R. c. Robert | 2023 QCCA 379 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(750-01-053937-189) | |||||
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DATE : | 14 avril 2023 | ||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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JEAN-GUY S. ROBERT | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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ARRÊT RECTIFICATIF | |||||
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 27 août 2018 par la Cour du Québec (l’honorable Marc-Nicolas Foucault), district de Saint-Hyacinthe, en vertu de l’article
[1] ATTENDU que par inadvertance une erreur d’écriture s’est glissée au paragraphe 4 dans l’arrêt de la Cour du 23 mars 2023;
[2] ATTENDU qu'il y a lieu de corriger cette erreur;
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[3] RECTIFIE le paragraphe 4 de l’arrêt de la Cour de la manière suivante :
[4] INFIRME le verdict d’acquittement;
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| GUY COURNOYER, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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Me Marie-Claude Morin | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Pierre Joyal jr. | ||
BROUILLARD, JOYAL, RANCOURT & AVOCATS | ||
Me Mylène Lareau | ||
MYLÈNE LAREAU, AVOCATE | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 16 juin 2022 | |
R. c. Robert | 2023 QCCA 379 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| MONTRÉAL | ||||
N° : | 500-10-007422-205 | ||||
(750-01-053937-189) | |||||
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DATE : | 23 mars 2023 | ||||
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FORMATION : | LES HONORABLES | STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. GUY COURNOYER, J.C.A. CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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JEAN-GUY S. ROBERT | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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ARRÊT | |||||
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MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 27 août 2018 par la Cour du Québec en vertu de l’article
[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 29 septembre 2020 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Saint-Hyacinthe (l’honorable Lise Gaboury) qui acquitte l’intimé de l’infraction d’avoir infligé des lésions corporelles à la plaignante en commettant une agression sexuelle (art.
[2] Pour les motifs du juge Cournoyer, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Baudouin, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME la déclaration de culpabilité;
[5] ORDONNE la tenue d’un nouveau procès.
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| GUY COURNOYER, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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Me Marie-Claude Morin | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Pierre Joyal jr. | ||
BROUILLARD, JOYAL, RANCOURT & AVOCATS | ||
Me Mylène Lareau | ||
MYLÈNE LAREAU, AVOCATE | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 16 juin 2022 | |
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MOTIFS DU JUGE COURNOYER |
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[1] L’intimé a été acquitté d’une accusation d’avoir commis une agression sexuelle comportant l’infliction de lésions corporelles.
[2] Le pourvoi de la poursuite porte sur deux questions : 1) les règles entourant le contre-interrogatoire par la poursuite d’un accusé au sujet d’une déclaration antérieure incompatible et 2) l’analyse de la juge d’instance au sujet de la capacité de la plaignante de consentir à une relation sexuelle en raison de son intoxication.
[3] Dans le premier cas, la juge d’instance a maintenu une objection lorsque la poursuite contre-interrogeait M. Robert sur les circonstances entourant une déclaration qu’il aurait faite à une amie le soir de l’infraction alléguée : « J'ai arrêté parce qu'elle était trop “paf” », déclaration qu’il a nié avoir prononcée lors de son contre-interrogatoire par la poursuite. La décision de la juge empêchait la poursuite de présenter la preuve que cette déclaration antérieure incompatible avait été prononcée.
[4] Par sa seconde question, la poursuite soutient que l’analyse de la juge du procès a appliqué le mauvais critère quant à la capacité de la plaignante de consentir à la relation sexuelle avec l’intimé, critère que la Cour suprême a précisé dans l’arrêt G.F.[1], une décision rendue après l’acquittement prononcé par la juge du procès.
[5] La poursuite admet que ce moyen ne justifie pas à lui seul une ordonnance de nouveau procès, mais qu’il permet d’établir que le résultat n’aurait pas été le même si la juge d’instance n’avait pas empêché la poursuite de faire la preuve de la déclaration incompatible de l’intimé.
[6] Les règles entourant le contre-interrogatoire d’un accusé au sujet d’une déclaration antérieure incompatible à la seule fin d’attaquer sa crédibilité, de même que le moyen de faire la preuve de cette déclaration lorsque l’accusé la nie suscitent des questionnements récurrents. En raison de la fréquence de leurs utilisations lors de la tenue de tout procès pénal ou criminel, ce dossier illustre la nécessité de clarifier celles-ci d’une manière complète et satisfaisante.
[7] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la déclaration incompatible de l’intimé était admissible afin de tester sa crédibilité et que la poursuite pouvait en faire la preuve sans transgresser la règle lui interdisant de scinder sa preuve ou la règle relative aux faits incidents. Cette preuve devenue importante pouvait influer sur le sort du dossier et exige la tenue d’un nouveau procès.
[8] Le procès dure cinq jours. La poursuite appelle neuf témoins, dont la plaignante. Trois témoins sont entendus par la défense, dont l’intimé et un expert, le psychiatre Gilles Chamberland qui témoigne au sujet de la capacité de la plaignante de consentir à une relation sexuelle.
[9] En raison de la nature des questions de droit soulevées par la poursuite, il ne s’avère pas nécessaire de résumer précisément la preuve présentée.
[10] L’intimé et la plaignante se rencontrent pour la première fois lors d’une soirée festive lors de laquelle ils ont une relation sexuelle.
[11] Essentiellement, la poursuite soutient que la preuve permet d’établir que l’état d’ébriété de la plaignante était tel que celle-ci n’avait pas la capacité de consentir à une relation sexuelle avec l’intimé.
[12] Toutefois, selon la preuve entendue en défense, notamment le témoignage de l’intimé, la plaignante n’était pas en état d’ébriété, n’avait pas de difficulté à marcher et son équilibre était normal. Selon l’intimé, il n’y avait aucun signe qu’elle n’allait « pas bien » et il n’a jamais eu l’impression qu’elle était « trop saoule ». La plaignante était consentante tout au long de la relation sexuelle et celle-ci s’est terminée car la plaignante avait certaines douleurs.
[13] Le pourvoi tire sa source d’une question posée par la poursuite lors du contre-interrogatoire de l’intimé.
[14] Durant son contre-interrogatoire, l’intimé témoigne qu’après le départ de la plaignante, il a dit à J... B..., la conjointe de son ami D... P..., ce qui suit : « Je viens de coucher avec une fille ».
[15] La procureure de la poursuite le confronte alors à d’autres propos qu’il aurait tenus :
Me Marie-Claude Morin :
Q- Puis vous n'avez pas continué en disant : J'ai arrêté parce qu'elle était trop “paf”...?
R- Non.
Q- Vous n'avez jamais dit ça?
R- Je n'ai jamais dit ça.
Q- O.K. Vers deux heures (02 h 00) du matin, vous vous êtes adressé à D... P......
R- Oui.
Q- Bien, à J... B... en présence de D... P.... Ça, vous vous souvenez qu'il y a eu ce moment-là?
R- Bien, je me souviens d'être où... la fenêtre de leur auto, là, puis de m'adresser à eux, oui.
Q- O.K. Puis ça, c'est au retour de la Caisse?
R- Au retour de la Caisse, exact.
Q- Ce moment-là existe, vous êtes d'accord avec moi?
R- Oui.
[…]
Q- Vous souvenez-vous que D... P..., son chum...
R- Oui.
Q- ... son conjoint, vous ait demandé d'où... d'où vous arriviez?
[16] À ce moment-là, une discussion sur la mise en contradiction du témoin s’amorce :
Me Pierre Joyal [Procureur de l’intimé] :
Là, je vais m'objecter parce qu'à mon souvenir, il n'y a personne, aucun de ces témoins-là n’ont témoigné en principal, alors qu'est-ce que...
La Cour :
Non, ils n'ont pas témoigné ou alors, j'en ai manqué un petit bout, là.
Me Pierre Joyal :
Bien, c'est ça, moi aussi, la même chose que moi.
Alors, donc ce qu'on essaie de faire, c'est de le mettre en contradiction...
