et minéraux.
[127] On ne peut nier que Bonneau, Benoît et Nadeau eussent été sages de prévenir Concentrés de la création, en 1993, de Lyrco. Cela aurait peut-être évité le malentendu, pour ainsi dire, qui a suivi. Mais Lyrco poursuivant d'une manière administrativement différente les activités complémentaires de Bonneau, Benoît et Nadeau, sa création ne changeait à vrai dire rien au fond des choses.
[128] Bref, au moins jusqu'en mars 1994, Concentrés ne peut rien reprocher à Bonneau, Benoît et Nadeau, sous le rapport de l'exigence de loyauté.
[129] Parallèlement à tout cela, la preuve montre qu'un certain laxisme existait au sein de l'entreprise de Concentrés ou, du moins, certaines difficultés de gestion. J'ai cité un peu plus haut un passage du témoignage de Bélisle, passage que je me permets de reprendre une nouvelle fois et qui atteste du malaise régnant dans l'entreprise :
R. Comment j'explique ça? J'explique ça, c'était très difficile d'avoir la collaboration des représentants. À un moment donné j'ai réalisé que les représentants, à partir du moment où y étaient payés à commission, ils ne se considéraient plus des employés de la compagnie. Dans leur tête c'était plus des employés de la compagnie. C'était comme si y avait une compagnie dans ma compagnie pis que moi dans leur territoire, dans la gestion du territoire, l'entreprise Concentrés scientifiques Bélisle avait rien à faire là. Essayer de trouver des moyens monsieur le Juge pour mieux développer ces territoires-là, avoir une plus grande pénétration du marché, avoir la collaboration des gérants de territoire pour faire ça c'était difficile. Les gérants de territoire étaient d'une façon générale les meilleurs vendeurs de la compagnie, donc ceux qui exerçaient le plus grand leadership. Pis quand ceux qui exercent le plus grand leadership ont de la difficulté et ne se considèrent pas des employés de la compagnie pis ne collaborent pas, ben l'ensemble de l'équipe de vente suit les leaders, ceux qui exercent le leadership.[59]
[130] À l'époque où se corsent les relations entre Concentrés et son personnel de vente, Bélisle s'inquiète de la rentabilité de son entreprise. Il engage un nouveau directeur des ventes, Paré, qui est spécialement chargé de mettre de l'ordre chez les vendeurs et qui semble en particulier chargé de mater, pour ainsi dire, Bonneau, Benoît et Nadeau, ceux-ci ayant, selon Bélisle, une mauvaise influence sur leurs collègues, notamment en raison de leur réticence à fournir des rapports d'activités écrits.
[131] C'est à partir de ce moment, qui coïncide avec l'arrivée de Paré et la rencontre de celui-ci avec Bonneau, Benoît et Nadeau, que la situation se transforme. Il est probable que Paré ait été surpris et peut-être même choqué d'apprendre ce que les trois vendeurs lui ont expliqué le 25 janvier 1994. Paré arrivait tout juste chez Concentrés et n'était pas familier avec les pratiques de l'entreprise. On ne sait pas vraiment si c'est lui qui a convaincu Bélisle de ne plus tolérer la situation ou si Bélisle y a vu une occasion de faire rentrer dans le rang des vendeurs qui, malgré leur excellence, prenaient trop de libertés avec les exigences patronales, mais le fait demeure : à partir de la mi-mars 1994, Paré, certainement avec l'accord de Bélisle, décide qu'il sera dorénavant interdit à Bonneau de vendre des sous-produits. Paré en informe Bonneau, il le lui répète le 25 mars 1994, en présence de Benoît et de Nadeau, qui le confirment; il lui remet une lettre à cet effet, lettre dont les termes sont un peu vagues toutefois, se contentant de parler de conflit d'intérêts[60]. Tout de même, en raison du caractère explicite de l'interdiction verbale qui lui est adressée le 25 mars 1994, Bonneau ne peut ignorer ce dont il est question.
[132] Je suis d'avis, contrairement au juge de première instance, que Bonneau aurait dû obtempérer à l'ordre qui lui était donné par son employeur, comme il aurait dû obtempérer à l'ordre que lui avait précédemment donné Paré de laisser tomber le client Valère Lieutenant.
[133] Ces ordres étaient peut-être mal avisés et ils contrevenaient peut-être aux ententes antérieures des parties, mais l'état de subordination juridique dans lequel se trouvait Bonneau, comme salarié de Concentrés, l'obligeait à obéir. Il ne pouvait pas, arguant comme il le fait du meilleur intérêt de l'employeur, refuser de se plier à la demande de Concentrés. Dans la mesure où il vaquait à son commerce complémentaire de sous-produits avec l'autorisation de Concentrés, il devait y mettre fin à partir du moment où l'employeur retirait cette autorisation.
[134] Un employeur peut prendre de mauvaises décisions[61]. Si le salarié est en désaccord avec celles-ci ou s'il estime en pâtir indûment, il peut tenter de convaincre l'employeur d'agir autrement et, s'il n'y parvient pas, il peut démissionner, se ranger ou encore instituer les recours appropriés.
