Décision

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Gabarit CM

Québec (Ville de) c. Bérubé

2016 QCCM 122

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

N° :

90679514

 

32685866

 

DATE :

18 mai 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JACQUES OUELLET

 

 

______________________________________________________________________

 

 

Ville de Québec

Représentée par

Me Guy Bilodeau

Poursuivante

c.

André Bérubé

Représenté par

Lui-même

et

David Dulac

 

Absent

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L'INFRACTION REPROCHÉE

[1]           On reproche aux défendeurs André Bérubé et David Dulac la participation à une manifestation illégale en contravention de l'article 19.2 du règlement R.V.Q. 1091 de la poursuivante, (ci-après le Règlement).

PRÉAMBULE

[2]           Au procès, trois dossiers ont fait l'objet d'une preuve commune autorisée par le Tribunal.

[3]           Un amendement a été autorisé pour que l'heure de l'infraction se lise 20 h 45 aux trois constats d’infraction.

[4]           Le défendeur David Dulac étant absent, le Tribunal a autorisé qu'il soit procédé par défaut.

[5]           Les défendeurs Bérubé et Dumas ont admis leur identification et que leurs droits constitutionnels de garder le silence et de communiquer avec un avocat ont été respectés lors de leur interpellation.

[6]           La poursuite a présenté sa preuve sur les faits et les défendeurs ont renoncé à se faire entendre sur ces derniers; ils entendaient plutôt se concentrer sur leur requête en inconstitutionnalité de l'article 19.2 du Règlement.

[7]           Un avis d’intention de contester la validité de l’article 19.2 du Règlement a été donné au Procureur général de Québec; ce dernier n’est pas intervenu.

[8]           L’identification du défendeur Dulac a été établie à la satisfaction du Tribunal.

[9]           La preuve étant close sur le fond, le Tribunal a tenu un voir-dire sur la requête des défendeurs. La preuve entendue sur le fond a été versée de consentement dans le voir-dire.

[10]        Il faut préciser qu'en cours de délibéré, le défendeur Michaël Dumas (dossier 90681511) a manifesté l'intention de plaider coupable.

[11]        Conformément à l'article 193 du Code de procédure pénale :

« Le juge peut accepter ou refuser le plaidoyer de culpabilité présenté devant lui par le défendeur avant que le jugement soit rendu. S'il l'accepte, il rend jugement; s'il le refuse, il peut soit ajourner l'instruction, soit la continuer »,

le défendeur Dumas a plaidé coupable devant le soussigné qui a accepté ce plaidoyer, ce qui explique que seuls les numéros des dossiers des défendeurs Dulac et Bérubé apparaissent à l'entête du présent jugement.

HISTORIQUE DE LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE

[12]        Le règlement R.V.Q. 1091 qui porte le titre de Règlement sur la paix et le bon ordre est en vigueur depuis le 19 mars 2009.

[13]        Ce règlement a été amendé par le règlement R.V.Q. 1959 en vigueur le 20 juin 2012.

[14]        Les amendements qui concernent le présent dossier sont l'ajout de la définition du mot manifestation à l'article 1 qui se lit maintenant comme suit :

« 1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

« domaine public » : ensemble des biens administrés par la municipalité, affectés à l’usage général et public;

« endroit public » : un endroit accessible ou fréquenté par le public dont, notamment, un édifice commercial, un centre commercial, un édifice sportif, une bibliothèque, un lieu de culte, une institution scolaire, une cour d’école, un stationnement commercial, un parc, un jardin public;

« manifestation » : un rassemblement, un attroupement ou un défilé de personnes sur le domaine public qui expriment une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause. » (Soulignement ajouté.)

[15]        L'article 19.2 ajouté se lit comme suit :

« Il est interdit à une personne de tenir ou de participer à une manifestation illégale sur le domaine public. Une manifestation est illégale dès que l’une des situations suivantes prévaut :

1° la direction du Service de police de la Ville de Québec n’a pas été informée de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire de la manifestation;

2° l’heure, le lieu ou l’itinéraire de la manifestation dont a été informé le Service de police n’est pas respecté;

3° des actes de violence ou de vandalisme sont commis. »

LA PREUVE DES FAITS

[16]        Manon Lessard est sergente-détective de la police de la Ville de Québec. Le 7 mars 2013, en consultant certains réseaux sociaux, elle y constate qu'une manifestation se tiendrait en soirée avec un rassemblement devant l'Assemblée nationale à 20 heures. Elle dépose sous P-8, un document émanant de Facebook qui constitue l'invitation à l'événement.

[17]        Après vérification, il appert qu'aucun avis n'a été transmis de façon officielle à la Ville ou à la police relativement à la tenue de cette manifestation.

[18]        Vers 17 heures, elle assiste à une réunion de planification pour établir un plan de mobilisation.

[19]        Vers 19 heures, elle se rend devant l'Assemblée nationale accompagnée des collègues Pétrin et Hamel de même qu'un technicien d'identité judiciaire. Une fois sur place, son rôle est celui d'observatrice afin d'éventuellement produire un rapport d'événement.

[20]        Stéphane Boulanger est policier à la Ville de Québec et est technicien en scènes de crime et travaille au service de l'identification judiciaire.

[21]        Le 7 mars 2013, vers 20 heures, il se trouve à l'est de la fontaine de Tourny devant le Parlement. À l'aide d'une caméra, il prend des images de la situation. À l'aide des images captées lors de l'événement (P-9) et visionnées au procès, il explique qu'à 20 h 30, on remarque un petit groupe de personnes sur les lieux. Procédant à un zoom, il identifie les défendeurs Dumas et Bérubé.

[22]        À 20 h 42, le groupe quitte en se dirigeant vers la Grande Allée; le policier Richard Hamel utilise alors un porte-voix et mentionne aux manifestants qu'ils sont dans l'illégalité étant donné le refus de transmettre un itinéraire, et ce, en contravention du règlement municipal.

[23]        À 20 h 47, des individus dont les défendeurs sont interpellés sur la Grande Allée et le policier Hamel fait un autre appel aux personnes présentes de rester sur le trottoir. Le tout se termine dans le calme.

[24]        Richard Hamel est lieutenant à la police de la Ville de Québec et est en charge, notamment de l'unité de contrôle des foules et des manifestations.

[25]        Le 7 mars 2013, après avoir vérifié l'information recueillie sur les réseaux sociaux, il procède à la planification du type d'encadrement qui sera requis pour l'événement.

[26]        Il doit alors s'assurer que les services d'urgence de la Ville fonctionnent normalement, que les gens soient sécurisés et que les droits des citoyens soient respectés.

[27]        Dépendamment si la manifestation est statique ou en mouvement, il doit s'assurer d'avoir les ressources nécessaires.

[28]        Les éléments essentiels qu'il doit considérer sont donc la sécurité pour l'ensemble des citoyens tant pour les gens qui manifestent que pour les usagers de la route et du public en général.

[29]        Le témoin mentionne que lorsque l'itinéraire est connu ou encore si l'on sait que la manifestation sera statique, l'intervention est facilitée. Puisqu'aucune information n'est disponible sauf le point de départ, cela crée un impact éventuel sur tous les services d'urgence soit, les ambulances, les pompiers, la police même que sur d'autres services soit, les autobus et les taxis.

