Jalbert et RTC Garage |
2009 QCCLP 6567 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 28 novembre 2008, R.T.C. Garage (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 30 octobre 2008.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la contestation de monsieur Raymond Jalbert (le travailleur), infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 9 juillet 2007, déclare que l’emploi de préposé à la mise à jour du système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT) n’est pas un emploi convenable pour le travailleur qui a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi).
[3] L’employeur et le travailleur sont présents et représentés par leurs procureurs respectifs à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision à Québec le 10 septembre 2009. La CSST est absente, ayant renoncé à l’audience par une lettre de sa procureure du 9 septembre 2009.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu’elle a rendue le 30 octobre 2008 au motif que celle-ci est entachée de vices de fond de nature à l’invalider. L’employeur demande au présent tribunal de confirmer la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 9 juillet 2007, de déclarer que l’emploi de préposé à la mise à jour du SIMDUT constitue un emploi convenable que le travailleur est apte à exercer à compter du 23 mars 2007 et que ce dernier a droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite annuelle de 1 588,80 $, soit 60,90 $ à toutes les deux semaines.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête de l’employeur doit être accueillie et la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 octobre 2008 révisée. Celle-ci ne devait pas infirmer l’emploi convenable déterminé par la CSST dans le contexte où le travailleur refusait d’emblée d’effectuer un quelconque retour sur le marché du travail.
[6] Le membre issu des associations syndicales estime, au contraire, que la requête l’employeur doit être rejetée. La décision dont la révision est demandée ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante assimilable à un vice de fond de nature à l’invalider. L’employeur souhaite obtenir une réappréciation des faits et du droit, ce que ne permet pas le recours en révision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a matière à réviser la décision qu’elle a rendue le 30 octobre 2008.
[8] Bien que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles soient finales et sans appel, suivant le principe énoncé à l’article 429.49 de la loi, le tribunal peut cependant réviser ou révoquer une telle décision pour les motifs prévus en ces termes à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] La révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles n’est possible que dans les situations énoncées précédemment. Une telle procédure ne peut, en aucun cas, constituer un second appel ou un appel déguisé[1].
[10] L’employeur soutient que la décision dont il demande la révision est entachée de vices de fond de nature à l’invalider. Il invoque dès lors l’application du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[11] La jurisprudence a établi qu’il faut entendre par les termes « vice de fond … de nature à invalider la décision » une erreur manifeste de fait ou de droit qui est déterminante sur l’issue du litige[2].
[12] La Cour d’appel du Québec après avoir elle-même analysé la notion de vice de fond, notamment dans l’affaire Bourassa[3], a confirmé les principes jurisprudentiels précités déjà établis par la Commission des lésions professionnelles.
[13] La notion de vice de fond a aussi été analysée par la Cour d’appel dans l’affaire CSST c. Fontaine[4] où le juge Morissette rappelle le principe suivant lequel une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel reprend de nouveau ce principe dans l’affaire Touloumi[5].
[14] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ou révocation doit donc faire preuve d’une très grande retenue. La notion de vice de fond ne doit pas être utilisée à la légère. La Cour d’appel insiste sur la primauté qui doit être accordée à la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles. Cette décision fait autorité et ce n’est qu'exceptionnellement qu’elle pourra être révisée.
[15] Qu’en est-il en l’espèce?
[16] Les faits qui ont donné lieu au litige dont le premier juge administratif était saisi se résument comme suit.
[17] Le travailleur occupe un poste de mécanicien chez l’employeur depuis 1991.
[18] Le 10 janvier 2005, le travailleur qui est alors âgé de presque 64 ans est victime d’une lésion professionnelle au niveau lombaire ainsi qu’à l’épaule gauche.
[19] Le 21 décembre 2005, le travailleur subit une intervention chirurgicale à l’épaule gauche dans le cadre de la lésion professionnelle précitée.
