Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Arrondissement Villeray/St-Michel/Parc-Extension

2012 QCCLP 4509

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

16 juillet 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

466001-71-1203

 

Dossier CSST :

133371831

 

Commissaire :

Lina Crochetière, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

Arrondissement Villeray / St-Michel / Parc-Extension

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 20 mars 2012, l’Arrondissement Villeray / St-Michel / Parc-Extension dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 mars 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 7 février 2012 et refuse la demande de transfert de coûts formulée en vertu des articles 327 et 31 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) dans le cadre du dossier de madame Nicole Brunet (la travailleuse).

[3]           L’audience est tenue à Montréal le 11 avril 2012. L’employeur est présent et représenté. La cause est prise en délibéré le même jour.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande que l’ensemble des coûts[2] après le 18 décembre 2008 (date où des signes du syndrome douloureux régional complexe[3] sont observés pour la première fois) soit imputé aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Le 12 juin 2008, la travailleuse se blesse au poignet gauche dans le cadre de son travail de magasinière.

[6]           Le 13 novembre 2008, en relation avec cette lésion, elle subit une chirurgie consistant en une synovectomie, réparation du ligament antérieur du fibro-cartilage triangulaire et ostéotomie de résection du dôme cubital à la scie oscillante. À la suite de cette chirurgie, le poignet est immobilisé par attelle plâtrée. Après l’enlèvement du plâtre, la travailleuse accuse des symptômes de syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche.

[7]           Le 18 décembre 2008, le docteur Bernard Chartrand, médecin qui a charge de la travailleuse, constate des signes de ce syndrome et pose le diagnostic. La travailleuse est ensuite spécifiquement traitée pour ce syndrome, le tout tel qu’il appert de la décision rendue le 20 juillet 2010 dans le dossier CLP 365707-71-0812 et autres, dont voici les extraits pertinents :

[32]      Le 13 novembre 2008, date de la récidive, rechute ou aggravation alléguée, le docteur Brutus effectue cette chirurgie consistant en une synovectomie au poignet gauche, réparation du ligament antérieur du fibro-cartilage triangulaire et ostéotomie de résection du dôme cubital à la scie oscillante, le tout en raison d’un syndrome d’impaction cubitale avec déchirure du fibro-cartilage triangulaire et synovite post-traumatique. À la suite de cette chirurgie, une attelle plâtrée est installée. La travailleuse témoigne qu’après l’enlèvement du plâtre, elle présente des signes de syndrome douloureux régional complexe.

 

[33]      Le 18 décembre 2008, le docteur Chartrand écrit qu’il observe des signes de syndrome douloureux régional complexe. Le 16 janvier 2009, le docteur Brutus fait aussi cette constatation et réfère la travailleuse en clinique de la douleur, prescrivant, dans l’intervalle, de l’ergothérapie et de la physiothérapie.

 

[34]      Le 3 février 2009, la travailleuse est examinée par la docteure Aline Boulanger, anesthésiologiste de la Clinique antidouleur du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Cette dernière constate plusieurs signes (diminution des mouvements, allodynie au dos de la main et dans la paume, hypoesthésie à la piqûre, aspect cireux de la peau avec changement de couleur, augmentation de la pilosité, ongles plus longs, œdème) et confirme le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe de type 1 probable dans un contexte d’accident du travail avec déchirure ligamentaire et chirurgie récente. Elle établit un plan de traitement comprenant différentes modalités thérapeutiques dont de la médication, des blocs stellaires et des blocs veineux.

 

[...]

 

[51]      À la suite de cette chirurgie, la travailleuse a souffert d’une complication, soit un syndrome douloureux complexe régional au membre supérieur gauche attribuable, en toute probabilité, à une réaction à la suite de la chirurgie ou à l’immobilisation plâtrée après la chirurgie. Ce diagnostic est suspecté par les docteurs Chartrand et Brutus et bien démontré et traité par la docteure Boulanger, spécialiste en ce domaine.

 

[52]      La travailleuse a déjà souffert d’un tel syndrome à la suite d’une lésion professionnelle à l’épaule en 1997 et affirme que ce syndrome s’est résorbé sans séquelles et sans symptômes par la suite.

