Décision

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Labelle c. Automobiles Pierre-A. St-Jean inc. (Joliette Volkswagen)

2021 QCCQ 8396

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-016727-197

 

DATE :

31 août 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE PATRICK CHOQUETTE, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

GENEVIÈVE LABELLE

Demanderesse

c.

AUTOMOBILES PIERRE-A. ST-JEAN INC. fasn JOLIETTE VOLKSWAGEN

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Geneviève Labelle réclame 5 000 $ à Automobiles Pierre-A. St-Jean inc. (Joliette Volkswagen) en raison d’une publicité trompeuse concernant certaines options absentes d’une Volkswagen Jetta Sedan TSI Trendline 2017 qu’elle a achetée de Joliette Volkswagen.

[2]           Joliette Volkswagen conteste la demande. Malgré l’erreur sur la publicité de son site web, Geneviève Labelle a été avisée, préalablement à son achat, que le véhicule ne comportait pas la climatisation ni le télédéverrouillage; elle a choisi d’acheter en toute connaissance de cause.

LES QUESTIONS EN LITIGE

a)    Le comportement de Joliette Volkswagen contrevient-il à la Loi sur la protection du consommateur[1]?

b)    Geneviève Labelle a-t-elle droit à un dédommagement?

LE CONTEXTE

[3]           Geneviève Labelle souhaite acquérir rapidement un véhicule neuf pour les déplacements requis à l’occasion de son travail.

[4]           En octobre 2018 elle repère, sur le site web de Joliette Volkswagen, une publicité annonçant une Volkswagen Jetta Sedan TSI Trendline 2017 (la Jetta 2017) au prix de 15 494 $[2]. La publicité laisse entrevoir une économie de 3 427 $ sur le prix de base suggéré par le manufacturier[3].

[5]           La publicité réfère à une liste de 61 options comprenant notamment, climatiseur, télédéverrouillage, rétroviseurs électriques et contrôle de stabilité. Il s’agit d’une très bonne affaire.

[6]           Elle contacte par téléphone un représentant de Joliette Volkswagen pour réserver le véhicule et verse un dépôt de 1 000 $. Le rendez-vous pour la signature du contrat et la livraison du véhicule est fixé au 12 octobre 2018.

[7]           Le 12 octobre 2018, Geneviève Labelle quitte Ottawa après son travail, accompagné de ses parents, pour se rendre chez le concessionnaire à Joliette. Ils arrivent vers 20h30 peu avant la fermeture.

[8]           La Jetta 2017 lui est présentée avant la signature du contrat. En s’assoyant sur le siège conducteur, elle réalise qu’il n’y a pas de commande pour le climatiseur. Elle questionne le représentant du concessionnaire, Stéphane Boileau, qui lui explique que ce véhicule ne comporte pas cette option.

[9]           Geneviève Labelle lui répond que selon son souvenir de la publicité sur le site web, la Jetta 2017 est munie d’un climatiseur. Stéphane Boileau lui rétorque qu’elle a tort.

[10]        Elle lui fait également la même remarque quant à l’absence d’un système de télédéverrouillage. Stéphane Boileau lui répond également qu’elle a tort et que ce véhicule ne comporte pas cette option.

[11]        Stéphane Boileau est convaincant et Geneviève Labelle conclut qu’elle doit être dans l’erreur. Elle signe le contrat de vente[4] et le document de prise de possession[5].

[12]        Sur le chemin du retour au volant de sa nouvelle Jetta 2017, elle réalise également que le véhicule n’est pas équipé de rétroviseurs électriques.

[13]        De retour à Ottawa elle retrouve la publicité de Joliette Volkswagen[6] et constate qu’elle n’est pas dans l’erreur. La Jetta 2017 est annoncée avec rétroviseurs électriques/chauffants, climatiseur, télédéverrouillage et contrôle de stabilité.

[14]        Après avoir communiqué avec Stéphane Boileau, elle reçoit une fin de non-recevoir du directeur général de l’époque, Frédéric Gauthier. Dès le lendemain, la publicité disparaît du site web du concessionnaire.

[15]        Joliette Volkswagen maintient sa position malgré l’envoi d’une mise en demeure par l’avocate de Geneviève Labelle, le 19 novembre 2018[7].

ANALYSE

a)    Le comportement de Joliette Volkswagen contrevient-il à la Loi sur la protection du consommateur?

[16]        Le contrat de vente de la Jetta 2017 entre Geneviève Labelle et Joliette Volkswagen est un contrat de consommation assujetti aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (la LPC).

