Lemelin et Entreprises LG |
2012 QCCLP 6182 |
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[1] Le 5 avril 2012, monsieur Clermont Lemelin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 mars 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 13 février 2012, déclare que l’emploi de caissier de station libre-service constitue un emploi convenable pour le travailleur, que le revenu annuel brut de cet emploi est estimé à 20 126,04 $ et que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 10 février 2012.
[3] Elle déclare également que le travailleur a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi ou, au plus tard, jusqu’au 9 février 2013. Enfin, elle déclare que le travailleur aura droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu réduite à compter du moment où il exercera l’emploi convenable ou, au plus tard, à compter du 10 février 2013.
[4] Une audience s’est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Saint-Joseph-de-Beauce le 28 juin 2012 en présence du travailleur et de sa représentante. La CSST était également représentée par sa procureure lors de cette audience. Pour sa part, Entreprises LG (l’employeur) était absent lors de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de caissier de station libre-service ne constitue pas un emploi convenable.
[6] Il demande également au tribunal de se prononcer, dans le cadre du présent litige, sur la légalité du rapport médical final émis par la docteure Danielle Binet le 30 août 2011.
[7] Il soumet, en effet, que ce rapport est irrégulier et qu’il doit être écarté par la Commission des lésions professionnelles. Dans les circonstances, sa lésion professionnelle ne serait pas consolidée et la détermination d’un emploi convenable serait prématurée.
LA PREUVE
[8] Le travailleur occupe un emploi de journalier pour le compte de l’employeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 31 octobre 2006.
[9] À cette date, le travailleur a été frappé au genou gauche par un arbre lors de l’abattage de celui-ci.
[10] Le travailleur subit alors une fracture du plateau tibial du genou gauche pour laquelle il se soumet à une intervention chirurgicale le 8 novembre 2006 (réduction ouverte et fixation interne du plateau tibial).
[11] Cette lésion est consolidée le 22 mai 2007 par un rapport médical final du docteur Jean Rousseau, chirurgien orthopédiste.
[12] Le 7 juin 2007, le travailleur est examiné par le docteur Sébastien Guimond-Simard, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. Le docteur Guimond-Simard fixe le déficit anatomo-physiologique à 5 % et détermine que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles à la suite de sa lésion. À cet égard, il s’exprime de la façon suivante :
Prenant en considération l’état actuel du genou gauche et l’évolution favorable qui a été effectuée jusqu’à présent, je recommande la mise en place de limitations fonctionnelles de classe I de l’IRSST pour le membre inférieur gauche. Ces limitations fonctionnelles sont permanentes et définitives.
[13] Le 2 septembre 2007, le docteur Rousseau produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles émises par le docteur Guimond-Simard.
[14] Le 1er février 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle retient un emploi convenable de conducteur de camion lourd. Elle détermine également que le travailleur pourra bénéficier d’une mesure de réadaptation pour le rendre capable d’exercer cet emploi, soit une formation en conduite de camion lourd.
[15] Le 10 décembre 2008, la CSST rend une nouvelle décision déterminant que le travailleur est capable, à compter du 9 décembre 2008, d’exercer l’emploi convenable préalablement retenu, soit celui de conducteur de camion lourd.
[16] Le travailleur occupera un tel emploi pendant une période d’environ cinq semaines à compter de janvier 2009.
[17] Le 6 mai 2009, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 31 octobre 2006. Le diagnostic retenu lors de cet épisode de récidive, rechute ou aggravation est une bursite du genou gauche (à l’endroit où est située la plaque installée lors de l’intervention chirurgicale).
[18] Le 2 octobre 2009, le travailleur est examiné par le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. Le docteur Fradet est d’avis que la lésion n’est pas consolidée puisqu’il y a toujours nécessité de traitements. À ce sujet, il mentionne :
Je recommande que monsieur soit référé à nouveau en orthopédie pour exérèse de métal. Encore une fois, si l’orthopédiste décidait de ne pas procéder à l’exérèse du métal, la lésion devrait être consolidée à cette date.
[19] Le 15 avril 2010, le travailleur consulte le docteur Alain Pagé, chirurgien orthopédiste. Le docteur Pagé émet l’avis que le travailleur présente probablement une déchirure du ménisque externe du genou gauche. Dans ces circonstances, il propose une arthroscopie diagnostique au genou gauche, mais ne suggère pas de procéder à l’exérèse de la plaque.