[20] Le 29 janvier 2006, le travailleur qui a atteint l’âge de 65 ans décide de prendre sa retraite. Celle-ci devient effective à compter du 1er février 2006.
[21] Le 26 mai 2006, il y a consolidation de la lésion professionnelle à l’épaule gauche du travailleur qui demeure avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à ce niveau.
[22] À compter du 25 août 2006, une démarche de réadaptation est entreprise par la CSST qui entend évaluer les besoins du travailleur en lui appliquant les prescriptions de l’article 53 de la loi, lesquelles stipulent ce qui suit :
53. Le travailleur victime d'une maladie professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 55 ans ou celui qui est victime d'une autre lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 60 ans et qui subit, en raison de cette maladie ou de cette autre lésion, une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique qui le rend incapable d'exercer son emploi a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il n'occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez son employeur.
Si ce travailleur occupe un nouvel emploi, il a droit à l'indemnité prévue par l'article 52; s'il occupe un emploi convenable chez son employeur ou refuse sans raison valable de l'occuper, il a droit à une indemnité réduite du revenu net retenu qu'il tire ou qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable, déterminé conformément à l'article 50.
Lorsque ce travailleur occupe un emploi convenable disponible chez son employeur et que ce dernier met fin à cet emploi dans les deux ans suivant la date où le travailleur a commencé à l'exercer, celui-ci récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
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1985, c. 6, a. 53; 1992, c. 11, a. 3.
[23] Le 13 novembre 2006, il y a consolidation de la lésion professionnelle du travailleur au niveau lombaire avec limitations fonctionnelles en résultant.
[24] Le 6 février 2007, les conclusions de l’ergothérapeute révèlent que les exigences physiques de l’emploi de mécanicien ne respectent pas les limitations fonctionnelles.
[25] Le 9 février 2007, l’employeur par l’intermédiaire de monsieur Hébert informe la CSST qu’il aurait peut-être un emploi de préposé à la mise à jour du SIMDUT à offrir au travailleur. Cet emploi consiste à créer des fiches signalétiques pour tous les produits dangereux utilisés chez l’employeur. Le travailleur se dit étonné de se voir offrir un emploi alors qu’il est déjà retraité depuis février 2006. La CSST informe le travailleur qu’il est libre d’accepter ou non un tel emploi s’il respecte ses limitations fonctionnelles mais que s’il refuse, elle devra mettre fin à l’indemnité de remplacement du revenu.
[26] La CSST procède par la suite à l’évaluation de l’emploi proposé par l’employeur. Elle constate que le travailleur a la capacité physique d’exercer cet emploi pour lequel l’employeur s’engage à lui fournir la formation nécessaire dès l’entrée en poste.
[27] La CSST conclut qu’il s’agit d’un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer à compter du 23 mars 2007 et qu’il a droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite. Cette décision que conteste le travailleur est confirmée par la CSST à la suite d’une révision administrative le 9 juillet 2007, d’où l’appel du travailleur à la Commission des lésions professionnelles. Celle-ci infirme la décision du 9 juillet 2007 dans le cadre de sa propre décision rendue le 30 octobre 2008 dont la révision est demandée.
[28] La preuve présentée au premier juge administratif repose sur le dossier tel que constitué auquel s’ajoutent un formulaire d’assignation temporaire et une description de tâches sommaire déposés à l’audience où sont entendus les témoignages respectifs de monsieur Hébert et du travailleur. La teneur de ces témoignages est résumée en ces termes à la décision dont la révision est demandée.
[30] Lors de l’audience, M. Hébert précise que la mise à jour de SIMDUT est une activité qui est assumée par le conseiller en santé et sécurité chez l’employeur. Il s’agit d’une tâche qui est confiée aux travailleurs qui sont en assignation temporaire. Ce travail implique l’utilisation d’un ordinateur. Selon lui, l’utilisation de l’ordinateur requiert peu de connaissance car il s’agit essentiellement d’ouvrir le fichier, dans le logiciel Excel, et d’inscrire le numéro du produit. Lorsque la fiche signalétique n’est pas inscrite, il s’agit de la demander aux fournisseurs par courriel. Il estime qu’une journée de formation serait suffisante pour que le travailleur ait la capacité d’utiliser l’ordinateur.
