Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

7 février 2006

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

164091-64-0106

 

Dossier CSST :

116586108

 

Commissaire :

Me Jean-François Martel

 

Membres :

Alain Allaire, associations d’employeurs

 

Fernand Daigneault, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Luc Roy

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Molson Canada (Québec)

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 20 juin 2001, monsieur Luc Roy (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 mai 2001, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST

Ø      déclare sans objet la demande de révision de la décision rendue le 31 mars 2000 qui refusait de reconnaître le nouveau diagnostic de souris articulaire au coude droit comme étant en relation avec l’événement survenu le 18 juin 1999 (dossier R - 116586108‑00003) ;

Ø      confirme sa décision rendue le 30 novembre 2000 en application de l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale et déclare que le diagnostic de la lésion est celui d’épicondylite au coude droit, que les soins et traitements ne sont plus justifiés depuis la date de consolidation du 17 novembre 2000, qu’elle doit donc cesser de les payer, que la lésion n’a pas entraîné une atteinte permanente, mais a entraîné des limitations fonctionnelles et que le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la Commission se prononce sur sa capacité à exercer un emploi (dossier R-116586108-00004) ;

Ø      confirme sa décision du 17 janvier 2001 et déclare que le travailleur ne peut se voir rembourser les frais de déneigement pour l’année 2000‑2001 (dossier R-116586108-00005) ; et

Ø      déclare irrecevable la demande de révision de la décision du 3 janvier 2001 (dossier R-116586108-00006).

[3]                Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue, les 2 juin et 12 décembre 2005, à Saint-Jérôme.  Quant à Molson Canada (Québec) (l’employeur), il a avisé le tribunal, par lettre du 30 mai 2005, qu’il ne serait pas représenté à l’audience ; une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans un autre dossier était jointe.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande de déclarer recevable sa demande de révision du 6 avril 2001 déposée à l’encontre de la décision rendue le 3 janvier 2001.

[5]                Sur le fond, le travailleur demande de déclarer que l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit doit être calculée sur la base du maximum annuel assurable à l’époque pertinente, soit la somme de 50 500,00 $.

[6]                Le travailleur s’est désisté devant le tribunal de tous les autres volets de sa contestation.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a demandé et obtenu des membres qui ont siégé avec lui leur avis motivé sur la question faisant l’objet de la contestation.

[8]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis de relever le travailleur de son défaut  d’exercer son recours en révision dans le délai prescrit par la loi et de déclarer recevable sa demande de révision du 6 avril 2001.

[9]                Les membres issus sont également tous deux d’avis qu’il n’y a pas lieu de réviser la base salariale de calcul des indemnités payables au travailleur en application de l’article 67 de la loi.

[10]           Le membre issu des associations d’employeurs estime qu’il n’y a pas lieu davantage de réviser la base de calcul en application des dispositions de l’article 76 de la loi.

[11]           Le membre issu des associations syndicales ne partage pas cet avis.  Selon lui, l’ouverture de la convention collective avant son échéance prévue constitue une « circonstance particulière », au sens dudit article 76.  Le travailleur a refusé toutes les ententes individuelles de cessation d’emploi qui lui ont été offertes, parce que l’employeur l’avait assuré qu’il demeurerait alors régi par la convention collective.  En concluant ensuite une convention collective qui diminuait son traitement de façon significative, sans son accord, l’employeur a renié son engagement.  C’est donc en application de cet article de la loi, que la contestation doit être accueillie.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]           La décision de la CSST établissant la base de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu payable au travailleur à la somme de 35 360,00 $ porte la date du 3 janvier 2001.  Rien n’indique qu’elle n’a pas été notifiée au travailleur dans les quelques jours suivants, compte tenu du délai habituel de livraison postale.

[13]           Pour sa part, la demande de révision déposée à l’encontre de la susdite décision est datée du 6 avril 2001.

[14]           À la face même de ce qui précède, la demande de révision n’a pas été faite dans le délai de 30 jours prescrit par l’article 358 de la loi :

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.

