Y.G. c. K.V. |
2014 QCCS 5790 |
JB4255 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE QUÉBEC |
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N° : |
200-17-019182-138 |
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DATE : |
2 décembre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ALAIN BOLDUC, J.C.S. |
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Y... G..., personnellement et en sa qualité de tuteur à sa fille X, domicilié et résidant au […], Ville A, Québec, […] |
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Et |
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A... T..., personnellement et en sa qualité de tutrice à sa fille X, domiciliée et résidant au […], Ville A, Québec, […] |
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Demandeurs |
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c. |
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K... V..., domiciliée et résidant au […], Ville B, |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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sur requête en injonction permanente |
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INTRODUCTION
[1] M. Y... G... et Mme A... T..., parents adoptifs de l’enfant mineure X, présentent une requête en injonction permanente contre Mme K... V..., la mère biologique de cette enfant, dont les conclusions recherchées sont les suivantes :
PRONONCER une ordonnance d’injonction permanente enjoignant à la défenderesse ainsi que toute autre personne ayant connaissance de cette ordonnance sous peine que de droit de:
CESSER immédiatement et jusqu’à l’atteinte de sa majorité toutes utilisations du nom, de l’image et de tous renseignements nominatifs et confidentiels relatifs à l’enfant X née le […] 2010, et ce, par l’entremise d’internet, de réseaux sociaux, de journaux, de radio, de télévision ou de toutes autres formes de manifestations publiques ou d’impression destinée à une diffusion publique;
CESSER immédiatement et de façon permanente toutes utilisations à quelque fin que ce soit du nom, de l’image et de tous renseignements nominatifs et confidentiels relatifs aux demandeurs;
S’ABSTENIR d’inciter, d’encourager, d’aider ou d’autoriser de quelque façon que ce soit, toute personne à faire ou à tenter de faire les actes ci - haut mentionnés;
ORDONNER à la défenderesse de détruire tout support, qu’il soit électronique, audio, vidéo ou papier contenant des parties ou la totalité du contenu du blog : pour le retour d’X, du Facebook : pour le retour d’X « adoption et dépression », du Facebook : K... V..., des émissions radio visées par P-12 et P-13, des émissions télévisuelles visées par P-6 et P-14 et de tout autre information ayant été publiée et diffusée en contravention des règles de confidentialité et INTERDIRE à la défenderesse d’être en possession de tel support.
LES FAITS
[2] Le 17 mai 2010, alors qu’elle est hospitalisée en psychiatrie afin d’être traitée pour sa dépression à la suite d’une tentative de suicide durant sa grossesse, Mme V... donne naissance à X, une enfant née d’une liaison avec M. S… G…, le frère de M. G....
[3] Mais le 20 mai 2010, puisqu’elle ne peut prendre soin de son enfant à cause de sa maladie et que le père biologique demeure à l’étranger et ne veut pas s’en occuper, Mme V... accepte de signer un consentement général à l’adoption afin que son enfant soit confiée à une seule famille, après avoir obtenu l’assurance qu’elle pourrait éventuellement le révoquer.
[4] C’est ainsi que l’enfant intègre une famille d’accueil quelques jours après sa naissance.
[5] Au cours de l’été 2010, désirant que l’enfant demeure dans sa famille élargie, M. G..., son oncle paternel, poursuit des démarches auprès de la Direction de la protection de la jeunesse (la DPJ) afin de l’adopter avec Mme T..., sa conjointe.
[6] Le 1er septembre 2010, à la suite d’une requête présentée par la DPJ en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse[1] (la LPJ), la Cour du Québec déclare que la sécurité et le développement de l’enfant sont compromis dans son milieu parental, suspend l’exercice de certains attributs de l’autorité parentale des parents et confie la garde de l’enfant aux demandeurs pour une période d’un an.
[7] Au début de l’automne 2011, après s’être remise de sa dépression et avoir recommencé à assumer la garde partagée de ses deux autres jeunes enfants nés d’un autre père, Mme V... décide de reprendre X.
[8] Mais par jugement rendu le 12 octobre 2011, la Cour du Québec déclare que l’enfant est admissible à l’adoption et accorde aux demandeurs le droit d’exercer l’autorité parentale à son égard.
[9] Le 17 octobre 2011, lorsqu’elle rencontre un représentant de la DPJ pour demander de révoquer son consentement à l’adoption, Mme V... apprend l’existence de ce jugement.