La Cour :
En contradiction avec des gens qui n'ont pas témoigné.
Me Pierre Joyal :
Qui n'ont pas témoigné, que les déclarations ne sont pas en preuve, on ne sait pas dans quelles circonstances, on ne sait absolument rien. C'est complètement illégal.
[17] L’échange entre la juge du procès et la procureure de la poursuite à ce sujet se poursuit :
Me Marie-Claude Morin :
Bien, l’article 11 permet de contre-interroger un témoin avec une déclaration antérieure et s’il a admis de l’introduire en preuve.
Me Pierre Joyal
Mais…
Me Marie-Claude Morin :
Et justement, s’il l’a admis, je peux le faire en contre-preuve. C’est exact…
Ce n’est pas des personnes en situation d’autorité, ce n’est pas des policiers, je n’ai pas de voir-dire à faire, je n’ai pas…
La Cour :
Non, non. Non, non, je suis d’accord, sauf qu’on ne peut pas mettre en preuve la déclaration de ces gens-là!
Me Marie-Claude Morin :
Bien, s'il la nie, oui, pour affecter la crédibilité. Bien, l'article 11 de la Loi sur la preuve.
La Cour :
La déclaration de tiers qui n'ont pas été entendus?
Me Marie-Claude Morin :
Bien, c'est... bien, sinon, je n'ai pas le droit de mettre ça en preuve. De toute façon, pourquoi je l'aurais mis en preuve?
[18] La procureure lit ensuite l’article
[19] La juge explique alors sa compréhension de l’article :
Oui, mais moi, là, je comprends, là, que cet article sert quand un témoin a fait une déclaration, par exemple, au policier ou a fait une déclaration dans le cadre d'une enquête préliminaire ou a fait une déclaration... dans certains districts judiciaires, on procède par interrogatoires au préalable au lieu de tenir des enquêtes, donc ils assimilent ça à des déclarations antérieures...
Me Marie-Claude Morin :
Bien, je…
La Cour :
… et…mais d'utiliser cette façon-là pour le mettre en contradiction avec ce qu'il aurait dit à un tiers que nous, on n'a pas entendu et qui n'ont pas pu être interrogés, contre-interrogés ou quoi que ce soit; non.
Me Marie-Claude Morin :
Bien, je vais le faire.
S'il la nie, je vais pouvoir amener le tiers. C'est justement ce que 11 nous dit de faire; c'est qu'avant d'amener le tiers, il faut qu'il la nie. S'il ne la nie pas; on n'a pas lieu, mais s'il la nie, là; je peux mettre en preuve ça en amenant le tiers qui sera interrogé, contre-interrogé. Et la jurisprudence prévoit que l'accusé peut revenir donner des explications. C'est...
La Cour :
Honnêtement, je n'ai jamais vu ça. Honnêtement, là, je n'ai jamais vu ça de ma vie en...
Me Marie-Claude Morin :
Bien, ça ne veut pas dire que ce n’est pas légal.
J’ai…il n’y a rien qui empêche de faire ça et moi, je l’ai déjà fait, là.
L’article 11, est assez clair, c’est une déclaration antérieure, orale, j’ai le droit de l’introduire en preuve, si c’est pour attaquer sa crédibilité, s’il fait une déclaration sur les faits qui est contraire à ce qu’il dit aujourd’hui.
Il a dit à quelqu’un quelque chose de différent d’aujourd’hui…
Me Pierre Joyal :
Ce qu’on ne sait pas…
Me Marie-Claude Morin :
Je peux l’introduire…
Bien, c’est ce que moi, je prétends.
Me Pierre Joyal :
Bien oui, mais vous ne témoignez pas, Maître Morin.
Me Marie-Claude Morin :
Bien, non, mais c’est ce que je tente de démontrer.
Et si je…il ne le reconnaît pas, j’ai le droit de prouver que son témoignage, il ment sur un élément essentiel ou il n’est pas véridique sur un élément essentiel.
La Cour :
Oui, mais regardez, ça, c’est…ce n’est pas quelque chose qui a été entendu en preuve principale.
Me Marie-Claude Morin :
Non, mais…
La Cour :
La preuve principale est close, là, O.K., c'est clair, là, la preuve est... est terminée. On est en défense.
Là, vous me dites : Il aurait dit quelque chose à un tiers qu'on n'a pas entendu, dont les déclarations, par exemple, auraient pu être versées de consentement pour tenir lieu de leur témoignage, pour valoir preuve, et caetera.
On n'a pas ça, là.
[20] Finalement, la discussion se poursuit et elle se clôt, après que la juge eut expliqué qu’il fallait que le contenu de la déclaration soit connu d’avance et déclaré admissible :
La Cour :
Là, on parle à une personne…on parle d’une phrase dite à une personne; à un tiers, qui n’est pas une personne en autorité ou quoi que ce soit, qui n’est pas venue témoigner en preuve principale et on… et qui est niée; cette phrase-là, par le témoin qui est devant moi, en ce moment, qui est le Défendeur, dans le cadre de son contre-interrogatoire en défense.
Et là, honnêtement, de dire :
On va le mettre en contradiction avec quelque chose qu’il aurait dit à ce témoin; qu’on n’a pas entendu, mais s’il le nie, je vais faire venir le témoin en contre-preuve ou quelque chose du genre?
Me Marie-Claude Morin :
Oui. Mais, c’est exactement ce que la Cour d’appel dit de faire, là. Je… C’est exactement ce qui est écrit puis c’est ce que la Cour d’appel dit puis c’est exactement ce qu’on doit faire.
La seule raison pourquoi qu’il y a un voir-dire puis que c’est annoncé à l’avance, c’est quand c’est des policiers parce que c’est la Charte qui l’oblige.
Mais, quand c’est un témoin ordinaire, je n’ai aucune raison de faire admettre quoi que ce soit en principal si un témoin vient se contredire. Au même titre que les témoins de la Poursuite sont contre-interrogés avec une déclaration orale antérieure. S’ils ne la contredisent pas, la Défense n’amènera pas les témoins qui vont venir les contredire.
C’est… le même exercice vaut pour les témoins de la Défense que pour les témoins de la Poursuite.
Mais je comprends que c’est refusé. Donc les questions ne seront pas admises…
La Cour :
Oui.
Me Marie-Claude Morin :
… en vertu de l’article 11, donc je vais passer à un autre sujet.
[21] Selon la poursuite, la juge a erré en ne lui permettant pas de compléter le contre-interrogatoire de l’intimé et en empêchant de faire la preuve de la déclaration antérieure incompatible. Elle note que la déclaration avait été divulguée à l’intimé avant le procès.
[22] La poursuite se fonde sur l’arrêt Mandeville[2] de notre Cour qui énonce les étapes préalables et nécessaires afin d’établir la déclaration antérieure incompatible niée par un témoin. La juge aurait refusé que la poursuite fasse cette preuve, puisqu’elle n’était pas admissible lors du contre-interrogatoire de l’intimé. Or, de l’avis de l’appelant, elle l’était.
[23] L’appelant prétend que, selon l’arrêt Mandeville, la déclaration antérieure incompatible peut être produite au stade du contre-interrogatoire ou dans le cadre d’une contre-preuve de la poursuite.
[24] En l’espèce, cette déclaration antérieure était pertinente, car elle avait trait à la perception de l’intimé de l’état d’ébriété de la plaignante, élément important dans l’analyse de la crédibilité de l’intimé et dans les conclusions éventuelles de la juge sur le consentement subjectif de la plaignante. Puisque la juge a refusé à la poursuite de faire la preuve de cette déclaration, elle a commis une erreur de droit qui nécessite la tenue d’un nouveau procès.
[25] Tout d’abord, l’intimé soutient que le pourvoi de la poursuite ne concerne pas une question de droit, mais plutôt une question mixte de faits et de droit, alors que le droit d’appel de la poursuite se limite uniquement aux questions de droit[3].
