Therriault et Commission scolaire Région-de-Sherbrooke |
2016 QCTAT 6808 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 3 septembre 2013, Madame Nicole Therriault (la travailleuse) dépose une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision rendue le 6 août 2015 par la Commission des lésions professionnelles (CLP-1).
[2] Par cette décision, le Tribunal rejette la contestation de la travailleuse, déclare irrégulier l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale le 4 mars 2014, modifie la décision rendue le 11 avril 2014 à la suite d'une révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et déclare que les soins et traitements eu égard à la consolidation de la lésion professionnelle du 28 août 2012 ne sont plus justifiés après le 22 novembre 2013.
[3] Le Tribunal déclare également que la lésion professionnelle n’a pas entrainé d’atteinte permanente additionnelle ni de limitation fonctionnelle permanente additionnelle.
[4] Finalement, le Tribunal retourne le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur les traitements de maintien prescrits par le médecin traitant de la travailleuse au rapport complémentaire du 19 décembre 2013.
[5] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail. La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.
[6] De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.
[7] L’audience de la requête s’est tenue le 11 novembre 2016, à Sherbrooke en présence de la travailleuse, de l’employeur et de leurs représentants respectifs. La Commission avait prévenu le Tribunal de son absence. Le dossier a été mis en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[8] La travailleuse soutient que la décision est entachée de vice de fond de nature à l’invalider de sorte que la décision doit être révoquée. Plus particulièrement, elle allègue que le premier juge administratif a commis une erreur en concluant à l’absence d’atteinte permanente et de limitation fonctionnelle résultant de sa lésion professionnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] Le Tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 6 août 2015.
[10] Au moment où la requête a été déposée, l’article 429.49 de la loi prévoit que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[11] L’article 429.56 constitue une exception à ce principe et prévoit que dans certaines circonstances, la Commission peut révoquer ou réviser une décision qu’elle a rendue. Cet article prévoit ceci :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[12] En l’espèce, la travailleuse invoque le troisième paragraphe de cet article, soit que la décision attaquée est entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.
[13] Depuis le 1er janvier 2016, ces deux articles de la loi ont été abrogés et remplacés par les articles 49 et 51 al. 1 de la LITAT, lesquels prévoient ceci :
49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu:
1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.
__________
2015, c. 15, a. 49.
51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
Elle est exécutoire suivant les conditions et modalités qui y sont indiquées pourvu que les parties en aient reçu copie ou en aient autrement été avisées.
L'exécution forcée d'une telle décision se fait par le dépôt de celle-ci au greffe de la Cour supérieure du district où l'affaire a été introduite et selon les règles prévues au Code de procédure civile (chapitre C-25).
Si cette décision contient une ordonnance de faire ou de ne pas faire, toute personne nommée ou désignée dans cette décision qui la transgresse ou refuse d'y obéir, de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment, se rend coupable d'outrage au tribunal et peut être condamnée par le tribunal compétent, selon la procédure prévue aux articles 53 à 54 du Code de procédure civile, à une amende n'excédant pas 50 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une durée d'au plus un an. Ces pénalités peuvent être infligées de nouveau jusqu'à ce que le contrevenant se soit conformé à la décision. La règle particulière prévue au présent alinéa ne s'applique pas à une affaire relevant de la division de la santé et de la sécurité du travail.
__________
2015, c. 15, a. 51.
[14] Comme ces dernières dispositions ne modifient en aucune façon la nature du recours de l’employeur, ni le droit applicable, il y a lieu de considérer qu’il s’agit de dispositions de pure procédure, qui reçoivent application dès leur entrée en vigueur, le législateur n’ayant pas prévu que tel n’était pas le cas. Ce sont donc les articles correspondants de la LITAT qui seront analysés, en l’absence de modification du contenu de ces dispositions quant au droit applicable.
[15] La travailleuse invoque la notion de vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision, ce que vise le troisième paragraphe de l’article 49 de la LITAT.