[30]        Dans cette situation, il doit donc ouvrir un Centre d'opérations mission (COM) qui servira de guide sur la route. Des policiers en temps supplémentaire sont alors requis parce qu'il ne doit pas toucher à la patrouille régulière qui agit comme service essentiel.

[31]        La dernière analyse se fait en fonction des piétons, des automobilistes et des autobus.

[32]        Par expérience, il mentionne que dans les manifestations qui circulent sur la voie publique, il fait face à cinq types d'automobilistes :

1.         celui qui est d'accord avec la cause;

2.         celui qui est indifférent;

3.         celui qui est frustré dans son déplacement routinier qui cherche un autre chemin;

4.         le conducteur agressif qui est contre la cause, qui insulte et qui éventuellement peut créer des altercations et voire même des méfaits;

5.         le conducteur qui panique, qui a peur et qui tente de fuir par tous les moyens.

[33]        L’ignorance de l'itinéraire crée de nombreux problèmes de planification des ressources.

[34]        Dans ce contexte, le témoin précise qu’on doit s'ajuster au fur et à mesure du déplacement des personnes et il ajoute qu'il n'y a pas de recette miracle.

[35]        Quand l'itinéraire est connu, il y a un véhicule de tête qui ouvre la marche et un autre qui ferme le cortège.

[36]        Pour le 7 mars 2013, il a fait appel à des motos, à des véhicules de patrouille dans le cadre d'un contrôle de foules et à des autobus transportant des policiers au cas où le besoin se ferait sentir.

[37]        Il se présente sur les lieux proposés vers 19 heures avec les policiers Lessard et Boulanger, les autres unités se mettent en place à 19 h 10.

[38]        Il se rend vers les gens pour discuter et s'organise pour être visible avec les lieutenants Pétrin et Bolduc. Il cherche à connaître l'intention du groupe et savoir s'il y aura un déplacement ou non. À ce moment, la circulation est normale et il n'y a aucune obstruction.

[39]        Les gens arrivent sur les lieux par petits groupes et vers 20 heures, il calcule une cinquantaine de personnes au maximum et se rend compte que personne ne veut lui parler.

[40]        Il confirme que sur obtention d'un itinéraire même à la dernière minute, il est en mesure de s'ajuster même si ce n’est pas la situation idéale. À 20 h 30, son collègue Pétrin est informé que les gens demandent aux policiers et aux journalistes de s'éloigner puisqu'ils veulent tenir une assemblée sur place pour décider si l'itinéraire sera dévoilé.

[41]        Il apprend éventuellement que le vote est négatif sur ce point et le groupe se met en marche en se dirigeant vers le sud, en scandant des slogans.

[42]        Au moment où le groupe se met en marche, il récupère son porte-voix électronique à forte intensité et demande, à ce moment, à Boulanger de filmer et transmet le message à l'effet que la manifestation est illégale. Il se dirige pour se faire vers la fontaine de Tourny et il monte en hauteur; les manifestants sont alors à une vingtaine de pieds de lui et il débute son message à 20 h 40. Plusieurs personnes mentionnent ou scandent le slogan suivant : « À nous la rue ». Plusieurs empruntent le trottoir, alors qu'une minorité d'autres décident de prendre la rue soit, la Grande Allée en se déplaçant.

[43]        Après avoir sécurisé certains points, il rejoint les personnes sur la Grande Allée et valide l'intervention; il donne un deuxième avis avant les interpellations.

[44]        Contre-interrogé, il mentionne que c'était la première fois que l'article 19.2 était utilisé à Québec, alors lors de manifestations dans l'année 2012, c'était plutôt le Code de la sécurité routière qui était appliqué.

[45]        Il ajoute qu'avant avril 2012, aucune manifestation n'avait été faite sans que le trajet ne soit divulgué.

[46]        L'application du règlement municipal était une décision du Service de police et il considère qu'il était à l'aise de s'en servir puisqu'il était plus clair que le Code de la sécurité routière.

[47]        Francis Pétrin est lieutenant à la police de Québec et dans la soirée du 7 mars 2013, il agissait comme chef de peloton. Vers 20 h 30, il y avait 40 ou 50 personnes qui étaient aux abords de l'Assemblée nationale. Il a tenté de connaître le trajet éventuel que le groupe allait suivre; il mentionne qu'à ce moment personne ne voulait se tenir responsable de l'événement.

[48]        À 20 h 30, on lui demande de s’éloigner puisqu'un vote allait se prendre à savoir si l'itinéraire serait dévoilé ou non. Le groupe s'est mis à marcher sans avoir donné quelque réponse que ce soit.

[49]        Il fait alors une demande aux véhicules de patrouille pour bloquer la circulation sur Grande Allée jusqu'à l’avenue Honoré-Mercier. Il voulait, à ce moment, protéger les manifestants.

[50]        Il part à pied vers la Grande Allée et constate que des personnes déambulent sur le trottoir. Toutefois, quatre demeurent au centre de la rue. On leur demande de quitter la chaussée et elles refusent; elles sont donc interpellées et remises à un autre policier. Il reconnaît les défendeurs Bérubé et Dulac puisqu'il les connaissait auparavant.

[51]        Keven Durand est policier à la Ville de Québec, il faisait partie de l'unité de contrôle de foules. Le 7 mars 2013, lorsque la manifestation a été déclarée illégale, il a bloqué la Grande Allée et les manifestants se dirigeaient vers lui et son collègue Guillemette.

[52]        Le lieutenant Pétrin lui a remis Dulac qui marchait au milieu de la rue et il a identifié ce dernier et lui a remis un constat d'infraction.

[53]        Selon le rapport d'infraction dans le cas du défendeur Bérubé, il est noté que c'est le lieutenant Francis Pétrin qui l'a interpellé et l'a remis au constable Nicolas Bordeleau qui a procédé à son arrestation et que c'est le constable Pascal Harvey qui l'a identifié lorsqu'il a été reconduit à son véhicule.

LA PREUVE DU REQUÉRANT SUR VOIR-DIRE

[54]        Le lieutenant Francis Pétrin témoigne à nouveau à la demande du défendeur Bérubé et mentionne qu'il est sur le contrôle de foules depuis 2008.

[55]        Il a vécu la majorité des manifestations étudiantes de 2012, dont un nombre de 216 à caractère étudiant; elles se tenaient en majorité en soirée.

[56]        Il est interrogé sur des photos qui sont déposées sous RD-1 (les photos sont contenues dans un DVD, mais le Tribunal rappelle que seuls trois des photos ont été admises en preuve et non pas l'ensemble de la pièce). Ces photos montrent l'entrée du Musée national des beaux-arts par Grande-Allée et l’avenue Wolfe-Montcalm.

[57]        Le policier est interrogé sur une manifestation qui a eu lieu à cet endroit le 29 mars 2013.

[58]        La poursuite s'est opposée aux questions relativement à cet événement postérieur à ce qui concerne le présent dossier; le Tribunal a pris à l'objection sous réserve. Le Tribunal rejette cette objection et convient que la question est pertinente.

