DÉCISION
[1] Le 22 avril 2002, le représentant du travailleur dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 17 avril 2002, à la suite d'une révision administrative .
[2] Par celle-ci, la CSST confirme la décision qu'elle a initialement rendue le 15 février 2002, à la suite de l'Avis émis par un membre du Bureau d'évaluation médicale (le BEM), le 8 février 2002. Elle déclare que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à son intégrité physique en relation avec la lésion professionnelle qu'il a subie le 16 octobre 2000 et qu'il n'a pas droit à une indemnité pour dommages corporels. En outre, puisque cette lésion professionnelle n'entraîne pas de limitations fonctionnelles, le travailleur est redevenu apte à exercer son emploi et il n'a plus droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) depuis le 21 novembre 2000.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que le travailleur conserve, à la suite de la lésion professionnelle qu'il a subie le 16 octobre 2000, une atteinte permanente des tissus mous au majeur gauche de 2 %, correspondant au numéro de code103499 du Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le Barème).
LES FAITS
[4] Le travailleur est assembleur depuis peu pour l'employeur lorsqu'il soumet une réclamation à la CSST pour un événement survenu dans les circonstances qu'il décrit sur le formulaire intitulé Réclamation du travailleur, soit :
Le lundi 16 oct 00, j'apprenais une nouvelle job qui consistait à installer le derrière du poèle, ce morceau est une feuille d'acier moulé d'une grandeur de 4 pied de haut par 30 pouce de largeur. Quand je l'ai installée sur le convoyeur à rouleau, j'ai vissé 2 visse du côté droite et quand je suis arriver sur le coté gauche j'ai voulu vissé une visse et la base de bois à reculer vers la droite. J'ai voulu le retenir pour pas qui tombe en bas du convoyeur je me suis coupé au majeur de la main gauche. [sic]
[5] À l'audience, le travailleur complète cette information en précisant qu'il utilisait sa main droite pour visser le haut du panneau et sa main gauche pour le bas. Il ajoute que le poêle glissait vers la droite et que l'orthèse qu'il porte l'a embarrassé dans sa manoeuvre. Il n'a pas été en arrêt de travail mais en travail léger dès le début.
[6] Le médecin qui signe une Attestation médicale le jour même y inscrit que le travailleur a une plaie de 2 cm à l’inter-phalangienne gauche qu'il suture.
[7] Le 23 octobre 2000, le docteur Pigeon enlève les points de suture et il note sur son Rapport médical qu'il y a une ankylose résiduelle et de l'inflammation pour lesquelles il prescrit des bains.
[8] Le 26 octobre 2000, le docteur Tessier note un début d'infection et il prescrit des antibiotiques, des trempettes et la poursuite du travail léger.
[9] Le 30 octobre 2000, le docteur Sylvestre note que le travailleur a encore de la douleur lors de la flexion complète et recommande la poursuite de l'assignation temporaire.
[10] Le 6 novembre 2000, le docteur Mondor parle de douleur post plaie et il maintient le travail léger alors que le 20 novembre 2000, le docteur Pigeon réfère à une douleur résiduelle légère et à une mobilité presque complète. Ce médecin prescrit le retour au travail régulier.
[11] Lors de son témoignage, le travailleur indique qu'il a repris son travail régulier à la fin de novembre ou au début de décembre 2000.
[12] Le 11 décembre 2000, le docteur Sylvestre signe un Rapport final pour une plaie à l'inter-phalangienne gauche qui a laissé une douleur persistante en palmaire et une flexion incomplète du majeur gauche. Il indique qu'il y a une atteinte permanente à l'intégrité physique du travailleur et réfère son patient au docteur Tremblay pour l'évaluation de cette atteinte.