[10] Dès lors, le 3 novembre 2011, elle introduit une requête en rétractation de jugement et en restitution de l’enfant.
[11] Le 9 mai 2013, appelée à statuer uniquement sur le volet portant sur la rétractation à la suite de l’amendement de la requête, la Cour du Québec rejette la requête en rétractation de jugement de Mme V... en indiquant qu’elle pourra demander la restitution de son enfant avant l’ordonnance de placement.
[12] Désemparée, Mme V... décide de raconter son histoire publiquement par l’entremise d’un blogue et de deux sites Facebook et en participant à une manifestation de même qu’à des émissions de radio et de télévision.
[13] Le 23 octobre 2013, la Cour du Québec rend une ordonnance de placement de l’enfant en vue de son adoption par les demandeurs, de sorte qu’ils deviennent ses tuteurs légaux à compter de cette date.
[14] Le même jour, Mme V... introduit une déclaration en restitution de l’enfant ainsi qu’une requête en rétractation de l’ordonnance de placement.
[15] Toujours le même jour, puisque Mme V... continue à raconter son histoire publiquement, les demandeurs introduisent contre elle une requête en injonction interlocutoire provisoire, interlocutoire et permanente à laquelle ils joignent une demande d’ordonnance de sauvegarde.
[16] Le 25 octobre 2013, ils obtiennent un jugement prononçant plusieurs ordonnances d’injonction interlocutoire provisoire contre Mme V... pour valoir jusqu’au 4 novembre 2013 à 17 h, sans que leur requête lui ait été signifiée au préalable.
[17] Le 4 novembre 2013, par ordonnance de sauvegarde rendue avec le consentement des parties, les conclusions du jugement du 25 octobre 2013 sont reconduites jusqu’au jugement sur l’injonction interlocutoire.
[18] Le 30 janvier 2014, la Cour du Québec rejette la déclaration en restitution de l’enfant présentée par Mme V...[2].
[19] Partant, le 6 mars 2014, la Cour du Québec rend un jugement prononçant l’adoption de l’enfant par les demandeurs.
[20] Depuis lors, puisqu’elle n’a plus aucun recours pour reprendre son enfant, Mme V... a fait son deuil.
POSITION DES PARTIES
Position des demandeurs
[21] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont le droit de demander les ordonnances d’injonction recherchées contre Mme V....
[22]
D’abord, elle a contrevenu à l’article
[23] Ensuite, elle a porté atteinte au droit à la vie privée des demandeurs et de l’enfant ainsi qu’au droit à l’image de cette dernière, lesquels sont protégés par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] (la Charte).
[24]
Enfin, par analogie avec l’article
Position de la défenderesse
[25] Mme V... soutient qu’il n’y a pas lieu d’émettre les ordonnances d’injonction recherchées par les demandeurs.
[26]
D’abord, quoiqu’elle reconnaisse qu’elle ne peut divulguer ou publier
toute information susceptible d’identifier l’enfant, les demandeurs ou le père
biologique suivant les articles
[27] Ensuite, elle n’avait pas l’intention de divulguer ou publier des renseignements ou des photos permettant d’identifier l’enfant.
[28] De plus, elle n’a divulgué ou publié aucun renseignement permettant d’identifier les demandeurs.
[29] De même, elle n’a poursuivi aucune démarche de sollicitation auprès des demandeurs et personne n’est intervenu de mai à octobre 2013 afin qu’elle cesse ses agissements.
[30] Enfin, en ce qui concerne la demande de destruction de tout support contenant les informations publiées et diffusées en contrevenant aux règles protégeant la confidentialité, elle fait valoir qu’elle n’est aucunement fondée.
[31] Cela dit, Mme V... demande au Tribunal de donner acte de son engagement à ne pas divulguer toute information permettant d’identifier l’enfant et les demandeurs et à ne pas diffuser les photos de l’enfant qu’elle a en sa possession.
ANALYSE
[32]
L’article
582. Les dossiers judiciaires et administratifs ayant trait à l'adoption d'un enfant sont confidentiels et aucun des renseignements qu'ils contiennent ne peut être révélé, si ce n'est pour se conformer à la loi.