[135] De la même façon, à compter du 25 mars 1994, alors qu'ils sont témoins de l'interdiction faite à Bonneau de vendre des sous-produits, Benoît et Nadeau auraient dû cesser de collaborer avec lui, comme ils le faisaient par l'intermédiaire d'Élevages et de Lyrco. À supposer que la chose n'ait pas été claire ce jour-là, la lettre qu'on leur adresse le 11 avril 1994 aurait dû leur permettre de comprendre ce dont il était question, même si ces lettres ne pèchent pas par excès de précision.
[136] Bref, quant au commerce des sous-produits, Bonneau, Benoît et Nadeau auraient dû obéir à l'ordre de leur employeur et leur récalcitrance, assimilable à de l'insubordination, est fautive.
[137] Concentrés a-t-elle subi un préjudice du fait que Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont pas cessé leur commerce de sous-produits à compter du 25 mars (ou du 11 avril, selon le cas)? La preuve ne permet pas de l'affirmer.
[138] Il est vrai que Lyrco, pendant cette période, a fait des ventes de sous-produits dont la liste figure dans le rapport des experts de Concentrés. Selon le témoignage de Bonneau, qui s'occupait à l'époque de la gestion de Lyrco, les factures suivaient de 15 jours environ la livraison des sous-produits. On peut donc vraisemblablement considérer que les factures du 7 avril au 15 mai 1994, approximativement, reflètent des ventes faites pendant la période d'interdiction. Ces ventes totalisent environ 60 000 $. Doit-on, selon le principe appliqué par la Cour suprême dans l'arrêt Banque de Montréal c. Ng[62], condamner Bonneau, Benoît et Nadeau (avec Lyrco) à verser l'équivalent de cette somme à Concentrés?
[139] Une réponse négative s'impose ici : si Concentrés avait droit à quelque chose sous ce rapport, elle n'aurait, au mieux, eu droit qu'aux profits réalisés par Lyrco sur cette somme. Or, ni le rapport des experts de Concentrés ni celui des experts des intimés ne permettent de savoir ce qu'ont été ces profits pour les deux mois en question ou de les calculer aisément (ce qui nécessiterait que l'on connaisse précisément les coûts d'approvisionnement, de production, d'exploitation, de main-d'œuvre ainsi que les coûts de transport, au moins). Nadeau et Bonneau affirment par ailleurs que Lyrco n'a jamais fait de profit, ce que semblent confirmer les états financiers de mars 1994, qui montrent un déficit d'environ 27 000 $[63]. Il n'est pas possible, enfin, d'adapter l'approche théorique retenue par les experts de Concentrés pour évaluer ce qu'aurait été le profit de Concentrés si c'était elle, plutôt que Lyrco, qui avait réalisé ces ventes (notamment parce qu'on y envisage la marge de contribution plutôt que le taux de profit).
[140] Dans ces circonstances, la seule conclusion que l'on puisse tirer de la preuve est que les revenus de Lyrco au cours de la période d'interdiction n'ont pas généré de profit. Plus exactement, la preuve prépondérante, dont le fardeau revenait à Concentrés, ne permet d'établir ni l'existence ni le montant de ce profit. Aucune condamnation ne peut donc s'ensuivre.
[141] Quant aux activités de Benoît et de Nadeau, à travers Élevages et Lyrco, comme producteurs-meuniers de moulée, la preuve n'est pas claire : Concentrés a-t-elle voulu les interdire, en mars ou en avril 1994? Paré affirme que oui; Benoît et Nadeau affirment le contraire. Nadeau, dans la réponse qu'il adresse à Paré le 17 avril 1994[64] rappelle expressément que ce dernier aurait confirmé la permission; Paré ne répond pas à cette lettre. On peut conclure de tout cela, au mieux, qu'il y avait ici une ambiguïté que ni l'une ni l'autre des parties n'a cru bon de dissiper, chacune se campant sur ses positions. Le juge de première instance a conclu en faveur de Benoît et de Nadeau et l'état de la preuve ne permet pas d'infirmer cette conclusion. De toute façon, dans les circonstances, Concentrés ayant congédié les salariés quelques jours plus tard, j'estime qu'elle a prévenu ainsi tout préjudice pouvant lui résulter de la situation ambiguë qu'elle a contribué à créer et à maintenir en rapport avec la production et la vente de moulée.
- Après le congédiement (article 2088, second alinéa, C.c.Q.)
[142] Qu'en est-il maintenant de la violation du second alinéa de l'article 2088 C.c.Q.? Bonneau, Benoît et Nadeau, directement ou par Lyrco, Élevages et Gestion, ont-ils de quelque façon manqué à leur devoir de loyauté postcontractuelle?
[143] D'accord avec le juge de première instance, je conclus par la négative, en application des principes élaborés en cette matière par la jurisprudence et la doctrine, principes rappelés plus haut.