[26] De plus, l’intimé rétorque que la juge du procès n’a commis aucune erreur de droit dans son analyse de l’article
[27] D’abord, la poursuite ne peut scinder sa preuve, comme le prévoit Krause[4]. À ce propos, l’intimé souligne que la poursuite a décidé de ne pas faire entendre Mme B... au procès. Or, le choix stratégique de la poursuite de ne pas présenter un élément de preuve pertinent et prévisible, la déclaration antérieure incompatible de l’intimé, dans le cadre de sa preuve l’empêchait de la faire durant le contre-interrogatoire de l’intimé ou en contre-preuve.
[28] Selon l’intimé, autoriser la poursuite à procéder ainsi serait inéquitable. Soit cet élément de preuve était un fait incident et la poursuite était liée par la réponse de l’intimé ou il s’agissait d’un élément essentiel et prévisible qui devait être administré en preuve principale. Selon ces deux cas de figure, la poursuite ne pouvait contourner les règles de preuve en utilisant à mauvais escient l’article
[29] Par ailleurs, l’intimé ajoute que l’appelant n’a pas demandé à la juge de première instance de produire une contre-preuve; il ne peut donc s’en plaindre en appel.
[30] Avant d’examiner les principes de droit qui délimitent l’admissibilité de la preuve d’une déclaration antérieure incompatible d’un accusé et la manière d’en faire la preuve si celui-ci n’en admet pas la teneur, il s’avère nécessaire de décrire les enjeux lors du procès afin de comprendre comment la preuve de la déclaration antérieure incompatible de l’intimé s’inscrivait dans ceux-ci.
[31] L’essentiel de la preuve de la poursuite visait à établir que l’état d’ébriété de la plaignante la rendait incapable de consentir aux activités sexuelles avec l’intimé.
[32] Selon l’intimé, la poursuite aurait dû faire entendre Mme B... en preuve principale pour qu’elle témoigne que l’intimé lui avait déclaré avoir mis fin aux rapports sexuels avec la plaignante parce que celle-ci était trop ivre (« trop paf »). Ayant choisi de ne pas la faire entendre, l’intimé postule que la poursuite ne pouvait faire la preuve de cette déclaration antérieure incompatible en invoquant l’article
[33] Posons d’emblée l’évidence, le témoignage de Mme B... aurait pu être présenté en preuve principale par la poursuite. Cela dit, en avait-elle l’obligation si l’objectif du contre-interrogatoire se limitait à l’évaluation de la crédibilité de l’intimé? Je ne le crois pas.
[34] Comme on le sait, le consentement de la plaignante vise toute la durée de l’activité sexuelle et exige un consentement spécifique à chacun des actes sexuels[6].
[35] De plus, l’arrêt G.F. précise que « la capacité de consentir doit être une condition préalable au consentement subjectif »[7] de la plaignante et « [il] s’ensuit naturellement que la plaignante doit être capable de former un tel accord »[8].
[36] Ainsi, « [l]a perception qu’avait l’accusé du consentement est examinée dans le cadre de la mens rea, notamment la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué »[9], ce qui inclut nécessairement la perception de l’accusé quant à la capacité de la plaignante de consentir à l’activité sexuelle[10].
[37] D’entrée de jeu, j’estime que la déclaration de l’intimé à Mme B... ne pouvait pas être interprétée comme établissant qu’il savait que celle-ci était incapable de consentir aux activités sexuelles durant toute l’activité sexuelle, mais elle pouvait certainement établir qu’à un certain moment, il a pris conscience qu’elle n’était plus capable de le faire et qu’il a alors cessé toute activité sexuelle avec elle.
[38] Il faut aussi tenir compte du fait que la déclaration attribuée à l’intimé ne comportait pas un contenu riche et détaillé[11]. Sans explication plus complète et même si cette déclaration comportait les germes d’une défense possible, soit la défense de la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué par la plaignante et la capacité de celle-ci de consentir, la question qui se pose est celle de savoir si la poursuite devait la réfuter par anticipation dans sa preuve principale.
[39] Si M. Robert avait admis avoir fait cette déclaration à Mme B..., ce qui ne fut pas le cas, le contre-interrogatoire de la poursuite aurait alors porté sur les faits appuyant sa perception selon laquelle la plaignante était capable de consentir aux activités sexuelles au début de leur relation et le changement de circonstances qui l’avait amené, à un certain moment, à tirer une conclusion différente quant à cette capacité. Vu l’intoxication apparente de la plaignante, le contre-interrogatoire de l’intimé aurait inévitablement porté aussi sur les mesures raisonnables[12] prises par celui-ci pour s’assurer du consentement de la plaignante ou de la capacité de celle-ci de consentir à des activités sexuelles.
[40] Puisque l’intimé a nié cette déclaration, cette preuve revêtait alors une pertinence accrue pour évaluer la crédibilité de l’intimé selon qui la plaignante avait consenti aux activités sexuelles et était capable de le faire.
[41] La poursuite ne pouvait pas tenir pour acquis que l’intimé allait nier la déclaration faite à Mme B.... Mais, à partir du moment où il l’a fait, est-ce que cette négation modifiait l’état des lieux et pavait la voie au contre-interrogatoire et à une preuve établissant la déclaration antérieure incompatible, soit durant le contre-interrogatoire de l’intimé ou en contre-preuve selon les règles établies par l’arrêt Mandeville?
[42] Depuis la décision rendue par la juge de première instance, la Cour a précisé les paramètres entourant le contre-interrogatoire selon l’article
[43] Je rappelle brièvement les principes entourant l’article
Contre-interrogatoire au sujet de déclarations antérieures orales
11 Si un témoin, contre-interrogé au sujet d’une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause et incompatible avec sa présente déposition, n’admet pas clairement qu’il a fait cette déclaration, il est permis de prouver qu’il l’a réellement faite. Avant de pouvoir établir cette preuve, les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration doivent être exposées au témoin de manière à désigner suffisamment l’occasion en particulier, et il faut lui demander s’il a fait ou non cette déclaration.
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Cross-examination as to previous oral statements
11 Where a witness, on cross-examination as to a former statement made by him relative to the subject-matter of the case and inconsistent with his present testimony, does not distinctly admit that he did make the statement, proof may be given that he did in fact make it, but before that proof can be given the circumstances of the supposed statement, sufficient to designate the particular occasion, shall be mentioned to the witness, and he shall be asked whether or not he did make the statement. |
[44] Cet article est de nature procédurale, en ce qu’il permet à une partie de prouver qu’un témoin, notamment l’accusé, a fait une déclaration antérieure incompatible[15]. Lorsque le témoin nie avoir fait cette déclaration, dit ne pas s’en souvenir, ou ne l’admet pas clairement[16], la partie qui le contre-interroge peut la prouver à l’aide d’une preuve extrinsèque dans le cadre du contre-interrogatoire ou d’une contre-preuve[17].
[45] La production de cette déclaration antérieure ne fait pas preuve de la véracité de son contenu, mais les contradictions entre les différentes versions du témoin, à moins qu’elle ne soit acceptée par le témoin ou qu’elle ne relève d’une exception à la règle du ouï-dire, comme c’est le cas pour les aveux d’un accusé[18].
[46] Bien que le pourvoi puisse être résolu à la lumière de l’article
[47] Est-ce que ces règles empêchaient la poursuite, d’une part, de confronter l’intimé à sa déclaration antérieure incompatible faite à Mme B..., d’établir les circonstances l’entourant, mais surtout d’en faire la preuve lorsqu’il a nié avoir affirmé qu’il avait cessé toute activité sexuelle parce que la plaignante était trop paf ?
[48] Pour répondre à cette question, je discute en premier lieu de la question de savoir si le pourvoi suscite une question de droit à l’encontre de laquelle la poursuite dispose d’un droit d’appel ou s’il s’agit plutôt d’une question mixte.