[16] Quant à la notion de « vice de fond ou de procédure », elle a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur la jurisprudence élaborée par les tribunaux supérieurs[2].
[17] Ainsi, dans l’arrêt Bourassa c. CLP[3], la Cour concluait que, sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit pas être un appel sur la base des mêmes faits. Elle ajoutait qu’« Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments ».
[18] Dans l’arrêt Amar c. CSST[4], la Cour d’appel rappelle qu’une divergence d’interprétation quant au sens à donner à un texte législatif ne peut permettre de révoquer une décision. La Cour écrit :
26. Il appartient d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter ce texte et de lui donner le sens qui, à leur avis, répondait le mieux à l’intention du législateur, l’objet de la L.A.T.M.P. et à la situation personnelle de l’appelant.
27. L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique, l’exercice d’interprétation exige de l’interprète de procéder à des choix qui, bien qu’encadrés par les règles d’interprétation des lois, sont sujets à une marge d’appréciation admissible.
[19] Dans l’arrêt CSST c. Fontaine[5], la Cour d’appel discute à nouveau de ce qui pourrait constituer un vice de fond de nature à permettre une intervention en révision. Elle reprend la jurisprudence sur la question et s’exprime ainsi :
[50] En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un «defect so fundamental as to render [the decision] invalid»46, «a fatal error»47. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa48, est «entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige». Le juge Dalphond, dans l’arrêt Batiscan49, effectue le rapprochement avec l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc. de la Cour suprême du Canada, où le juge Iacobucci apportait plusieurs éclaircissements utiles sur les attributs de deux notions voisines, l’erreur manifeste et la décision déraisonnable. Il s’exprimait en ces termes50 :
Même d'un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l'application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable.
On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première51. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»52. L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53, mais, comme «il appartient d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55. Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision56.
_________
46 Supra, note 12, paragr. 20
47 Ibid., paragr. 48.
48 Supra, note 10, paragr.21.
49 Supra, note 40, paragr.56
50 [1997] 1 R.C.S. 748, paragr.60.
51 Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.
52 Ibid., paragr. 51.
53 Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
54 Ibid., paragr. 26.
55 Supra, note 10, paragr. 24
56 Ibid., paragr.22.
[20] Plus récemment, dans l’affaire Moreau c. Régie de l’Assurance maladie du Québec[6], la Cour d’appel réitère ces principes.
[21] Ainsi, le recours en révision ne saurait servir de prétexte à une réappréciation des mêmes faits que ceux soumis ou une occasion de présenter des arguments qui auraient pu être soumis lors de l’audition du fond.
[22] En l’espèce, CLP-1 devait disposer de la contestation de la travailleuse d’une décision la déclarant capable d’exercer son emploi et mettant fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisque la lésion n’avait pas entrainé de limitation fonctionnelle additionnelle. Par la même décision, la CSST déclarait aussi qu’elle devait cesser de payer les soins et les traitements après le 22 novembre 2013 puisqu’ils ne sont plus justifiés et que la travailleuse n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné que la lésion professionnelle du 28 août 2012 n’avait pas entrainé d’atteinte permanente supplémentaire.
[23] En début d’audience, le premier juge administratif a invité les parties à soumettre leur position quant à la régularité de l’avis émis par le Bureau d'évaluation médicale. Dans le dossier, le docteur Bah avait émis un avis à la demande de la CSST, le 22 novembre 2013, dans lequel il avait conclu que le diagnostic de la lésion était une entorse lombaire sur une condition sous-jacente de scoliose thoracolombaire et d’arthrose facettaire. Il indiquait également que la lésion professionnelle était consolidée et que la travailleuse conservait un pourcentage d’atteinte permanente à son intégrité physique de 2 % pour une entorse dorsolombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et des limitations fonctionnelles de la classe 1. Il considérait qu’il n’y avait pas d’indication de répéter les traitements de bloc facettaire.