[144] Après leur congédiement, Bonneau, Benoît et Nadeau ont réorienté Lyrco, dont ils ont fait une concurrente de Concentrés, œuvrant dans le même secteur. En l'absence de clause de non-concurrence, ils avaient le droit d'agir ainsi et de livrer concurrence à leur ancien employeur, sous réserve de ce que prescrit le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q. En l'espèce, la preuve ne démontre pas qu'ils ont contrevenu à cette disposition. Ils se sont même abstenus de solliciter la clientèle avec laquelle ils entretenaient pourtant des rapports privilégiés : c'est plutôt cette clientèle qui, informée de leur congédiement, les a suivis en masse. L'article 2088 C.c.Q. ne requiert pas que l'ex-salarié refuse les clients qui se présentent à sa porte, même s'il les a desservis chez son ex-employeur et même s'il a entretenu avec eux un rapport étroit[65]. Bonneau, Benoît et Nadeau n'ont pas conservé de documents confidentiels de Concentrés ou usé de renseignements confidentiels ou d'outils particuliers de cette dernière. Ils n'ont pas, contrairement à ce que soutient Concentrés, empêché celle-ci d'avoir accès aux dossiers de ses clients, qui sont entre les mains de ces derniers.
[145] Les occasions d'affaires qui se sont présentées à Lyrco à la suite du congédiement de Bonneau, Benoît et Nadeau ne peuvent être considérées ici comme l'aboutissement d'un complot ourdi avant le congédiement ou celui d'une entreprise déloyale entamée avant le congédiement et dont les intimés retireraient aujourd'hui les fruits illégitimes. Même si on peut leur reprocher leur récalcitrance des mois de mars et avril 1994, celle-ci est sans rapport utile avec le développement de Lyrco postérieurement au congédiement. La théorie du complot avancée par Concentrés n'est pas soutenue par la preuve[66].
[146] À l'évidence, c'est le fait d'avoir travaillé longtemps chez Concentrés qui a permis à Bonneau, Benoît et Nadeau d'acquérir les connaissances, les contacts, l'expertise et l'expérience qui explique le succès de Lyrco, en conjugaison avec le fait que leur excellence reconnue comme vendeurs a favorisé l'établissement de rapports étroits avec une clientèle qui les a suivis sans sollicitation particulière. D'une certaine façon, c'est donc bien leur passage chez Concentrés qui leur a servi de tremplin. Mais telle est la loi de la concurrence et, dans les circonstances, on ne peut y voir rien qui contrevienne au second alinéa de l'article 2088 C.c.Q.
[147] Les pertes subies par Concentrés postérieurement au congédiement de Bonneau, Benoît et Nadeau[67] sont tout simplement la conséquence prévisible du départ de ces salariés : autrement dit, même lorsqu'il a par hypothèse motif de le faire, un employeur ne congédie pas impunément ses meilleurs vendeurs, surtout quand ceux-ci produisent directement ou indirectement 48 % des ventes de l'entreprise.
[148] En outre, dans la période qui a immédiatement suivi le départ de Bonneau, Benoît, Nadeau et, un peu plus tard, celui de Bénard et Bélanger, les difficultés de Concentrés ont pu être accrues également (encore que dans une mesure que la preuve ne permet pas de quantifier) par l'échec de la mise en marché d'une nourriture en cubes pour vaches[68] et d'un autre produit destiné à l'alimentation porcine[69].
[149] Enfin, le seul fait que les ventes et donc les revenus de Concentrés ont diminué après le départ de Bonneau, Benoît et Nadeau ne confère en lui-même aucun caractère déloyal à la concurrence que lui livre désormais Lyrco.
[150] Dans Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie [70], le juge LeBel écrit que :
Que l'obligation de loyauté provienne d'un mandat, comme cela paraît être le cas ici, ou du contrat d'emploi, on ne saurait encore une fois lui donner une interprétation et un contenu plus inconciliables avec les fondements de l'ordre public économique que les clauses de non concurrence elles-mêmes. Elle ne permet pas de consolider un droit de propriété de la clientèle, qui demeure l'objet de la lutte pour le marché, lutte à laquelle l'ancien employé ou mandataire a droit de participer, pourvu qu'il le fasse correctement. Elle ne peut exclure du marché de l'assurance un agent d'assurance, simple exécutant, détenteur, tout au plus, d'informations générales sur le commerce et le marché de l'assurance, ainsi que d'une connaissance plus particulière du milieu humain, des groupes de clients, à l'intérieur duquel il oeuvre, qu'il a nécessairement acquises au cours de son travail ou qu'il détenait antérieurement. Il ne faut pas se leurrer: conclure ainsi signifierait parfois son exclusion de la vie économique ou l'obligation de s'orienter vers des activités complètement différentes. Dans la réalité des choses, en tenant compte des modalités de constitution d'une clientèle d'assurance, la proposition défendue par Mutuelle interdirait, à toutes fins pratiques, à l'ancien agent d'assurance, de se rebâtir une clientèle, en raison de la passivité qu'elle exigerait de lui à l'égard des personnes et des groupes qu'il connaît, et à partir desquels il peut créer et développer des possibilités de vente et donc de survie dans ce milieu.
