Manufacture Lingerie Château inc. et Duverglas

2009 QCCLP 4983

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

21 juillet 2009

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

352066-71-0806

 

Dossier CSST :

127949378

 

Commissaire :

Gilles Robichaud, juge administratif

 

Membres :

Claude Jutras, associations d’employeurs

 

André Tremblay, associations syndicales

 

 

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Manufacture Lingerie Château inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Jean-Claude Duverglas

 

Partie intéressée

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 juin 2008, l’employeur, Manufacture Lingerie Château inc., conteste hors délai une décision rendue le 19 novembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Cette décision confirme la décision initiale du 3 octobre 2007 et « Déclare que la Commission est justifiée de ne pas suspendre ou réduire l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur [monsieur Jean-Claude Duverglas].

[3]                À l’audience devant la Commission des lésions professionnelles (le Tribunal), le 18 février 2009, l’employeur est présent et représenté. Il en est de même du travailleur.

[4]                L’employeur a déposé une copie des notes médico-administratives de la docteure Nathalie Kouncar, chirurgienne orthopédiste. Ces notes constituent un complément à son expertise produite, à la demande de l’employeur, le 6 septembre 2007.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                L’employeur demande au Tribunal de déclarer que le travailleur « de par son comportement et son manque de collaboration a entravé l’examen médical du 6 septembre 2007 pratiqué par la docteure Nathalie Kouncar ». En conséquence de quoi, conformément à l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), l’employeur demande au Tribunal de « suspendre les indemnités de remplacement du revenu » à partir du 27 septembre 2007, date de sa demande à la CSST et ce, jusqu’à ce que le Tribunal rende sa décision[2].

[6]                L’employeur s’est désisté à l’audience de deux autres contestations portant sur des questions médicales (atteinte permanente, limitations fonctionnelles, capacité…) et leurs conséquences. Il s’agissait des dossiers 341158-71-0802 et 359738-71-0810. Le Tribunal prend acte des désistements.

QUESTIONS PRÉALABLES

Le délai

[7]                Après avoir entendu madame Catherine Chevrette, consultante chez l’employeur en gestion de l’invalidité, et considérant les pouvoirs conférés au Tribunal par l’article 429.19 de la loi, l’employeur a été relevé de son défaut d’avoir respecté le délai de 45 jours pour soumettre sa contestation à l’encontre de la décision rendue par la Révision administrative le 19 novembre 2007.

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]                Le motif invoqué par l’employeur, et retenu comme raisonnable par le Tribunal, est à l’effet que l’employeur n’avait pas reçu copie de la décision de la Révision administrative, ce qui était confirmé par les notes évolutives de la CSST. Aussi, dès que l’employeur a pu prendre connaissance de la décision, il a logé sa contestation dans les jours suivants.

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

La bande vidéo

[9]                Selon les notes évolutives de la CSST en date du 19 décembre 2007, madame Chevrette veut rencontrer la CSST pour lui « montrer des preuves factuelles (film) sur le travailleur. Apparemment, le travailleur … n’est pas du tout aussi handicapé qu’il prétend l’être ». L’agente lui répond qu’elle va en discuter avec son gestionnaire et qu’elle va rappeler.

[10]           Le contexte est celui de la reconnaissance par la CSST d’une atteinte permanente affectant le travailleur et d’un transfert de son dossier en réadaptation « pour l’évaluation de sa capacité de travail dans son emploi prélésionnel». L’employeur conteste l’existence d’une atteinte permanente.

[11]           Le 9 janvier 2008, toujours selon les notes évolutives, l’agente de la CSST, après discussion avec son gestionnaire, « exige d’obtenir par écrit les motifs pour lesquels ils ont filmé le travailleur… ».

[12]           Le 5 février 2008, « un rendez-vous est pris pour le 21 février 2008 à la CSST à 9 h ». Le rendez-vous n’aura pas lieu.

[13]           À l’audience devant le Tribunal, arguant que la CSST n’avait rien fait, l’employeur veut faire voir la bande vidéo, cette fois pour « corroborer le manque de collaboration du travailleur ».

[14]           Le procureur du travailleur s’objecte : ni lui ni le travailleur ne sont au courant et n’ont pas été prévenus que l’employeur voulait présenter la bande vidéo à l’audience. De plus, la bande vidéo n’a rien à faire avec l’objet de la présente contestation qui porte sur une demande précise de suspension d’indemnité parce que le travailleur aurait entravé l’examen médical du 6 septembre 2007 de la docteure Kouncar.