[49] J’aborde subséquemment le contre-interrogatoire d’un accusé et l’admissibilité des déclarations antérieures incompatibles de celui-ci. Je m’intéresse ensuite à l’impact de la divulgation de la preuve sur l’argument de l’intimé selon qui le processus aurait été inéquitable si la poursuite avait été autorisée à faire la preuve de sa déclaration antérieure incompatible en contre-preuve.
[50] Finalement, afin de déterminer si la juge du procès a eu raison d’empêcher la poursuite de faire la preuve de sa déclaration à Mme B..., je me penche sur les règles entourant la division de la preuve de la poursuite, la contre-preuve, les faits incidents et l’anticipation de la défense.
[51] Je précise à nouveau que la teneur des débats devant la juge du procès et la récurrence des questions concernant le contre-interrogatoire d’un témoin (ordinaire ou accusé) au sujet d’une déclaration antérieure incompatible et la preuve de celle-ci expliquent la nécessité d’une analyse complète[19].
[52] L’intimé soutient que la poursuite ne dispose pas d’un droit d’appel, car il s’agit des questions mixtes de fait et de droit.
[53] D’une part, il prétend que la poursuite a eu l’opportunité de le contre-interroger. D’autre part, il estime que la poursuite se plaint véritablement « du fait que la juge ne lui ait pas permis de mettre en preuve au fond »[20] sa déclaration durant son témoignage.
[54] À mon avis, l’intimé fait fausse route.
[55] La poursuite reproche à la juge du procès de ne pas lui avoir permis de compléter son contre-interrogatoire de l’intimé et de l’avoir empêchée de mettre en preuve la déclaration antérieure incompatible de ce dernier.
[56] Puisque la décision de la juge concerne à la fois l’interprétation de l’article
[57] La juge n’avait pas à appliquer « une norme juridique à un ensemble de faits »[23], mais à décider si la poursuite avait le droit de compléter son contre-interrogatoire et de produire la preuve de la déclaration antérieure incompatible de l’intimé.
[58] Par ailleurs, pour la bonne compréhension de mes motifs, je note dès maintenant que la référence de l’intimé à la volonté de la poursuite de « mettre en preuve au fond » sa déclaration perpétue une méprise quant au fondement du pourvoi de la poursuite.
[59] Celle-ci n’a jamais demandé à la juge du procès de faire la preuve de cette déclaration pour établir la véracité de son contenu et l’opposer à l’intimé comme un aveu[24], mais uniquement pour tester sa crédibilité[25].
[60] Comme on le verra, cette distinction balise de manière assez serrée et déterminante la portée de la question que nous devons trancher.
[61] Je pose maintenant les principes qui concernent le contre-interrogatoire d’un accusé au sujet de ses déclarations antérieures incompatibles.
[62] Lorsqu’un accusé choisit de témoigner, il s’expose, cela va de soi, au contre-interrogatoire de la poursuite.
[63] Dans l’arrêt R.(A.J.), le juge Doherty décrit le caractère essentiel de ce contre-interrogatoire et les délicates limites qui l’encadrent[26] :
Crown counsel is entitled, indeed in some cases expected, to conduct a vigorous cross-examination of an accused. Effective cross-examination of an accused serves the truth-finding function as much as does effective cross-examination of a complainant.
There are, however, well-established limits on cross-examination. Some apply to all witnesses, others only to the accused. Isolated transgressions of those limits may be of little consequence on appeal. Repeated improprieties during the cross-examination of an accused are, however, a very different matter. As the improprieties mount, the cross-examination may cross over the line from the aggressive to the abusive. When that line is crossed, the danger of a miscarriage of justice is very real. If improper cross-examination of an accused prejudices that accused in his defence or is so improper as to bring the administration of justice into disrepute, an appellate court must intervene […][27].
[Le soulignement est ajouté]
[64] Le pourvoi porte donc sur la délimitation du contre-interrogatoire d’un accusé concernant ses déclarations antérieures incompatibles et les règles entourant la preuve de celles-ci lorsque cela s’avère nécessaire.
[65] En dépit de l’utilisation restreinte envisagée par la poursuite, c’est-à-dire pour tester la crédibilité de l’intimé, je décris tout d’abord les règles générales.
[66] La déclaration antérieure incompatible d’un accusé peut être admissible à deux fins : 1) présentée à titre d’aveux de l’accusé[28] ou 2) pour évaluer la crédibilité de l’accusé comme témoin.
[67] Dans l’arrêt J.B., le juge Watt formule la règle applicable à l’admissibilité d’une déclaration antérieure incompatible de l’accusé de la manière suivante :
[30] As is the case with an ordinary witness, an accused who testifies may be cross-examined on prior out-of-court statements alleged to be inconsistent with his or her in-court testimony about the same subject-matter. But where the out of-court statement on which the accused is cross-examined is one made to a person in authority, the Crown must ensure that any applicable admissibility rules have been satisfied, including the common law requirement of voluntariness: R. v. Fischer, 2005 BCCA 265, 197 C.C.C. (3d) 136, at para. 41, leave to appeal refused, [2005] S.C.C.A. No. 308; R. v. Groves,
[31] On the other hand, unlike an ordinary witness, whose prior inconsistent statement only becomes substantive evidence if the witness adopts it as true by words, action, conduct or demeanour while testifying, an accused witness’ prior inconsistent statement may be used as substantive evidence by the trier of fact for two purposes. First, as with an ordinary witness, the prior inconsistent statement is relevant to the credibility of the accused as a witness. Second, and unlike an ordinary witness, the prior inconsistent statement of an accused who testifies is admissible as substantive evidence as an admission even without adoption: Groves, at paras. 42-44; R. v. Mannion,
[Les soulignements sont ajoutés]
[68] L’analyse de la jurisprudence par les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence confirme cette approche :
There is a substantial amount of authority to the effect that a prior inconsistent statement used to cross-examine an accused is admissible not only to assess credibility but also for the truth of its contents. This position makes sense given that a party’s statements are admissible for their truth under the admissions exception to the hearsay rule. On the other hand, several cases suggest, often without considered discussion, and sometimes only implicitly, that a prior inconsistent statement used for the first time at trial to cross-examine the accused is only admissible for the purpose of assessing credibility. In support of this view, it can be said that the Crown did not lead the statement as part of its case, at which point it would have been admissible for its truth, and so should not be permitted to use the statement for a substantive purpose during the defence case or in reply. Yet any unfairness to the accused in this regard will be prevented by the rule against improper splitting. Provided that this rule is not breached, there is arguably no good reason to limit use of the accused’s prior statement to the issue of credibility[30].
[Les soulignements sont ajoutés]
[69] Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg opine dans le même sens quant à l’admissibilité de la déclaration antérieure incompatible de l’accusé en tant qu’aveu :
The consideration that does not have any application where the witness is the accused is that the trier or fact will improperly make substantive use of a prior inconsistent statement. Being an admission by a party, the accused's prior inconsistent statement is available for substantive use: see R. v. Mannion,
[Le soulignement est ajouté]
[70] Bien qu’une déclaration antérieure incompatible d’un accusé soit admissible pour établir la véracité de son contenu, la poursuite souhaitait faire la preuve de la déclaration incompatible de l’intimé uniquement afin qu’elle soit considérée par la juge du procès dans l’évaluation de sa crédibilité.
[71] Cette concession est importante.
[72] Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence conviennent que le principe interdisant à la poursuite de scinder sa preuve soulève une question plus délicate lorsque la poursuite recherche l’admissibilité de la déclaration incompatible en tant qu’aveu opposé à l’accusé lors de son contre-interrogatoire. Selon eux, normalement, la déclaration antérieure de l’accusé introduite lors du contre-interrogatoire de celui-ci ne vise que la crédibilité de celui-ci :
Given that the Crown cannot split its case, it should not be tendering inculpatory prior statements for the first time during cross-examination. Therefore, statements produced at this stage by the Crown usually go only to the accused’s credibility (should the accused’s testimony be inconsistent with the prior statements)[32].