[59]        Le policier Pétrin ne peut confirmer la date, mais il se souvient d'une manifestation qui a eu lieu à cet endroit et que le trajet avait été fourni par les responsables.

[60]        À la fin du trajet, un groupe a voulu partir une autre manifestation en mentionnant qu'il voulait partir une autre marche et a demandé de l'escorter. Le policier mentionne qu'il a alors refusé cette demande, il y avait un changement d'itinéraire. Il a mentionné aux manifestants que s'ils utilisaient le trottoir, ils pouvaient déambuler à leur guise et que si éventuellement ils prenaient la voie publique, ils seraient dans l'illégalité.

[61]        On demande au témoin si un itinéraire fourni à partir d'une invitation sur un réseau social constituerait un avis suffisant pour ce qui est du respect du Règlement. Le lieutenant Pétrin mentionne qu'en règle générale, ceux qui fournissent de l'information sur les réseaux sociaux ne sont pas connus et fonctionnent relativement souvent à l'aide de pseudonymes ou de surnoms; en fin de compte, il faut toujours vérifier sur place quel est l'itinéraire qui sera emprunté.

[62]        Gabriel Marcoux-Chabot est étudiant au doctorat en littérature. Il est également écrivain et éditeur.

[63]        Il a participé à plusieurs manifestations en 2012 et, à compter du 22 mai, il est devenu « Banane rebelle » et portait un costume.

[64]        Il est interrogé sur sa participation à une manifestation du 24 mars 2015 et le Tribunal a pris son témoignage sous réserve suite à une objection de la poursuite.

[65]        Le Tribunal maintient l'objection puisque le témoignage sur sa participation à une telle manifestation n'est pas pertinent.

[66]        Michaël Lessard gère un média appelé « Réseau Forum.org » qui est un organisme à la défense des droits.

[67]        Il sert à la publication d'événements engagés et il en compte une centaine par mois. Personnellement, il a participé à plus d'une vingtaine de manifestations par année soit comme rapporteur ou à titre de citoyen. Il compte donc plus de 200 manifestations à son actif.

[68]        Selon son expérience, avant avril 2012, les manifestations étaient tolérées tant qu'il n'y avait pas d’émeute et les policiers n'intervenaient pas, même dans des situations où le trajet était modifié.

[69]        Le fonctionnement général faisait en sorte qu'une auto-patrouille ou quelques motos ouvraient la marche et la force policière escortait les gens de la manifestation de leur point de départ à leur point d'arrivée qui étaient connus. De 2000 à 2012, il considère que la tolérance était énorme.

[70]        En avril 2012, il participe à une petite manifestation, à Québec, et déjà il considère qu'il y avait une présence anormale de policiers soit, 30 ou 50 qui s'étaient mobilisés à l'avance. Les manifestants ont été encerclés, détenus et photographiés.

[71]        Il mentionne qu'avant 2012, la disposition de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière existait et était connue; généralement, quelqu'un communiquait avec le Service de police de Québec, un ou deux jours avant la manifestation pour donner l'itinéraire. Il arrivait toutefois à quelques occasions que l'itinéraire était donné une fois sur place.

[72]        Il ajoute que la coutume chez les manifestants, c'est de parler le moins possible aux policiers parce qu'ils considèrent que la manifestation ne doit pas être gérée ou contrôlée par la police.

[73]        Selon lui, depuis l'adoption du Règlement en litige, les gens ont peur de manifester parce que c'est plus formaliste

[74]        André Bérubé, le défendeur requérant, est un manifestant de longue date et mentionne qu'il compte une centaine de manifestations à son actif depuis 2010.

[75]        Avant avril 2012, le Service de police de la Ville de Québec venait discuter avec eux pour obtenir un itinéraire. À l'époque, comme il n'existait aucune contrainte, l'itinéraire été donné et les interventions demeuraient polies de part et d'autre.

[76]        Après avril 2012, en relation avec la loi spéciale du gouvernement du Québec, il a systématiquement refusé de donner son itinéraire, par principe. (Note du Tribunal - le défendeur réfère au projet de loi 78 devenu la Loi permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent (Loi 12) adoptée le 18 mai 2012 et abrogée le 21 septembre de la même année).

[77]        Selon lui, il y a eu beaucoup de manifestations après avril 2012 et il y avait une tolérance; il y avait également une même tolérance après mars 2013. Deux tiers des soirées, il y avait tolérance, malgré l'absence d'itinéraire donné d'avance. Il considère donc que malgré que les manifestations aient été illégales au sens du Règlement, elles étaient tolérées.

[78]        Selon lui, quand il n'y avait pas d'itinéraire, deux véhicules de patrouille se tenaient en parallèle à côté des manifestants et les escortaient et allaient bloquer les rues transversales lorsqu'ils arrivaient près d'une intersection.

[79]        En 2012, 100 % des manifestations étaient en soirée et partaient de l'Assemblée nationale. 80 % de ces manifestations empruntaient le même trajet soit, à partir du Parlement, ils empruntaient la Grande Allée jusqu'à l'avenue Cartier pour revenir sur la rue Saint-Jean pour prendre l’avenue Honoré-Mercier et revenir devant le Parlement.

[80]        En référence à une manifestation contre la monarchie, en mars 2013, qui avait été abordée lors du témoignage du lieutenant Pétrin, il mentionne que l'itinéraire avait été donné par l'organisateur de Montréal. Comme certains voulaient aller voir le monument de Wolfe, Pétrin a déclaré que l'itinéraire avait été changé et l'organisateur de Montréal a décidé d'arrêter à ce moment. Il est retourné voir Pétrin ou Hamel et déclare vouloir faire une nouvelle manifestation, ce qu'il s'est vu refuser étant donné que c'est l'heure de pointe qui s'en venait.

[81]        Contre-interrogé, il mentionne que l'article 500.1 du Code de la sécurité routière qui est entré en vigueur en 2000 faisait suite au blocage de la route par des camionneurs qui revendiquaient un droit.

[82]        Selon lui, occuper la route n'est pas synonyme de bloquer la route; il s'agirait de l'utilisation légitime par les piétons.

[83]        Il déclare qu'en 2010, il connaissait la teneur de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière et comme l'article parlait d'entrave à la circulation, il considérait que le fait de déambuler sur la voie ne constituait pas une entrave et que si éventuellement il s'agissait d'une entrave, elle était indirecte, involontaire et accidentelle.

[84]        C'est la raison pour laquelle à cette époque, il n'entendait pas donner d'itinéraire puisqu'il avait l'intime conviction de ne pas contrevenir à la loi.

Complément de témoignage

[85]        Après un ajournement de plusieurs jours, le défendeur Bérubé complète son témoignage et revient sur une manifestation du 1er mars 2012 où la hausse des frais de scolarité était dénoncée. À partir du Parc des Braves, l'itinéraire vers l'Assemblée nationale a été donné à un policier rencontré sur place en mentionnant qu'on se dirigeait vers l'Assemblée nationale. Le policier a acquiescé à leur demande en disant qu'il allait les accompagner et tout le monde était content.

