Corriveau et Emballages LM inc. |
2019 QCTAT 2718 |
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[1] En juin 2018, monsieur Jean Corriveau dépose des plaintes selon les articles 122 et 123.6 de la Loi sur les normes du travail[1] pour contester sa fin d’emploi ainsi qu’une situation de harcèlement psychologique. Il prétend que son employeur, Emballages LM inc., l’a congédié illégalement en raison de ses absences pour maladie et obligations familiales, droits protégés par cette loi. En outre, il reproche à son supérieur hiérarchique de le harceler.
[2] Fin mai 2017, après un stage professionnel, M. Corriveau est embauché par Emballages LM inc. Il s’agit d’une usine de fabrication de produits d’emballage dont l’effectif est de quelque 70 personnes. M. Corriveau y travaille pendant près d’une année dans des postes d’électromécanicien, préposé à la maintenance et de journalier à la production. Il est congédié le 31 mai 2018.
[3] Pendant toute sa période d’emploi, il s’absente du travail à plusieurs reprises pour quelques heures afin d’accompagner son fils à des rendez-vous médicaux. Il doit aussi s’absenter pour maladie pendant six semaines à l’hiver 2018. Toutes ses absences sont autorisées selon la procédure établie et ne posent pas de problème pour l’employeur.
[4] M. Corriveau allègue que sa relation est tendue avec M. Proulx, son supérieur hiérarchique, au cours de toute sa période d’emploi, ce qui constituerait du harcèlement psychologique.
[5] À la fin mai, une collègue de l’usine l’accuse de l’avoir attouchée dans un petit espace derrière leurs machines respectives. Informé de ce geste, M. Proulx entreprend aussitôt une enquête qui confirme la commission des gestes. Il apprend que, dans les semaines précédentes, M. Corriveau a aussi eu des comportements déplacés et tenu des propos sexistes à l’endroit de collègues féminines.
[6] M. Corriveau est congédié à la fin de la journée en raison de ces gestes qu’il nie ou dont il minimise la gravité. Il prétend que ce congédiement est injustifié et constitue la manifestation finale de harcèlement psychologique.
[7] L’employeur admet qu’en raison de ses absences pour des motifs protégés par la LNT, M. Corriveau bénéficie de la présomption de congédiement illégal, il doit donc démontrer que son congédiement résulte d’une autre cause juste et suffisante.
[8] Les questions en litige sont les suivantes :
1. En ce qui concerne la plainte de harcèlement psychologique, M. Corriveau a-t-il démontré des gestes vexatoires de la part du directeur de production et dont le congédiement serait l’élément prédominant?
2. En ce qui a trait à la plainte de congédiement, est-ce que les gestes et propos sexistes imputés à M. Corriveau à l’endroit de ses collègues sont établis?
3. Dans un tel cas, constituent-ils une autre cause juste et suffisante de congédiement ou sont-ils un prétexte pour camoufler que c’est plutôt en raison de ses absences qu’il a perdu son emploi?
[9] Le Tribunal conclut que M. Corriveau a posé les gestes reprochés et qu’ils sont l’unique cause de son congédiement. De plus, il n’a aucunement établi qu’il a lui-même été victime de harcèlement psychologique.
[10]
M. Corriveau invoque que son supérieur, M. Proulx, a eu une conduite
vexatoire à son égard au sens de l’article
- se manifeste par des comportements, des paroles, gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés;
- porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique du salarié;
- entraîne pour le salarié un milieu de travail néfaste.
[11]
Une seule conduite grave qui a un effet nocif continu pour le salarié
peut aussi constituer du harcèlement psychologique. De plus, au moment des
faits, la plainte devait être déposée dans les 90 jours de la dernière
manifestation de la conduite vexatoire selon l’article
[12] Le Tribunal doit déterminer si M. Corriveau a démontré par une preuve prépondérante que « des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés », hostiles ou non désirés, se sont produits à son endroit.
[13] M. Corriveau allègue qu’on lui a remis en juillet 2017 des avertissements écrits concernant son travail et qui démontrent l’acrimonie de son supérieur envers lui. Le tout ayant culminé avec son congédiement le 31 mai suivant.
[14] La plainte été déposée plus de dix mois après les avertissements, elle est donc déposée tardivement.
[15] À défaut de continuité dans les gestes vexatoires, M Corriveau ne peut invoquer que le congédiement du 31 mai 2018 en est la dernière manifestation. Il ne peut s’agir non plus d’une seule conduite grave, car, comme on le verra, le congédiement est justifié et a été effectué équitablement.
[16] Il y a enfin lieu de souligner que les avertissements remis à M. Corriveau relèvent du droit de gérance de l’employeur et que rien n’indique qu’il a été exercé de façon abusive. En somme, la plainte de harcèlement psychologique n’est pas fondée.
[17]
L’article
[18] Ici, l’employeur ne conteste pas l’application de la présomption, car peu avant sa fin d’emploi, M. Corriveau s’est absenté à de nombreuses mais courtes reprises, pour des obligations familiales[3]. Il a dû aussi s’absenter en raison d’une maladie pendant six semaines à l’hiver 2018[4]. La présomption voulant qu’il ait été congédié en raison de l’exercice de ces droits protégés s’applique donc.