 

[53]      Le syndrome douloureux régional complexe subi en 1997 constitue certainement une prédisposition à en subir d’autres mais la preuve dont dispose le tribunal ne démontre pas si le syndrome de 2008 est une récidive de celui de 1997 ou un nouveau syndrome. Peu importe, pour les fins des présentes, le syndrome douloureux régional complexe constaté le 18 décembre 2008 est en relation avec la lésion professionnelle du 12 juin 2008 et ses conséquences.

 

[...]

 

DÉCLARE que les diagnostics retenus comme étant en relation avec la lésion professionnelle du 12 juin 2008 sont : entorse au poignet gauche, syndrome d’impaction cubitale avec déchirure du fibro-cartilage triangulaire au poignet gauche et syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche;

 

[...]

 

[8]           Le 7 juillet 2011, l’employeur  soumet à la CSST que le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe posé le 13 novembre 2008  est une nouvelle pathologie, distincte de la lésion initiale, qui justifie un transfert de coûts en application des articles 327 et 31 de la loi.

[9]           Le 7 février 2012, la CSST refuse cette demande au motif que la preuve ne démontre pas de blessure ou de maladie survenue par le fait ou à l’occasion d’une activité prescrite dans le cadre de traitements médicaux reçus pour la lésion professionnelle.

[10]        Le 7 mars 2012, l’instance de révision, interprétant la décision précitée de la Commission des lésions professionnelles, confirme la décision initiale refusant le transfert de coûts pour les principaux motifs suivants :

[...]

 

La révision administrative estime que la travailleuse n’a pas subi une blessure ou une maladie par le fait ou à l’occasion des soins qu’elle a reçus ou de l’omission de tels soins.

 

La Révision administrative estime que le diagnostic d’algodysthrophie réflexe est une complication qui découle de la lésion elle-même et de ses conséquences, le tout tel qu’il appert à la décision finale de la Commission des lésions professionnelles rendue le 20 juillet 2010 à laquelle elle est liée.

 

La complication médicale d’algodystrophie réflexe n’est pas reconnue à titre de lésion consécutive à la chirurgie, mais bien consécutive à l’accident du travail et ses conséquences.

 

Généralement, la lésion consécutive à un soin ou l’omission de soins est une nouvelle lésion distincte de la lésion d’origine et n’est pas une conséquence probable.

 

[...]

 

 

[11]        Rappelons que la décision précitée du 20 juillet 2010 de la Commission des lésions professionnelles est rendue en matière de réparation et n’est pas libellée dans le but d’appliquer les dispositions en matière de financement. Il n’y a pas lieu de s’attarder au vocabulaire utilisé mais aux motifs de fond.

[12]        Même si l’article 31 de la loi s’applique en matière de réparation, dans cette cause, la travailleuse n’en demande pas l’application mais demande la reconnaissance du diagnostic de syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche et sa relation causale avec l’événement.

[13]        Au paragraphe 51, la Commission des lésions professionnelles déclare que le syndrome est attribuable, en toute probabilité, à une réaction à la suite de la chirurgie ou à l’immobilisation plâtrée après la chirurgie. Ce qui signifie : attribuable en toute probabilité à des soins reçus pour la lésion professionnelle.

[14]        Au paragraphe 53, la Commission des lésions professionnelles dispose de l’élément de preuve d’un épisode antérieur de syndrome douloureux régional complexe en concluant que, malgré cet élément, l’épisode actuel est en relation causale avec la lésion professionnelle du 12 juin 2008 et ses conséquences.

[15]        Tel que le préconise le courant jurisprudentiel[4] auquel adhère la soussignée, le fait de reconnaître le syndrome douloureux régional complexe en relation avec la lésion professionnelle n’est pas inconciliable avec le fait que cette pathologie puisse découler des soins au sens de l’article 31 et donner éventuellement lieu à un transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

[16]        En matière de financement, l’application du premier paragraphe de l’article 327 de la loi, requiert l’application préalable du premier paragraphe de l’article 31 de la loi qui fait partie des dispositions concernant la réparation. Il arrive régulièrement que la CSST rende des décisions reconnaissant la relation causale d’une pathologie sans se prononcer spécifiquement sur l’application de l’article 31 de la loi.