Dans notre système économique, la clientèle demeure libre de ses choix. Elle décide où elle se portera. Toute entreprise assume les risques de ses mouvements. Demeurent toujours pertinents ces commentaires du juge en chef Lafontaine dans l'affaire La Moderne, compagnie d'assurance c. Vanchestein [renvoi omis], selon qui la clientèle appartient, en définitive, à elle-même :
Le client n'appartient qu'à lui-même. Il est susceptible de compétition de la part de qui que ce soit. [71]
[151] Et plus loin :
La liberté de concurrence représente le principe fondamental d'organisation des activités économiques, dans le secteur des assurances comme ailleurs, sous réserve de son encadrement législatif ou réglementaire. Bien que dommageable, la concurrence, en elle-même, ne saurait être fautive et source de responsabilité civile. Même lourdement préjudiciable pour une entreprise d'assurance, la seule conquête d'une part de marché par un nouveau concurrent ne lui donne pas droit à une indemnité. La concurrence fait partie de ces activités reconnues comme licites, bien que dommageables. On a le droit de conduire le restaurateur ou l'épicier voisin à la faillite, pourvu que, ce faisant, on emploie des moyens licites et corrects. […]
À moins d'adopter une conception aussi absolutiste de l'obligation de loyauté que celle que défendait la Mutuelle, et que l'on a discutée et écartée précédemment, la responsabilité civile ne saurait se fonder ici sur le fait même de la concurrence. Elle dépendrait plutôt des modalités de celle-ci, à l'égard de l'activité visée, soit la substitution systématique de polices d'assurances existantes.
[…][72]
[152] Ces propos, qui sont toujours actuels, s'appliquent à l'espèce. Or, l'appelante n'a pas établi de façon prépondérante que Bonneau, Benoît et Nadeau, directement ou par l'intermédiaire de leurs sociétés, ont agi de façon malhonnête ou répréhensible après leur congédiement.
c. Condamnations monétaires
i. Commission et bonis
[153] Concentrés conteste les condamnations monétaires qui ont été prononcées contre elle en faveur de Bonneau, Benoît et Nadeau.
[154] Sur la question des commissions et bonis, elle reproche au juge de première instance de lui avoir imposé le fardeau de la preuve; elle allègue de surcroît avoir été « tout à fait justifiée de ne pas payer de commission pour les transactions qui furent finalisées après le congédiement et de ne pas payer une bonification aux intimés qui lui avaient livré et lui livrent encore une concurrence déloyale ». Ces arguments ne convainquent pas et il n'y a pas lieu de réformer le jugement de première instance sur ce point.
[155] Il est vrai que la preuve faite par Bonneau, Benoît et Nadeau quant aux commissions et bonis impayés est strictement testimoniale. Concentrés, cependant, ne l'a pas contestée véritablement, ni contredite, sauf pour la nier, affirmant que toutes les sommes dues aux intéressés leur ont été payées[73]. Le juge de première instance a estimé que la preuve présentée par Bonneau, Benoît et Nadeau, dans ce contexte, suffisait à établir leur réclamation. Il n'y a pas lieu d'infirmer cette conclusion.
ii. Ennuis découlant de l'action de Concentrés
[156] Le juge a également condamné Concentrés à verser à Bonneau, Benoît et Nadeau une somme de 10 000 $ chacun, somme destinée à compenser le préjudice dont ils auraient souffert en raison de l'action. Le juge estime en effet que cette action a été intentée de façon malicieuse, dans l'unique but de neutraliser un concurrent, et il conclut comme suit aux paragraphes 119 à 122 de son jugement :
[119] Une seule conclusion s'impose: CONCENTRÉS n'avait qu'un seul objectif lorsqu'elle a entrepris sa poursuite sur la base de ce faux prétexte de concurrence déloyale: neutraliser l'organisation de LYRCO dont les activités prenaient de l'importance en vue de nuire à ses actionnaires, leurs employés BÉNARD et BÉLANGER ainsi qu'à GESTION et ÉLEVAGES.
[120] BONNEAU, BENOÎT et NADEAU ont témoigné que le développement de LYRCO avait été ralenti par la poursuite de CONCENTRÉS parce qu'elle n'a pas obtenu le crédit nécessaire à son développement.
[121] Leur banquier a appris avant eux que CONCENTRÉS s'apprêtait à leur réclamer 755 000 $ pour concurrence déloyale, somme qui a presque doublée trois ans plus tard le 9 octobre 1997. Ils ont dû s'expliquer à plusieurs reprises avec leur banquier et leurs fournisseurs qui hésitaient à leur faire crédit en raison du risque que comportait une poursuite de cette ampleur.
[122] LYRCO n'a fait la preuve d'aucun dommage et d'ailleurs elle n'en réclame pas. Par contre, il ne fait pas de doute que BONNEAU, BENOÎT et NADEAU ont subi des inconvénients sur le plan personnel en raison des ennuis que cette poursuite non fondée leur a causés et qu'il ne faut pas confondre avec ceux consécutifs à leur congédiement illégal pour lequel le Tribunal ne peut les compenser. La preuve justifie l'octroi d'une somme de 10 000 $ à chacun.