 

 

[15]           L’article 358.2 de la loi permet de relever une personne des conséquences de son défaut de respecter le délai prévu à l’article 358, s’il est démontré que la demande de révision n’a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

[16]           Le tribunal juge qu’un tel motif raisonnable a été démontré en l’espèce.

[17]           En effet, il ressort de la preuve offerte, notamment de l’affidavit souscrit par le représentant du travailleur à l’époque pertinente, que mandat de présenter ladite demande de révision a été confié en temps utile.  Mais, à la suite d’un imbroglio dont le travailleur n’est nullement responsable, la demande n’a pas été effectivement déposée.  Lorsque le travailleur a été informé de l’erreur, le délai légal était déjà expiré ; il a toutefois fait diligence pour que la procédure soit acheminée à la CSST dans les plus brefs délais.

[18]           Le travailleur n’a donc pas fait preuve de négligence ou de désintéressement à l’égard de l’exercice de son recours.  Il avait, au contraire, tout lieu de croire que ses instructions initiales avaient été suivies.  Informé du défaut de son mandataire, il a aussitôt entrepris de le faire corriger dans la mesure de ses possibilités.

[19]           Dans ces circonstances, le tribunal relève le travailleur des conséquences de son défaut de respecter le délai imparti par l’article 358 de la loi et déclare que sa demande de révision du 6 avril 2001 est recevable.

[20]           Quant au fond, la procureure du travailleur invoque deux dispositions législatives au soutien de la demande.

[21]           Elle réfère en premier lieu à l’article 67 de la loi ; plus particulièrement au passage qui permet au travailleur de faire la preuve qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de [son] emploi pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité :

67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).

__________

1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.

 

(Le tribunal souligne)

 

 

[22]           En l’espèce, il n’a pas été démontré qu’au cours des douze mois précédant le début de son incapacité, le 18 juin 1999, le travailleur a tiré de son emploi un revenu brut supérieur à celui prévu par son contrat de travail.

[23]           La procureure du travailleur a plutôt soutenu une interprétation selon laquelle l’article 67 permet de prendre en considération un contrat de travail en vigueur au cours de la période de douze mois antérieure au début de l’incapacité.

[24]           Aux fins de l’analyse de l’argument proposé par la procureure du travailleur, il convient de rappeler les éléments de preuve suivants :

Ø      embauché en 1980, le travailleur a été mis à pied en début d’année 1998 pour motif de rationalisation des opérations de l’entreprise ;

Ø      il n’a été rappelé au travail qu’en mars 1999 ;

Ø      selon la convention collective en vigueur de 1995 à 1998 (dont un extrait a été déposé comme pièce T-10), le salaire auquel il avait droit était, en 1998, de 24,35 $ l’heure [assurant une rémunération annuelle de 50 648,00 $) et, en 1999, de 24,85 $ l’heure [soit 51 688,00 $ annuellement] ;

Ø      ce n’est qu’à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective (dont un extrait a été déposé comme pièce T-11), soit le 7 mai 1999, que le salaire horaire du travailleur s’est trouvé réduit à 17,00 $ [produisant un revenu annuel de 35 360,00 $[2]] ;

Ø      le travailleur a subi une lésion professionnelle le 18 juin 1999 entraînant un arrêt de travail immédiat.

[25]           La procureure soutient qu’en application des susdites dispositions de l’article 67 de la loi, il faudrait déterminer le revenu brut du travailleur de la façon suivante : du 18 juin 1998 au 6 mai 1999, en tenant compte des taux horaires successifs de 24,35 $ et 24,85 $, et, pour la période du 7 mai au 18 juin 1999, sur la base d’un taux horaire de 17,00 $.

[26]           Le tribunal ne partage pas cette interprétation, pour les motifs suivants.

