Boucher et Pomerleau Les Bateaux inc. |
2011 QCCLP 7357 |
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[1] Le 26 mai 2011, monsieur Dany Boucher (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues les 2 décembre 2010 et 8 décembre 2010.
[3] La première décision du 2 décembre 2010 établit que le montant de l’indemnité du travailleur est calculé sur la base du revenu brut annuel correspondant à celui du salaire minimum en vigueur, lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, soit 19 813.20 $.
[4] La seconde décision du 8 décembre 2010 déclare que le travailleur doit rembourser à la CSST la somme de 541,32 $ correspondant à l’indemnité de remplacement du revenu versée durant la période du 1er au 13 octobre 2010. Ce trop-perçu s’explique du fait que son employeur lui a versé durant la même période 90 % de son salaire net pendant les 14 jours complets suivant le début de son incapacité, laquelle a débuté le 30 septembre 2010.
[5] À l’audience tenue à Québec, le 3 novembre 2011, le travailleur était présent. L’employeur était également présent et représenté par monsieur Yan-Éric Pomerleau.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande dans un premier temps d’augmenter le revenu brut annuel servant à établir le montant de son indemnité de remplacement du revenu. Le travailleur estime que le montant retenu par la CSST équivalant au salaire minimum soit 19 813.20 $ ne tient pas compte de sa réalité financière. En effet, le travailleur demande de tenir compte des indemnités de remplacement du revenu qu’il recevait pour une autre lésion professionnelle avant l’accident du 15 septembre 2010. Le travailleur demande également de reconnaître qu’en l’absence de la lésion professionnelle du 15 septembre 2010, il aurait eu droit à une période d’indemnité en assurance-emploi ou même il aurait peut-être travaillé dans un emploi plus rémunérateur. Il est donc pénalisé dans toutes les situations.
[7] Quant à la demande de remboursement d’une somme de 541,32 $, le travailleur est d’avis qu’il n’y a pas eu double indemnité.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Le membre issu des associations syndicales de même que le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que la base du revenu brut annuel correspondant à celui du salaire minimum en vigueur lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle du travailleur doit être retenue à savoir 19 813.20 $. En effet, on ne peut tenir compte des indemnités de remplacement du revenu versées pour une autre lésion professionnelle survenue avant l’accident du 15 septembre 2010. Par ailleurs, on ne peut en vertu de l’article 68 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) tenir compte d’une probable indemnité d’assurance-emploi ou même d’un salaire découlant d’un emploi hypothétique qu’il aurait obtenu en l’absence d’une lésion professionnelle.
[9] Par ailleurs, le travailleur a reçu une double indemnité pour la période du 1er au 13 octobre 2010 et il doit rembourser de 541,32 $.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[10] Dans un premier temps, le tribunal doit déterminer la base du revenu brut annuel permettant d’établir l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur.
[11] Le 15 septembre 2010, le travailleur a subi une lésion professionnelle à savoir une entorse de l’épaule gauche avec déchirure de la coiffe des rotateurs.
[12] Il ressort des éléments du dossier et du témoignage du travailleur qu’au moment de la survenance de cette lésion professionnelle, celui-ci exerçait un emploi de préposé à la finition esthétique dans une entreprise de vente et de réparation de bateaux sur une base saisonnière.
[13] Dans ce contexte, c’est l’article 68 de la loi qui trouve application afin d’établir le revenu brut. L’article 68 se lit ainsi :
68. Le revenu brut d'un travailleur saisonnier ou d'un travailleur sur appel est celui d'un travailleur de même catégorie occupant un emploi semblable dans la même région, sauf si ce travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de tout emploi qu'il a exercé pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Le deuxième alinéa de l'article 67 s'applique aux fins d'établir un revenu brut plus élevé.
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1985, c. 6, a. 68.
[14] Ainsi, la loi prévoit que pour déterminer le revenu d’un travailleur saisonnier, la CSST doit considérer celui d’un travailleur de même catégorie occupant un emploi semblable chez le même employeur ou dans la même région. Par ailleurs, le travailleur peut démontrer à la CSST qu’il a tiré un revenu brut plus élevé de tout emploi qu’il a exercé pendant les 12 mois précédant le début de son arrêt de travail y compris les prestations perçues en vertu de la loi sur l’assurance-emploi.