Toutefois, le tribunal peut permettre la consultation d'un dossier d'adoption à des fins d'étude, d'enseignement, de recherche ou d'enquête publique, pourvu que soit respecté l'anonymat de l'enfant, des parents et de l'adoptant.
[33]
De façon générale, l’article
815.4. Aucune information permettant d'identifier une partie à une instance ou un enfant dont l'intérêt est en jeu dans une instance ne peut être publiée et diffusée, à moins que le tribunal ou la loi ne l'autorise ou que cette publication et cette diffusion ne soient nécessaires pour permettre l'application d'une loi ou d'un règlement.
En outre, le juge peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, pour le temps et aux conditions qu'il estime justes et raisonnables, la publication ou la diffusion d'informations relatives à une audience du tribunal.
[34]
Quant aux articles
11.2. Les renseignements recueillis dans le cadre de l'application de la présente loi concernant un enfant ou ses parents et permettant de les identifier sont confidentiels et ne peuvent être divulgués par qui que ce soit, sauf dans la mesure prévue au chapitre IV.1.
11.2.1. Dans le cadre de la présente loi, nul ne peut publier ou diffuser une information permettant d'identifier un enfant ou ses parents, à moins que le tribunal ne l'ordonne ou que la publication ou la diffusion ne soit nécessaire pour permettre l'application de la présente loi ou d'un règlement édicté en vertu de celle-ci.
En outre, le tribunal peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, aux conditions qu'il fixe, la publication ou la diffusion d'informations relatives à une audience du tribunal.
[35]
En ce qui concerne la
confidentialité du dossier de la Cour du Québec en matière de protection de la
jeunesse, elle est assurée spécifiquement par les articles
[36] L’article 5 de la Charte, quant à lui, protège le droit à la vie privée, ce qui inclut le droit à l’image[4] :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
[37]
En l’espèce, il est manifeste que Mme V... a contrevenu aux articles
[38] En conséquence, il y a lieu d’émettre des ordonnances d’injonction afin que ces agissements ne se reproduisent pas, jusqu’à ce que l’enfant soit majeure.
[39]
Toutefois, ces ordonnances n’empêcheront pas Mme V... de raconter son
histoire publiquement. Quoique les termes utilisés à l’article
[40] Par ailleurs, puisque Mme V... l’a demandé à l’audience, le Tribunal donnera acte de son engagement à ne pas divulguer d’information permettant d’identifier les demandeurs[5].
[41] Cela dit, le Tribunal rejette la demande de destruction de tout support contenant les informations publiées et diffusées illégalement par Mme V.... Elle ne repose sur aucune base juridique.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] ACCUEILLE partiellement la requête en injonction permanente des demandeurs;
[43] ORDONNE à Mme K... V... de ne pas utiliser l’image et le nom d’X ni aucun renseignement contenu dans les dossiers administratifs et judiciaires de protection de la jeunesse et d’adoption qui permettrait d’identifier X, et ce, par l’entremise d’Internet, des réseaux sociaux, des journaux, de la radio, de la télévision ou de toute autre forme de manifestation publique ou d’impression destinée à une diffusion publique, tant que cette enfant ne sera pas majeure;
[44] DONNE ACTE à Mme K... V... de son engagement à ne pas divulguer toute information permettant d’identifier les demandeurs et lui ORDONNE de respecter cet engagement;
[45] ORDONNE à Mme K... V... de ne pas inciter, encourager, aider ou autoriser toute personne à commettre ou tenter de commettre les actes ci-devant mentionnés;
[46] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ ALAIN BOLDUC, j.c.s. |
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Y... G... |
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A... T... |
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Demandeurs |
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Personnellement |
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Me Jacqueline Bissonnette |
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Poudrier, Bradet |
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Avocats de la défenderesse |
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Dates d'audiences : |
5 et 6 novembre 2014 |
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[1] RLRQ, c. P-34.1.
[2] La Cour du Québec ne se prononce pas sur la requête en rétractation de l’ordonnance de placement, car elle est devenue sans objet.
[3] RLRQ, c. C-12.
[4]
Aubry c. Éditions Vice-Versa inc.,
[5] Si Mme V… n’avait pas pris cet engagement, le Tribunal n’aurait émis aucune ordonnance à l’égard des demandeurs. Car ils n’ont administré aucune preuve démontrant qu’elle a diffusé ou publié des renseignements qui auraient permis de les identifier.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.