[20] Le 17 juin 2010, le travailleur revoit le docteur Fradet, à la demande de la CSST. Le docteur Fradet émet l’opinion que la lésion doit être considérée comme consolidée puisque le docteur Pagé a décidé de ne pas procéder à l’exérèse du métal. Il est d’avis qu’il y a une aggravation du déficit anatomo-physiologique qu’il évalue à 6 %, mais qu’il n’y a pas lieu de modifier les limitations fonctionnelles qui avaient été recommandées par le docteur Guimond-Simard.
[21] Le 11 juillet 2010, le docteur Germain Savard produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec l’évaluation du docteur Fradet.
[22] Le 23 juillet 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur est capable, depuis le 21 juillet 2010, d’exercer l’emploi convenable de conducteur de camion lourd qui a été préalablement retenu. Cette décision sera confirmée le 20 décembre 2010, à la suite d’une révision administrative. Cependant, la Commission des lésions professionnelles infirmera cette décision le 24 janvier 2011 et déterminera que le travailleur est incapable d’occuper l’emploi convenable de conducteur de camion lourd[1].
[23] Le 10 octobre 2010, le travailleur soumet une nouvelle réclamation à la CSST dans laquelle il invoque être à nouveau victime d’une récidive, rechute ou aggravation de sa condition.
[24] Le 9 décembre 2010, le docteur Yvan Lévesque, médecin-conseil de la CSST, s’entretient avec la docteure Danielle Binet, médecin qui a charge du travailleur. Lors de cette conversation, la docteure Binet informe le docteur Lévesque que le travailleur a vu le docteur Jean-Marc Lépine, chirurgien orthopédiste, et que ce dernier procédera à une exérèse de la plaque de métal au genou gauche.
[25] À la suite de cette conversation, et après avoir pris connaissance des notes cliniques de la docteure Binet, le docteur Lévesque émet l’opinion que la preuve est probante pour démontrer, à compter du 29 novembre 2010, une aggravation de la condition du travailleur en relation avec sa lésion professionnelle initiale. La CSST reconnaît donc que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 29 novembre 2010.
[26] Le 8 juin 2011, le docteur Lévesque communique avec le docteur Lépine afin d’obtenir des précisions sur la date possible de la chirurgie. À cet égard, les notes évolutives du dossier rapportent ceci :
Vous mentionnez que M. Lemelin est en attente d’une exérèse d’une plaque de métal au genou gauche. Vous ne pouvez pas vous prononcer sur le délai opératoire à prévoir compte tenu qu’il s’agit d’une intervention non urgente et que la disponibilité des salles pour ce type de chirurgie a été réduite récemment. Il faut donc prévoir plusieurs mois avant que la procédure soit réalisée. Vous mentionnez qu’une référence en privé pourrait être une alternative.
[27] Le 20 juillet 2011, la CSST décide de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur puisqu’elle est sans nouvelles de ce dernier et qu’elle ne réussit pas à le joindre.
[28] Le 5 août 2011, le travailleur communique avec l’agent d’indemnisation de la CSST et l’informe qu’il est incarcéré. À cet égard, la preuve produite lors de l’audience a permis de constater que le travailleur a effectivement été incarcéré au Centre de détention de Québec du 26 avril 2011 au 5 décembre 2011.
[29] Le 30 août 2011, la docteure Binet communique avec le docteur Lévesque du bureau médical de la CSST. Cette conversation est résumée de la façon suivante dans les notes évolutives du dossier :
Nous recevons un appel du Dre Danielle Binet.
Elle désire que la CSST soit avisée qu’elle produira un rapport médical final dans le présent dossier.
Elle indique que le T ne l’a pas consultée depuis le 29 mars dernier.
Compte tenu de l’absence de visite médicale régulière, que le T ne l’informe pas du suivi de sa condition, qu’elle n’a pas de notion qu’il a changé de médecin ou qu’il en rencontre un autre et qu’aucune chirurgie ne semble prévue à court terme, elle consolidera la présente lésion.
Elle demandera une réouverture du dossier si ce T est éventuellement opéré pour son genou en autant qu’il revienne la consulter. [sic]
[30] La docteure Binet produit effectivement un rapport médical final le 30 août 2011 dans lequel elle consolide la lésion du travailleur à cette date. Elle précise que le travailleur ne l’a pas consulté depuis mars 2011 et qu’elle est sans nouvelles de ce dernier depuis ce temps. Elle indique également qu’elle consolide la lésion jusqu’à la prochaine visite, si visite il y a. Enfin, elle émet l’avis que le travailleur conserve une atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles, mais que ces dernières n’ont pas été aggravées à la suite de la dernière récidive, rechute ou aggravation.