[157] En tout respect, je ne partage pas cette opinion. Ce n'est pas parce que l'action de Concentrés est mal fondée qu'elle est abusive ou malicieuse, ce que la preuve n'établit pas de façon prépondérante. Par ailleurs, la preuve que Bonneau, Benoît et Nadeau ont présentée au sujet des ennuis que cette action a pu leur causer est vague et imprécise : qu'ils en aient subi un certain stress est probable, que ce stress puisse constituer en l'espèce un préjudice compensable ne l'est pas. Pour cette raison, j'infirmerais sur ce point le jugement de première instance.
iii. Intérêts dus à Gestion
[158] Finalement, pour ce qui est de la réclamation de Gestion, Concentrés, à la p. 45 de son mémoire, soutient que :
Au paragraphe 109 du jugement a quo, le juge de première instance déclare que GESTION a droit à la somme de 3 450,11 $ représentant les intérêts que BÉLISLE n'aurait pas payés sur sa marge de crédit. Cette condamnation est manifestement mal fondée. En effet, tel que mentionné précédemment, BÉLISLE a permis à BENOÎT et NADEAU d'exploiter un commerce de porcelets afin de faire la promotion des produits de BÉLISLE et de fidéliser la clientèle impliquée dans ce commerce. BÉLISLE était justifiée de résilier cette entente à compter du moment où les Intimés Benoît et NADEAU faisaient preuve d'insubordination caractérisée à son égard et lui livraient une concurrence déloyale.
[159] Cet argument ne peut être retenu. La preuve révèle 1° que les activités de Gestion étaient entièrement cautionnées et avalisées par Concentrés, qui ne les offrait pas elle-même, et 2° que ces activités n'ont rien à voir avec les reproches adressés à Benoît et Nadeau. Le fait que Gestion a poursuivi ses activités après le congédiement, vraisemblablement auprès des mêmes clients, ne peut être considéré comme une concurrence déloyale à l'endroit de Concentrés, qui n'offrait toujours pas le service. Par ailleurs, cette entente n'a jamais été résiliée formellement par Concentrés. Enfin, bien qu'on puisse considérer que l'entente entre Gestion et Concentrés a été rompue par le congédiement des actionnaires de la première, il reste que les sommes que lui devait la seconde jusqu'à cette date sont exigibles. Il n'y a donc pas lieu de réformer le jugement de première instance sur ce point.
iv. Dépens
[160] Concentrés conteste également la façon dont le juge de première instance a attribué les dépens. Voici les paragraphes pertinents du jugement :
[101] CONCENTRÉS n'a pas expliqué pourquoi elle a dirigé sa poursuite contre GESTION qui avait été mise sur pied avec son approbation pour faire le commerce de porcelets et encore moins contre ÉLEVAGES qui exploitait deux fermes porcines, fabriquait ses propres moulées et en préparait pour d'autres dans le cadre du concept de producteur meunier encouragé jusque-là par CONCENTRÉS.
[102] CONCENTRÉS n'a pas expliqué non plus pourquoi elle a poursuivi BÉNARD et BÉLANGER qui ont décidé de suivre leur patron immédiat en raison du climat chez CONCENTRÉS après leur congédiement: ils n'avaient joué aucun rôle dans leur décision de mettre sur pied LYRCO et n'avaient aucune participation dans GESTION et ÉLEVAGES.
[103] Ces défendeurs ont été associés au complot présumé de BONNEAU, BENOÎT et NADEAU par CONCENTRÉS qui n'a offert aucune preuve matérielle digne de foi à ce sujet: elle devra en subir les conséquences.
[104] Sa poursuite est donc rejetée avec dépens, lesquels sont mitigés comme suit en raison des motifs distincts de contestation, en faveur des défendeurs regroupés comme suit, chaque groupe ayant droit aux dépens.
- BONNEAU, BENOÎT et NADEAU;
- LYRCO qui pourra inclure le coût de son expert au montant de 32 059,77 $ qui comprend 15 956,27 $ pour sa présence au procès [renvoi omis].
- ÉLEVAGES et GESTION;
- BÉNARD et BÉLANGER;
[…]
[124] REJETTE l'action de CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BELISLE INC. en faveur des défendeurs regroupés comme suit: DAVID REGIS BONNEAU, YVES BENOÎT et LUC NADEAU; LYRCO NUTRITION INC. incluant ses frais d'expert de 32 059,77 $: LES ÉLEVAGES BENOÎT et NADEAU ENR., GESTION BENOÎT ET NADEAU INC.; MARTHE BÉNARD et GARY BÉLANGER.
[125] MAINTIENT sans frais les demandes reconventionnelles :
[…]
[161] Selon Concentrés, cette façon d'attribuer les dépens à quatre groupes distincts de défendeurs est injustifiée, puisque ces défendeurs ont présenté une défense commune, que six d'entre eux sont des personnes liées (Bonneau, Benoît, Nadeau, Lyrco, Gestion et Élevages) et que les deux autres (Bénard et Bélanger) n'ont pas témoigné. Subsidiairement, Concentrés soutient que les frais d'expert accordés à Lyrco devraient être réduits à 16 103,50 $, « la présence de l'expert durant tout le procès n'étant pas nécessaire, son témoignage relevant davantage de l'argumentation que de l'expertise »[74].
[162] L'attribution des dépens de première instance relevant de la discrétion du juge du procès, la Cour doit en la matière faire montre d'une grande retenue et plus encore lorsque le juge s'en explique par des motifs sérieux, comme il le fait ici.
[163] Je ne crois donc pas qu'il y ait matière à intervention, sauf sur un point.