[17]        Le tribunal a compétence, en vertu de l’article 369 de la loi, pour disposer du recours de l’employeur portant sur l’imputation des coûts et possède, en vertu des articles 377 et 378 de la loi, tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence. De plus, il procède de novo et peut tenir compte de toute preuve pertinente nouvelle, de même que de tout argument nouveau.

[18]        Même si la relation causale du syndrome douloureux régional complexe a été reconnue dans un contexte de réparation, d’indemnisation de la travailleuse, ceci n’est pas une fin de non recevoir pour se prononcer ultérieurement sur la notion plus spécifique prévue au premier paragraphe de l’article 31 afin de permettre à l’employeur l’exercice de son recours en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la loi. Selon les règles d’interprétation et les enseignements des tribunaux supérieurs, il y a lieu d’adopter une approche souple qui favorise l’exercice des droits plutôt que leur négation avant  qu’ils ne puissent être exercés.

[19]        Ainsi, le présent tribunal constate de la preuve que, le 12 juin 2008, survient la lésion initiale au poignet gauche. Aucun signe de syndrome douloureux régional complexe n’est rapporté. Le 13 novembre 2008, la chirurgie est effectuée et suivie d’une immobilisation plâtrée. Le 18 décembre 2008, de façon contemporaine à ces soins, le nouveau diagnostic de syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche est posé après l’enlèvement de l’attelle plâtrée.

[20]        Le tribunal considère que le syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche est un nouveau diagnostic, distinct de la lésion initiale qui est une entorse au poignet gauche à laquelle s’ajoute un syndrome d’impaction cubitale avec déchirure du fibro-cartilage triangulaire. Ce syndrome douloureux régional complexe n’apparaît pas à la suite de l’événement du 12 juin 2008 mais bien à la suite de la chirurgie du 13 novembre 2008 et de l’immobilisation plâtrée.

[21]        Ce syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche correspond à une maladie survenue par le fait ou à l’occasion de soins reçus pour la lésion professionnelle au poignet gauche, le tout conformément au premier paragraphe de l’article 31 de la loi.

[22]        La demande l’employeur, d’imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison de ce syndrome, en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la loi, est justifiée et accordée.

[23]        Cependant, il n’y a pas lieu d’accorder cette demande pour l’ensemble des coûts après le 18 décembre 2008, comme le réclame l’employeur, mais pour les seuls coûts relatifs au syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche reconnu à titre de lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, Arrondissement Villeray / St-Michel / Parc-Extension;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les coûts relatifs au seul syndrome douloureux régional complexe au membre supérieur gauche, après le 18 décembre 2008, doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

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Lina Crochetière

 

 

Me Anne Lemire

GROUPE SANTÉ PHYSIMED

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c.A-3.001.

[2]           Il y a lieu de mentionner que, le 21 juillet 2010, la Commission des lésions professionnelles (CLP 399392-71-0912) déclare que le coût des prestations d’assistance médicale pour la période du 12 juin 2008 au 17 octobre 2008 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités en application du second alinéa de l’article 327 de la loi. De plus, le 8 septembre 2011, la CSST accorde un partage de coûts de l’ordre de 5 % à l’employeur et 95 % aux employeurs de toutes les unités en application de l’article 329 de la loi.

[3]           Le tribunal précise que le terme « algodystrophie réflexe » a été remplacé par celui de « syndrome douloureux régional complexe » qu’il est préférable d’utiliser.

[4]           Voir notamment : E.P. Poirier ltée, C.L.P. 360262-62A-8010, 25 août 2009, C. Burdett; Hydro-Québec, C.L.P. 397900-08-0912, 26 juillet 2010, P. Champagne; Laiterie Chalifoux, C.L.P. 375141-62B-0904, 28 septembre 2010, M. Watkins; Société de transport de Montréal, 2011 QCCLP 2256 ; Service sinistre Outaouais, 2011 QCCLP 6692 .

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