[15] Le travailleur soumet que la CSST aurait dû considérer des indemnités de remplacement du revenu qu’il recevait pour une autre lésion survenue antérieurement chez un autre employeur. Le tribunal est d’avis que cette prétention du travailleur n’est pas bien fondée puisque la jurisprudence du présent tribunal a établi qu’on ne peut pas inclure dans le calcul du revenu brut l’indemnité de remplacement du revenu qu’un travailleur a reçue pour une lésion professionnelle antérieure. En effet, une telle indemnité ne peut pas être assimilée à un revenu d’emploi.
[16] Dans l’affaire Jean-Guy Leblanc et les Entreprises Forestières MBR Inc.[2], le tribunal écrivait :
[17] Tel que le décidait le commissaire Ouellet dans l’affaire Charbonneau - Ministère des Forêts2 on ne peut calculer le montant de l’indemnité de remplacement du revenu à partir du seul salaire hebdomadaire d’un travailleur saisonnier. On doit plutôt référer à la période au cours de laquelle il aurait travaillé, pour ensuite déterminer s’il a démontré avoir retiré un revenu annuel brut plus élevé que celui prévu à son contrat de travail ou correspondant au revenu d’un travailleur de même catégorie tel que le prévoit le deuxième alinéa de l’article 67 de la loi. Or, le travailleur n’a pu démontrer avoir retiré un revenu annuel brut supérieur à celui prévu à son contrat de travail pour les douze mois précédant sa lésion professionnelle. Le montant de l’indemnité de remplacement du revenu qu’il a retiré pour une lésion professionnelle antérieure ne peut être également incluse dans le calcul du revenu brut, ceci ne pouvant être assimilée à un revenu d’emploi. »
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2 C.A.L.P., 52708-04-9307, 3 avril 1995, Me René Ouellet, commissaire;
(nos soulignements)
[17] Dans une autre affaire, Gilles Morin et Coop forestière autochtone Outaouais [3] :
« […]
[16] En l’espèce, la preuve ne permet pas de déterminer le revenu brut gagné par des travailleurs de même catégorie dans la même région. Le travailleur a plutôt référé le tribunal à la base de salaire que la CSST a utilisée lors de l’accident de 1999. Le tribunal ne peut recourir à cette base salariale puisque, d’une part, elle a été établie dans le cadre d’un autre accident du travail qui serait survenu dans une autre région et, d’autre part, elle a été établie 2 ans plus tôt, en 1999. Le travailleur n’a apporté aucun autre élément de preuve qui aurait pu démontrer les revenus gagnés par les autres opérateurs de débusqueuse de la région de l’Outaouais. Certes, il a affirmé qu’un opérateur de débusqueuse gagne plus que le salaire minimum, mais n’a pas soutenu cette affirmation par une preuve objective.
[17] Il y a donc lieu d’établir le revenu brut du travailleur sur la base de ses revenus d’emploi des 12 derniers mois précédant l’accident du travail du 14 février 2001. Le total de ses revenus d’emploi pour cette période se chiffre à 6 420 $ pour de l’assurance chômage2 et un montant indéterminé pour du salaire que le travailleur évalue à 760 $ par semaine, sans toutefois démontrer la durée. Rappelons que le montant d’indemnité de remplacement du revenu déboursé par la CSST ne constitue pas un revenu d’emploi et n’a pas à être inclus au calcul3.
[18] Il ressort que le travailleur n’a pas démontré avoir gagné plus que le salaire minimum de 14 599 $ en vigueur au moment de la lésion. Ainsi, en application des dispositions de l’article 65 de la loi, c’est le salaire minimum qui doit être utilisé comme base de calcul.
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2 Duchesneau et Entreprises forestières Ginosil inc., C.L.P. no 151781-32-0012, 2001-11-21, L. Langlois.
3 Voir entre autres CSST et Mallette, C.A.L.P. no 40348-01-9206, 95-08-04, J.-G. Roy; Gauthier et Caron, Bélanger & ass. Syndic, C.A.L.P. no 38201-64-9203, 96-02-19, J.-M. Duranceau; Leblanc et Les entreprises forestières MBR inc., C.L.P. no 130970-01A-0002, 2001-03-09, H. Thériault.