[13] Le 19 décembre 2000, le docteur Marino Tremblay signe un Rapport d'évaluation médicale. Il note les plaintes et problèmes reliés à la lésion professionnelle, soit une douleur sous forme d'élancement à la face palmaire du majeur gauche surtout au niveau de l'inter-phalangienne, de douleur et de limitation à la flexion du majeur avec une douleur à l'extension et d'une sensation d'engourdissement au froid sans blanchiment de la peau. Dans les antécédents, il note que le travailleur est en investigation pour les séquelles d'une chirurgie pour anévrisme post traumatique de l'éminence thénar de sa main gauche suite à un accident du travail. À l'examen physique, il note une cicatrice peu apparente et un gonflement douloureux sous cutané au niveau du tendon fléchisseur. Il constate que la flexion est limitée à 30° ainsi que la flexion de la métacarpophalangienne gauche alors que l'extension est complète. Il ajoute que la sensibilité est normale et que la force est à 2+ à gauche comparée à 4+ à droite.
[14] En conclusion, le docteur Tremblay invoque le fait qu'il y a peu de temps, soit moins de deux mois depuis l'événement, et que les séquelles de la main gauche suite à l'événement du 11 novembre 1999 ne sont pas identifiées. Il recommande que l'évaluation des deux lésions professionnelles se fasse en même temps.
[15] Le 13 juillet 2001, le docteur Marc Bissonnette, chirurgien plasticien, signe un Rapport d'évaluation médicale, à la demande de la CSST. Il rapporte les plaintes du travailleur, soit une douleur lorsqu'il force avec le majeur en flexion ainsi qu'une douleur à l'appui direct au niveau de la cicatrice à la face palmaire de l'inter-phalangienne proximale du majeur gauche. Dans les antécédents, il note un anévrisme de l'artère cubitale gauche au niveau de la paume de la main.
[16] À l'examen, le docteur Bissonnette observe une cicatrice transverse d'environ 1 cm de long, à peine visible, et une légère douleur à la palpation, sans névrome. Il sent une masse cicatricielle sous-cutanée peu importante mais définitivement présente. Les amplitudes articulaires du majeur gauche sont les suivantes : la flexion métacarpophalangienne est de 0°/90°, la flexion inter-phalangienne proximale 0°/100° et celle de l'inter-phalangienne distale est de 0°/60°, ce qui est comparable au côté contra latéral alors que la sensibilité du doigt est complètement normale. Il ajoute que la flexion forcée du doigt contre résistance provoque une légère douleur tout comme la palpation de la cicatrice.
[17] En conclusion, le docteur Bissonnette écrit qu'il y a une bonne évolution suite à la lacération au majeur gauche. Il suggère, si le patient le désire, une infiltration de cortisone qui pourrait diminuer ses malaises éprouvés au niveau de l'inter-phalangienne proximale du doigt ainsi que de la légère induration sous-cutanée. Il ne retient aucun déficit anatomo-physiologique ni préjudice esthétique.
[18] Dans son Rapport complémentaire signé le 6 août 2001, le docteur Sylvestre écrit qu'il n'a rien à ajouter « si ce n'est que je n'ai pas vu le patient depuis le 11/12/2000 » et que celui-ci est actuellement suivi par la docteure Sylvie Tessier à Rawdon.
[19] Le 8 février 2002, le docteur Réjean Bérubé, chirurgien plasticien, signe un Avis à titre de membre du BEM. Dans les antécédents, il rapporte un anévrisme de l'artère cubitale gauche au niveau de la paume, une épicondylite du coude gauche en février 2001 et une arthroscopie de l'épaule droite il y a environ huit ans. Il écrit que le travailleur est en arrêt de travail depuis octobre 2001 pour une condition personnelle, qu'il se plaint du fait qu'il en peut pas plier son troisième doigt complètement, qu'il est « bloqué ».
[20] À l'examen, le docteur Bérubé constate une cicatrice peu visible au niveau du pli inter-phalangien proximal du majeur gauche qui mesure moins de 1 cm, est souple et non douloureuse.
[21] Le docteur Bérubé ne retrouve pas, comme l'avait fait le docteur Bissonnette, de nodule sous cutané, ce que confirme le travailleur. Les amplitudes articulaires du majeur gauche sont comparables à celles retrouvées à la main droite, soit : articulation métacarpo-phalangienne : 0°/90°, articulation interphalangienne proximale : 0°/100° et articulation inter-phalangienne distale : 0°/65°.