[24] Le 19 décembre 2013, le docteur Mongeon, médecin traitant de la travailleuse, produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit en accord avec l’opinion du docteur Bah, sauf pour la nécessité des soins et traitements à maintenir et non à cesser. Il indique que la travailleuse continue de nécessiter un suivi et des traitements en spécialité (physiatrie) et que la physiothérapie et l’ergothérapie doivent toujours être disponibles pour la travailleuse.
[25] Le 4 mars 2014, le docteur Cloutier, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, évalue la travailleuse afin de donner son avis sur la nécessité des soins et traitements ainsi que sur l’existence des séquelles permanentes. Il ne constate pas de détérioration de l’état de la travailleuse comparativement à l’examen du docteur Dufour du 13 février 2001, réalisé pour évaluer les séquelles d'une lésion professionnelle antérieure, survenue le 27 novembre 1999.
[26] À cette époque, le docteur Dufour retenait un diagnostic d’entorse lombaire sur une condition préexistante de scoliose dorsolombaire idiopathique avec changements dégénératifs secondaires. Il consolidait la lésion à la date de son examen, ne recommandait pas la poursuite de la physiothérapie ni de la chiropraxie, suggérait l’application de chaleur localement et un antiinflammatoire. Il notait que la travailleuse devait s’habituer à vivre avec une certaine douleur lombaire. Il considérait que la lésion avait entraîné une atteinte permanente de 2 %, pour une entorse dorsolombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées, et des limitations fonctionnelles de classe I, soit :
· Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquentes des activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 kilos;
· Travailler en position accroupie;
· Ramper, grimper;
· Éviter des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension et de torsion de la colonne lombaire;
· Subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[27] Ainsi, le docteur Cloutier est d’avis que la travailleuse ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles supplémentaires à la suite de sa lésion professionnelle du 28 août 2012.
[28] Le 21 mars 2014, la CSST entérine l’avis du Bureau d’évaluation médicale et informe la travailleuse que les soins et traitements ne sont plus justifiés depuis le 22 novembre 2013 et qu'elle doit cesser de les payer.
[29] Dans sa décision, CLP-1 constate d’abord que le rapport complémentaire du 19 décembre 2013 ne comporte aucune ambiguïté et que la décision de la CSST de considérer qu’il y avait accord sur les questions du diagnostic et de la date de consolidation était bien fondée.
[30] En ce qui concerne la nature, nécessité, suffisance ou durée des soins et traitements administrés ou prescrits, CLP-1 conclut que la CSST ne pouvait valablement saisir le Bureau d’évaluation médicale de cette question parce que le médecin traitant avait exprimé son accord avec le membre du Bureau d'évaluation médicale sur la question de la consolidation de la lésion et qu’on doit nécessairement en déduire qu’au chapitre de la suffisance des soins et traitements nécessaires à la consolidation de la lésion, il partageait également cet avis. Il y avait donc absence de litige à trancher à cet égard. Également, le premier juge administratif est d’avis, s’appuyant sur les affaires Patterson[7] et Godbout et (PP) Nicole Marois[8], que dans son rapport complémentaire, le médecin traitant référait à des traitements de soutien ou maintien et que cette question n’est pas du ressort du Bureau d’évaluation médicale. Il s’agit d'un élément parmi d’autres qui devrait être considéré dans le cadre de la réadaptation.
[31] Le premier juge administratif considère donc que l’avis du Bureau d’évaluation médicale sur la question de la suffisance des soins et traitements ne liait pas la CSST.