[86]        Le témoin dépose sous RD-2, des documents commentant les commentaires du Barreau du Québec sur le projet de loi 78.

[87]        Des extraits du rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, appelé Le rapport Ménard sont déposés sous RD-1.4.

[88]        On procède au visionnage d'un extrait de vidéo pour une manifestation du 24 mars 2015 devant l'Assemblée nationale où l'on voit une charge policière lors de la manifestation (RD-1.5). Deux photos sont déposées sous la cote RD-1.6 en relation avec la manifestation du 26 mars 2015 contre l'austérité.

POSITION ET PROPOSITIONS DU DÉFENDEUR

[89]        Le défendeur en plaidoirie propose trois catégories de manifestations :

1)        La manifestation surprise : celle où les personnes visées par la manifestation ne sont pas au courant de sa tenue.

2)        La manifestation spontanée : celle où aucune planification n'est faite et il s'agit d'une réaction de citoyens qui se fait dans une certaine forme d'urgence.

3)        La manifestation standard : celle qui est prévue; cette dernière a deux sous-catégories, celle avec un organisateur et celle sans organisateur.

[90]        Selon le défendeur, l'article 19.2 du Règlement brime sa liberté en contravention de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], ci-après la Charte, de même qu'il brime sa liberté d'expression et son droit à la réunion pacifique en vertu des sous-paragraphes b et c de l'article 2 de cette même Charte.

[91]        Selon lui, l'article 19.2 du Règlement impose de nombreuses contraintes, dont celle de fournir un itinéraire qui n'est pas nécessaire pour le maintien de l'ordre. C'est l'application de l’article 19.2 qui cause le problème.

[92]        Il soulève également que le paragraphe 3 de cet article fait en sorte que lorsque des actes de vandalisme sont constatés, la manifestation devient illégale et contraire à la Charte. En effet, il soulève le fait qu'une minorité des personnes faisant des actes de vandalisme ferait perdre le droit de manifester de l'ensemble des autres personnes. Il considère également que le Code criminel couvre l'émeute ou l'appréhension d'émeute.

[93]        Enfin, le défendeur se référant à l'arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, de la Cour suprême soutient que l'objectif du Règlement n'est pas réel et urgent puisque, préalablement à son adoption, il n'y avait aucun problème et que les gens collaboraient. En conséquence, il n'y a pas de lien rationnel avec la protection du public et que, finalement, l'objectif de proportionnalité n'est pas rencontré puisque les effets restrictifs l'emportent sur le bénéfice.

[94]        Il considère que l'absence de fournir un itinéraire n'empêche pas l'encadrement policier.

[95]        Le défendeur soumet que l'application de l'article 19.2 du Règlement enferme les manifestants dans une logique de confrontations et qu'il risque de provoquer des émeutes en raison de l'obligation des policiers d'appliquer un tel Règlement.

POSITION DE LA POURSUITE

[96]        La poursuite allègue que l'objectif de l'article 19.2 du Règlement était urgent et réel et qu'il y a un lien rationnel avec cet objectif.

[97]        Les restrictions contenues à l'article sont raisonnables, minimales, il y a une proportionnalité entre les effets préjudiciables de l'application de l'article sur l'exercice du droit de manifester sur la voie publique et les effets bénéfiques par rapport au maintien de la sécurité publique.

[98]        L'article 19. 2 du Règlement se justifie par l'article 1 de la Charte.

L’ANALYSE

L'adoption du règlement R.V.Q.1959

[99]        Comme mentionné précédemment, l'article 19.2 du Règlement a été ajouté par l'adoption du règlement R.V.Q. 1959.

[100]     En vertu du paragraphe 7 de l’article 4 de la Loi sur les compétences municipales, RLRQ, c. C-47.1, la poursuivante a l'autorité pour réglementer en matière de sécurité.

[101]     De plus, des pouvoirs réglementaires lui sont attribués par l’article 85 de la même loi.

« 85. En outre des pouvoirs réglementaires prévus à la présente loi, toute municipalité locale peut adopter tout règlement pour assurer la paix, l'ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population. »

[102]     Il appert des documents déposés sous P-2 à P-6 inclusivement que la réglementation, incluant l’article 19.2, a été validement adoptée et mise en vigueur.

L'article du Règlement à la base du litige

[103]     Comme la question porte sur la constitutionnalité de l'article 19.2 du Règlement, il importe de le reproduire intégralement :

« 19.2 Il est interdit à une personne de tenir ou de participer à une manifestation illégale sur le domaine public.

Une manifestation est illégale dès que l’une des situations suivantes prévaut :

1°la direction du Service de police de la Ville de Québec n’a pas été informée de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire de la manifestation;

2°l’heure, le lieu ou l’itinéraire de la manifestation dont a été informé le Service de police n’est pas respecté;

3°des actes de violence ou de vandalisme sont commis. »

[104]     Le Tribunal considère qu'il y a lieu de scinder l'analyse en deux parties soit, en premier lieu, sur les paragraphes 1 et 2 qui concernent l'heure, le lieu et l'itinéraire (sa divulgation et/ou sa modification) d’une manifestation et, en second lieu, le paragraphe 3 qui s'attache aux actes de violence ou de vandalisme rendant illégale cette manifestation.

[105]     Bien que les paragraphes 2 et 3 ne réfèrent pas à la situation du défendeur Bérubé, le Tribunal estime qu'il est toutefois justifié d'en contester la constitutionnalité (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773 et R. c. Smith, 2015 CSC 34).

Le droit de manifester sur le domaine public

[106]     Il convient d'établir que le droit de manifester sur la place publique est reconnu en droit canadien.

[107]     L'honorable Guy Cournoyer dans Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246 avait à décider de la constitutionnalité de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière qui exigeait l'obtention d'une autorisation avant d'utiliser la voie publique et notamment pour y manifester.

[108]     Le juge a procédé à une étude plus exhaustive sur le droit de manifester sur la voie publique, voire même sur le domaine public, en regard des chartes québécoise et canadienne. Son analyse a porté également sur le droit américain est sur le droit international (voir les paragraphes 113 à 156 de la décision). Le juge réfère notamment à l'arrêt de la Cour suprême dans Société Radio Canada c. Canada (P.G.), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, laquelle décision, selon ce dernier, a dissipé tout doute à ce sujet.

[109]     Le Tribunal n'entend donc pas analyser à nouveau cette question d'autant plus que la poursuivante ne remet pas en doute ou en question ce droit de manifester sur la place publique.

L’atteinte aux droits

[110]     La participation à une manifestation combine le droit à la liberté d'expression à celui de se réunir pacifiquement.

[111]     En ce sens, la définition du mot « manifestation » à l'article 1 du Règlement est conforme à ce droit de se réunir et de s'exprimer; la définition s'apparente à celle que l'on retrouve dans les dictionnaires.

[112]     Bien que la preuve du défendeur soit équivoque et peu élaborée sur le message exact qu’il voulait transmettre à la manifestation du 7 mars 2013, le Tribunal s’en remet à l’invitation (P-8) déposée par la poursuite et qui concerne les frais de scolarité.