[31] Actuellement, cela prend environ deux jours pour commander les fiches signalétiques et quelques heures sur le plancher pour faire le suivi quant aux produits utilisés. Toutefois, avec l’ajout, d’ici deux ans, d’un nouveau garage, la charge de travail sera plus importante. Il évalue qu’il s’agit d’un travail clérical dans une proportion de 85 à 90 % du temps.
[32] M. Hébert précise qu’à l’automne 2007, M. Rouleau a été assigné temporairement à ce travail. De même, depuis deux semaines, M. Rouleau fait l’inventaire des produits dans le cadre d’une assignation temporaire. Entre-temps, cette tâche est assumée par le conseiller en santé et sécurité chez l’employeur et par lui. Il estime que le travailleur connaît bien le garage et qu’il s’agit d’un avantage pour l’accomplissement de ses tâches. Il était prévu que le travailleur débute le 16 avril 2007 dans cet emploi de sorte que le poste de travail avait été aménagé à cette fin. Puisqu’il s’agit d’un emploi convenable, il souligne que ce poste a été réservé au travailleur. Il avait prévu une journée de formation pour l’accueil et le système. Mais, en ce qui concerne la durée de la formation, pour que le travailleur puisse assumer l’ensemble de ses tâches car cela dépend de ses besoins.
[33] Le travailleur précise qu’il a complété une 9e année de scolarité. Il a une formation en mécanique et débosselage. Il affirme n’utiliser aucun ordinateur à la maison et il n’a pas de formation pour ce faire. Il n’a aucune formation en santé et sécurité au travail. Il dit avoir décidé de prendre sa retraite en février 2006, soit au moment où il atteint l’âge de 65 ans.
[29] Après avoir cité la définition d’« emploi convenable » prévue à l’article 2 de la loi, le premier juge administratif cite aussi l’article 53 précité puisque le travailleur âgé de plus de 60 ans au moment de sa lésion professionnelle a conservé des séquelles permanentes l’empêchant de refaire son emploi de mécanicien de sorte qu’il a droit à la pleine indemnité de remplacement du revenu tant qu’il n’occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable chez son employeur ou ne refuse pas sans raison valable d’occuper un tel emploi. Le premier juge administratif réfère enfin à l’article 57 de la loi qui établit les conditions d’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[30] Le premier juge administratif procède à l’analyse de la preuve à la lumière du droit applicable dans les termes suivants :
[37] D’abord, tel que la CSST l’a déjà reconnu, la lésion professionnelle subie par le travailleur entraîne des séquelles permanentes le rendant incapable d’exercer son emploi prélésionnel, soit celui de mécanicien.
[38] Conformément à l’article 53 de la loi, une démarche est initiée aux fins d’évaluer la possibilité qu’un emploi convenable disponible chez l’employeur soit offert au travailleur.
[39] C’est dans ce contexte que l’employeur décider de créer un nouvel emploi, soit celui de préposé à la mise à jour SIMDUT dont les tâches sont essentiellement de nature cléricale et il s’agit, selon la CSST, d’un emploi convenable pour le travailleur.
[40] S’il est vrai que l’employeur a tout intérêt à réinsérer le travailleur dans un emploi convenable afin de minimiser les coûts découlant du processus de réadaptation, encore faut-il que celui-ci présente les caractéristiques d’un emploi convenable. Or, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante démontre que l’emploi de préposé à la mise à jour SIMDUT ne correspond pas à la notion d’« emploi convenable » pour le travailleur.