[27]           L’expression « qu’il a tiré un revenu brut plus élevé » utilisée par le législateur réfère à une réalité concrète et vérifiable, non pas à une situation purement hypothétique[3].  Il s’agit bien de déterminer le revenu véritable du travailleur au cours de la période en cause, les sommes (ou leur valeur en équivalence) qui lui ont été effectivement versées, le salaire qu’il a « gagné »[4], et non d’établir ce qu’il aurait pu gagner en vertu d’un quelconque contrat d’emploi.

[28]           Dans le présent cas, la différence entre la réalité et la fiction est d’autant plus saisissante que le travailleur n’a travaillé que pendant un peu plus de trois mois sur les douze compris dans la période de référence.  L’interprétation suggérée par sa procureure implique qu’en vertu de son contrat d’emploi, le travailleur aurait été pleinement rémunéré en dépit de sa mise à pied.  Or, dans le cadre de la démonstration permise au travailleur aux fins d’établir un revenu plus élevé que celui prévu par son contrat de travail, « pour que les sommes visées [au second alinéa de l’article 67 de la loi] soient incluses ou ajoutées dans le calcul du revenu brut, il doit s’agir de sommes obtenues en contrepartie d’une prestation de travail »[5].

[29]           D’autre part, l’interprétation soutenue par la procureure du travailleur revient en fait à utiliser la règle générale énoncée à l’article 67 de la loi (« le revenu brut d’un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail »), mais à une époque différente de celle visée par cet article.

[30]           En effet, le « revenu brut » dont il est question à l’article 67 de la loi sert à déterminer le « revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi » mentionné à l’article 63, ce dernier servant lui-même à calculer l’indemnité de remplacement du revenu (suivant l’article 45) payable au travailleur victime d’une lésion professionnelle.

[31]           La détermination du revenu brut est donc à la base du processus établi par le législateur en vue de compenser la victime de l’incapacité « d’exercer son emploi en raison » de la lésion professionnelle subie, le tout conformément à l’article 44 de la loi.

[32]           Il découle de l’objectif même poursuivi par les dispositions pertinentes de la loi que le « revenu brut » mentionné à l’article 67 est celui que le travailleur tire au moment où survient sa lésion professionnelle, car c’est à ce moment précis qu’il faut se situer pour fixer les divers paramètres servant à calculer l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle la victime a droit.  Il en a été décidé ainsi en regard de l’article 63 pour identifier la « situation familiale » pertinente[6] et, en regard de l’article 44, pour déterminer quel est l’« emploi » à considérer[7].

[33]           La lecture des articles 69 et 70 de la loi amène à la même conclusion[8] :

69. Le revenu brut d'un travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle est celui qu'il tirait de l'emploi par le fait ou à l'occasion duquel il a été victime de cette lésion, déterminé conformément à l'article 67.

 

Ce revenu brut est revalorisé au 1er janvier de chaque année depuis la date où le travailleur a cessé d'occuper cet emploi.

__________

1985, c. 6, a. 69.

 

 

70. Le revenu brut d'un travailleur qui subit une récidive, une rechute ou une aggravation est le plus élevé de celui qu'il tire de l'emploi qu'il occupe lors de cette récidive, rechute ou aggravation et du revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente.

 

Aux fins de l'application du premier alinéa, si la récidive, la rechute ou l'aggravation survient plus d'un an après le début de l'incapacité du travailleur, le revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente est revalorisé.

__________

1985, c. 6, a. 70.

 

(Le tribunal souligne)

 

 

 

[34]           L’interprétation ici soutenue par la procureure du travailleur suggère de retenir le revenu brut prévu à un contrat de travail en vigueur à une certaine époque (pièce T-10), mais qui ne l’était plus au moment où le travailleur a subi sa lésion.  En effet, le contrat d’emploi du travailleur en vigueur le 18 juin 1999, depuis le 7 mai précédent, prévoyait un salaire horaire de 17,00 $.

[35]           Or, ainsi qu’il a été décidé par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bergeron et Molson Canada[9], aux fins de l’article 67 de la loi, le revenu brut prévu par le contrat de travail d’un travailleur est celui déterminé par la convention collective en vigueur « lors de la lésion professionnelle ».