[113]     Le Tribunal convient que les personnes présentes le 7 mars 2013 voulaient s'exprimer; il y avait donc un contenu expressif à l'activité (Irwin Toy Ltd c. Québec (P.G.), [1989] 1 RCS 927 aux paragraphes 967 et 968).

[114]     Cependant, l'article 19.2 du Règlement ne prohibe pas la tenue d'une manifestation de façon absolue et n'empêche pas non plus qu'elle se déroule sur le domaine public. La réglementation ne vise pas à contrôler l'expression ni son mode, mais plutôt à contrôler les conséquences d'une activité humaine (Irwin Toy Ltd, précité).

[115]     Le défendeur soutient que l'obligation de fournir un itinéraire brime sa liberté d'expression en empêchant notamment les manifestations surprises ou spontanées ou celles sans organisateur. En refusant de fournir son itinéraire au jour de l'infraction reprochée, son activité a été déclarée illégale, mettant ainsi fin à son doit de s’exprimer.

[116]     Dans ce contexte, le Tribunal estime que, par prépondérance, il y a une preuve de restriction du droit de s'exprimer et qu'il faut passer à l'étape de la justification de cette atteinte en vertu de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La justification de la réglementation en vertu de l'article 1 de la Charte

[117]     Cet article édicte :

 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. »

[118]     Dans le cadre de la justification, l'État (dans notre dossier la Ville de Québec) doit, pour justifier l'atteinte aux droits, établir certains éléments élaborés par la Cour suprême dans Oakes, précité.

1.         L'objectif poursuivi doit être réel et urgent, c'est-à-dire suffisamment important pour justifier l'atteinte dans une société libre et démocratique. L'objectif peut viser à empêcher des préjudices sérieux et même une appréhension de tels préjudices (Butler c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 452, par. 505 et R. c. Sharpe, [2001]1 R.C.S. 545, par. 85).

En règle générale, cet objectif doit être celui du législateur au moment de l'adoption du texte de loi (R. c. Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 R.C.S. 295, 335-336), mais l'acquisition avec le temps en fonction de l'évolution des circonstances est autorisé (Irwin Toy Ltd, précité, 984). Sur l'objectif urgent et réel tel qu'établi dans R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, 762, dans le volume Droit constitutionnel, 6e édition, Éditions Yvon Blais, les auteurs Brun, Tremblay et Brouillet s'expriment ainsi à la page 1019.

« XII-3.75 - La rigueur de cet aspect du test a en effet été assouplie au fil des décisions de la Cour suprême qui ont suivi Oakes. Ainsi, la Cour a fait état de la possibilité qu’un objectif, dont le caractère urgent et réel n’aurait pas pu être établi à l’époque de l’adoption du texte législatif, ait pu acquérir ce caractère avec le temps et l’évolution des circonstances : Irwin Toy c. Québec (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 927, 984. Dans ce même arrêt, la Cour a précisé que le législateur jouit d’une discrétion dans la détermination de ses objectifs, quand il s’agit d’intervenir pour la protection de groupes vulnérables. Dans Andrews c. The Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, 184, le juge McIntyre a admis qu’il était possible que la norme des préoccupations « urgentes et réelles » soit trop stricte pour pouvoir s’appliquer dans tous les cas. Selon lui le tribunal doit plutôt décider si la restriction vise à réaliser « un objectif social souhaitable », formulation qui représente un assouplissement important du critère de l’arrêt Oakes. »

2.         Les moyens choisis doivent être proportionnels à l'objectif :

-           la disposition doit favoriser la réalisation de l'objectif et procurer un avantage qui a un lien rationnel; (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 143)

-           la disposition évite toute atteinte excessive aux droits garantis (Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, 930);

-           la disposition doit constituer une réaction mesurée et appropriée au préjudice réel ou appréhendé (R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, 771, Zundel, précité, 768).

[119]     Comme le mentionne le juge Cloutier dans sa décision Québec (Ville de) c.  Tremblay, 2004 CanLII 58304 (QC CM) :

« 2.2      La disposition doit être soigneusement conçue pour éviter toute atteinte excessive au droit garanti.  Les tribunaux ont le devoir d'empêcher les atteintes indues aux libertés constitutionnelles (Taylor, précitée, p. 930).  La disposition doit constituer une réaction mesurée et appropriée aux préjudices visés par la loi (Keegstra, précitée, p. 771; Zundel, précitée, p. 768; RJR MacDonald, précitée, opinion de Madame la juge McLachlin, para. 160; Sharpe, précitée, para. 95).  La disposition doit être raisonnablement bien adaptée à l'objectif.  Les difficultés et les intérêts contradictoires doivent être pris en considération de façon à ce que l'atteinte au droit se limite à ce qui est raisonnablement nécessaire pour les fins de la réalisation de l'objectif (R. c. Heywood, (1994) 1994 CanLII 34 (CSC), 3 R.C.S. 761, p. 793; Sharpe, précitée, para. 96).

Le législateur n'est pas tenu à la perfection dans cette démarche.  Il n'est tenu que d'exercer un jugement raisonnable dans le choix des moyens (Edward Books and Arts, précitée, p. 781-782; Irwin Toy, précitée, p. 989-990; Renvoi relatif au Code criminel, précitée, opinion de Monsieur le juge Lamer, p. 1195 à 1199; Keegstra, précitée, p. 784-785; Butler, précitée, p. 505; RJR MacDonald, précitée, opinion de Madame la juge McLachlin, para. 160; Sharpe, précitée, para. 95-96).  Ainsi, un choix raisonnablement fondé du législateur est acceptable. Ce dernier doit avoir le pouvoir de faire des choix de principes et de moyens à l'égard d'un objectif réel, sérieux et urgent. Le gouvernement jouit donc d'une marge de manœuvre pour formuler des objectifs légitimes et pour choisir des moyens d'y parvenir (Butler, précitée, p. 502-503; Heywood, précitée, p. 793). Rien n'oblige l'État à n'adopter qu'une seule solution face à l'objectif : des mesures complémentaires sont possibles (Butler, précitée, p. 509). Face à cette de latitude, les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l'égard des moyens adoptés par le législateur, et plus particulièrement à l'égard des moyens qui ont pour but une politique sociale légitime (Comité pour la République du Canada, précitée, opinion de Madame la juge McLachlin, p. 247-248; Heywood, précitée, p. 793; Canadien Pacifique, précitée, opinion de Messieurs les juges Lamer et Gonthier, p. 1049 et 1071). »

[120]     Il faut également tenir en compte le type de droit en cause. Les affaires réglementaires sont traitées avec une norme moins sévère (R. c. Wholesale Travel Group inc., [1991] 3 RCS 154, 227 et Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, 1077 et 1078).

Le but ou l'objectif de l'article 19.2

[121]     L'avis de motion en relation avec les modifications au Règlement (P-2) établissait notamment ce qui suit:

« [...] un règlement modifiant le Règlement sur la paix et le bon ordre afin d'établir des règles applicables lors de manifestations, défilés ou attroupements. Ces règles visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des personnes et des biens lors de tels évènements. Elles tendent à assurer un juste équilibre entre l'exercice du droit fondamental à la liberté d'expression, le maintien de l'ordre et de la paix sur le territoire de la Ville de Québec, la protection des personnes et des biens et l'accès au domaine public pour l'ensemble des citoyens. »

[122]     La preuve révèle, notamment par les témoignages entendus en défense, que l'année 2012 a été marquée par une recrudescence des manifestations à Québec, plus particulièrement en soirée. La preuve révèle également qu'à compter d'avril 2012, rompant avec la tradition, les itinéraires n'étaient plus dévoilés par les manifestants aux autorités policières.