[15]           Considérant le désistement de l’employeur sur les questions liées à l’atteinte permanente et à la capacité du travailleur à reprendre son emploi; considérant que la contestation de l’employeur ne portait que sur l’attitude du travailleur lors de l’examen de la docteure Kouncar; considérant que la docteure Kouncar était présente à l’audience pour témoigner; considérant, enfin, et en plus, que la présentation de la bande vidéo prenait le travailleur et son procureur par surprise, le Tribunal a refusé de visionner la bande vidéo.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[16]           Alors âgé de 64 ans, le 14 avril 2005, le travailleur est victime d’une fracture du gros orteil gauche qui prendra beaucoup de temps avant d’être consolidée (juin 2007) à cause du diabète et d’une vascularisation déficiente, selon le résumé qu’en fait la CSST dans ses notes évolutives. S’ajoutent également un syndrome de dystrophie réflexe et des « anomalies neurogènes actives et chroniques de la musculature intrinsèque des deux pieds » qui se révèlent avec le temps.

[17]           Le 18 juin 2007, le chirurgien orthopédiste Claude Godin produit un rapport final et consolide la lésion avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles mais n’en fait pas l’évaluation. Elle sera faite à la demande de la CSST par le chirurgien orthopédiste Morris Duhaime, le 13 août 2007, qui conclura à un déficit anatomo-physiologique de 3% et déterminera les limitations fonctionnelles. Le docteur Godin, dans un rapport complémentaire du 25 octobre 2007, signifiera son accord avec les conclusions du docteur Duhaime.

[18]           Le 7 novembre 2007, la CSST donnera suite aux conclusions du docteur Duhaime et reconnaîtra une atteinte permanente de 3,30% avec une indemnisation forfaitaire de 1 459, 33 $; ce qui sera confirmé par la Révision administrative.

[19]           Considérant l’âge du travailleur (66 ans) et son incapacité à reprendre le travail, la CSST rend une nouvelle décision autorisant la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à 68 ans et ce, en tenant compte de la réduction en pourcentage prévue par la loi.

[20]           Ces décisions ont fait l’objet de contestations de la part de l’employeur, contestations dont il s’est désisté à l’audience.

[21]           Le seul litige dont le Tribunal est toujours saisi, concerne l’attitude du travailleur lors de l’examen auquel a procédé la chirurgienne orthopédiste Nathalie Kouncar, le 6 septembre 2007, après les examens des docteurs Godin et Duhaime. Selon l’employeur, le travailleur a « entravé » l’examen de la docteure Kouncar, contrevenant aux dispositions de l’article 142 de la loi, ce qui devrait entraîner une suspension du paiement de son indemnité de remplacement du revenu. C’est là l’objet de sa demande du 27 septembre 2007, demande qui fut refusée par la CSST et par la Révision administrative.


[22]           L’article 142 de la loi se lit ainsi :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

(notre soulignement)

 

 

Témoignage de la docteure Kouncar

[23]           Elle a examiné le travailleur le 6 septembre 2007, à la demande de l’employeur. Elle peut faire de 12 à 24 expertises par mois. C’est la première fois en six ans qu’elle demande la présence d’une adjointe pour assister à l’examen d’un travailleur parce qu’il était agressif. Il n’était pas impoli, mais ne coopérait pas. Il ne répondait pas aux questions et ne se laissait pas examiné, il hurlait au moindre mouvement. Elle a vu plusieurs discordances entre des mouvements que le travailleur disait ne pas être capable de faire et qu’il faisait spontanément en marchant, sans qu’elle le lui demande. Elle ne pouvait s’expliquer comment la douleur pouvait être encore si intense après deux ans sans travailler.

[24]           Elle admettra, comme elle l’avait noté dans son expertise, qu’elle n’avait pas le dossier médical pour faire l’historique depuis l’accident du travail, elle n’avait pas non plus le résultat des différents examens radiologiques ni les expertises des docteurs Godin et Duhaime qui concluaient à l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[25]           Questionnée sur l’agressivité du travailleur et le fait qu’elle ne l’ait pas noté dans son expertise, elle répliquera que c’est l’impression qu’elle a retiré de son examen.