[41] En effet, afin d’être qualifié de convenable, le législateur a prévu que l’emploi doit, en plus d’être approprié, permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, présenter une possibilité raisonnable d’embauche et que les conditions d’exercice ne comportent pas de danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique2.
[42] La jurisprudence a établi qu’un emploi sera considéré approprié s’il respecte, dans la mesure du possible, les intérêts et les aptitudes du travailleur3.
[43] Cette condition tient compte des réalités individuelles qui ont pour effet de particulariser la situation d’un travailleur et qui ne peuvent être couvertes par les autres caractéristiques4.
[44] La preuve révèle notamment que le travailleur est âgé de 66 ans au moment où l’employeur lui offre un emploi convenable. Il s’agit d’un travailleur manuel et il n’est pas familier avec l’utilisation d’un ordinateur tel qu’il le précise dans son témoignage. En tenant compte de ces éléments, il apparaît difficile de prétendre à la capacité du travailleur à s’adapter à un nouveau travail qui demande l’utilisation du logiciel Excel pour la mise à jour des fichiers tout comme l’utilisation de la messagerie par Internet pour obtenir les fiches signalétiques. Le fait que le travailleur ait une bonne connaissance des lieux du travail ne permet pas en soi de conclure qu’il a les aptitudes pour exercer un tel travail.
[45] Ceci étant, même si la Commission des lésions professionnelles en venait à la conclusion qu’il s’agisse d’un emploi convenable au sens de la loi, la preuve démontre que le travailleur a une raison valable pour ne pas l’occuper puisqu’au moment où cet emploi lui est offert, il est âgé de 66 ans et il est à la retraite depuis plus d’un an.
[46] Ceci étant, bien que le moment où le travailleur prend sa retraite est l’exercice d’un choix personnel, cela n’est irréconciliable avec l’existence d’une raison valable pour une personne âgée de 65 ans de prendre une telle décision. En effet, dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il ne s’agit pas en soi, d’un prétexte pour ne pas occuper l’emploi proposé par l’employeur.
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2 West et Buanderie-Nettoyeur
de l’Estrie et C.S.S.T., C.A.L.P.
3 Turcotte et Poissonnerie de Cloridorme inc., C.L.P. 276743-01A-0511, 23 octobre 2006, L. Desbois.
4 Boivin
et Dicom Express inc.,
[31] L’employeur considère que les faits rapportés par le premier juge administratif sont conformes à la preuve qui lui a été présentée. Il invoque cependant deux erreurs manifestes et déterminantes à même les conclusions de la décision qui a été rendue le 30 octobre 2008.
[32] L’employeur soutient que la conclusion énoncée au paragraphe 44 de la décision dont la révision est demandée ne prend aucunement appui sur la preuve et s’avère même contraire à celle-ci. Il affirme que la preuve n’a nullement démontré l’incapacité du travailleur de s’adapter au nouveau travail offert par l’employeur qui implique l’utilisation d’outils informatiques désormais universels et qui ne requiert qu’une formation minimale selon le témoignage de monsieur Hébert. Par sa conclusion à l’effet qu’il ne s’agit pas d’un emploi convenable pour le travailleur, le premier commissaire donne davantage écho au désintéressement du travailleur pour le marché du travail qu’à sa capacité réelle d’exercer l’emploi dont les outils ne sont pas rébarbatifs pour la grande majorité de la population. La preuve a révélé au contraire que cet emploi permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle et aussi ses qualifications professionnelles étant donné sa grande connaissance du garage en tant que mécanicien d’expérience.
[33] Un tel motif doit être écarté. La conclusion du premier commissaire suivant laquelle l’emploi offert par l’employeur n’est pas un emploi convenable pour le travailleur est fondée sur la preuve qui lui a été soumise.