[164] Avec égards, le juge n'aurait pas dû distinguer, aux fins de l'attribution des dépens, Bonneau, Benoît, Nadeau, d'une part, et Lyrco, d'autre part. En effet, ces quatre personnes sont étroitement liées l'une à l'autre, tout comme les divers éléments de leur défense, Lyrco ayant été le véhicule corporatif par lequel Bonneau, Benoît et Nadeau, tant avant qu'après le congédiement, ont choisi de se livrer aux activités qui font l'objet du litige. De les séparer en deux groupes ne paraît pas approprié dans les circonstances et double indûment l'effet de l'attribution des dépens en leur faveur.
[165] On pourrait être tenté d'inclure Élevages dans ce groupe, puisque cette société, avant le congédiement, a elle aussi participé aux activités litigieuses. Cela dit, l'implication d'Élevages dans les activités litigieuses des autres intimés après le congédiement n'a pas été établie, alors que le gros de l'action, sur le plan monétaire, vise ces activités post-congédiement. De même, Gestion n'a rien à voir avec les activités litigieuses tant pré- que post-congédiement et, d'une certaine façon, il n'est pas déraisonnable de mettre ces deux sociétés dans un même groupe. Quoi qu'il en soit, le résultat final serait à peu près le même : si l'on place Élevages avec le groupe Bonneau, Benoît, Nadeau et Lyrco, Gestion demeurerait seule de son côté, ce qui ne changerait rien à la situation pour Concentrés, en pratique.
VI. Conclusion
[166] Pour toutes ces raisons, je propose donc de rejeter le pourvoi, avec dépens, quant au volet concernant l'action principale de Concentrés contre les intimés, sauf quant à l'octroi des dépens en première instance. Il y aura donc lieu de modifier sous ce chef la conclusion figurant au paragraphe 124 du jugement de première instance, de façon à ce que cette conclusion énonce plutôt que :
[124] REJETTE l'action de CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. avec dépens en faveur des défendeurs regroupés comme suit : DAVID RÉGIS BONNEAU, YVES BENOÎT, LUC NADEAU et LYRCO NUTRITION INC. incluant ses frais d'expert de 32 059,77 $; LES ÉLEVAGES BENOÎT ET NADEAU ENR. et GESTION BENOÎT ET NADEAU INC.; MARTHE BÉNARD et GARY BÉLANGER.
[167] Quant à l'appel des condamnations résultant de la demande reconventionnelle, je propose de l'accueillir partiellement, avec dépens, à la seule fin de retrancher 10 000 $ de chacun des montants figurant aux paragraphes 126, 127 et 128 du jugement de première instance (et en corrigeant une erreur d’écriture), de façon que ces paragraphes énoncent dorénavant que :
[126] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à DAVID RÉGIS BONNEAU la somme de 6 699,45 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
[127] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à YVES BENOÎT la somme de 13 321,23 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
[128] CONDAMNE CONCENTRÉS SCIENTIFIQUES BÉLISLE INC. à payer à LUC NADEAU la somme de 3 270 $ avec l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 22 décembre 1994.
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MARIE-FRANCE BICH J.C.A. |
[1] Paragr. 86 du jugement de première instance.
[2] Paragr. 99 du jugement de première instance.
[3] Voir les conclusions de la défense et demande reconventionnelle du 14 janvier 2001.
[4] Voir les conclusions de la défense et demande reconventionnelle amendée du 14 janvier 2001, qui détaillent les réclamation des commissions et de bonis.
[5] Voir : Lapointe c Hôpital Le Gardeur, [1998] 1 R.C.S. 351; H.L. c. Procureur général du Canada, [2005] 1 R.C.S. 401 ; Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663 ; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 ; Simard c. Tremblay, 2005 QCCA 887 , J.E. 2005-1838 ; Allaire c. Girard & Associés (Girard et Cie comptables agréés), 2005 QCCA 713 , J.E. 2005-1539 ; Vachon c. Routhier, 2005 QCCA 631 , J.E. 2005-1315 .
[6] Voir par exemple : Banque de Montréal c. Ng, [1989] 2 R.C.S. 429 ; Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., [2001] R.J.Q. 2820 , [2001] R.J.D.T. 1743 (c.a.); Abbas-Turqui c. L.N.S. Systems Inc., J.E. 2004-898 (C.A.); Pro-quai inc. c. Tanguay, 2005 QCCA 1217 , J.E. 2006-138 .
[7] On imagine évidemment mal un employeur autoriser le salarié à se conduire de façon malhonnête, mais la chose est différente en matière de conflit d'intérêts, l'employeur pouvant autoriser ce qui serait normalement considéré comme un manquement à cet égard.
[8] Le refus de remettre ces biens, d'ailleurs, constitue dans certains cas un vol pur et simple, sans égard à la notion de loyauté.
[9] Les facteurs mentionnés plus haut seront à nouveau considérés (par exemple : nature du contrat et de l'entreprise, nature, conditions et niveau hiérarchique du poste occupé par l'ex-salarié, durée du service de l'ex-salarié au sein de l'entreprise de l'employeur, motifs de la terminaison du contrat de travail, état de la concurrence dans le secteur d'activités de l'employeur, etc.). On s'intéressera en outre aux motifs et aux circonstances de la rupture du contrat de travail, de même qu'à la durée du service antérieur de l'ex-salarié. Ainsi, le caractère injustifié d'un congédiement peut avoir un effet à la baisse sur la durée du délai raisonnable. La bonne ou la mauvaise foi de l'ex-salarié peut être un élément à considérer dans l'évaluation de la durée de ce délai raisonnable.