[Le soulignement est ajouté]
[73] Vu la fin limitée poursuivie par la poursuite en contre-interrogeant l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et sa volonté de faire la preuve de celle-ci, je n’ai pas à décider si la poursuite aurait eu l’obligation de présenter cette déclaration en preuve principale pour valoir comme preuve au fond.
[74] Le pourvoi peut être tranché sur le fondement de l’admissibilité de la preuve de la déclaration incompatible uniquement pour évaluer la crédibilité de l’intimé.
[75] À cet égard, dans l’arrêt A.M., la Cour d’appel de l’Ontario cerne parfaitement l’importance d’un contre-interrogatoire au sujet d’une déclaration antérieure incompatible d’un témoin :
[12] Fourth, one of the most valuable means of assessing witness credibility is to examine the consistency between what the witness said in the witness box and what she has said on other occasions, whether or not under oath: R. v. G. (M.), [1994] O.J. No. 2086, 93 C.C.C. (3d) 347 (C.A.), at p. 354 C.C.C., leave to appeal to S.C.C. refused [1994] S.C.C.A. No. 390. Inconsistencies may emerge in a witness' testimony at trial, or between their trial testimony and statements previously given. Inconsistencies may also emerge from things said differently at different times, or from omitting to refer to certain events at one time while referring to them on other occasions.
[13] Inconsistencies vary in their nature and importance. Some are minor, others are not. Some concern material issues, others peripheral subjects. Where an inconsistency involves something material about which an honest witness is unlikely to be mistaken, the inconsistency may demonstrate a carelessness with the truth about which the trier of fact should be concerned: G. (M.), at p. 354 C.C.C.[33]
[76] Ainsi, les variations dans le récit d’un témoin (y compris celles de l’accusé) peuvent affecter inéluctablement l’appréciation de la crédibilité ou de la fiabilité de celui-ci :
If it can be shown that the witness is saying one thing now and something different on a previous occasion, then, in the absence of a credible explanation for the discrepancy, that witness must be lying or at least mistaken, either now, or on the prior occasion. In any event, it is not difficult for the trier of fact in such a situation to draw the inference that the witness is not reliable and is therefore less credible.
Prior inconsistent statements can be incredibly useful tools of impeachment, and are part of every litigator's toolkit. As the Ontario Court of Appeal noted in R. v. Calder, the use of this evidence is valuable to the trial process, because “[s]elf-contradiction through proof of a prior inconsistent statement can have a powerful impact on credibility both as it relates to the specific inconsistency and the overall veracity and reliability of a witness” [34].
[77] Dans l’arrêt Hill, le juge Doherty aborde la question de l’admissibilité d’un contre-interrogatoire au sujet des différences entre la version donnée par l’accusé lors du procès et celle fournie antérieurement aux policiers.
[78] Bien que le contexte soit différent du présent dossier, une question additionnelle relative à l’exercice du droit au silence par l’accusé se greffait au pourvoi; le juge Doherty confirme le caractère approprié d’un tel contre-interrogatoire en autant qu’il n’existe pas une autre règle d’admissibilité qui l’empêche :
[43] With few exceptions, an accused’s exercise of his right to silence when questioned by the police cannot be used as circumstantial evidence of guilt or to impeach the credibility of the accused’s trial testimony: R. v. Turcotte (2005),
[44] Counsel for the appellant submits that cross-examination on inconsistencies between a prior statement and trial testimony cannot extend to cross-examination on omissions from the prior statement. On this approach, Crown counsel’s cross-examination of the appellant about his failure to mention Ms. General’s verbal abuse and assault would infringe the appellant’s right to silence, but Crown counsel’s cross-examination on the inconsistency between the appellant’s recollection of the act of strangling Ms. General in his statement and his inability to recall any of those details at trial would be appropriate.
[45] With respect, the distinction counsel attempts to draw is not tenable. Omissions can be integral to the existence of material inconsistencies between two versions of events. An account of an event which leaves out important details may be viewed as inconsistent with a subsequent account that includes those details.
[46] The propriety of cross-examination on a prior statement made by an accused to the police turns on the purpose of the cross-examination. If the cross-examination is designed to challenge the credibility of an accused’s testimony based on inconsistencies between that testimony and a previous version of events provided by the accused, the cross-examination is appropriate. If, however, the cross-examination invites the trier of fact to draw an adverse inference from the accused’s silence when questioned by the police, the cross-examination is inappropriate. Sometimes, both purposes may be in play. A trial judge can refuse or limit cross-examination on the prior statement when there is a legitimate concern that the cross-examination may trespass improperly on the accused’s right to silence. The trial judge may also give a limiting instruction cautioning against misuse of the right to silence if the cross-examination merits that instruction[35].
[Les soulignements sont ajoutés]
[79] Ainsi, la poursuite peut autant contre-interroger un accusé sur « les différences matérielles entre les versions racontées »[36], que celles-ci soient contenues dans une déclaration aux policiers ou à une autre personne. La principale différence réside dans la nécessité d’établir le caractère libre et volontaire de la déclaration à une personne en autorité[37].
[80] L’arrêt Alix de notre Cour va dans le même sens. Il reconnaît qu’il « est possible pour la poursuite de tenter de miner la crédibilité d'un accusé au moyen de déclarations antérieures contradictoires »[38].
[81] Nul ne saurait nier l’efficacité d’une déclaration antérieure incompatible pour attaquer la crédibilité d’un témoin, y compris l’accusé, tel que l’explique le juge Rosenberg dans l’arrêt P.G. : « a prior inconsistent statement is a particularly potent form of impeachment »[39].
[82] À la lumière de l’analyse qui précède, le contre-interrogatoire engagé par la poursuite était légitime et tout à fait approprié.
[83] Il convient à présent d’examiner l’équité du processus, de même que de déterminer si la règle interdisant la division de la preuve de la poursuite, celle relative à la contre-preuve, de même que celle concernant les faits incidents, empêchait la poursuite de présenter en preuve la déclaration antérieure incompatible de l’intimé après que celui-ci l’eut nié.
[84] Je traite maintenant de la question sous l’angle de l’équité, c’est-à-dire celui de savoir si le processus entourant le contre-interrogatoire de l’intimé et la demande de la poursuite de faire la preuve de la déclaration antérieure incompatible auraient été inéquitables s’ils avaient été autorisés.
[85] L’avocat de l’intimé a reconnu lors des débats devant la juge d’instance qu’en raison de la divulgation de la preuve, il connaissait la teneur de la déclaration antérieure incompatible qu’aurait tenue celui-ci à Mme B....
[86] Toutefois, il alléguait que la préparation des interrogatoires et contre-interrogatoires des différents témoins a été planifiée en sachant que Mme B... avait été assignée, mais ne serait pas entendue.
[87] Pour jauger la valeur de cet argument, j’estime nécessaire d’examiner l’arrêt Cook[40] qui démontre qu’il ne pouvait y avoir aucune iniquité envers l’intimé, car celui-ci connaissait le contenu de la déclaration incompatible qu’on lui attribuait en raison de la divulgation de la preuve.
[88] Dans cette affaire, la juge L’Heureux-Dubé examine la possible iniquité envers un accusé qui peut résulter de l’omission de la poursuite de faire entendre des témoins.
[89] Elle conclut « qu’il n’y a pas d’obligation de la part du ministère public de faire entendre des témoins ni, plus spécifiquement, de citer le plaignant ou la victime »[41] et elle précise que les « décisions relatives à la façon de présenter la preuve contre l’accusé doivent être laissées à la discrétion du ministère public, en l’absence de preuve d’abus de ce pouvoir discrétionnaire »[42].
[90] À son avis, « les modifications apportées récemment au droit en matière de divulgation et la possibilité pour l’accusé de faire entendre des témoins ont considérablement réduit le risque d’iniquité »[43].
[91] Elle ajoute aussi que « toute règle forçant le ministère public à citer certains témoins, fondée sur la nécessité de présenter tous les faits importants, a été abrogée par l’évolution du droit en matière de divulgation. Il n’est tout simplement plus exact de donner à entendre que la défense sera "prise par surprise" par l’omission du ministère public de citer un témoin important »[44].