[26]           Il y avait tant de discordances entre les allégations du travailleur et certains de ses gestes qu’elle se trouvait incapable de poser un diagnostic puisqu’elle ne pouvait procéder à un réel examen. Il ne lui restait plus qu’à faire des constats, ce qu’elle a fait.

[27]           Il est vrai qu’il lui arrive de faire des expertises uniquement sur dossier, mais dans le présent cas, on lui avait demandé d’examiner le travailleur.

[28]           Enfin, elle souligne que dans les notes médico-administratives qui accompagnaient son expertise, elle recommandait à l’employeur une filature du travailleur et ce, à cause de la façon du travailleur de se comporter à l’examen et des éléments discordants.

Madame Chevrette

[29]           Ayant déjà témoigné sur le hors délai de la contestation de l’employeur, elle témoigne à nouveau, cette fois sur la demande de révision qu’elle a signée le 11 octobre 2007 après le refus par la CSST de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur.

[30]           La demande de révision était d’abord en relation avec l’examen de la docteure Kouncar mais aussi en relation avec un autre manque de collaboration du travailleur concernant un rendez-vous demandé par l’employeur pour le 19 septembre 2007 où le travailleur ne s’est pas présenté.

[31]           Elle tient à préciser toutefois que bien qu’il ait été de l’intention de l’employeur de reconvoquer le travailleur pour une deuxième expertise, le rendez-vous du 19 septembre s’est plutôt transformé en demande de rencontre. Ainsi, dans la convocation faite au travailleur, il n’était pas question d’expertise et aucun médecin n’était nommé.

[32]           Enfin, à la question posée par le Tribunal, elle confirme que le travailleur a bien été mis à pied à la fin du mois d’août, début septembre 2007.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[33]           La preuve close, compte tenu de l’heure tardive, les parties ont convenu de produire une argumentation écrite. Celle de l’employeur a été produite le 19 mars 2009 et celle du travailleur le 7 avril 2009. L’affaire a donc été mise en délibéré le 7 avril 2009.

[34]           Concernant l’objet du litige : l’employeur va préciser au moins trois fois que la demande de suspension de l’indemnité en vertu de l’article 142 de la loi n’était motivée que par « le manque de collaboration et de coopération du travailleur à son expertise médicale du 6 septembre 2007 ».

Analyse de la preuve

[35]           La CSST qui disposait du même dossier et des mêmes informations que le Tribunal, à l’exception du témoignage de la docteure Kouncar, a décidé de ne pas réduire ou suspendre l’indemnité du travailleur parce qu’il n’y avait pas matière à appliquer les dispositions de l’article 142 de la loi :

« En effet, nous ne pouvons conclure à la non collaboration du travailleur. »

 

 

[36]           En révision administrative, la CSST a confirmé sa décision initiale, cette fois avec plus de détails, entre autres :

La Révision administrative est d’avis que le fait que le travailleur présente une douleur objectivée ou non constituant un élément rapporté par les médecins et faisant en sorte que l’examen soit impossible, ou à tout le moins très difficile, ne constitue pas un motif permettant de conclure que le travailleur a entravé un examen médical prévu par la présente loi, omis ou refusé de se soumettre à un tel examen.

 

 

[37]           En fait, la chirurgienne orthopédiste Nathalie Kouncar, dont « l’expertise » médicale a été l’élément déclencheur de la demande de suspension d’indemnité à l’encontre du travailleur, a résumé ainsi son questionnaire et son examen :

« Nous avons donc questionné et examiné un homme de 66 ans, très difficilement questionnable et non examinable. »

 

 

[38]           Dans ses notes médico-administratives adressées à l’employeur, en annexe à l’expertise, elle mentionne qu’il lui « est difficile … de faire une expertise bien complète, puisque monsieur n’a pas coopéré du tout à l’examen physique et très peu au questionnaire ».

[39]           Après avoir souligné, parce qu’elle n’avait pas le dossier médical du travailleur lors de son évaluation, qu’elle émettrait « de nouveaux commentaires » lorsqu’elle en prendrait connaissance, elle conseillera à l’employeur qu’il serait dans son « intérêt de procéder à une filature de cet individu » puisqu’il y a « des éléments discordants dans la symptomatologie ressentie par monsieur et à l’observation de ce dernier lors de ses déplacements, et dans sa façon de se comporter lors de l’entrevue ».