[10] Sur le tout, voir par exemple : Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.); Dufresne c. Groupe Christie Ltée, [1992] R.D.J. 546 (C.A.); Positron c. Desroches, [1988] R.J.Q. 1636 (règlement hors cour, C.A., 1991-09-16, 500-09-000620-880); Improthèque inc. c. St-Gelais, [1995] R.J.Q. 2469 (C.S.); Groupe Financier Assbec c. Dion, [1995] R.D.J. 172 (C.A.); Frank White Enterprises Inc. c. 130541 Canada inc., J.E. 95-1233 (C.A.); Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., précité, note 6; Étiquette nationale inc. c. Sarrazin, J.E. 2002-508 ; Industries Flexart ltée c. Baril, [2003] R.J.Q. 665 , [2003] R.J.D.T. 39 (C.A.); Gestion Marie-Lou (St-Marc) inc. c. Lapierre, J.E. 2003-1698 (C.A.); Corporation scientifique Claisse inc. c. Instruments Katanax inc., 2006 QCCA 1425 , J.E. 2006-2266 .
[11] Voir jugement de première instance, paragr. 7.
[12] À ce sujet, voir témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1295, qui décrit le secteur d'activités dans lequel œuvre Concentrés comme étant « très, très compétitif comme milieu ». À la p. 1507, Paré parlera de compétition « très féroce ». C'est aussi ce qu'explique Nadeau, mémoire de l'appelante, p. 2880 in fine-2881.
[13] Mémoire de l'appelante, p. 903-904.
[14] Bélisle, dans son témoignage, évalue ainsi, approximativement, les marges brutes sur chacun des types de produits (mémoire de l'appelante, p. 1856 in fine-1857) : 55 % pour les mélanges de vitamines et minéraux, 25 % pour les suppléments minéralisés, 15 % pour les sous-produits et les moulées, 10 % sur le reste. Ces chiffres sont repris par l'expert Després (pour Concentrés), mémoire de l'appelante, à la p. 3275.
[15] Témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1404.
[16] Sur le tout, voir le témoignage de Bélisle, notamment aux p. 1707-1708, 1808-1809, 1837, 3095-3096 du mémoire de l'appelante et, sur le cas de Lebrun, les p. 1838 et s.
[17] Mémoire de l'appelante, p. 283.
[18] Pièce P-23, mémoire de l'appelante, p. 513.
[19] Voir notamment le témoignage de Nadeau, aux p. 2886 et 2945 du mémoire de l'appelante, et celui de Bonneau, notamment aux p. 2219 in fine, 2220 et 2458-2459.
[20] Pièce P-19, volume 2 du dossier (tel que remis à l'audience).
[21] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2687-2689 et 2691.
[22] Témoignage de Benoît, mémoire de l'appelante, p. 2485-2492.
[23] Témoignage de Benoît, mémoire de l'appelante, p. 2484.
[24] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2528.
[25] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2546-2547.
[26] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 3086.
[27] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2651-2652.
[28] Témoignage de Nadeau, mémoire de l'appelante, p. 2980.
[29] Témoignage de Gilbert, mémoire de l'appelante, p. 2077 in fine, 2078 et 2079.
[30] Témoignage de Gilbert, mémoire de l'appelante, p. 2081.
[31] Sur la création et les activités de gestion, voir notamment le témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 1709-1713 et 1716, et celui de Nadeau, p. 2834-2835. Voir aussi la pièce P-35, note adressée par Bélisle à Benoît et Nadeau, le 17 septembre 1991.
[32] Voir notamment la pièce D-5 (lettre convoquant les vendeurs de Concentrés à une réunion où doivent être discutés certains sujets), mémoire de l'appelante, p. 926-927; témoignage de Benoît, p. 2208 et s.; témoignage de Bonneau, aux p. 2503 et s. (particulièrement à partir de la p. 2510); témoignage de Nadeau, p. 2843.
[33] À ce sujet, voir notamment le témoignage de Benoît, mémoire de l'appelante, p. 2239 et s.; témoignage de Bonneau, p. 2669-2670 et témoignage de Nadeau, p. 2877.
[34] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 1802.
[35] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 3157 in fine, et 3158.
[36] Voir en particulier le paragr. 94 du jugement de première instance.
[37] Témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1475, ligne 18.
[38] Sur tout l'incident Lieutenant, voir : témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, notamment p. 1473-1481 et 1667-1668; témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2557-2601. Sur la réaction de Bonneau, voir le témoignage de ce dernier, notamment aux p. 2596-2600 du mémoire de l'appelante.
[39] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2601.
[40] Témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1480.
[41] Sur le récit de la rencontre, voir le témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2610-2613 et 2661.
[42] Pièce P-10 (lettre à Benoît et lettre à Nadeau), mémoire de l'appelante, p. 295-296.