[123]     Le lieutenant Richard Hamel a témoigné sur les nombreux problèmes causés par l'absence de divulgation d'un itinéraire. En effet, des problèmes sérieux sont présents en matière de sécurité des usagers de la route et du maintien adéquat des services d'urgence.

[124]     À ce sujet, le juge Cournoyer dans Garbeau, précité, s'exprime ainsi aux paragraphes 200, 210 à 214 :

« [200]     Un sous-objectif à celui d’assurer la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics ainsi que l’accès aux immeubles qui les bordent concerne la protection des citoyens du Québec et de leurs biens. Cette protection requiert, notamment, que les chemins publics puissent servir au passage rapide des véhicules d’urgence comme, par exemple, les véhicules de police, les ambulances et les véhicules des services de sécurité incendie. Le CSR, et plus particulièrement l’article 406, indique qu’il s’agit là d’une préoccupation réelle du législateur :

406. Le conducteur d’un véhicule routier ou d’une bicyclette doit céder le passage à tout véhicule d’urgence dont les signaux lumineux ou sonores sont en marche en réduisant la vitesse de son véhicule, en serrant à droite le plus possible et, si nécessaire, en immobilisant son véhicule. »

[…]

[210]     De l'avis du Tribunal, la Procureure générale fait valoir avec raison que la sécurité, la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics et l'accès aux immeubles qui les bordent est un objectif urgent et réel.

[211]     L'évolution du nombre de titulaires de permis de conduire et du nombre de véhicules en circulation de même que l'augmentation du débit journalier de véhicules sur les ponts et autoroutes justifient amplement cette conclusion.

[212]     Les chemins publics sont un élément important de la vie économique et sociale des villes modernes, peu importe leur taille. Ces chemins assurent le transport des biens essentiels aux individus et à la vie économique. Ils permettent aux citoyens de se rendre à leur travail, aux études, à l'hôpital, chez le médecin, à des activités politiques, culturelles ou religieuses, de visiter les membres de leur famille, ou d'aller dans un palais de justice comme partie, témoin, ou comme membre d'un jury.

[213]     Les chemins publics permettent aussi d'assurer la protection des citoyens et des biens en permettant le passage des policiers, pompiers, premiers répondants et ambulanciers.

[214]     Les chemins publics permettent également l'accès aux lieux où une manifestation sera tenue, ce qu'une action concertée est susceptible d'empêcher. »

[125]     L’article 19.2 du Règlement vise un objectif réel et urgent.

Le lien rationnel

[126]     L'article 19.2 ne prohibe pas l'occupation du chemin public en cours d'une manifestation. Il vise à assurer une certaine protection de la société en général et, plus particulièrement, des personnes qui sont les utilisateurs de la voie publique.

[127]     Le juge Cournoyer s’exprime ainsi dans Garbeau, précité :

« [222]     Le critère applicable à cette étape de l'analyse est formulé ainsi dans l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony : « [l]e gouvernement doit démontrer qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement »[92].

[223]     Comme la Cour suprême le précise dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)[93]: « [i|l n’est pas nécessaire d’établir que la mesure permettra inévitablement d’atteindre l’objectif visé par le gouvernement. Une inférence raisonnable que les moyens adoptés par ce dernier aideront à réaliser l’objectif en question suffit »[94]. »

[128]     Dans notre dossier, le Tribunal estime qu’il y a un lien rationnel entre les dispositions de l’article 19.2 du Règlement et l’objectif visé.

Le degré de l'atteinte

[129]     À cette étape, le Tribunal établit une distinction entre les paragraphes 1 et 2 et le paragraphe 3 de l’article 19.2 du Règlement.

Sur le premier et deuxième paragraphe de l'article 19.2

[130]     Cet article ne comporte pas de prohibition de manifester et aucune autorisation n'est requise. L'article est intelligible et aucun pouvoir discrétionnaire n'est accordé aux personnes chargées de son application (Canadien Pacifique, précité, par. 1070, Nur, précité).

[131]     Les seules exigences des deux paragraphes de l'article sont donc de divulguer l’endroit, l’heure et l’itinéraire, (aucun délai n’est prévu) et ne pas modifier un tel itinéraire. La preuve révèle que la divulgation de l’itinéraire peut se faire sur place au moment où les manifestants décident de se mettre en marche.

[132]     Le juge Cournoyer dans Garbeau, précité, analyse le cadre réglementaire d'autres sociétés libres et démocratiques qui exigent l'octroi d'un permis ou d'une permission avant manifester :

« [470]     Par ailleurs, dans l'évaluation de l'existence de moyens moins attentatoire, le critère qui doit être appliqué « consiste à se demander s’il existe un autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle »[231].

[471]     À cet égard, l'examen du cadre règlementaire ou législatif mis en place par d'autres sociétés libres et démocratiques permet de cerner la portée des droits constitutionnels et les limites reconnues en vertu de dispositions justificatives[232].

[472]     Les Lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique de l'OSCE partagent la préoccupation de la jurisprudence de la Cour suprême à l'égard des critères encadrant une discrétion lorsqu'un État choisit d'intervenir par la voie de l'établissement d'un système de permis:

In regulating freedom of assembly, well-drafted legislation is vital in framing the discretion afforded to the authorities[233].

[…]

Any restrictions imposed must have a formal basis in law and be in conformity with the European Convention on Human Rights and other international human rights instruments. To this end, well-drafted legislation is vital in framing the discretion afforded to the authorities. The law itself must be compatible with international human rights standards and be sufficiently precise to enable an individual to assess whether or not his or her conduct would be in breach of the law, as well as the likely consequences of any such breaches[234].

[…]

Any permit system must clearly prescribe in law the criteria for issuance of a permit.  In addition, the criteria should be confined to considerations of time, place and manner, and should not provide a basis for content-based regulation[235].

[…]

The regulatory authorities should ensure that the decision-making process is accessible and clearly explained. The process should enable the fair and objective assessment of all available information. Any restrictions placed on an assembly should be communicated promptly and in writing to the event organizers, with an explanation of the reason for each restriction. Such decisions should be taken as early as possible so that any appeal to an independent court can be completed before the date for the assembly provided in the notification[236].

[473]     La légitimité de la mise en place d'un système de permis avant la tenue d'une manifestation est acceptée en droit américain, mais cette reconnaissance s'accompagne d'un encadrement rigoureux du pouvoir discrétionnaire des autorités.

[474]     Le droit américain est ainsi résumé dans un document récent du Law Library of Congress:

The First Amendment to the United States Constitution prohibits the United States Congress from enacting legislation that would abridge the right of the people to assemble peaceably. The Fourteenth Amendment to the United States Constitution makes this prohibition applicable to state governments.