[34] Le paragraphe 44 de la décision dont la révision est demandée ne doit pas être lu de façon cloisonnée mais en lien avec l’ensemble de la décision. À la lecture plus globale de celle-ci, plus particulièrement aux paragraphes 40 et suivants, il appert que le premier juge administratif analyse le caractère « convenable » de l’emploi offert à la lumière de la preuve qui lui a été présentée et de la notion d’« emploi convenable » telle que définie à l’article 2 de la loi ainsi qu’à la jurisprudence s’y rapportant.
[35] Aux paragraphes 42 et 43, le premier juge administratif affirme, en s’appuyant sur la jurisprudence en la matière, qu’un emploi est approprié s’il respecte autant que faire se peut les intérêts et les aptitudes du travailleur. Cette condition tient compte des réalités individuelles qui ont pour effet de particulariser la situation du travailleur et ne peuvent être couvertes par les autres caractéristiques de la notion d’emploi convenable.
[36] C’est dans l’analyse de la preuve au regard plus précisément de la première condition de la notion d’« emploi convenable » que le premier juge administratif conclut, au paragraphe 44, qu’il lui apparaît difficile de prétendre à la capacité du travailleur de s’adapter à un nouveau travail qui demande l’utilisation du logiciel Excel pour la mise à jour des fichiers en plus de la messagerie par Internet pour obtenir les fiches signalétiques.
[37] Une telle conclusion prend appui tant sur la loi et la jurisprudence pertinente que sur la preuve documentaire et les précisions données par le travailleur à l’audience à l’effet notamment que ce dernier est âgé de 66 ans, qu’il est un employé manuel et qu’il n’est pas familier avec l’ordinateur. À cette énumération non exhaustive des faits mis en preuve s’ajoutent d’autres précisions que rapporte le premier juge administratif au paragraphe 33 de sa décision, à savoir que le travailleur a une 9e année de scolarité et qu’il n’a aucune formation en santé et sécurité.
[38] La conclusion du premier juge administratif à l’effet que l’emploi de préposé à la mise à jour du SIDMUT offert par l’employeur ne constitue pas un emploi convenable au sens de la loi ne se fonde pas sur une absence de preuve et n’est pas non plus contraire à la preuve. Il n’y a pas d’erreur manifeste et déterminante qui ait été démontrée à même l’analyse de la preuve par le premier juge administratif.
[39] L’employeur aurait souhaité que le premier juge administratif retienne plutôt le témoignage de monsieur Hébert selon lequel la grande connaissance du milieu qu’a le travailleur constitue un avantage pour exercer l’emploi offert et qu’il conclue ainsi à un emploi approprié permettant au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles. Le premier juge administratif a bel et bien considéré ce témoignage qu’il écarte en précisant qu’un tel avantage ne permet pas en soi de conclure que le travailleur a les aptitudes requises pour exercer l’emploi offert. Ce faisant, le premier juge administratif dispose de la preuve dont il était saisi à l’intérieur de sa compétence.
[40] L’employeur, à même l’argumentation et la jurisprudence qu’il dépose au présent tribunal, souhaite une autre interprétation non seulement des faits mais aussi du droit en ce qui a trait aux caractéristiques mêmes de la notion d’emploi convenable, ce que ne permet pas le recours en révision. Comme le rappellent les récents jugements de la Cour d’appel, il n’appartient pas au tribunal siégeant en révision de réapprécier la preuve pour accorder un poids différent aux éléments qui ont déjà été analysés par le premier juge administratif. Ce n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer sa propre interprétation des faits et du droit à celle du premier juge administratif.
[41] En concluant que l’emploi offert par l’employeur n’est pas un emploi convenable pour le travailleur, le premier juge administratif disposait de la question en litige.
[42] Le premier juge administratif ajoute, à titre subsidiaire, que même s’il avait jugé qu’il s’agissait d’un emploi convenable pour le travailleur, ce dernier avait une raison valable pour refuser de l’occuper.