[32] En ce qui concerne la question des séquelles permanentes, CLP-1 considère que le rapport complémentaire du docteur Mongeon qui se disait en accord avec les conclusions du docteur Bah constituait par extension le rapport final que prévoit l’article 203 de la loi. Il s’ensuit qu’en l’absence de litige, le Bureau d'évaluation médicale ne pouvait être valablement être saisi de la question des séquelles permanentes et que son avis ne liait pas la CSST. CLP-1 s’exprime ainsi :
Les séquelles permanentes
[113] La question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles se présente sous un autre jour. D’une part, parce que dans sa demande de production de rapport complémentaire, la CSST a demandé au docteur Mongeau son opinion uniquement sur la question du diagnostic, la date de consolidation de la lésion et la suffisance ou la nécessité de soins et traitements. D’autre part, parce que docteur Mongeau a clairement exprimé au rapport complémentaire qu’il a produit le 19 décembre 2013 qu’il était d’accord avec l’opinion du médecin désigné de la CSST qui lui, s’était prononcé préalablement sur l’ensemble des questions d’ordre médical prévue à l’article 212.
[114] Donc, soit l’on considère que docteur Mongeau ne s’est pas prononcé sur la question des séquelles permanentes, soit l’on considère que son accord exprimé au rapport complémentaire couvre toutes les questions d’ordre médical eu égard à la consolidation de la lésion.
[115] La première hypothèse implique que le tribunal pourrait retourner le dossier à la CSST afin de demander au docteur Mongeau la production d’un rapport complémentaire uniquement sur la question des séquelles permanentes, avec tous les délais et les va-et-vient administratico-juridiques que cela ne manqueraient pas d’impliquer. Ce qui est du reste contraire aux exigences de célérité que commande la justice administrative.
[116] La seconde hypothèse implique que le rapport complémentaire du 19 décembre 2013 « constitue par extension le rapport final que prévoit l’article 203 de la loi », comme en faisait état la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Thériault et C.P.E.-Au jardin des merveilles11, précitée.
[117] Le tribunal entend retenir cette seconde hypothèse.
[118] D’abord, pour le motif précédemment exprimé quant aux exigences de célérité que commande la justice administrative. Ensuite, parce que le diagnostic d’entorse lombaire posé par docteur Bah, avec lequel docteur Mongeau s’est dit en accord, une fois consolidé, entraîne l’attribution d’une atteinte permanente de 2 %, et ce, conformément au Règlement sur le barème des dommages corporels12 (le règlement), comme l’a indiqué docteur Bah dans ses conclusions. Enfin parce que de l’avis du tribunal, lorsque docteur Mongeau inscrit au rapport complémentaire qu’il est d’accord avec l’opinion du docteur Bah et qu’il précise spécifiquement sauf le maintien de traitements de soutien, il manifeste vraisemblablement aussi son accord avec la conclusion du médecin désigné de la CSST sur la question des limitations fonctionnelles.
[119] Il s’ensuit qu’en l’absence de litige, le Bureau d’évaluation médicale ne pouvait donc non plus être valablement saisi de la question des séquelles permanentes et que l’avis du docteur Cloutier ne liait pas la CSST. Quoi qu’il en soit, si l’avis du docteur Cloutier devait être considéré liant, le tribunal note que ses conclusions rejoignent celles du docteur Bah, constituant par le fait même une preuve fortement prépondérante sur le sujet. Quant aux conclusions du docteur Bergeron sur la question, elles sont justifiées par un diagnostic qui n’est pas celui de la lésion. Elles ne sauraient par conséquent être retenues.
[120] En regard de la recommandation du médecin qui a charge de la travailleuse quant à la prescription de traitements de maintien ou de soutien, il appartiendra à la CSST de se prononcer spécifiquement sur le sujet et le dossier lui sera donc retourné uniquement à cet égard.
[121] Quant aux décisions déposées par le procureur de la travailleuse, d’importantes nuances doivent être apportées avec le cas sous étude. Ainsi, dans l’affaire Bacon13, précitée, il y est question d’un travailleur qui pouvait voir son état s’améliorer après une chirurgie qu’il avait d’abord refusée et ensuite acceptée. Il était donc plausible de remettre en cause la stabilité de sa lésion. Ce qui est loin d’être le cas en l’espèce. Qui plus est, il y est fait état d’un avis antérieur imprécis du Bureau d’évaluation médicale et d’un rapport complémentaire qui n’était pas clair, toujours eu égard à la consolidation de la lésion en raison de ladite chirurgie. Évidemment le suivi médical pré et post-consolidation fut alors analysé en ce sens. En l’espèce, le présent tribunal a statué non seulement que le rapport complémentaire était clair, mais a également exprimé pourquoi le suivi médical pré-consolidation du médecin qui a charge de la travailleuse devait être privilégié plutôt que le suivi post-consolidation.