The Supreme Court of the United States has held that the First Amendment protects the right to conduct a peaceful public assembly. The right to assemble is not, however, absolute.

Government officials cannot simply prohibit a public assembly in their own discretion, but the government can impose restrictions on the time, place, and manner of peaceful assembly, provided that constitutional safeguards are met. Time, place, and manner restrictions are permissible so long as they “are justified without reference to the content of the regulated speech, ... are narrowly tailored to serve a significant governmental interest, and ... leave open ample alternative channels for communication of the information.”

Such time, place, and manner restrictions can take the form of requirements to obtain a permit for an assembly. The Supreme Court has held that it is constitutionally permissible for the government to require that a permit for an assembly be obtained in advance.

The government can also make special regulations that impose additional requirements for assemblies that take place near major public events.

In the United States, the organizer of a public assembly must typically apply for and obtain a permit in advance from the local police department or other local governmental body. Applications for permits usually require, at a minimum, information about the specific date, time, and location of the proposed assembly, and may require a great deal more information.

Localities can, within the boundaries established by Supreme Court decisions interpreting the First Amendment right to assemble peaceably, impose additional requirements for permit applications, such as information about the organizer of the assembly and specific details about how the assembly is to be conducted.

The First Amendment does not provide the right to conduct an assembly at which there is a clear and present danger of riot, disorder, or interference with traffic on public streets, or other immediate threat to public safety or order. Statutes that prohibit people from assembling and using force or violence to accomplish unlawful purposes are permissible under the First Amendment[237].

[475]     Dans l'affaire Thomas v. Chicago Park District[238], le juge Scalia résume ainsi les exigences du droit américain:

Of course even content-neutral time, place, and manner restrictions can be applied in such a manner as to stifle free expression. Where the licensing official enjoys unduly broad discretion in determining whether to grant or deny a permit, there is a risk that he will favor or disfavor speech based on its content. See Forsyth County v. Nationalist Movement, 505 U. S. 123, 131 (1992). We have thus required that a time, place, and manner regulation contain adequate standards to guide the official’s decision and render it subject to effective judicial review. See Niemotko , supra, at 271. Petitioners contend that the Park District’s ordinance fails this test.

We think not. As we have described, the Park District may deny a permit only for one or more of the reasons set forth in the ordinance. See n. 1, supra. It may deny, for example, when the application is incomplete or contains a material falsehood or misrepresentation; when the applicant has damaged Park District property on prior occasions and has not paid for the damage; when a permit has been granted to an earlier applicant for the same time and place; when the intended use would present an unreasonable danger to the health or safety of park users or Park District employees; or when the applicant has violated the terms of a prior permit. See Chicago Park Dist. Code, ch. VII, §C.5.e. Moreover, the Park District must process applications within 28 days, §C.5.c, and must clearly explain its reasons for any denial, §C.5.e. These grounds are reasonably specific and objective, and do not leave the decision “to the whim of the administrator.” Forsyth County, 505 U. S., at 133. They provide “‘narrowly drawn, reasonable and definite standards’ ” to guide the licensor’s determination, ibid. (quoting Niemotko, supra, at 271). And they are enforceable on review—first by appeal to the General Superintendent of the Park District, see Chicago Park Dist. Code, ch. VII, §C.6.a, and then by writ of common-law certiorari in the Illinois courts, see Norton v. Nicholson, 187 Ill. App. 3d 1046, 543 N. E. 2d 1053 (1989), which provides essentially the same type of review as that provided by the Illinois administrative procedure act, see Nowicki v. Evanston Fair Housing Review Bd. , 62 Ill. 2d 11, 14, 338 N. E. 2d 186, 188 (1975)[239].

[Le soulignement est ajouté]

[476]     Dans son article The Neglected Right of Assembly, l'auteur Tabatha Abu El-Haj décrit ainsi le système de permis en place dans plusieurs villes américaines:

To demonstrate, parade, or make a speech in public in the United States today, a person or organization must generally go (often well in advance) to the local police department, or to some other municipal department, to fill out required paperwork and to obtain a permit from government officials. A survey of twenty American cities reveals that all of them have extensive permit requirements for gatherings on public streets and most have similar requirements for public parks[240].

[477]     Le droit américain et européen font donc voir une approche similaire à celle du droit canadien en matière d'encadrement d'un système d'autorisation préalable.

[478]     Une autorité publique n'a pas l'obligation de mettre en place un système de permis ou d'autorisation préalable. Il est possible de s'en tenir à l'envoi d'un avis avant la tenue d'une manifestation[241]

[479]     Toutefois, lorsque la voie du système d'autorisation préalable est choisie, le pouvoir discrétionnaire d'accorder cette autorisation doit être encadré par des critères précis et compréhensibles pour le public et ceux qui l'appliquent. »

[133]     Le Tribunal est d’avis que l’exigence d’un avis préalable avec délai serait une contrainte minimale et serait constitutionnellement valide.

[134]     Pour le défendeur (et ses témoins), la preuve révèle que l'exigence est minimale puisqu'avant avril 2012, il s'exécutait volontairement. En raison de l’adoption du Règlement, le refus de continuer la tradition est idéologique. Toutefois, le Tribunal ne peut statuer sur la question en fonction de l’opinion du défendeur, mais bien pour tout citoyen qui désire s'exprimer sur la place publique.

[135]     Il n'appartient pas au Tribunal de redéfinir ce qu'est une manifestation puisque le Règlement est clair à cet effet. Il convient toutefois d'analyser les distinctions élaborées par le défendeur.

[136]     Comme les concepts de manifestation surprise, de manifestation spontanée ou celle sans organisateur ont été évoqués, il convient de les analyser selon la preuve présentée.

[137]     La manifestation dite « surprise » serait celle d'un groupe de personnes qui se retrouvent par surprise à un même endroit et décident de marcher pour s’exprimer. À ce stade, une fois l’effet de surprise passé, cela implique une certaine forme de consensus. On ne peut tenir une réunion (au sens de la Charte) sans qu'un certain nombre de personnes s'entendent, au minimum, sur la raison de la discussion si impromptue la rencontre soit telle.

[138]     La décision prise d'emprunter la voie publique pour s'exprimer sur un sujet quelconque ne comporte que la seule contrainte d'aviser le Service de police de la Ville de Québec du lieu, de l’heure de la manifestation et de l'itinéraire que l'on va suivre.

[139]     Le Tribunal convient que ce type de manifestation est très rare à moins, que de façon plus ou moins organisée, on ne feigne la surprise.

[140]     La manifestation dite « spontanée » serait celle où spontanément un initiateur décide d'inviter de façon immédiate des gens, joints via les médias sociaux, à participer à une manifestation en un lieu et à une heure déterminés dans le message.

[141]     Dans ce contexte, il ne faut pas confondre la spontanéité avec l'acte irréfléchi et subi. Inviter des gens à manifester n'est pas un geste banal et le citoyen sérieux dans une société libre et démocratique qui fait office d'initiateur doit être conscient des effets collatéraux de l'exercice de son droit de s'exprimer de cette façon. Toute spontanée que soit l'initiative, elle ne peut faire fi de la réglementation dont l'exigence minimale est de transmettre l'information du lieu et de l'heure.