[17]        Les dispositions de la LPC pertinentes à la présente affaire sont les suivantes :

9. Lorsqu’un tribunal doit apprécier le consentement donné par un consommateur à un contrat, il tient compte de la condition des parties, des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et des avantages qui résultent du contrat pour le consommateur.

16. L’obligation principale du commerçant consiste dans la livraison du bien ou la prestation du service prévu dans le contrat.

Dans un contrat à exécution successive, le commerçant est présumé exécuter son obligation principale lorsqu’il commence à accomplir cette obligation conformément au contrat.

41. Un bien ou un service fourni doit être conforme à une déclaration ou à un message publicitaire faits à son sujet par le commerçant ou le fabricant. Une déclaration ou un message publicitaire lie ce commerçant ou ce fabricant.

215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251 ou, lorsqu’il s’agit de la vente, de la location ou de la construction d’un immeuble, une pratique visée aux articles 219 à 222, 224 à 230, 232, 235, 236 et 238 à 243.

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

221. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit:

a) prétendre qu’un bien ou un service comporte une pièce, une composante ou un ingrédient particulier;

(…)

224. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit:

(…)

             c) exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé.

253. Lorsqu’un commerçant, un fabricant ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d’un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique interdite visée aux paragraphes a et b de l’article 220, a, b, c, d, e et g de l’article 221, d, e et f de l’article 222, c de l’article 224, a et b de l’article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé.

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

a) l’exécution de l’obligation;

b) l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c) la réduction de son obligation;

d) la résiliation du contrat;

e) la résolution du contrat; ou

f) la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[18]        La publicité sur le site web de Joliette Volkswagen annonce la Jetta 2017 avec certaines options que le véhicule vendu ne possède pas.

[19]        La preuve retenue par le Tribunal est concluante que les caractéristiques annoncées ainsi que le prix ont été déterminantes dans la décision de Geneviève Labelle de vouloir transiger avec Joliette Volkswagen.

[20]        Le temps semble avoir joué contre elle et elle s’est sentie sous pression d’acheter un véhicule qui ne correspondait pas à celui envisagé. Pour elle, l’option de la climatisation était importante et elle regrette son achat. Elle aurait rapporté le véhicule dès le lendemain si elle avait pu.

[21]        Mais le représentant Stéphane Boileau semble avoir été convaincant dans sa position que le véhicule annoncé ne comportait pas les options de climatisation et télédéverrouillage.

[22]        Geneviève Labelle avait le choix de ne pas acheter le véhicule. Elle l’a acquis au prix annoncé en sachant qu’il ne comportait pas les options en question. Elle ne demande cependant pas l’annulation de la vente.

[23]        Elle soutient subir un dommage évalué à 3 000 $ représentant la valeur des options manquantes. Elle établit cette somme après vérification auprès d’un autre concessionnaire.

[24]        Monsieur Éric Gingras, le nouveau directeur général de Joliette Volkswagen en poste depuis environ un an, regrette que Geneviève Labelle n’aie pas vécu une expérience d’achat positive.

[25]        Après vérification auprès de Stéphane Boileau, toujours à l’emploi de Joliette Volkswagen, ce dernier ne conteste pas la version de Geneviève Labelle quant aux circonstances entourant l’achat et la prise de possession.

[26]        Il explique toutefois que le coût d’acquisition du modèle de Jetta TSI Trendline 2017 avec les options en question aurait été d’au moins 3 000 $ supérieur, tel que le démontrent d’ailleurs les documents d’acquisition d’un tel véhicule[8].

[27]        Pour le Tribunal, Joliette Volkswagen contrevient aux articles 41 et 219 de la LPC. La publicité comporte des informations fausses en annonçant des options dont ne dispose pas le véhicule correspondant.

[28]        L’article 219 loge au titre II de la LPC relativement aux pratiques de commerce interdites.

[29]        Or, selon la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard c. Time Inc. :[9]

La commission d’une pratique interdite peut entraîner l’application d’une présomption absolue de préjudice. En conséquence, le consommateur n’a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c.[10]

b)   Geneviève Labelle a-t-elle droit à un dédommagement?

[30]        Selon ce qui précède, il ne fait aucun doute que Geneviève Labelle a droit à un dédommagement. Mais quel est-il?

[31]        Dans cet exercice, et puisque Geneviève Labelle ne demande pas la nullité du contrat, le Tribunal doit apprécier le consentement donné à la transaction, et les avantages qui résultent du contrat pour cette dernière.

[32]        Elle a acquis en octobre 2018 un modèle neuf 2017 à un prix inférieur de 3 427 $ du prix de détail suggéré par le fabricant[11]. Elle aurait pu ne pas donner suite à la transaction, mais elle a choisi de signer le contrat et d’en prendre livraison en sachant qu’il ne comportait pas les options en question.