[122] Il est en de même dans l’affaire Gagnon14, précitée, où le rapport complémentaire fut jugé imprécis et ambigu.
[123] Avec égards, le tribunal tient à souligner une fois de plus que les circonstances précises de la présente affaire, impliquant un diagnostic d’entorse lombaire, l’existence d’antécédents, une importante condition personnelle sous-jacente, et un suivi médical dénotant la chronicité de la condition de la travailleuse, permet de conclure de façon probante que l’opinion exprimée par docteur Mongeau au rapport complémentaire du 19 décembre 2013 était claire, limpide, et exempte d’ambiguïté.
[124] Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles juge qu’à la suite de la production du rapport complémentaire du 19 décembre 2013, la CSST ne pouvait valablement avoir recours à la procédure d’évaluation médicale. Par conséquent, l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale le 4 mars 2014 était irrégulier et ne liait pas la CSST. Il en découle du fait même qu’en fonction de l’accord exprimé par le médecin qui a charge de la travailleuse avec les conclusions du médecin désigné de la CSST, la lésion professionnelle du 28 août 2012 n’a pas entrainé d’atteinte permanente ni de limitation fonctionnelle additionnelle.
________
11 Thériault et C.P.E. - Au jardin des merveilles, précitée, note 3.
12 RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
13 Précitée, note 3.
14 Précitée, note 3.
[33] Ainsi, s’estimant lié par l’avis du médecin traitant qui faisait siennes les conclusions du docteur Bah, le Tribunal considère que la travailleuse n’a conservé aucune atteinte permanente à son intégrité physique ni de limitation fonctionnelle de sa lésion professionnelle survenue le 28 août 2012.
[34] Dans sa requête en révision ou en révocation, la travailleuse soutient qu’en retenant la seconde des hypothèses formulées, le premier juge administratif concluait à l’absence de litige sur la question de l’atteinte permanente puisque tant le docteur Bah que le docteur Mongeau retenaient un pourcentage d’atteinte permanente additionnel de 2 %. Or, contre toute attente, CLP-1 ne retient aucune atteinte permanente dans ses conclusions et il est impossible de connaître la source médicale de cette absence d’atteinte permanente à moins que le premier juge administratif puise ce constat dans le rapport du Bureau d'évaluation médicale qu’il vient d’écarter parce qu’irrégulier.
[35] La travailleuse soutient également que le premier juge administratif souligne que les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale rejoignent celles du docteur Bah sur la question de l’atteinte permanente alors que cette affirmation est fausse puisque le Bureau d’évaluation médicale ne retient aucune atteinte permanente alors que le docteur Bah retient un pourcentage de 2 %.
[36] Selon la travailleuse, le fait de ne retenir aucune atteinte permanente constitue un vice de fond de nature à invalider la décision puisque les conclusions retenues par CLP-1 n’ont pas de lien logique avec le raisonnement défendu.
[37] En premier lieu, il y a lieu de rapporter la teneur de l’avis du docteur Bah sur la question du pourcentage d’atteinte permanente. En effet, comme le reconnaissent les tribunaux supérieurs, le Tribunal siégeant en révision peut revoir les motifs d’une décision en prenant connaissance du dossier. Ainsi, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)[9], la Cour souligne que si le décideur en révision ne doit pas substituer ses propres motifs à ceux du premier décideur, il peut toutefois, s’il cela est nécessaire, «examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat».