[43] Ce motif subsidiaire fait l’objet de la seconde erreur manifeste et déterminante soulevée par l’employeur à l’appui de sa requête en révision. L’employeur soutient que le premier juge administratif n’explique pas pourquoi la prise de la retraite, qui constitue une décision personnelle de la part du travailleur, est une raison valable pour ne pas occuper l’emploi offert. En outre, cette seule raison ne peut trouver appui dans la loi puisque l’indemnité de remplacement du revenu vise d’abord et avant tout à compenser la perte de capacité de travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle. Celui-ci a donc l’obligation d’occuper un emploi convenable disponible chez l’employeur.
[44] Un tel motif ne peut non plus être retenu en l’instance.
[45] On ne peut reprocher au premier juge administratif sa motivation succincte, d’autant plus que celle-ci porte sur une conclusion subsidiaire. Le fait que le travailleur soit âgé de 66 ans et retraité depuis un an au moment où l’employeur lui offre un emploi qu’il a créé pour lui constitue, selon le premier juge administratif, une raison valable pour ne pas occuper cet emploi. Il s’agit certes d’une motivation brève mais intelligible et donc motivée.
[46] L’employeur n’est pas d’accord avec le fait que la retraite puisse constituer une raison valable pour refuser d’occuper un emploi convenable offert par l’employeur en vertu de l’article 53 de la loi. La nature et l’étendue des arguments qu’il soulève en révision visent à réitérer et à parfaire de surcroît son argumentation afin d’obtenir une autre interprétation du droit applicable, ce qui constitue un appel déguisé.
[47] En outre, l’abondante jurisprudence que dépose l’employeur au présent tribunal sur la notion de « refus sans raison valable » d’exercer un travail offert par l’employeur, notion que l’on retrouve tant aux articles 49 et 53 qu’à l’article 142 de la loi, comporte des interprétations divergentes. Des décisions fort motivées sont compatibles avec la thèse retenue par le premier juge administratif[6]. Il appert de ces décisions que la retraite constitue non seulement une raison valable pour le travailleur de refuser de faire le travail offert par l’employeur mais aussi une renonciation implicite de l’employeur, qui a consenti au droit à la retraite du travailleur, d’offrir à celui-ci un travail alors que le lien d’emploi est rompu, et ce, même si les parties conservent leur statut d’employeur et de travailleur aux fins de l’application de la loi. Selon cette interprétation jurisprudentielle, la prise de la retraite entraînant la rupture du lien d’emploi fait en sorte que le travailleur n’est plus un salarié et que l’employeur ne peut plus exiger de prestation de travail de sa part, que ce soit dans son travail régulier ou dans une assignation modifiée.
[48] Dès lors, la conclusion subsidiaire émise par le premier juge administratif ne comporte aucune erreur manifeste puisqu’elle repose sur les faits et le droit applicable. Il n’y a pas lieu de substituer à cette première opinion une autre opinion ni plus ni moins défendable. L’erreur alléguée par l’employeur ne pouvait, au surplus, avoir un effet déterminant sur l’issue du litige. En concluant que l’emploi offert par l’employeur n’est pas un emploi convenable pour le travailleur, le premier juge administratif disposait de la question dont il était saisi. Une telle conclusion emportait le sort de la décision.
[49] Considérant ce qui précède, le présent tribunal conclut que la décision dont la révision est demandée ne comporte aucun vice de fond de nature à l’invalider. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par R.T.C. Garage, l’employeur.
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Geneviève Marquis |
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Me Georges-Étienne Tremblay |
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C.S.N. |
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Représentant du travailleur |
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Me Serge Belleau |
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GAGNÉ, LETARTE |
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Représentant de l’employeur |
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Me Julie Rancourt |
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PANNETON, LESSARD |
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Représentante de la CSST |
[1] Franchellini
et Sousa,
[2] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve,
[3] Bourassa c. Commission
des lésions professionnelles,
[4]
[5] CSST c. Touloumi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.
[6] Voir plus particulièrement Société de Transport de
Montréal et Denis,
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