[36]           Pour ces motifs, l’argumentation fondée sur l’article 67 de la loi ne saurait être retenue.

[37]           La procureure du travailleur plaide ensuite que l’indemnité de son client devrait être calculée sur une base plus élevée que celle retenue par la CSST, en raison des dispositions de l’article 76 de la loi :

76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

 

 

Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

__________

1985, c. 6, a. 76.

 

 

[38]           Pour que cet article trouve application, deux conditions doivent être réalisées : 1) que le travailleur soit incapable d’exercer son emploi pendant plus de deux ans en raison de sa lésion professionnelle, et 2) qu’il soit démontré que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières.

[39]           Le dossier confectionné aux fins de l’audition du présent recours ne comporte aucune décision par laquelle la CSST statue sur la capacité du travailleur à exercer son emploi.  Mais, il appert de la lettre de cessation définitive d’emploi en date du 24 septembre 2001 déposée comme pièce T-8 que la CSST a effectivement déclaré, le 1er août 2001, soit plus de deux ans après la survenance de la lésion professionnelle, que le travailleur était incapable d’exercer son emploi :

Suite à votre accident du travail survenu le 18 juin 1999, vous êtes demeuré avec des limitations fonctionnelles permanentes qui selon votre rang d’usine ne vous permet pas d’occuper un emploi pour Molson Canada, région du Québec.

 

Plusieurs démarches ont été entreprises en collaboration avec la CSST ainsi qu’avec votre syndicat et la situation demeure inchangée en ce qui concerne un emploi convenable au sens de la Loi au sein de Molson Canada.  À ce sujet, la CSST a rendu une décision le 1er août 2001, à l’effet qu’il n’y avait pas d’emploi convenable chez votre employeur et que des démarches allaient être entreprises avec les services responsables de la réinsertion professionnelle pour la détermination d’un autre emploi sur le marché du travail.

 

(…)

 

 

[40]           Aux termes de la loi, la détermination d’un emploi convenable pour le travailleur implique l’incapacité d’exercer son emploi prélésionnel.

[41]           La première exigence de l’article 76 de la loi est donc satisfaite dans le présent cas.

[42]           Qu’en est-il de la seconde ?

[43]           Il convient de préciser que le travailleur n’a pas tenté de démontrer qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur ailleurs que chez l’employeur[10], ou même un emploi différent au sein de la même entreprise.

[44]           Le travailleur n’a pas non plus allégué - ni bien sûr prouvé - qu’on lui aurait proposé un emploi en substance différent de son emploi prélésionnel par le fait que des changements significatifs auraient été apportés à ses conditions de travail bien que le titre d’emploi fut demeuré le même, comme ce fut le cas, par exemple, dans l’affaire Pilon et Restaurant Steak Cie & CSST[11] citée par sa procureure, où la Commission des lésions professionnelles a jugé que « occuper un emploi de serveuse 5 jours/semaine est "un emploi plus rémunérateur" qu’un emploi de serveuse 3 jours/semaine ».

[45]           Dans le présent dossier, la preuve présentée et l’argumentation soumise par le travailleur ont été bien différentes de celles rapportées dans les deux affaires mentionnées précédemment.  Ici, le travailleur s’est employé à convaincre le tribunal que, n’eut été de la conclusion d’une nouvelle convention collective, les conditions monétaires rattachées à son emploi prélésionnel auraient été plus avantageuses qu’elles ne le sont devenues à compter du 7 mai 1999.

[46]           Le tribunal estime que le travailleur n’a pas fait la démonstration requise par l’article 76 de la loi.  Au contraire, la preuve offerte mène plutôt à la conclusion que le travailleur n’aurait pas pu occuper un emploi plus rémunérateur « lorsque s’est manifestée sa lésion », le 18 juin 1999.