[92] Sa conclusion finale va dans le même sens : « il n’y a simplement aucun fondement à l’allégation selon laquelle l’accusé est "pris par surprise" en raison du fait qu’un témoin donné n’est pas cité. Tout risque d’iniquité à cet égard est dissipé grâce à la divulgation et aux recours existants, qui s’ajoutent au droit qu’a l’accusé de faire entendre le témoin »[45].
[93] Dans l’arrêt P.G., une décision qui traite de l’interprétation de l’article
The policy concerning unfair surprise to the adversary admittedly has less importance where the witness is the accused. This is particularly so in light of the modern disclosure requirements laid down in R. v. Stinchcombe,
[94] L’arrêt Alix de notre Cour est au même effet[46].
[95] De plus, je ne vois pas comment la décision de la poursuite de ne pas faire entendre Mme B... pouvait représenter un changement de stratégie inéquitable au sens des arrêts Jolivet[47], Pickton[48] et Anderson[49].
[96] L’absence de ce témoignage privait peut-être la poursuite d’une preuve potentiellement incriminante ou l’intimé d’un élément pouvant établir la vraisemblance d’une défense de la croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué par la plaignante et de la capacité de celle-ci à consentir aux activités sexuelles.
[97] Néanmoins, à la lumière de l’arrêt Cook, on ne saurait dire que la poursuite avait l’obligation de faire entendre Mme B..., surtout si on considère que la fin visée par la poursuite était restreinte à l’évaluation de la crédibilité de l’intimé.
[98] Qu’en est-il de la règle interdisant la scission de la preuve et celles concernant la contre-preuve et les faits incidents?
[99] La règle interdisant la poursuite de scinder sa preuve prévoit que « le ministère public ne devrait pas être autorisé à bénéficier de l’avantage injuste qui résultera forcément du fait que ‘’sa preuve soit scindée’’ »[50]. Cela dit, « [u]ne contre‑preuve est à juste titre admissible lorsque la question examinée découle de la preuve de la défense, lorsqu’elle n’est pas incidente et, de façon générale, lorsque le ministère public ne pouvait pas prévoir de quelle façon elle évoluerait »[51].
[100] Dans l’arrêt John, les juges Estey et Lamer décrivent la règle en ces termes :
Ce sont là les conséquences qui découlent de la violation d'un des préceptes fondamentaux de notre procédure criminelle, c'est‑à‑dire la division de la preuve de la poursuite de manière à coincer la défense. C'est une tactique particulièrement destructrice si le témoignage donné en contre‑preuve soulève une nouvelle question et met en cause la crédibilité de l'accusé, puisqu'il s'agit du dernier témoignage que les membres du jury entendent avant de délibérer. Cette pratique pose également la question de la justesse de la conduite de la poursuite eu égard au droit de l'accusé de choisir de garder le silence ou de choisir de témoigner pour sa propre défense. Il doit avoir la possibilité de prendre cette décision en toute connaissance de la totalité de la preuve de la poursuite. Ce n'est pas ce qui s'est produit dans ces procédures[52].
[Le soulignement est ajouté]
[101] Dans l’arrêt Biddle, le juge Sopinka explique que « la règle interdisant le fractionnement de la preuve repose notamment sur le droit de l'accusé de connaître la totalité de la preuve du ministère public à laquelle il est appelé à répondre. Ce n'est que s'il connaît pleinement la preuve du ministère public que l'accusé peut décider de témoigner ou non »[53].
[102] Par ailleurs, comme le souligne le juge Lamer dans l’arrêt Underwood : « [n]otre processus pénal est fondé sur le principe selon lequel, avant que l’accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doit connaître la preuve complète qui pèse contre lui »[54]. Le principe de la « preuve complète » est un précepte fondamental de notre système de justice[55].
[103] Finalement, l’arrêt Aalders pose les paramètres de l’admissibilité d’une contre-preuve:
À mon avis, la question primordiale en ce qui concerne l'admission d'une contre‑preuve n'est pas de savoir si la preuve que le ministère public cherche à présenter est déterminante quant à une question essentielle, mais bien de savoir si elle se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour trancher l'affaire. Si la contre‑preuve porte sur un élément essentiel du litige et si le ministère public ne pouvait prévoir que cette preuve serait nécessaire, alors elle est généralement admissible. En conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de son témoignage au procès, une déclaration qui entre en conflit avec d'autres éléments de preuve portant sur une question essentielle, la contre‑preuve sera autorisée pour résoudre ce conflit.
Il est vrai que le ministère public ne peut scinder sa preuve pour obtenir un avantage injuste. Il ne devrait pas non plus être autorisé à présenter une contre‑preuve relativement à une question purement incidente. Toutefois, la présentation d'une contre‑preuve peut être autorisée si elle se rapporte à une question essentielle de l'affaire. Dans ces circonstances, il serait erroné de priver le juge des faits d'une preuve importante se rapportant à un élément essentiel du litige. Un procès, plus particulièrement un procès criminel, doit se dérouler conformément aux règles d'équité de façon à garantir la protection de la personne accusée. Toutefois, les règles ne devraient pas aller jusqu'à priver le juge des faits d'éléments de preuve importants, susceptibles d'être utiles à la solution d'un élément essentiel du litige.
[Le juge Cory souligne]
[104] À la lumière de ces paramètres, je considère tout d’abord l’arrêt Drake[56], un arrêt phare à l’égard de ces questions[57].
[105] Dans cette affaire, l’accusé était inculpé d’une accusation de viol et la poursuite faisait valoir que le consentement de la plaignante avait été extorqué par des menaces de lésions corporelles.
[106] La poursuite, alléguant des contradictions dans la déclaration de l’accusé aux policiers, souhaitait le contre-interroger sur celles-ci pour tester sa crédibilité.
[107] Le juge Macpherson écrit :
There is a well-known principle that evidence which is clearly relevant to the issues and within the possession of the Crown should be advanced by the Crown as part of its case, and such evidence cannot properly be admitted after the evidence for the defence by way of rebuttal. In other words, the law regards it as unfair for the Crown to lie in wait and to permit the accused to trap himself. The principle, however, does not apply to evidence which is only marginally, minimally or doubtfully relevant: see R. v. Levy and Tait (1966), 50 Cr. App. R. 198.
In the present case the issue, I think, has always been clear: was the complainant’s consent extorted by threats? The accused in his statement to the police and in his testimony so far has admitted that he was with the girl and had intercourse. Then and now, however, he denies any threats and swears to free consent on her part. I feel, therefore, that the statement was doubtfully relevant to the Crown’s case and may now be used.
In many cases the Crown knows the essence of the defence case by reason of statements to the police. I would not like the law to provide that such a statement could not be used for any purpose unless the Crown had established it as voluntary before it closed its case. I can see no evil or prejudice where the voluntary nature of the statement is established during the defence case, particularly where, as here, Crown counsel claims to see discrepancies and seeks by them to test the credibility of the accused. Otherwise I would think the courts will be faced constantly with futile voir dires where the accused will testify to substantially the same story as in his statement and much time will be wasted. The accused is not any more or any less tied to his first story if the Crown is permitted to take a voir dire during his cross-examination. The accused knows that he gave the statement and a copy of it is available to him or to his counsel on request, as it was in the present case.
My last comment concerns s.
“10. (1) Upon any trial a witness may be cross-examined as to previous statements made by him in writing ...”
Since Regina v. Piche, supra, it must now be said that an involuntary statement by an accused to someone in authority is not a statement within this section when the accused is the witness. Once the judge rules, however, that the statement was a voluntary one the accused is in the same position regarding it as any other witness would be.
I therefore rule that the voir dire was properly held during the defence case, that the statement was voluntary and that the Crown may cross-examine upon it[58].
[Les soulignements sont ajoutés]
[108] Des principes similaires animent la décision de notre Cour dans l’affaire Alix[59].