[142]     Si les médias sociaux permettent la diffusion rapide de renseignements à plusieurs personnes en même temps, ils permettent également et très facilement d'ajouter à sa liste d'envoi les autorités policières.

[143]     Lorsque les personnes invitées décident de répondre positivement, on ne parle plus de spontanéité, mais d'une décision réfléchie de participer à un événement. Là encore, le citoyen doit connaître la réglementation et être conscient de son geste.

[144]     Une fois sur place, décider de se mettre en marche nécessite un minimum de consultation sur le fait de déambuler sur la voie publique et sur le choix d'un itinéraire. Se mettre en marche sans itinéraire deviendrait un geste irresponsable.

[145]     Une fois en marche, le respect de l’itinéraire n’est guère plus contraignant.

[146]     En effet, référant à la base de la protection accordée par la Charte soit celle de la réunion, cela présuppose un minimum de démocratie sur le but de la réunion et sur certaines décisions qui s'y prennent; une manifestation n'est pas une rencontre sociale sans but et qui ne s'exprime sur rien.

[147]     Pour la manifestation dite « standard », celle ou il y a présence d'un organisateur, ne pose pas de problèmes puisque ce dernier prend en charge le respect de la réglementation et assure le suivi du groupe interpellé.

[148]     Par contre pour celle où personne ne veut se rendre responsable, cela implique à tout le moins un initiateur et elle s'apparente à la manifestation spontanée; à la différence qu'il y a un certain laps de temps entre la décision d'inviter et la tenue de la manifestation, ce qui donne l’opportunité d’aviser les autorités du lieu et de l’heure.

[149]     Force est de constater que le simple avis de la tenue d'une manifestation et la divulgation de l'itinéraire sont des exigences peu contraignantes et permettent l’application de l'article 1 de la Charte dans une société libre et démocratique.

[150]     La liberté dans une société démocratique est celle qui est notamment définie comme suit dans Le Nouveau Petit Robert sous le titre dans le Domaine politique et social :

« Pouvoir d'agir, au sein d'une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite des règles définies; droit de faire tout ce qui n'est pas défendu par la loi. »

[151]     La liberté d'expression n'est pas un droit absolu et la conduite d'un citoyen ne peut être libre au point d'occulter la présence des autres et le respect de leurs droits et de leur sécurité.

[152]     Le Tribunal ne voit pas de préjudice disproportionné dans la divulgation de l’heure, de l’endroit et de l’itinéraire d’une manifestation, sans système d’autorisation préalable, par rapport au bénéfice relatif à la sécurité des usagers de la route, des piétons et de la libre circulation des services d’urgence (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Company, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, 76 et 77).

[153]     De l'avis du Tribunal, les paragraphes 1 et 2 de l'article 19.2 du Règlement doivent être sauvegardés en vertu de article 1 de la Charte et l'argument constitutionnel du défendeur Bérubé est rejeté.

[154]     Les paragraphes 1 et 2 de l'article 19.2 du Règlement sont donc opérants et opposables.

[155]     Eu égard à l'infraction reprochée au défendeur, le paragraphe 1 de l'article 19. 2 du Règlement est opérant et lui est opposable.

[156]     Il en est de même pour le défendeur Dulac.

Le troisième paragraphe de l'article 19.2 du Règlement

[157]     Le paragraphe 3 permet de déclarer une manifestation illégale si des actes de violence et de vandalisme sont commis.

[158]     Dans son application, ce paragraphe signifie que la commission, par deux personnes ou plus, soit d’un méfait ou de voies de fait au cours d’une manifestation, aurait comme conséquence d'empêcher des dizaines ou des centaines de personnes de manifester pacifiquement.

[159]     Le juge Cournoyer dans Garbeau, précité, s'exprime ainsi :

« [59]    Il faut d'abord dire que le « droit constitutionnel de manifester doit s'exercer tout en respectant le Code criminel. Ce droit ne peut s'exercer en troublant la paix, en commettant des voies de fait, de l'intimidation, en proférant des menaces de mort, par le moyen d'un attroupement illégal ou la participation à une émeute »[5]

[60]             L’exercice de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique doit se faire dans le respect de la primauté du droit[6]. Si une règle de droit porte atteinte à l’exercice de ces libertés, un examen constitutionnel de la justification de cette règle doit être mené selon les dispositions justificatives.

[61]             Une manifestation peut être pacifique, même si un petit nombre de manifestants observent un comportement qui donne lieu à la commission d'infractions réglementaires ou criminelles. Dans certaines circonstances, une manifestation peut elle-même parfois devenir un attroupement illégal si les exigences de l'article 63 du Code criminel sont satisfaites[7].

[62]             Par ailleurs, la seule présence d'une personne sur les lieux d'une manifestation durant laquelle des gestes illégaux sont posés ne permet pas de conclure nécessairement que cette personne, en restant sur les lieux, encourage les auteurs de délits ou aide à dissimuler les auteurs de ces méfaits[8].

[63]             Une démocratie constitutionnelle fondée sur la primauté du droit exige que la détermination de la culpabilité ou la responsabilité de chacun soit établie de manière individuelle selon les exigences du processus judiciaire ou quasi judiciaire applicable aux circonstances en cause.  »

[160]     Le Tribunal considère qu'en présence d'actes violents ou de vandalisme, des arrestations peuvent se faire sur une base individuelle, soit en vertu du Code criminel ou de dispositions réglementaires relatives à la paix et le bon ordre.

[161]     En présence d'une multitude d'actes de violence, le Code criminel en matière d'attroupement illégal (article 63) trouve application.

[162]     Comme il existe des moyens moins contraignants, le Tribunal est d’avis qu’il y a une disproportion entre l’effet préjudiciable et le bénéfice de l’objectif de sécurité (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Hutterian Brethren of Wilson Company, précité).

[163]     L’argument constitutionnel du défendeur est retenu sur le 3e paragraphe de l’article 19.2 du Règlement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Sur la requête

[164]     DÉCLARE opérants et opposables les paragraphes 1 et 2 de l'article 19.2 du règlement R.V.Q. 1091 de la Ville de Québec;

[165]     DÉCLARE inopérant et inopposable le paragraphe 3 de l'article 19.2 du règlement R.V.Q. 1091 de la Ville de Québec.

Sur le fond

Dossier 32685866 - David Dulac

[166]     DÉCLARE le défendeur coupable de l'infraction reprochée.

[167]     CONDAMNE le défendeur à payer une amende de 150 $ et les frais.

[168]     ACCORDE au défendeur un délai de 30 jours pour s'acquitter des sommes dues.

Dossier 90679514 - André Bérubé

[169]     DÉCLARE le défendeur coupable de l'infraction reprochée.

[170]     CONDAMNE le défendeur à payer une amende de 150 $ et les frais.

[171]     ACCORDE au défendeur un délai de 30 jours pour s'acquitter des sommes dues.

 

 

 

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Jacques Ouellet

Juge municipal

 

 

Dates d’audience :

5 octobre 2015, 27 novembre 2015

 

AVIS :
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