Décision

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Cozak c. Barreau du Québec

2022 QCCS 1030

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No :

500-17-119607-227

 

 

 

DATE :

  24 mars 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DOMINIQUE POULIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

SAMUEL COZAK

Demandeur

c.

BARREAU DU QUÉBEC

Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 (REJET d’une demande en contrôle judiciaire)

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]                Le demandeur a reçu, le 18 décembre 2020, son certificat d’admissibilité à l’exercice de la profession d’avocat, conformément à l’article 45 de la Loi sur le Barreau[1].

[2]                Or, dans une décision interlocutoire rendue le 13 décembre 2021, le comité d’accès à la profession (le « Comité ») s’estime toujours saisi de sa demande d’inscription au Tableau de l’Ordre déposée le 14 septembre 2020 (la « Décision »[2]).

[3]                Le demandeur soulève l’absence manifeste de compétence du Comité, lequel aurait déjà décidé de son admissibilité à la profession et il demande le contrôle judiciaire de la Décision.

[4]                Le Barreau du Québec soulève qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifie que cette décision interlocutoire soit soumise au contrôle judiciaire de la Cour supérieure à ce stade. Il invoque que le demandeur pourra faire valoir ses arguments, au besoin, une fois que le Comité aura rendu sa décision sur le fond du dossier.

[5]                Pour les motifs qui suivent, le Tribunal donne raison au défendeur et rejette la demande en contrôle judiciaire du demandeur.

ANALYSE

1.                 la PRÉMATURITÉ DE LA demande eN contrôle judiciaire

1.1   Faits pertinents

[6]                Le demandeur dépose une demande d’inscription au Tableau de l’ordre le 14 septembre 2020.

[7]                Le 14 décembre suivant, le Comité suspend l’analyse de cette demande, puisque le demandeur fait l’objet d’une récente condamnation pour voies de fait. La démarche est suspendue dans l’attente des résultats de l’appel de sa condamnation. 

[8]                Malgré tout, un certificat d’admissibilité au Tableau de l’Ordre est signé par le président du Comité, confirmant que le demandeur est admissible à l’exercice de la profession à compter du 18 décembre 2020[3].

[9]                Le demandeur est assermenté en cette date, un permis d’exercice de la profession d’avocat est délivré par le Barreau du Québec [4] et il est inscrit au Tableau de l’Ordre.

[10]           Le Barreau fait valoir que c’est à la suite d’une erreur administrative commise par une employée dans le traitement du dossier que le certificat dadmissibilité a été émis, que le demandeur a été invité à être assermenté et qu’il a ensuite été inscrit au Tableau de l’Ordre malgré la suspension de son dossier.

[11]           Le demandeur soutient ne pas avoir reçu la lettre du Comité l’avisant de cette suspension.

[12]           Le 23 décembre 2020, le demandeur est avisé par le Barreau qu’il n’a pas encore été déclaré admissible à la profession par le Comité et que son inscription au Tableau de l’Ordre est annulée[5].

[13]           Le demandeur entreprend alors une demande en injonction devant la Cour supérieure afin que la décision du Barreau d’annuler son inscription au Tableau de l’Ordre soit déclarée ultra vires et illégale et que son inscription soit confirmée. Cette demande est rejetée aux stades provisoire et interlocutoire[6].

[14]           Parallèlement à ses procédures en injonction, le demandeur demande au Comité de lever la suspension de l’étude de sa demande d’inscription au Tableau de l’Ordre. Ce dossier reprend son cours.

[15]           Dans le cadre d’une conférence de gestion tenue devant le Comité le 30 septembre 2021, le demandeur soulève l’absence de compétence du Comité. Il invoque que son certificat d’admissibilité a été émis suivant une décision qui n’a fait l’objet d’aucune demande de révision ou de contrôle judiciaire et qu’elle est donc finale.

[16]           Le Comité décide de ces arguments dans sa Décision. Il énonce qu’il n’a pas compétence pour déclarer valide le certificat d’admissibilité. Ce litige relève de la compétence de la Cour supérieure, laquelle est saisie de la question dans le cadre de la demande en injonction du demandeur.

[17]           Le Comité s’estime néanmoins saisi de la demande d’inscription au Tableau de l’Ordre du demandeur et de la question de déterminer s’il a les moeurs, la conduite et les qualités requises pour être admis[7].

[18]           Deux jours après la Décision, le demandeur se désiste de sa demande en injonction[8]. Il écrit au Comité qu’aucun débat n’existe autour de l’émission et de la validité du certificat d’admissibilité et que la décision du Comité de décembre 2020 bénéficie d’une présomption de validité absolue[9].

[19]           Ce sont essentiellement les mêmes moyens qu’il réitère dans sa demande de contrôle judiciaire. Il ajoute que la décision qui a mené à l’émission du certificat d’admissibilité a acquis l’autorité de la chose jugée.

1.2   Principes juridiques

[20]           S’agissant d’une décision interlocutoire du Comité, celle-ci ne devrait pas être soumise au contrôle judiciaire de la Cour supérieure à ce stade, à moins qu’elle soit visée par les exceptions maintes fois réitérées en jurisprudence[10], à savoir :

-          L’irrecevabilité flagrante du recours;

-          Une décision aux conséquences importantes et irrémédiables;

-          Une question de droit fondamental que le législateur n’entendait pas confier à l’organisme.