[40]           Il apparaît pour le moins inhabituel au Tribunal qu’une évaluation médicale soit faite, dans un contexte comme le présent cas, sans que l’évaluateur n’ait en mains les résultats des multiples examens et évaluations faits au cours des deux dernières années et qu’on puisse conclure presque à la fraude en conseillant une filature.

L’absence de collaboration au questionnaire

[41]           Ceci étant dit, relativement à l’absence de collaboration du travailleur au questionnaire, le Tribunal, à la lecture de l’expertise du 6 septembre 2007, ne tire pas les mêmes conclusions.

[42]           L’identification du travailleur, ses antécédents, l’histoire ainsi que l’évolution de sa condition depuis l’accident du 14 avril 2005 sont rapportés sur trois pages, manifestement en réponse aux questions.

[43]           De plus, avant d’aborder « l’histoire subjective », l’examinatrice rappelle qu’elle n’a aucun document médical en mains et obtient du travailleur son autorisation signée « pour faire venir, notamment les résultats de l’EMG et de la scintigraphie, ainsi que les notes de la clinique de la douleur et du docteur Claude Godin, orthopédiste ».

[44]           Jusque-là, il est difficile d’affirmer que le travailleur « était très difficilement questionnable » et « refusait de collaborer ».

[45]           Abordant « l’histoire subjective » la docteure Kouncar écrit :

Monsieur Duverglas nous explique qu’il ressent une douleur à 8/10 constamment.

 

Il prend du Tylénol et du Voltaren au besoin.

 

Il n’y a aucun traitement actif depuis cinq mois.

 

Les douleurs sont constantes, augmentant la nuit. Le sommeil est perturbé.

 

Les douleurs sont sous forme de brûlement hyperesthésique de tout l’avant-pied gauche. Cependant, il ne se plaint pas de douleur au restant du membre inférieur gauche.

 

L’Empracet diminue également légèrement les douleurs.

 

Il a présentement de l’aide dans ses activités de la vie quotidienne, puisqu’il est incapable de se déplacer en mettant le pied à plat au sol et en marchant sans canne.

 

 

[46]           Encore là, comment peut-on assimiler tous ces détails donnés par le travailleur à un « refus de collaborer »?

[47]           Rien de ce qui précède non plus, ne laisse croire à de l’agressivité de la part du travailleur. Cela confirme plutôt la partie du témoignage où la docteure Kouncar disait que le travailleur n’avait pas été impoli.

L’entrave à l’examen

[48]           Quant à l’examen objectif, à la première ligne du rapport d’expertise, on peut lire : « le travailleur a été mesuré aujourd’hui à 1,66 mètre et pesé à 159 livres ». Il n’est ici question d’aucune résistance de la part du travailleur.

[49]           Pourtant, dès la deuxième ligne, on peut lire :  « Monsieur Duverglas ne coopère pas du tout ». L’orthopédiste n’en relève pas moins que le travailleur « est porteur d’une condition personnelle importante, soit un diabète non insulinodépendant, avec atteinte vasculaire périphérique tels qu’en témoignent les signes cliniques, telle que la perte de pilosité et le cartonnement des deux membres inférieurs sous le genou … ».

[50]           C’est au moment de la palpation du pied gauche, siège de douleur, où le manque de coopération, cette fois, semble plus évident : « à plusieurs reprises, ce dernier crie, retire son pied et se plaint de douleurs totalement intolérables. Il est impossible pour moi de palper le membre inférieur gauche en dessous des malléoles ». Il faut noter que le médecin est ici en train de palper le pied du travailleur. Même que le médecin « n’a pas remarqué de froideur plus marquée ou de changement de coloration à gauche par rapport à droite ». Est-ce la douleur ou le travailleur qui « entrave » l’examen?

[51]           L’examen objectif se termine par l’affirmation suivante : « nous avons quand même obtenu l’accord de monsieur pour faire une radiographie de son pied gauche ».

Absence d’entrave

[52]           Sommes-nous en présence d’un travailleur qui « entrave un examen médical » au sens du deuxième alinéa de l’article 142 de la loi, ou encore qui « refuse de se soumettre à un tel examen »? Le Tribunal est d’avis que non.