[31] Le 22 novembre 2011, une première conversation téléphonique a lieu entre le travailleur et monsieur Danny Martin, conseiller en réadaptation de la CSST. Lors de cette conversation, le travailleur est informé que la docteure Binet a produit un rapport médical final. Il se montre alors préoccupé par cette situation en raison de l’intervention chirurgicale à venir et pour laquelle il est toujours en attente. Lors de cette conversation, il est également discuté de diverses possibilités d’emploi convenable que le travailleur pourrait être en mesure d’occuper. Rappelons qu’à cette date, le travailleur est toujours incarcéré.
[32] Le 19 décembre 2011, une nouvelle conversation téléphonique a lieu entre le travailleur et le conseiller en réadaptation de la CSST afin de poursuivre le processus visant la détermination d’un emploi convenable. Lors de cette conversation, le travailleur mentionne qu’il a pris un rendez-vous pour rencontrer la docteure Binet le 3 janvier 2012.
[33] Le travailleur consulte donc la docteure Binet le 3 janvier 2012. Cette dernière produit un rapport médical dans lequel elle retient le diagnostic de bursite au genou gauche. Elle mentionne également que le travailleur est en attente d’une chirurgie qui sera pratiquée par le docteur Lépine. Enfin, en ce qui concerne la période prévisible de consolidation, elle indique qu’elle est de plus de 60 jours.
[34] Le tribunal tient à souligner que le travailleur a soumis une nouvelle réclamation à la CSST visant la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation à cette date. Cette réclamation a été refusée par la CSST et une requête a été produite auprès de la Commission des lésions professionnelles le 26 juin 2012 afin de contester ce refus.
[35] Enfin, deux conversations téléphoniques ont été tenues les 9 et 10 février 2012 entre le travailleur et le conseiller en réadaptation de la CSST afin de finaliser la détermination de l’emploi convenable. C’est à la suite de ces discussions que la décision retenant l’emploi de caissier de station libre-service à titre d’emploi convenable sera rendue.
[36] Dans le cadre de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur indique qu’il est toujours dans l’attente de subir sa chirurgie pour exérèse de la plaque de métal qu’il a au genou gauche. Selon les informations qui lui ont été transmises, cette intervention devrait avoir lieu d’ici trois ou quatre mois.
L’AVIS DES MEMBRES
[37] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales partagent le même avis dans ce dossier. Ils considèrent que le rapport médical final produit par la docteure Binet le 30 août 2011 doit être déclaré irrégulier puisqu’il n’est pas basé sur un examen médical du travailleur contemporain à sa production.
[38] Dans les circonstances, ils estiment que la décision déterminant que le travailleur est capable d’exercer un emploi convenable de caissier de station libre-service doit être annulée puisqu’elle est prématurée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[39] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si l’emploi de caissier de station libre-service constitue un emploi convenable pour le travailleur.
[40] Cependant, de façon préliminaire, le tribunal doit décider de la régularité du rapport médical final émis par la docteure Binet le 30 août 2011.
[41] Rappelons immédiatement les circonstances ayant amené la docteure Binet à produire ce rapport.
[42] À la suite de la récidive, rechute ou aggravation subie par le travailleur le 29 novembre 2010, celui-ci rencontrera la docteure Binet qui assumera le suivi médical en attendant l’intervention chirurgicale (exérèse de la plaque de métal) qui doit être pratiquée par le docteur Lépine, chirurgien orthopédiste.
[43] Selon la preuve au dossier, le travailleur rencontre la docteure Binet pour la dernière fois le 29 mars 2011 et ne se présente pas à son rendez-vous suivant et ne contacte pas le bureau de celle-ci afin d’en prendre un nouveau.
[44] Cette situation s’explique par le fait que le travailleur a été incarcéré à compter du 26 avril 2011.
[45] Le 30 août 2011, la docteure Binet décide donc de produire un rapport médical final sans revoir le travailleur. Elle prend cette décision puisqu’elle est sans nouvelles du travailleur depuis plusieurs mois.
[46] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner que la production d’un rapport médical final est prévue par les dispositions de l’article 203 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) qui se retrouve au chapitre VI de la loi portant sur la procédure d’évaluation médicale. L’article 203 prévoit :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[47] On constate donc que le rapport médical final porte sur plusieurs questions médicales, soit la date de consolidation, l’atteinte permanente ainsi que les limitations fonctionnelles. Il s’agit de questions qui auront un effet liant pour la CSST, en conformité avec les dispositions de l’article 224 de la loi, et pour lesquelles le travailleur ne peut demander la révision conformément à l’article 358 de la loi.