[38] Plus récemment, dans l’affaire Beaupré-Gâteau c. Commission des relations de travail[10], la Cour supérieure précise qu’un tribunal administratif siégeant en révision peut également examiner un dossier pour déterminer si la décision doit être révisée. Elle s’exprime ainsi :
[52] Si une Cour de justice «peut examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat», la CRT, siégeant en révision administrative, peut certes se permettre un tel examen d’autant plus que son rôle est de déterminer si la décision est entachée ou non «d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider».
[39] Ainsi, le docteur Bah rapporte l’atteinte permanente de la travailleuse de la façon suivante :
Il est indiqué de retenir une atteinte permanente.
Séquelles actuelles:
204 004 Entorse lombaire avec changement radiologique 2%
Séquelles antérieures:
204 004 Entorse lombaire avec changement radiologique 2%
[40] Or, l’article 5 du Règlement sur le Barème des dommages corporels[11] prévoit ceci :
5. Dans le cas d’une lésion préexistante à la lésion évaluée, les séquelles de la lésion préexistante sont évaluées suivant le barème, mais uniquement aux fins du calcul des dommages corporels résultant de la lésion évaluée.
Les pourcentages résultant des séquelles de la lésion préexistante sont ensuite déduits des pourcentages totaux de dommages corporels.
___________
D. 1291-87, a. 5.
[41] C’est donc par l’application de cette disposition que le premier décideur retient que la travailleuse ne conserve aucune atteinte permanente à son intégrité physique. En effet, la travailleuse conservait d’une lésion antérieure à celle évaluée un pourcentage d’atteinte permanente de 2 % pour une entorse lombaire. Ce pourcentage devait donc obligatoirement être déduit du pourcentage de 2 % pour une entorse lombaire, attribué pour les séquelles actuelles. Le résultat de ce calcul faisait en sorte que la travailleuse ne conservait aucune atteinte permanente à la suite de sa lésion professionnelle survenue le 28 août 2012.
[42] Ainsi, la conclusion du premier juge administratif selon laquelle la lésion professionnelle n’avait pas entrainé d’atteinte permanente était conforme à la preuve au dossier. De fait, il s’agissait de la seule issue possible considérant que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale avait été écarté parce qu’irrégulier. Le Tribunal demeurait donc lié par l’avis du médecin traitant de la travailleuse. Or, en se déclarant en accord avec l’avis du docteur Bah, le médecin traitant reprenait à son compte en quelque sorte l’avis de ce dernier et les conclusions retenues devenaient ainsi liantes. Or, selon l’évaluation de ce dernier, la travailleuse ne conservait pas d’atteinte permanente à son intégrité physique puisque les séquelles actuelles étaient identiques aux séquelles antérieures.
[43] Ainsi, cette partie de la décision ne contient aucun vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.
[44] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, le même raisonnement doit être repris. En effet, la travailleuse conservait des limitations fonctionnelles permanentes à la suite de la lésion professionnelle survenue en 1999. Ces limitations fonctionnelles étaient les suivantes :
J’affirme qu’il y a des limitations fonctionnelles et tel que suggéré par le docteur Turcotte devraient être de classe I, c’est-à-dire:
· éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquentes des activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 kilos;
· travailler en position accroupie;
· ramper, grimper;
· éviter des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension et de torsion de la colonne lombaire;
· subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[45] Quant au docteur Bah, il retenait également des limitations fonctionnelles de la classe 1 qu’il énumérait de la façon suivante :
Les limitations fonctionnelles pour une entorse lombaire avec syndrome facettaire sont des limitations fonctionnelles de classe 1 de l’IRSST à savoir que la patiente doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquentes les activités qui impliquent de:
· Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15-25 kilos;
· Travailler en position accroupie;
· Ramper, grimper;
· Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, extension ou de torsion au niveau de la colonne lombaire;
· Subir des vibrations à basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[46] Afin de déterminer si la travailleuse conservait des limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle du 28 août 2012, il convenait de comparer celles retenues à la suite de la lésion professionnelle survenue en 1999, à celles retenues par le docteur Bah.