[43] Pièce P-11, mémoire de l'appelante, p. 297.
[44] Pièce P-12, mémoire de l'appelante, p. 298.
[45] Pièce P-13, mémoire de l'appelante, p. 299-300.
[46] Lettres de congédiement, pièce P-14 (Bonneau), P-15 (Benoît) et P-16 (Nadeau), mémoire de l'appelante, p. 301 à 303.
[47] Sur ce point, voir le témoignage de Nadeau, mémoire de l'appelante, p. 2899-2902.
[48] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 1988.
[49] Témoignage de Bonneau, mémoire de l'appelante, p. 2780-2781.
[50] Voir les factures de Lyrco dans le rapport des experts de Concentrés, mémoire de l'appelante, vol. 2, onglet 2, p. 356-358.
[51] Voir le témoignage de Nadeau, mémoire de l'appelante, p. 2869.
[52] Voir le témoignage de Benoît, mémoire de l'appelante, p. 2233-2234. Voir aussi les versions de Nadeau, p. 2869, et s., et de Bonneau, p. 2642.
[53] Voir le rapport des experts de Concentrés, pièce P-19, mémoire de l'appelante, vol. 2, onglet 2, p. 358 et s. Voir également le paragr. 113 du jugement de première instance, qui fait la synthèse du montant des ventes de Lyrco dans les mois qui ont suivi le congédiement.
[54] Élevages aurait fait une commande de minéraux et vitamines chez Hoffmann Laroche (concurrente de Concentrés), pour faire des expériences, explique-t-on. Concentrés y voit un autre signe de déloyauté.
[55] Gilbert, directeur de l'entrepôt de Concentrés à St-Valérien est celui qui rapporte l'incident Hoffmann Laroche; il raconte également que, par deux fois, Benoît lui aurait, avant mai 1994, offert un emploi chez Lyrco, ce que nie formellement Benoît. Le juge n'a pas cru Gilbert, dont il qualifie la version de « suspecte » pour des raisons dont il s'explique aux paragr. 62 et 63 de son jugement.
[56] Voir le témoignage de l'expert Després (pour Concentrés), mémoire de l'appelante, p. 3255, 3273, et son rapport, pièce P-19, p. 17 (mémoire de l'appelante, p. 334).
[57] Voir notamment le témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1649-1650. Voir aussi le témoignage de Belisle, qui admet que les renseignement se trouvaient chez les clients (même s'il pouvait être difficile de les reconstituer), mémoire de l'appelante, p. 1819-1820.
[58] Alors que Bonneau, en 1990, avait signé un contrat écrit stipulant l'exclusivité de services, exclusivité qu'il faut apprécier en fonction des faits de l'espèce. Voir pièce P-28, mémoire de l'appelante, p. 679 in fine.
[59] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 3157 in fine et 3158.
[60] Pièce P-9, mémoire de l'appelante, p. 294.
[61] On ne parle pas ici de décisions illégales, mais de décisions d’affaires ou de gestion et autres du genre.
[62] Précité, note 6.
[63] Pièce D-6, rapport des experts des intimés, mémoire de l'appelante, p. 956.
[64] Pièce P-12, mémoire de l'appelante, p. 298.
[65] La jurisprudence récente de la Cour tend d'ailleurs à permettre une sollicitation de la clientèle antérieurement desservie chez l'ex-employeur, à certaines conditions. Voir par exemple : Gestion Marie-Lou (St-Marc) inc. c. Lapierre, précité, note 10, notamment aux paragr. 44 à 49; Étiquette nationale inc. c. Sarrazin, précité, note 10, notamment aux paragr. 33 et s. Bien sûr, l'évaluation du caractère indu de la sollicitation de clientèle doit tenir compte du contexte de l'affaire. Voir par exemple : Groupe Financier Assbec c. Dion, précité, note 10; Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., précité, note 6.
[66] Contrairement à ce qu'on observe dans l'affaire Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., précité, note 6.
[67] Voir le témoignage de l'expert Després (pour Concentrés), mémoire de l'appelante, p. 3255 in fine, 3256 et 3274 : le chiffre d'affaires de Concentrés a baissé d'environ 2,5 millions de dollars entre le 1er avril 1994 et le 31 mars 1995. Voir aussi le rapport de cet expert, pièce P-19 (mémoire de l'appelante, p. 334-335).
[68] Voir le témoignage de Paré à ce sujet, mémoire de l'appelante, p. 1658-1660, 1661; Voir le témoignage de l'expert Després, mémoire de l'appelante, p. 3313-3317 et celui de l'expert Fontaine, mémoire de l'appelante, p. 3367-3372 (qui parle aussi du produit pour les porcs).
[69] Sur le produit pour les porcs, voir le témoignage de Nadeau, mémoire de l'appelante, p. 2872-2875, le témoignage de Bélisle, p. 3049 à 3051. Voir aussi le témoignage de Paré, mémoire de l'appelante, p. 1663-1664.
[70] Précité, note 10.
[71] Id., p. 2684.
[72] Id., p. 2686.
[73] Témoignage de Bélisle, mémoire de l'appelante, p. 1989-2002.
[74] Mémoire de l'appelante, p. 46 in fine et 47.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.