[48] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a lieu d’étudier avec beaucoup de sérieux les circonstances qui ont entraîné la production d’un tel rapport, afin de décider de sa régularité.
[49] Il ne faut cependant pas oublier que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que la Commission des lésions professionnelles décidera d’écarter un tel rapport médical[3].
[50] En effet, le tribunal a, dans le passé, considéré les situations exceptionnelles ou particulières suivantes comme étant une justification pour écarter un rapport émis par le médecin traitant sur des questions d’ordre médical liant la CSST en vertu de l’article 224 de la loi :
· La production d’un rapport médical de complaisance[4];
· Lorsqu’on se retrouve en présence d’un diagnostic manifestement erroné[5];
· Lorsque le médecin se prononce en fonction d’un examen médical incomplet et avant d’avoir obtenu les résultats d’un examen radiologique[6];
· Lorsque le médecin qui a charge de la travailleuse et qui produit un rapport médical final n’a manifestement pas les compétences pour évaluer l’aspect psychologique de la lésion subie par la travailleuse (dans les faits, il s’agissait d’un oncologue hématologue)[7];
· Lorsque le médecin consolide la lésion dans le futur tout en prescrivant des soins et traitements[8];
· Lorsque la date de consolidation porte manifestement à confusion[9].
[51] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle est en présence d’une situation exceptionnelle qui la justifie d’écarter le rapport médical final de la docteure Binet.
[52] En effet, le tribunal est d’avis que lorsqu’un médecin décide de la date de consolidation d’une lésion professionnelle ou lorsqu’il statue sur la présence ou non d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, il décide de questions d’ordre médical et qu’il ne s’agit pas d’un acte de nature administrative.
[53] Dans ces circonstances, un médecin ne peut décider de consolider une lésion professionnelle parce que le travailleur ne l’a pas consulté depuis plusieurs mois.
[54] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, lorsqu’une telle situation se présente (absence de suivi médical de la part du travailleur) il revient à la CSST ou à l’employeur d’engager la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi afin d’obtenir une date de consolidation. Pour le tribunal, il est manifeste qu’un médecin n’a pas à s’immiscer dans une telle procédure administrative et que son rôle doit se limiter à décider des questions médicales.
[55] À cet égard, le présent tribunal rejoint les propos que tenait la juge administrative Desbois dans l’affaire Lambert et Mecnor inc.[10], lorsqu’elle affirme que légalement et en toute justice, le tribunal ne peut avaliser une telle consolidation « administrative ».
[56] De plus, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’un rapport médical final ne peut être valide en l’absence d’un examen médical contemporain qui permet de comprendre les conclusions retenues par le médecin.
[57] Cet élément ne se retrouve manifestement pas dans le présent dossier puisque de l’aveu même de la docteure Binet, elle n’a pas revu le travailleur depuis le 29 mars 2011, soit plus de cinq mois avant la production de son rapport final. Rien ne permet de comprendre pourquoi la lésion serait consolidée le 30 août 2011 alors qu’elle ne l’était pas lors de l’examen du 29 mars 2011.
[58] Tout en reconnaissant que les dispositions de l’article 203 de la loi n’exigent pas expressément qu’un examen médical soit effectué avant la production du rapport médical final et que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles n’est pas unanime à ce sujet, le présent tribunal juge plus conforme à l’esprit de la loi d’exiger qu’un examen médical contemporain soit effectué avant la production d’un tel rapport final.
[59] À ce sujet, le soussigné partage entièrement les propos du juge administratif Clément dans l’affaire Boudreau et Ministère des Transports[11] lorsqu’il mentionne :
[51] Avant de poser un jugement sur l’atteinte permanente, les limitations fonctionnelles ou la date de consolidation, le médecin qui a charge doit s’assurer d’avoir en main toutes les données pertinentes et nécessaires à l’évaluation de ces questions puisque le travailleur ne peut contester son avis5. Sans examen du travailleur, la Dre Samson ne possédait pas tous les renseignements nécessaires à l’émission de son rapport sur ces questions d’une importance considérable pour lui.
[52] La Dre Samson a admis autant par sa lettre que par son témoignage, avoir commis une erreur au niveau du processus de production de son rapport de sorte qu’il doit être déclaré non valide6.