[47]           En effet, selon l’extrait de convention collective et la lettre d’entente « 2 » produits en liasse come pièce T-11, la nouvelle convention collective « est en vigueur à compter du 7 mai 1999 jusqu’au 31 décembre 2003 » et « le taux de salaire horaire des employés réguliers en transition est de 17 $/l’heure - ce taux sera majoré de 0,50 $/l’heure à compter du 1er janvier 2002 ».

[48]           Il est acquis que ces dispositions se sont appliquées au travailleur comme à tous les autres salariés (188, au total) « possédant le rang d’usine le plus élevé selon la liste des employés réguliers en date du 1er janvier 1999, excluant les employés du Service technique, de la Centrale thermique et du Parc des véhicules » (article 4 de la lettre d’entente).

[49]           De fait, dès son rappel au travail, en mars 1999, avant même que la nouvelle convention collective soit en vigueur, le salaire horaire du travailleur a été fixé à 17,00 $ et non pas au taux de 24,85 $ prévu à l’ancienne convention.

[50]           De telle sorte qu’il faut conclure qu’en faits comme en droit, le seul salaire que le travailleur pouvait gagner en occupant l’emploi concerné le 18 juin 1999 en était un basé sur un taux horaire de 17,00 $, nul autre.

[51]           L’article 76, comme les autres dispositions d’indemnisation incluses dans la section I du Chapitre III de la loi[12], vise à protéger la capacité de gains sur laquelle le travailleur pouvait « concrètement » compter au moment de la survenance de sa lésion professionnelle[13].  Une situation purement hypothétique ne donne pas ouverture à son application[14].

[52]           Ainsi que l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans sa décision de l’affaire Boudreault et Établissements de détention Québec[15], « il y a une différence entre une démonstration de la possibilité de détenir un emploi plus rémunérateur et la démonstration visant à établir que l’emploi détenu aurait pu être plus rémunérateur en d’autres circonstances ».

[53]           Ici, le travailleur n’a pas tenté la démonstration requise par l’article 76 de la loi, soit qu’il a été privé d’occuper un emploi plus rémunérateur.  Il a tenté de convaincre le tribunal qu’en d’autres circonstances, c’est-à-dire si la nouvelle convention collective n’avait pas été conclue comme elle l’a été, son emploi aurait été mieux rémunéré.

[54]           En outre, le travailleur n’a pas démontré que des « circonstances particulières » l’avaient empêché d’occuper un emploi plus rémunérateur.

[55]           Le tribunal note que dans la jurisprudence rapportée, les circonstances invoquées sont toujours « particulières » au travailleur concerné, en ce que, selon les premiers sens répertoriés aux dictionnaires[16], elles lui sont « personnelles », « propres » et « ne concernent qu’un individu ».

[56]           Les faits de l’espèce sont bien différents.  Le travailleur se plaint ici des dispositions d’une nouvelle convention collective librement conclue par les parties autorisées à le faire en vertu du Code du Travail, lesquelles sont applicables à un grand ensemble de salariés et non pas à lui seul.  Il ne s’agit pas là de « circonstances particulières » au sens de l’article 76 de la loi.

[57]           Par ailleurs, il faut bien reconnaître que si le travailleur n’avait pas subi de lésion professionnelle le 18 juin 1999, il n’aurait pu réclamer meilleur salaire que celui auquel il avait lui-même consenti lors de son rappel au travail en mars précédent et qui, à compter du 7 mai, devenait applicable à tous ses collègues couverts par la convention collective.

[58]           Le tribunal conclut que l’article 76 de la loi ne s’applique pas dans le présent cas.

[59]           La contestation n’est pas fondée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Luc Roy, le travailleur ;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 mai 2001, à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le revenu brut annuel du travailleur devant servir de base de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu payable au travailleur à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 18 juin 1999 est de 35 360,00 $.