[53]           C’est la douleur au siège de la lésion, douleur remarquée par plusieurs médecins examinateurs auparavant, qui semble rendre l’examen plus difficile, comme l’a souligné la Révision administrative et le procureur du travailleur dans son argumentation :

« Le domaine de la douleur en est un extrêmement subjectif et varie selon les individus… Les travailleurs pourraient être sanctionnés parce qu’ils n’auraient pas eu, lors d’un examen, le comportement voulu par l’examinateur face à la douleur. »

 

 

[54]           Le travailleur a été examiné à de nombreuses reprises depuis avril 2005 pour la fracture de son orteil, et la docteure Kouncar est la seule à parler d’entrave à un examen et d’absence de collaboration au point de recommander même une « filature de l’individu ».

[55]           En septembre 2005, une autre chirurgienne orthopédiste, Pierrette Girard, après un examen fait à la demande de l’employeur, affirmait en parlant du travailleur : « il collabore bien tant au questionnaire qu’à l’examen physique ». Ce jour-là, le pied du travailleur semblait moins en douleur.

[56]           En octobre 2006, le chirurgien orthopédiste Pierre Major examine le pied du travailleur à la demande de la CSST, il parle lui aussi « d’une très bonne collaboration tant au questionnaire qu’à l’examen physique », tout en rapportant « à la palpation même superficielle … d’importantes douleurs au pourtour de l’ensemble du premier orteil gauche qui en plus est cyanosé et légèrement froid …. La mi-tarsienne est difficile à évaluer étant donné les douleurs au premier orteil ».

[57]           Le 21 mars 2007, le chirurgien vasculaire Luc Bruneau fait état d’ « une douleur très forte au toucher, à la pression, à l’effleurement du pied, vis-à-vis le premier méta, ainsi qu’au niveau du premier orteil ». Et il ajoute : « il est à noter qu’il semble y avoir une non-union de la fracture du premier orteil ». Pas question d’absence de collaboration.

[58]           Le 13 août 2007, après le rapport final du docteur Godin, le chirurgien Morris Duhaime examine le travailleur à la demande de la CSST pour évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Nous sommes moins d’un mois avant l’examen de la docteure Kouncar. Du questionnaire, le médecin dira qu’il a été « rendu facile par la pleine collaboration du réclamant ». Quant à l’examen objectif, il a été « tout à fait impossible à réaliser à cause de la douleur ». Pas question d’entrave ou de refus de collaborer, cependant, le docteur Duhaime écrit : « malgré toute la bonne volonté du patient, nous n’arrivons même pas à effleurer le premier orteil gauche et l’examen objectif peut être qualifié de « no touch technic » ».  


L’AVIS DES MEMBRES

[59]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la CSST avait raison de ne pas suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur au motif qu’il aurait entravé l’examen du 6 septembre 2007 de la docteure Kouncar puisqu’une étude attentive de l’ensemble de la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur ait cherché à empêcher l’examen ou à en fausser les résultats sciemment.

[60]           Le membre issu des associations d’employeurs est conscient des coûts reliés à la lésion professionnelle, mais il est d’avis qu’une demande de partage des coûts serait plus appropriée, dans les circonstances, qu’une demande de suspension d’indemnité pour entrave à un examen.

Conclusion

[61]           Le Tribunal tient à rappeler que l’article 142 de la loi est un article d’ordre pénal qui autorise la CSST à « réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité » si un « bénéficiaire » ne suit pas les règles du jeu en tentant de se soustraire à ses obligations ou encore en tentant de s’approprier sans droit, par la simulation ou autrement, des avantages prévus à la loi.

[62]           Toutefois, le fardeau de la CSST est double : avant de réduire ou suspendre une indemnité acquise en vertu de la loi, il faut non seulement qu’il y ait la preuve que le « bénéficiaire » a fait ce qu’il ne devait pas faire, ou omis de faire ce qu’il devait faire, mais il faut de plus que ladite contravention l’ait été « sans raison valable ».

[63]           Dans la présente affaire, c’est avec raison que la CSST a décidé de ne pas suspendre l’indemnité de remplacement du revenu dont bénéficiait le travailleur depuis environ deux ans et demi. Rien ne permettait de considérer le travailleur comme quelqu’un qui tentait de se soustraire à ses obligations ou encore de s’approprier d’avantages auxquels il n’avait pas droit.