[53] Des éléments exceptionnels démontrent que le médecin du travailleur avait raison de réviser l’opinion contenue dans son premier rapport final, soit l’absence d’examen médical et le fait de s’en remettre à l’expertise du médecin de l’employeur dans le cadre de son rapport final, ce qui est différent d’un rapport complémentaire7.
[54] La nécessité d’un examen médical contemporain à la production du rapport final a été confirmée par la jurisprudence.
[55] Dans l’affaire Brière et Vinyl Kaytec inc8, la Commission des lésions professionnelles indique que la CSST n’est pas liée par un rapport final produit par un médecin sans avoir examiné à nouveau le travailleur alors qu’il n’avait jamais émis pareil avis auparavant.
[56] Les mêmes conclusions ont été retenues dans l’affaire Cliche et Gicleurs Éclair inc.9 où un rapport final du médecin qui a charge a été annulé parce qu’il avait été rempli à partir d’informations provenant d’autres sources et non en fonction d’un examen fait directement sur la personne du travailleur. Le commissaire concluait qu’un tel rapport médical final ne comportait qu’un aspect administratif sans qu’il puisse apparaître déterminant quant à l’octroi ou non de limitations fonctionnelles ou d’une atteinte permanente.
[57] La Commission des lésions professionnelles a décidé de façon contraire dans l’affaire Poulin et Manac inc.10. Toutefois, bien que le rapport final n’avait pas donné lieu à un examen particulier, le médecin avait fondé son opinion sur ses notes de consultation précédentes ce qui est différent du cas en l’espèce où la Dre Samson s’est fié à l’expert de l’employeur et n’avait pas examiné le travailleur même à la visite précédente.
[58] Le tribunal ne partage pas l’opinion émise dans l’affaire Bérubé et DJ Express11 puisqu’il est d’avis que pour produire un rapport en vertu de l’article 203 de la loi, et vu les conséquences très graves qui en découlent, un médecin doit avoir en main toutes les données pertinentes et avoir notamment procédé à un examen contemporain du travailleur.
[59] L’article 203 de la loi est situé dans un chapitre intitulé « Procédure d’évaluation médicale » et il est donc implicite qu’une telle évaluation doit se faire selon les règles de l’art et notamment à l’aide d’un examen clinique objectif et subjectif.
[60] Pour pouvoir décréter la présence ou l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, il est évident qu’on doit avoir procédé à un examen du travailleur à l’occasion de la production du rapport ou peu de temps auparavant ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
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5 Bouchard et Nettoyage Docknet inc., [2003] C.L.P. 1240 .
6 Gérald Paquette Entrepreneur électricien & associés et Gauthier, C.L.P. 237681-64-0406, 11 mai 2006, J-F Martel.
7 Polaszek et Hôpital Reine-Élisabeth, C.A.L.P. 69046-60-9505, 30 juillet 1996, B. Lemay.
8 C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry.
9 C.L.P. 248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay.
10 C.L.P. 125439-03B-9910, 9 juin 2000, R. Savard.
11 C.L.P. 244511-64-0409, 16 mars 2005, R. Daniel.
[60] Ces principes ont été repris par la juge administrative Burdett dans l’affaire Dubé et Arneg Canada inc.[12] :
[49] De plus, non seulement le docteur Blanchet répond à une lettre du docteur Lenis adressée au docteur Viens, il procède à un acte médical soit la fixation d’une date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur le tout, sans même un examen médical. Lors de l’émission du rapport final ou du rapport d'évaluation médicale, le tribunal est d’avis que le médecin qui a charge doit s’assurer d’avoir en main toutes les informations pertinentes et nécessaires à l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et de la date de consolidation de la lésion. Cet exercice est d’autant plus nécessaire que le travailleur ne peut contester l’avis de son médecin en vertu de la loi3. Cette nécessité d’un examen médical contemporain à la production d’un rapport final a été confirmée à maintes reprises par la jurisprudence4.
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3 Bouchard et Nettoyage Docnet inc. [2003] C.L.P. 1240 ; Boudreau et Ministère des transports, 292495-09-0606, 28 juin 2007, J.-F. Clément.
4 Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; Cliche et Gicleurs Éclair inc., C.L.P. 248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay.