[…] » (nos soulignements)
[18] En conséquence, le tribunal ne peut inclure les indemnités de remplacement du revenu reçues antérieurement par le travailleur pour une autre lésion professionnelle.
[19] De plus, le tribunal ne peut aucunement tenir compte d’un revenu hypothétique d’un éventuel emploi ou des prestations d’assurance-emploi que le travailleur aurait peut-être reçues si la lésion professionnelle n’était pas survenue le 15 septembre 2010. L’article 68 de la loi ne permet pas de tenir compte d’un revenu éventuel dont il serait de façon hypothétique privé. En effet, l’article 68 parle plutôt de la possibilité pour le travailleur de démontrer que dans les 12 mois précédant son arrêt de travail, il a tiré un revenu brut plus élevé de tout emploi qu’il a exercé durant cette période. Le tribunal ne peut tenir compte d’un hypothétique revenu futur mais bien plutôt d’un revenu d’emploi qu’il a exercé dans les 12 mois précédant le début de son incapacité. Le travailleur n’a pas fait cette démonstration.
[20] En conséquence, la CSST était bien fondée de retenir le montant de 19 813,20 $ comme base de revenu brut annuel correspondant à celui du salaire minimum en vigueur à l’époque.
[21] Par ailleurs, le travailleur doit rembourser le montant de trop-perçu de 541,32 $ à la CSST correspondant à l’indemnité de remplacement du revenu versée durant la période du 1er au 13 octobre 2010. Ce trop-perçu s’explique du fait que son employeur lui a versé durant la même période 90 % de son salaire net pendant les 14 jours complets suivant le début de son incapacité, laquelle a débuté le 30 septembre 2010.
[22] Le travailleur n’a pas été en mesure de faire aucune démonstration à l’effet contraire. Le tribunal retient ainsi les motifs de la CSST énoncés comme suit dans la décision de la Révision administrative du 14 avril 2011 :
« […]
En ce qui concerne l’autre décision, la Révision administrative constate, bien que l’événement soit survenu le 15 septembre 2010, que l’arrêt de travail n’a débuté que le 30 septembre 2010, puisque, entre temps, le travailleur a accompli des tâches auxquelles l’employeur l’avait assigné.
Son employeur, tel que prévoit la loi, lui a donc versé, à compter du 30 septembre 2010, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé n’eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
Compte tenu que ce salaire constitue l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité à exercer son emploi, le travailleur ne peut recevoir de la Commission, durant la même période, soit du 30 septembre 2010 au 13 octobre 2010, une indemnité de remplacement du revenu.
En fait, le travailleur a reçu le versement d’une telle indemnité de la Commission, tel que le démontre l’avis de paiement effectué le 22 novembre 2010 (numéro de paiement 045073508). Cet avis de paiement couvre la période du 1er octobre au 31 octobre 2010, à l’intérieur de laquelle celle du 1er octobre au 13 octobre 2010 n’aurait pas dû être versée au travailleur.
La loi énonce que la Commission peut réclamer à un travailleur le remboursement d’un trop-perçu, si celui-ci reçoit une prestation à laquelle il n’a pas droit ou dont le montant excède celui auquel il a droit.
Dans le présent dossier, la Révision administrative constate que le travailleur a reçu en double le paiement d’une indemnité de remplacement du revenu durant la période du 1er octobre au 13 octobre 2010 et couvrant une période de 13 jours. La Révision administrative est d’avis que le travailleur a reçu une prestation, dont le montant excède celui auquel il avait droit.
Compte tenu que la base journalière d’indemnité est de 41.64 $, et que l’indemnité de remplacement de revenu payée en trop par la Commission s’établit à 13 jours, il s’ensuit qu’en les multipliant, cela correspond au trop-perçu réclamé par la Commission, soit 541.32 $.
[…] »
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation de monsieur Dany Boucher, le travailleur, déposée le 26 mai 2011;
CONFIRME intégralement la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur doit être établie sur la base du revenu brut annuel assurable de 19 813,20 $;
DÉCLARE que le travailleur doit rembourser à la CSST un trop-perçu de 541,32 $.
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JEAN-LUC RIVARD |
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