[21]           Le fait que l’irrecevabilité soit fondée sur une question de compétence ne fait pas exception à la règle, à moins d’une absence manifeste de compétence[11].

[22]           Comme l’explique la Cour d’appel dans Société des casinos du Québec c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec[12], le demandeur pourra faire valoir ses arguments une fois que la décision finale sera rendue :

[23] […] il est en effet éminemment préférable que ces décisions interlocutoires ne fassent pas l’objet d’un recours immédiat en contrôle judiciaire. Cette réserve s’impose même en matière d’irrecevabilité, y compris dans le cas où l’irrecevabilité alléguée est fondée sur une question de compétence. La partie qui n’est pas satisfaite de la décision interlocutoire pourra s’en plaindre, le cas échant, une fois qu’aura été rendue la décision finale. Il vaut donc mieux, en principe, attendre le prononcé de celle-ci et contester le tout, au besoin, à ce stade. […]

[Références omises]

1.3   Discussion

[23]           Le demandeur soulève l’absence manifeste de compétence du Comité, vu que celui-ci aurait déjà décidé de son admissibilité à l’exercice de la profession.

[24]           L’argument du demandeur repose essentiellement sur la prémisse que le Comité a rendu une décision qui a conduit à l’émission de son certificat d’admissibilité le 18 décembre 2020, épuisant complètement et totalement sa juridiction.

[25]           Il infère l’existence de cette décision du fait de l’émission du certificat. Il fait aussi valoir que l’article 46 de la Loi sur le Barreau énonce clairement que c’est sur rapport du Comité que le Barreau délivre un permis à un candidat.

[26]           Le demandeur repose son argument sur les principes enseignés par la Cour suprême dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects[13]. Cet arrêt établit comme règle générale que lorsqu’un tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu lapsus ou une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du Tribunal[14].

[27]           Or, les faits tenus en compte dans la Décision ne permettent pas de conclure que le Comité s’est déjà penché sur la question dont il s’estime saisi, à savoir celle de déterminer si le demandeur a les moeurs, la conduite et les qualités requises pour exercer la profession au sens de l’article 45 de la Loi sur le Barreau.

[28]           Les faits que le Barreau fait valoir soutiennent plutôt qu’une employée aurait commis une erreur administrative dans le traitement du dossier, erreur qui aurait donné lieu à l’émission du certificat malgré la suspension de l’analyse par le Comité de la demande d’inscription au Tableau de l’Ordre du demandeur.

[29]           La situation se rapproche des faits étudiés par la Cour d’appel dans Balkan c. Commission des Transports du Québec[15]. Dans cette affaire, le renouvellement d’un permis de transport par la Commission n’a pas privé cette dernière de sa compétence pour entendre la preuve d’allégations relatives à une infraction et décider de sa révocation. Puisque personne n’avait statué définitivement sur la question soumise, le principe functus officio ne pouvait recevoir application.

[30]           Le demandeur ne convainc pas que le principe qu’il soulève pour justifier d’assujettir à ce stade la Décision au contrôle judiciaire du Tribunal trouve application.

[31]           Le Tribunal conclut que la demande en contrôle judiciaire de la Décision interlocutoire du Comité est prématurée et qu’elle doit être rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]           REJETTE la demande en contrôle judiciaire du demandeur;

 

[33]           LE TOUT avec les frais de justice.

 

 

__________________________________DOMINIQUE POULIN, J.C.S.

 

Samuel Cozak

Non représenté

 

Me Geneviève Boisvert

CLYDE & CIE CANADA S.E.N.C.R.L.

Avocate du défendeur

 

Date d’audience :

17 février 2022

 


[1]  Loi sur le Barreau, RLRQ c.B-1.

[2]  Pièce P-3 au soutien de la Demande en contrôle judiciaire pour absence de compétence.

[3]  Pièce P-1.

[4]  Pièce P-2.

[5]  Demande en injonction provisoire-interlocutoire et permanente, dossier 500-17-115098-207.

[6]  Pièces R-3 à R-5.

[7]  Une membre dissidente est d’avis que le Comité ne peut se pencher sur l’admissibilité du demandeur avant que le certificat d’admissibilité ne soit jugé invalide. En ce sens, elle aurait suspendu le dossier dans l’attente de la décision de la Cour supérieure.

[8]  Pièce R-9.

[9]  Pièce P-5.

[10]  Gauthier c. Leduc, 2021 QCCA 578, par. 30; Copti c. Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec, 2021 QCCA 357, par. 7-8; Harvey c. Conseil de discipline du Barreau du Québec, 2020 QCCA 1750, par. 10.

[11]  Conseil de la magistrature du Québec c. Dubois, 2010 QCCA 1864, par. 18; Harvey c. Comité d'enquête formé par une décision du Conseil de la justice administrative du 27 septembre 2011, 2014 QCCA 1210, par. 5; Société des casinos du Québec c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, 2017 QCCA 877. par. 23.

[12]  Société des casinos du Québec c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec, préc., note 11, par. 23.

[13]  Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 RCS 848, p. 41.

[14]  La Cour suprême cite l’arrêt Paper Machinery Ltd. et Al. v. J.O. Ross Engineering Corp. et Al., 1934 CanLII 1 (SCC), [1934] SCR 186.

[15]    1996 CanLlI 6429.

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