[61] Pour conclure sur la question de la nécessité d’un examen médical contemporain qui précède l’émission d’un rapport médical final par le médecin qui a charge du travailleur, la Commission des lésions professionnelles tient à reprendre à son compte les propos que tenait le juge administratif Watkins dans l’affaire Smith et Soucy International inc.[13] :
[68] De même, la jurisprudence majoritaire est à l’effet que pour être valide, un rapport final doit être préparé à la suite d’un examen du travailleur par le médecin9.
[69] Le tribunal adhère à la position majoritaire. De l’avis du tribunal, on ne saurait valablement émettre un rapport final et constater la consolidation de la lésion d’un travailleur sans examen médical. A fortiori, le tribunal est d’avis qu’on ne saurait compléter le REM, partie intégrante du rapport final afin d’« évaluer » des limitations fonctionnelles et une atteinte permanente, sans examen du travailleur.
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9 Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P.215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; Cliche et Gicleurs Éclairs inc., C.L.P.248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay; Prévost-Bastien et Au printemps Gourmet, [2007] C.L.P. 379 ; Boudreau et Ministère des Transports, C.L.P.292495-09-0606, 28 juin 2007, J.-F. Clément; Larocque et Alliance H inc., C.L.P. 307493-64-0701, 28 août 2007, J.-F. Martel ; contra : Poulin et Manac inc., C.L.P.125439-03B-9910, 9 juin 2000, R. Savard; Bérubé et DJ Express, C.L.P. 244511-64-0409, 16 mars 2005, R. Daniel.
[62] La Commission des lésions professionnelles tient également à souligner qu’elle a trouvé plutôt surprenant que la CSST ait laissé la docteure Binet produire un rapport médical final parce qu’elle était sans nouvelles du travailleur depuis plusieurs mois. En effet, la CSST connaissait les raisons qui justifiaient l’absence de consultations auprès de la docteure Binet (incarcération du travailleur) lorsque celle-ci a communiqué avec le docteur Lévesque pour l’informer qu’elle produirait un rapport médical final.
[63] Ceci étant dit, la Commission des lésions professionnelles considère que le rapport médical final émis par la docteure Binet le 30 août 2011 est irrégulier et doit donc être annulé.
[64] Dans ces circonstances, il appert que la lésion professionnelle subie par le travailleur n’est pas consolidée puisque la docteure Binet a produit un rapport médical d’évolution le 3 janvier 2012 dans lequel elle indique que la période prévisible de consolidation est de 60 jours et plus. Elle y précise également que le travailleur est toujours en attente pour subir une intervention chirurgicale auprès du docteur Lépine.
[65] Puisque la lésion professionnelle n’est pas consolidée, la décision rendue par la CSST déterminant un emploi convenable de caissier de station libre-service ainsi que la capacité du travailleur à exercer cet emploi à compter du 10 février 2012 est prématurée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Clermont Lemelin, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il est prématuré de statuer relativement à la capacité du travailleur d’exercer un emploi convenable;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite du versement des indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Michel Letreiz |
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Madame Sylvie Morency |
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Ressource S.M. |
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Représentante de la partie requérante |
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Maître Lucie Rondeau |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Lemelin et Les entreprises LG, C.L.P. 421011-03B-1009, 24 janvier 2011, R. Deraiche.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Wetherall et Entreprises Renaud Rioux, [2009] C.L.P. 283 .
[4] Coulombe et Hydro-Québec, C.L.P. 32547-64-9110, 30 mai 2004, M. Lamarre.
[5] Savard et Gestion ADC (1996) inc., [2004] C.L.P. 1380 . Voir également : Beauparlant et Commission scolaire Crie, C.L.P. 300579-02-0610, 8 octobre 2008, R. Bernard.
[6] Larbi et Emploi Québécoise (2005), C.L.P. 318893-71-0705, 24 octobre 2008, M. Lamarre.
[7] Arcand et Agence de Personnel JDL inc., C.L.P. 258724-61-0503, 21 juin 2006, M. Zigby.
[8] Wetherall et Entreprises Renaud Rioux, précitée, note 3. Voir également : Gagné et Marmen inc., C.L.P. 360448-01A-0810, 3 février 2010, N. Michaud.
[9] Serrumax inc. et Nadon, C.L.P. 192583-72-0210, 17 juillet 2003, P. Perron. Voir également : Gagné et Marmen inc., précitée, note 8.
[10] 2011 QCCLP 3163 .
[11] C.L.P. 292495-09-0606, 28 juin 2007, J.-F. Clément.
[12] C.L.P. 328195-62A-0709, 29 août 2008, C. Burdett.
[13] C.L.P. 356738-04B-0808, 29 janvier 2009, M. Watkins.