[109] Dans cette affaire, notre Cour était confrontée à une situation où l’accusée présentait en appel une argumentation similaire à celle de l’intimé, soit l’obligation pour la poursuite de présenter la preuve de déclarations antérieures incompatibles en preuve principale.
[110] La juge Côté brosse le portrait de la situation :
[139] L'appelante reproche au juge du procès d'avoir permis à la poursuite, au cours de son contre-interrogatoire, de la confronter à des lettres qu'elle avait écrites à son conjoint dans lesquelles elle relatait la relation difficile et conflictuelle qu'elle avait avec sa mère. Elle soutient de plus que l'usage en contre-interrogatoire d'une déclaration enregistrée sur vidéo faite aux policiers le 13 mars 2005, laquelle fut déclarée libre et volontaire, mais non déposée en preuve, constitue une forme irrecevable de contre-preuve de la poursuite. En outre, l'appelante plaide que les lettres et la déclaration auraient dû être produites en preuve principale.
[140] Il convient de résumer sommairement le contexte.
[141] Lors de la détention de son conjoint Leblanc, à la suite d'une condamnation pour des voies de fait commises à son endroit, l'appelante lui a écrit plusieurs lettres. La poursuite a choisi de ne produire que certaines d'entre elles (P-87), et de se servir de deux lettres lors du contre-interrogatoire de l'appelante. Dans ces deux lettres, l'appelante indique que vivre avec sa mère, « est l'enfer sur terre » et que celle-ci fait tout pour la blesser et l'abaisser. Elle y précise qu'elles se querellent du matin au soir.
[142] Ces déclarations extrajudiciaires antérieures illustrent la relation non harmonieuse qu'elle entretenait avec sa mère, laquelle est pertinente au litige. Bien que le mobile présenté par la poursuite ait été essentiellement de nature financière, la relation existante entre la mère et la fille demeurait liée au litige d'autant que la poursuite a présenté des témoins pour relater la relation difficile qui prévalait entre l'appelante et sa mère à l'époque.
[143] Partant, la proposition de l'appelante qu'il s'agit d'une contre-preuve est dénuée de fondement.
[144] D'une part, l'appelante a admis avoir écrit ces lettres. La défense connaissait l'existence de cette preuve, la poursuite lui ayant divulgué les lettres écrites par l'appelante à son ex-conjoint, lesquelles reflétaient sa relation difficile avec sa mère. D'autre part, comme l'appelante a affirmé lors de son témoignage au procès entretenir une bonne relation avec sa mère, sauf quant au choix de son conjoint, ces lettres manuscrites constituent des déclarations antérieures contradictoires avec sa version des faits au procès. En tentant de minimiser le conflit existant entre elle et sa mère lors de son témoignage, l'appelante donnait ouverture à la mise en contradiction au moyen d'un écrit contradictoire sur un aspect relié à l'accusation. Il était loisible pour la poursuite de ne pas produire toutes les lettres et d'en conserver certaines aux fins du contre-interrogatoire.
[Les soulignements sont ajoutés]
[111] La juge Côté rejette toutes les prétentions de Mme Alix, y compris celle selon laquelle la poursuite devait faire une telle preuve dans le cadre de sa preuve principale. Elle écrit :
[152] Quant à l'obligation pour la poursuite de déposer en preuve ces déclarations en preuve principale, comme le mentionne la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Mallory (2007), 217 C.C.C. (3d) 266,
[230] First, voluntary admissions by an accused are generally admissible for their truth as an exception to the hearsay rule.
[231] Second, although a voir dire is required to establish the voluntariness of an admission to the police, or to another person in authority, generally no voir dire is required if the admission is made to a person not in authority, even if that person is an unsavoury witness or a jailhouse informant.
[232] Third, the Crown is entitled to call the evidence it chooses in its case, provided that it does not call any evidence with an "oblique motive".
[233] Fourth, the Crown is not prohibited from reserving evidence for cross-examination that was not called in-chief, provided the evidence is not otherwise inadmissible, the Crown has a good faith basis in the foundation for its question, the Crown is not splitting its case, and the prejudicial effect of the cross-examination does not outweigh its probative value.
[Je souligne; p. 326.]
[153] En l'espèce, c'est exactement ce que la poursuite a fait, soit se servir des lettres en contre-interrogatoire pour tenter d'affecter la crédibilité de l'appelante.
[154] La proposition de l'appelante selon laquelle la poursuite a ainsi fractionné sa preuve alors qu'elle a l'obligation de présenter dans sa preuve tous les éléments pertinents pour étayer l'accusation n'a aucun mérite.
[155] Il est vrai que la poursuite ne peut conserver certains éléments de preuve en réserve pour ensuite les présenter dans le cadre d'une contre-preuve. L'arrêt R. c. Krause,
[156] Partant, la poursuite n'avait pas l'obligation de produire ces lettres et pouvait s'en servir en contre-interrogatoire. Il s'ensuit qu'elle n'a pas scindé sa preuve, mais qu'elle a plutôt réservé certains éléments de preuve pour affecter la crédibilité de l'appelante lors du contre-interrogatoire.
[157] Les mêmes principes et conclusions sont applicables à l'égard de la déclaration vidéo du 13 mars 2005. Il était loisible à la poursuite de contre-interroger l'appelante sur ses déclarations antérieures contradictoires concernant les médicaments qu'elle prenait à l'époque contemporaine du décès de sa mère.
[112] Puisqu’il est reconnu que la poursuite ne scinde pas sa preuve illégalement lorsqu’elle ne dépose pas la déclaration libre et volontaire d’un accusé aux policiers en preuve principale, mais la conserve pour l’utiliser lors du contre-interrogatoire de l’accusé[60], il ne saurait en être autrement pour le cas où une déclaration antérieure incompatible a été faite à une autre personne.
[113] Je termine en répondant à un dernier argument implicite présenté par l’intimé. Ce dernier postule que, même si la poursuite n’avait pas l’obligation de faire entendre Mme B... selon l’arrêt Cook, elle en avait l’obligation, car elle pouvait anticiper la nature de la défense de l’intimé en raison du contenu de la déclaration faite à Mme B....
[114] La décision de notre Cour dans l’affaire Cormier[61] répond d’une manière complète aux objections de l’intimé.
[115] Dans cette affaire, le juge Proulx s’appuie sur l’arrêt Chaulk[62] pour exprimer l’opinion qui suit : « le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense, mais cela ne saurait le contraindre à [le] réfuter »[63].
[116] Il poursuit son analyse et confirme l’admissibilité d’une contre-preuve qui aurait pu être présentée en preuve principale, mais qui acquiert une pertinence plus évidente dans le cadre du procès :
Comme l'avait fait remarquer avec beaucoup d'à-propos le Juge Arthur Martin dans l'arrêt R. c. Campbell (1977), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont.), il peut souvent s'avérer difficile, en pratique, de distinguer les faits qui peuvent faire l'objet d'une contre-preuve de ceux qui doivent être prouvés en preuve principale. Dans ce même arrêt, le Juge Martin fait état d'une preuve qui, même si à la limite pouvait être introduite en preuve principale, présentait une pertinence plus évidente (« acquired greater relevance ») dans le cadre de la contre-preuve[64].
[117] Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg abonde dans le même sens :
Despite the broad language from Krause it has always been understood that the trial judge has a discretion to admit evidence in reply concerning an issue that was of only marginal importance during the prosecution's case in chief, but that took on added significance as a result of the defence evidence[65].
[Le soulignement est ajouté]
[118] À mon avis, la déclaration à Mme B... acquérait une importance significative et accrue au sens de l’arrêt Cormier à la suite de la négation de l’intimé[66]. Cette position est conforme à la jurisprudence canadienne selon les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence :
Accordingly, the law is now clear: evidence marginally relevant, and thus strictly speaking admissible as part of the Crown case in chief, may nonetheless be admissible in reply where it takes on real significance only because of a position advanced during the defence case. Another way of saying the same thing, adopted in several Canadian cases, is that the matter to which the proposed reply evidence relates only became a “live issue” once the defence put in its case[67].