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Martel

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Lucille Brisson

Beauchemin, Paquin, Associés

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Christian Beaudry

Ogilvy Renault

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          La base de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu payable au travailleur finalement retenue par la CSST

[3]          Voir : l’extrait du jugement de la Cour Supérieure dans l’affaire Commission Scolaire de l’Or et des Bois c. Prégent (C.L.P.E., 2004LP-236) cité à la page 3 de la décision Massé et CHSLD de la Rive et de Mirabel, 230802-64-0403, 05-10-07, F. Poupart ; le paragraphe [61] de la décision rendue dans Galipeau et Les Puits Bernier Serge inc., 234853-05-0405, 04-12-13, M. C. Gagnon ; Godbout et Performance L.T. inc., [1997] C.A.L.P. 1084 , révision rejetée, 74764‑61-9511, 98-03-13, M. Cuddihy.

[4]          Larochelle et Cascades inc., 129664-05-0001, 05-02-14, L. Boudreault

[5]          Extrait de la décision rendue dans Brassard et Trans-Rive inc. (182939-62-0204, 02-09-11, L. Boucher) citée avec approbation dans Côté et Laudem inc., 239111-08-0407, 04-11-30, R. Savard.

[6]          Payette et Serviplast inc., 148144-61-0010, 01-03-08, G. Morin, (00LP-152) ; Céleste et Groupe Cabano transport, 41625-01-9207, 94-07-08, J.-G. Roy, (J6-19-16) ; Hôtel-Dieu de Rivière‑du‑Loup et Lafresnaye, [1987] C.A.L.P. 660 .

[7]          Alain et Agrivente enr., 165420-32-0107, 01-11-16, G. Tardif ; Boulay et Thomas O'Connell inc., 127819-03B-9912, 00-07-05, M. Cusson, révision rejetée, 01-01-18, G. Tardif ; Hôpital convalescence Julius Richardson et Pal, 103955-71-9807, 99-06-22, A. Suicco

[8]          Succession Raymond Gauthier et Société d'électrolyse et de chimie Alcan ltée, [1997] C.A.L.P. 85 , révision rejetée, 52703-02-9307, 97-07-18, J.-M. Dubois ; St-Cyr et Brasserie Fleurimont, 161511-05-0105, 01-10-29, M. Allard

[9]          150369-62-0011, 01-07-16, L. Vallières

[10]         Comme ce fut le cas dans l’affaire Chagnon et Aventure Électronique (Faillite) & CSST, 187312‑71-0207, 03-02-06, L. Couture, citée par la procureure du travailleur

[11]         215595-62C-0309, 04-10-22, M. Sauvé, p. 6 au paragraphe [36]

[12]        Vachon et Société d'aménagement et de développement forestier de Betsiamites, [1993] C.A.L.P. 1521 , requête en révision judiciaire rejetée, [1996] C.A.L.P. 531 (C.S.), appel rejeté, [2000] C.L.P. 76 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 01‑05‑03, (28098)

[13]        Racine et Les Couvertures Confort 2000 enr., 153826-64-0101, 01-06-15, R. Daniel ; Létourneau et Automobile Transport inc., 126297-61-9911, 01-02-26, G. Morin

[14]        Bériault et Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc., 144182-08-0008, 02-01-17, Monique Lamarre ; Michaud et KPMG inc. (syndic), 126081-31-9911, 00-11-14, R. Ouellet  ; Leclerc et Construction Yvan Fortin (fermé), 88449-03-9705, 98-09-29, M. Carignan ; Boudreault et Établissements de détention Québec, 152376-02-0012, 01-05-08, C. Bérubé ; Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc., 156435-62-0103, 01-06-18, S. Mathieu ; Lalancette et Aimé Moreau (1986) enr. (fermé), 42085-02-9208, 94-10-05, J.-M. Dubois ; Ducharme et Henco inc., 48091-60-9212, 94‑06-20, L. McCutcheon

[15]        Déjà citée à la note 14, p. 8 au paragraphe [34] et citée avec approbation dans Giannakopoulos et Stein, 218362-72-0310, 04-03-31, N. Lacroix

[16]        Voir : Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1993, p. 1596 et Le Petit Larousse Illustré, 1998, p. 751

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.