[64]           L’analyse de la preuve relativement à l’examen du 6 septembre 2007 conduit par la docteure Kouncar, amène le Tribunal, en considérant l’ensemble du dossier médical et administratif, à conclure que le travailleur n’a pas cherché à entraver l’examen ni au moment du questionnaire ni au moment de l’examen.

[65]           À la lecture même du rapport d’expertise, le travailleur s’est prêté volontiers au questionnaire et a répondu plus que par des oui ou des non, de façon à éclairer celle qui n’avait même pas son dossier et qu’il a autorisé à en avoir copie.

[66]           Quant à l’examen objectif, la docteure Kouncar a quand même pu faire différentes palpations et constatations quant à la condition du travailleur jusqu’à ce qu’elle « mette le doigt sur le bobo »; elle a même pu avoir l’autorisation de faire prendre une radiographie du pied blessé, ce qui fut fait.

[67]           La réaction de la docteure Kouncar aurait probablement été différente si elle avait eu entre les mains le dossier médical du travailleur et particulièrement le rapport médical du chirurgien orthopédiste Duhaime, médecin désigné par la CSST qui avait évalué la condition du travailleur quelques semaines auparavant

[68]           De toute façon, la douleur et son expression lors d’un examen ne sauraient être considérées comme une entrave à un examen. Si même elles l’étaient, la douleur et son expression devraient constituées une « raison valable », à moins que de l’ensemble de la preuve on puisse, de façon prépondérante, conclure à une simulation de nature à s’approprier indûment d’avantages prévus à la loi.

[69]           Mais ce n’est pas le cas ici. Il n’y a aucune raison de priver le travailleur, maintenant âgé de plus de 65 ans, de ce qui jusqu’ici lui a été reconnu et non contesté par ailleurs, puisque l’employeur s’est désisté de toutes ses contestations.

[70]           L’employeur a cité deux décisions de la Commission des lésions professionnelles où elle confirme l’application d’une suspension prévue à l’article 142 de la loi concernant l’entrave à un examen médical :

1-    Singh et Tricots Vel [3]

2-    Fodil et International Clothiers inc.[4]

 

 

[71]           Dans les deux cas, le Tribunal a tenu compte de l’ensemble de la preuve pour conclure qu’il y avait une entrave à un examen médical :

-     dans l’affaire Singh, comme il appert d’une des citations faites par l’employeur : « En l’occurrence trois médecins font état du manque de collaboration du patient lors de leur examen médical … ».

 

-     dans l’affaire Fodil, il est question d’absence de collaboration, d’agressivité et de refus de répondre aux questions du médecin et « des éléments notés au dossier par différents intervenants ».

 

[72]           Le Tribunal, dans la présente affaire, ne considère pas que la preuve a été faite du refus de répondre aux questions, ni de l’agressivité ou de l’absence de collaboration du travailleur. Au surplus, aucun autre médecin que la docteure Kouncar ne s’est plaint du manque de collaboration du travailleur. Les références à la jurisprudence du Tribunal ne peuvent ici servir à soutenir la contestation de l’employeur.

[73]           Enfin, l’employeur a soulevé dans son argumentation écrite le fait qu’il subissait « un sérieux préjudice financier … ». Le Tribunal peut comprendre que les coûts attribuables à la fracture de l’orteil du travailleur sont exorbitants et s’échelonnent sur près de quatre ans. Mais, il y a une autre façon, pour tenter de diminuer la facture que par la suspension des indemnités de remplacement du revenu: l’employeur pourrait faire une demande de partage d’imputation en invoquant le rôle possiblement déterminant de la condition personnelle du travailleur sur les conséquences de la lésion professionnelle, et ce, bien sûr, dans la mesure où le délai de l’article 329 serait respecté.

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la contestation de l’employeur, Manufacture Lingerie Château inc. du 26 juin 2008;

CONFIRME la décision rendue le 19 novembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de ne pas suspendre ou réduire l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, monsieur Jean-Claude Duverglas.

 

 

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Gilles Robichaud

 

 

 

 

Me André Robert

GLOBAL RESSOURCES HUMAINES

Procureur de la partie requérante

 

 

Me Jean Desrosiers

DESROSIERS, AVOCATS

Procureur de la partie intéressée

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           La durée de la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu a été précisée à l’audience.

[3]           C.L.P. 144866-71-0008, 23 mars M. Cuddihy.

[4]           C.L.P. 312867-31-0703, 21 juin 2007, G. Tardif.

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