[119] Le droit applicable n’était pas incertain ou flou. Le droit de la poursuite de contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible était clairement établi dans la jurisprudence.
[120] Cela dit, inspiré par l’arrêt Underwood[68], le procureur de l’intimé aurait pu dissiper toute incertitude et demander à la juge d’instance de trancher cette question avant qu’il ne choisisse de témoigner pour sa défense.
[121] Je souligne tout de même n’avoir trouvé aucune décision qui stipule que la poursuite ne peut contre-interroger un accusé pour tester sa crédibilité au sujet d’une déclaration antérieure incompatible, parce qu’elle aurait pu produire cette preuve en preuve principale.
[122] J’ajoute finalement que l’arrêt Krause, sur lequel s’appuie l’intimé, n’empêchait pas la poursuite d’invoquer l’article
Ainsi, dans l'arrêt R. v. Krause, […][69] la Cour suprême a fait référence à la demande du ministère public au procès de présenter une contre-preuve fondée sur l'art. 11 afin de réfuter des déclarations de l'appelant qui avait témoigné dans sa cause. À cette occasion, la Cour n'a pas émis l'avis que cette façon de procéder était irrecevable; le débat portait uniquement sur la question de savoir si en l'espèce la contre-preuve visait des faits pertinents ou collatéraux. D'ailleurs, en Cour d'appel, les trois juges avaient conclu qu'en principe, rien n'empêchait le poursuivant de faire la preuve des déclarations antérieures au moment de la contre-preuve[70].
[Les soulignements sont ajoutés]
[123] Dans l’arrêt Aalders, le juge Cory adopte la même interprétation de la portée de l’arrêt Krause :
Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de notre Cour à l'unanimité, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et en autorisant le contre‑interrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police puisque l'accusé n'avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son témoignage. Notre Cour a statué que l'élément de preuve à l'égard duquel la présentation de la contre‑preuve a été autorisée traitait de la déclaration de l'accusé selon laquelle les policiers l'avaient harcelé avant son arrestation. Notre Cour a statué que cela était une question incidente qui n'était ni pertinente ni importante en ce qui a trait à la question de savoir si l'accusé avait tué la victime. Le témoignage de l'accusé portait atteinte seulement à l'intégrité de la police mais il ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence. Les faits étaient fort différents de ceux de l'espèce. En l'espèce, la contre‑preuve touchait à une question essentielle à la détermination du litige.
[Les soulignements sont ajoutés]
[124] Contrairement à l’affaire Krause, il existe dans la présente affaire une déclaration antérieure incompatible de l’intimé dont la poursuite pouvait faire la preuve, car celle-ci concerne non pas un fait incident, mais plutôt une question concernant le cœur de l’accusation[71].
[125] En résumé, la poursuite pouvait contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et en faire la preuve durant son contre-interrogatoire ou lors d’une contre-preuve. Il n’y avait rien d’inusité ou d’inéquitable dans la démarche de la poursuite.
[126] Pour l’ensemble de ces motifs, je propose d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, car l’erreur de la juge a eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement[72].
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GUY COURNOYER, J.C.A. |
[1] R. c. G.F.,
[3] R. c. Graveline,
[4] R. c. Krause,
[5] R. c. Mandeville (1992), 14 C.R. (4th) 209 (C.A. Qué.).
[6] R. c. G.F.,
[7] Ibid., paragr. 43.
[8] Ibid. Le terme « capable » est en italique dans la décision.
[9] Ibid, paragr. 25.
[10] Voir I. Grant and J. Benedet, « The Meaning of Capacity and Consent in Sexual Assault: R. v. G.F. »
[11] Dans l’arrêt R. c. Barton,
[12] R. c. J.A.,
[13] M.D. c. R.,
[14] Les cinq critères de l’arrêt Mandeville entourant la mise en preuve des déclarations incompatibles sont les suivants : « Cette disposition [l’article 11] précise que dans le cas où (1) un témoin contre-interrogé au sujet d'une déclaration antérieure faite par lui relativement au sujet de la cause, (2) que cette déclaration est incompatible avec sa présente disposition, (3) que le témoin n'admet pas clairement qu'il a fait cette déclaration, (4) que les circonstances dans lesquelles a été faite la prétendue déclaration sont exposées au témoin de manière à spécifier cette déclaration, (5) qu'il a été demandé au témoin s'il a fait ou non cette déclaration, que si ces cinq conditions sont remplies, qu'alors « il est permis de prouver » que le témoin a réellement fait cette déclaration » (R. c. Mandeville,
[15] R. c. Mannion,
[16] R. c. Mandeville,
[17] M.D. c. R.,
[18] R. c. Schneider,
[19] Voir les exemples récents : M.D. c. R.,
[20] L’intimé souligne le mot « fond » dans son mémoire.
[21] R. c. Samaniego,
[22] Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique,
[23] Ibid.
[24] R. c. Schneider,
[25] Dans l’arrêt R. c. Calder,
[26] On consultera les ouvrages qui suivent au sujet des différentes limites applicables au contre-interrogatoire de l’accusé : Martin Vauclair et Tristan Desjardins,
[27] R. v. R.(A.J.) (1994), 94 C.C.C. (3d) 168 (C.A. Ont.), p. 176. Mes collègues, les juges Doyon et Vauclair réfèrent à ce passage dans les arrêts El Morr c. R.,
[28] R. c. Schneider,
[29] R. v. J.B.,
[30] S. Casey Hill, D. M. Tanovich et L. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., Thomson Reuters, 2022 (feuilles mobiles, mise à jour no 5, décembre 2022), § 21:103.
[31] R. v. P.(G.) (1996), 112 C.C.C. (3d) 263 (C.A. Ont.), p. 281.
[32] D. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence, 8e éd., Irwin Law, 2020, p. 614.
[33] R. v. A.M.,
[34] Peter Sankoff, The Law of Witnesses and Evidence in Canada, Thomson Reuters, 2022, feuilles mobiles (mise à jour no 4, décembre 2022), § 12:36.
[35] R. v. Hill,
[36] Boivin c. R.,
[37] R. v. J.B.,
[38] Alix c. R.,
[39] R. v. P.(G.) (1996), 112 C.C.C. (3d) 263 (Ont. C.A.), p. 281.
[40] R. c. Cook,
[41] Ibid., paragr. 55.
[42] R. c. Cook,
[43] Ibid., paragr. 33.
[44] Ibid., paragr. 36.
[45] Ibid., paragr. 37.
[46] Alix c. R.,
[47] R. c. Jolivet,
[48] R. c. Pickton,
[49] R. c. Anderson,
[50] R. c. G. (S.G.),
[51] Ibid.
[52] John c. La Reine,
[53] R. c. Biddle,
[54] R. c. Underwood,
[55] Ibid.
[56] R. v. Drake (1970), 1 C.C.C. (2d) 396 (C.B.R. Sask.).
[57] Cet arrêt est cité par la Cour suprême dans les affaires R. c. Chaulk,
[58] R. v. Drake (1970), 1 C.C.C. (2d) 396 (C.B.R. Sask.), p. 397-398.
[59] Alix c. R.,
[60] R. c. Dubois,
[61]
[62] R. c. Chaulk,
[63]
[64] R. c. Cormier,
[65] R. v. P.(G.) (1996), 112 C.C.C. (3d) 263 (C.A. Ont.), p. 273-274.
[66] Voir au même effet : R. v. Abbasi,
[67] S. Casey Hill, D. M. Tanovich et L. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5e éd., Thomson Reuters, 2022 (feuilles mobiles, mise à jour no 5, décembre 2022), § 21:158.
[68]
[69] Références omises.
[70] R. c. Mandeville (1992), 14 C.R. (4th) 209 (C.A. Qué.), paragr. 20.
[71] R. c. Krause,
[72] R. c. Graveline,
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