[19] Pour renverser la présomption légale, l’employeur doit démontrer une autre cause juste et suffisante de fin d’emploi. Cette cause doit être sérieuse et véritable et ne doit pas être un prétexte pour camoufler le motif illégal.
[20] Ici, l’employeur prétend qu’il a repoussé la présomption en démontrant que la véritable cause du congédiement est la conduite déplacée de M. Corriveau.
[21] Peu après son retour de congé de maladie en avril 2018, M. Corriveau est affecté à des tâches de production dans l’usine. Il prépare des emballages pour les clients et travaille sur diverses machines telles que coupeuse, colleuse, déchiqueteuse, etc.
[22] Le 31 mai, à la sonnerie de la pause du matin, sa voisine X se déplace à l’arrière de sa machine pour fermer la trappe de la dépoussiéreuse comme elle doit le faire à chaque arrêt. L’espace est réduit et personne n’y circule sauf pour faire des réparations.
[23] Toutefois, M. Corriveau qui travaille à la machine adjacente se faufile dans l’espace et agrippe la fesse de X au point que son paquet de gommes sort de sa poche. X est évidemment surprise et insultée et dit à voix haute qu’elle vient de se faire prendre une fesse. Elle le répète en direction de son chef d’équipe. M. Corriveau se sauve à l’extérieur de l’usine pour sa pause.
[24] Le chef d’équipe qui travaille tout près est témoin de l’incident et entend les paroles de X. Cependant, M. Corriveau nie l’incident en prétextant que, cette journée, il n’a pas travaillé avec aucune femme et qu’il n’a pas vu X.
[25] Cette négation générale n’est pas retenue, car elle est incompatible avec les témoignages de X et du chef d’équipe qui sont crédibles et cohérents. Elle est aussi incompatible avec les propres assertions de M. Corriveau.
[26] Ainsi, lorsqu’il décrit ses fonctions de journalier dans l’usine, il insiste avant tout sur le fait que l’espace de travail dans l’usine est exiguë au point où les collègues doivent se frôler ou se toucher et que, dans ce cas, ils s’excusent. Il apporte cette précision à l’avance, comme pour expliquer ou minimiser son geste, mais il le nie devant le Tribunal.
[27] Également et curieusement, il explique que c’est la deuxième fois qu’on l’accuse, sans fondement, d’avoir agrippé la fesse d’une femme. Il l’aurait fait l’année précédente lors de sa formation professionnelle, mais cette fois c’était pour retenir une collègue qui chutait devant lui. Enfin, comme on le verra ci-après, M. Corriveau reconnaît avoir tenu des propos et gestes sexistes peu avant l’incident survenu chez l’employeur.
[28] Pour le Tribunal, vu la preuve prépondérante il ne fait pas de doute que M. Corriveau a posé les gestes qu’on lui reproche. Il reste donc à répondre à la dernière question qui consiste à vérifier si ces gestes sont un prétexte pour camoufler que ce serait plutôt en raison de ses absences qu’il a perdu son emploi.
[29] Aussitôt l’incident relatif à X est dénoncé à M. Proulx, il procède à des vérifications avec une conseillère en ressources humaines. Ils rencontrent X et le chef d’équipe qui décrivent l’incident. Pour M. Proulx, un tel geste est évidemment intolérable et inacceptable dans un milieu de travail.
[30] Toutefois, à cela s’ajoutent d’autres gestes déplacés qui sont rapportés à M. Proulx dans la journée en raison des rumeurs qui courent dans l’usine au sujet de l’incident du matin. Des superviseurs et salariées lui rapportent des gestes et paroles déplacés de la part de M. Corriveau dans les semaines précédentes : il collait une collègue au point qu’elle demande à son superviseur de ne plus travailler à ses côtés, lors d’une discussion, il compare les femmes à des vaches, il appelle une collègue comme si elle était un chien. Jusqu’à ce jour, M. Proulx ignorait ces incidents.
[31] En fin de journée du 31 mai, lorsqu’il est rencontré, M. Corriveau reconnaît ces derniers gestes et paroles et s’en excuse comme il le fait devant le Tribunal. En ce qui a trait à l’incident concernant X, il ne nie pas, mais ne l’admet pas, il hausse les épaules. Il est donc aussitôt congédié pour harcèlement sexuel.
[32] Pour le Tribunal, la nature des fautes commises justifie le congédiement. Dans les circonstances, des propos à ce point déplacés et inconvenants ne constituent pas un prétexte pour camoufler un motif illégal de fin d’emploi. En bref, les absences de M. Corriveau n’ont aucun lien avec sa fin d’emploi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE les plaintes.
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Hélène Bédard |
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Me Myrlène-Ève Arel |
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VERREAU DUFRESNE AVOCATS. S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Éric Latulippe |
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LANGLOIS AVOCATS, S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie défenderesse |
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Date de l’audience : 29 avril 2019 |
/js
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