[47] Or, la comparaison de ces limitations fonctionnelles démontre qu’elles sont identiques à celles établies antérieurement, de sorte que la conclusion selon laquelle la travailleuse ne conserve pas de limitation fonctionnelle s’impose. En effet, la travailleuse demeure dans le même état que celui constaté à la suite de sa première lésion professionnelle.
[48] Il s’ensuit que la conclusion du premier juge administratif selon laquelle la travailleuse ne conservait pas de limitation fonctionnelle à la suite de sa lésion professionnelle du 28 août 2012 était conforme à la preuve du dossier. Tout comme pour ce qui en est de la question de l’atteinte permanente, il s’agissait de la seule issue possible dans le dossier, le Tribunal étant lié par cet avis.
[49] Ainsi, la décision de CLP-1 selon laquelle la travailleuse ne conservait pas de limitation fonctionnelle à la suite de sa lésion professionnelle ne contient aucun vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.
[50] Finalement, en ce qui concerne le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, ce droit est établi en fonction de l’incapacité de la travailleuse à exercer son emploi :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
[51] D’autre part, l’incapacité de la travailleuse est établie tant que sa lésion professionnelle n’est pas consolidée :
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
[52] Finalement, un travailleur dont la lésion est consolidée peut continuer de toucher son indemnité de remplacement du revenu tant qu’il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer son emploi :
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 47.
[53] Finalement, le droit à la réadaptation est en fonction de la présence de séquelles permanentes découlant de la lésion professionnelle :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[54] En l’espèce, la travailleuse ne conserve ni atteinte permanente ni limitation fonctionnelle à la suite de sa lésion professionnelle. Il s’ensuit qu’elle n’avait pas besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer son emploi et que la CSST était bien fondée de conclure que la travailleuse n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu. C’est ce qu’elle avait conclu dans la décision contestée devant CLP-1.
[55] En l’espèce, bien que le premier juge administratif n’ait pas repris cette conclusion dans son dispositif, elle découlait de par l’effet de la loi. Il aurait sans doute été préférable que le premier juge administratif reprenne cette conclusion dans son dispositif mais ceci n’est pas fatal dans la mesure où il rejette la contestation de la travailleuse et déclare que la travailleuse ne conserve ni atteinte permanente ni limitation fonctionnelle à la suite de sa lésion professionnelle du 28 août 2012. La fin du droit à l’indemnité de remplacement du revenu découlait nécessairement de ces conclusions.
[56] Ainsi, la décision CLP-1 ne contenant aucun vice de fond ou de procédure, la requête en révision doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la requête en révision ou en révocation présentée par madame Nicole Therriault, la travailleuse.
|
|
|
Guylaine Moffet |
|
|
Me Charles-David Brulotte |
|
FPSS-CSQ |
|
Pour la partie demanderesse |
|
|
|
Me Martine Gravel |
|
MORENCY, SOCIÉTÉ D’AVOCATS, SENCRL |
|
Pour la partie mise en cause |
|
|
|
Date de la dernière audience : 11 novembre 2016 |
[1] RLRQ, c. T-15.1.
[2] Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchenilli et Sousa, [1998] C.L.P. 783; Desjardins et Réno-Dépôt inc., [1999] C.L.P. 898; Dastous c. CLP, C.S. Longueuil, 505-05-005248-999, 15 juin 1999, j. Maughan; Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.), j. Rousseau-Houle; Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004, (30009).
[3] Id.
[4] [2003] C.L.P. 606.
[5] 2005 QCCA 775; voir également au même effet, CSST c. Touloumi, 2005 QCCA 947.
[6] 2014 QCCA 1067.
[7] 2014 QCCLP 4606
[8] 2015 QCCLP 306.
[9] [2011] 3 R.C.S. 708.
[10] 2015 QCCS 1430.
[11] RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.