[22] Il observe que le travailleur ferme le poing gauche complètement et avec force et que la force de préhension est normale et symétrique. La sensibilité dans tous les territoires nerveux est normale et il n'y a aucun signe de dystrophie réflexe puisque la peau est de coloration, texture et température normales. Le test de Allen est normal et la vascularisation des doigts de la main gauche est normale et comparable à celle de la main droite.
[23] Le docteur Bérubé conclut à une examen normal et qu'il n'y a aucune séquelle identifiable au niveau du membre supérieur gauche. Il retient 0 %, correspondant au code 224359 du Barème, pour une cicatrice non apparente et non vicieuse de la main gauche.
[24] À l'audience, le travailleur affirme que lors des examens subis par les docteurs Bissonnette et Bérubé, il n'était pas capable de plier complètement son majeur gauche. Il en fait la démonstration aux membres du tribunal qui sont à même de constater que l'inter-phalangienne proximale ne plie pas complètement de sorte que le travailleur ne peut pas atteindre la paume de sa main.
L'AVIS DES MEMBRES
[25] La membre issue des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ayant démontré qu'il a une légère ankylose du majeur gauche qui l'empêche de refermer complètement son majeur sur la paume de sa main gauche.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique à la suite de la lésion professionnelle qu'il a subie le 16 octobre 2000.
[27] L'atteinte permanente à l'intégrité physique d'un travailleur ou d'une travailleuse fait partie des questions médicales énumérées à l'article 212 de la loi, soit :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[28] La CSST peut, comme c'est le cas en l'espèce, initier la procédure d'évaluation médicale à partir d'une expertise médicale faite à sa demande, tel que prévu par l'article 205.1 de la loi, soit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui - ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
[29] La jurisprudence de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) et de la Commission des lésions professionnelle est à l'effet qu'une preuve médicale est essentielle à la détermination des questions médicales. Or, dans le présent dossier, et avec respect pour cette exigence, le tribunal est d'avis que le témoignage du travailleur et la démonstration qu'il a faite devant lui, en présence de son médecin assesseur, autorise une dérogation à la jurisprudence.
[30] Les membres du tribunal n'ont aucune raison de douter de la crédibilité du travailleur et ils retiennent que le travailleur a une ankylose légère de l'inter-phalangienne proximale du majeur gauche tel que démontrée à l'audience. D'ailleurs, outre le docteur Bérubé qui ne fait que rapporter les plaintes du travailleur qui disait que son majeur gauche était « bloqué », tous les autres médecins notaient des anomalies au siège de lésion.
[31] Par ailleurs, contrairement à la prétention du représentant du travailleur, le tribunal ne peut appliquer le code du Barème correspondant à une atteinte des tissus mous mais, plutôt, comme l'a soumis la représentante de l'employeur, au tableau des ankyloses prévues par la loi.
[32] Ainsi, le travailleur a un déficit anatomo-physiologique de 0,4 % correspondant à une ankylose incomplète en position de flexion, soit le numéro de code du Barème 101981. À ce pourcentage, la soussignée ajoute 0,01 %, soit le code 225009, à titre de déficit pour douleurs et perte de jouissance de la vie. L'atteinte permanente à l'intégrité physique du travailleur est donc de 0,41 %.
[33] En conséquence, le travailleur a droit à une indemnité pour dommages corporels y correspondant.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Michel Desjardins, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 17 avril 2002, à la suite d'une révision administrative, sur la question de l’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur;
CONFIRME les autres aspects de la décision du 17 avril 2002;
DÉCLARE que le travailleur conserve, à la suite de la lésion professionnelle qu'il a subie le 16 octobre 2000, une atteinte permanente à son intégrité physique de 0,41 %; et
DÉCLARE qu'il a droit à une indemnité pour dommages corporels telle que prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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ROSE-MARIE PELLETIER |
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Commissaire |
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LAPORTE ET LAPORTE (Me André Laporte) |
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Représentant de la partie requérante |
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HEENAN BLAIKIE (Me Francine Legault) |
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Représentante de la partie intéressée |
AVIS :
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