[33]        Malgré le fait qu’elle ait été attirée par une publicité fausse résultant d’une erreur du concessionnaire, la preuve ne démontre pas qu’elle a payé un prix supérieur à la valeur du véhicule vendu. La preuve, non contredite, établit qu’elle aurait dû débourser minimalement 3 000 $ de plus pour acquérir un véhicule équipé des options en question.

[34]        Il ne peut donc s’agir de la valeur de son préjudice.

[35]        Geneviève Labelle réclame également 2 000 $ à titre de dommages pour troubles et inconvénients.

[36]        Parmi ceux-ci, elle soutient que le véhicule sera plus difficile à revendre. Cela n’est pas impossible, mais telle n’est pas la mesure de la preuve requise. Il ne s’agit pour le moment que d’une hypothèse non démontrée par une preuve admissible. Cela ne satisfait donc pas le Tribunal.

[37]        Elle réclame également le remboursement de ses frais d’avocat de 250 $. À moins de circonstances exceptionnelles, lesquelles n’apparaissent pas de la preuve, les honoraires extrajudiciaires ne constituent pas un dommage direct compensable[12].

[38]        Elle ne peut non plus réclamer les inconvénients de ne pouvoir utiliser la climatisation et le télédéverrouillage. Elle pouvait tout simplement refuser d’acquérir la Jetta 2017.

[39]        Mais les circonstances de la présente affaire sont précisément celles décrites par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard c. Times :

[116] Selon cette approche, le tribunal ne pourrait pas accorder au consommateur l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. lorsqu’un commerçant, après avoir diffusé une publicité trompeuse au cours de la phase précontractuelle, aurait corrigé l’information directement auprès du consommateur dans les instants précédant la conclusion du contrat. Puisque ce comportement ne constituerait qu’un « dol éclairé et non préjudiciable », il ne pourrait donner ouverture à ces mesures de réparation spécifiques (L. Nahmiash, « Le recours collectif et la Loi sur la protection du consommateur : le dol éclairé et non préjudiciable — l’apparence de droit illusoire », dans Développements récents sur les recours collectifs (2004), 75).

[117] À notre avis, cette position sous-estime l’influence possible des publicités trompeuses sur la décision du consommateur de s’engager dans une relation contractuelle avec un commerçant. Cette position considère effectivement qu’une publicité ne peut avoir un effet dolosif lorsque le consommateur découvre son caractère trompeur quelques minutes avant de conclure un contrat avec un commerçant. Or, cette conception de l’« effet dolosif » est trop restreinte pour permettre au recours de l’art. 272 L.p.c. d’atteindre ses objectifs. Elle ne traduit pas fidèlement la façon dont les consommateurs sont souvent invités à donner leur consentement en cette matière.

[118] L’affirmation que les publicités possèdent la capacité d’attirer le consommateur dans la sphère d’influence des commerçants est un euphémisme. Très souvent, les publicités stimulent l’intérêt du consommateur et l’incitent à se rendre physiquement chez un commerçant afin d’en apprendre davantage sur le produit ou le service mis en valeur. Le processus décisionnel du consommateur s’engage alors : il envisage de se procurer un bien ou un service sur la base des représentations faites dans la publicité. Enfin, la vulnérabilité du consommateur augmente dès qu’il se trouve sur place.

[119] Dans l’absolu, les représentations et l’insistance d’un commerçant pour amener le client à céder n’ont rien de répréhensible. Elles sont normales et inévitables dans un système économique où prime la libre concurrence. La situation diffère lorsque le consommateur est attiré par une publicité fausse ou trompeuse, et ce, même si le commerçant « corrige » l’information dans le cadre de discussions individuelles dans les instants précédant la conclusion du contrat. Certes, une interprétation rigoriste des règles en matière de formation des contrats peut conduire à la conclusion que le consommateur donne malgré tout un consentement libre et éclairé lorsqu’il découvre, avant de contracter, le caractère trompeur d’une publicité. Cependant, une conception plus conforme à la portée sociale de la L.p.c. ferait conclure que la décision du consommateur de s’engager dans une relation contractuelle avec le commerçant a été viciée à la base par une publicité trompeuse.

[120] Il est difficile de nier qu’une telle « correction » de l’information trompeuse s’effectue souvent tardivement dans le processus de formation du contrat. À titre d’exemple, les membres du groupe visé par le recours collectif dans l’affaire Brault & Martineau ont appris à la caisse, c’est-à-dire après avoir discuté avec un vendeur des modalités de paiement et de financement ainsi qu’après l’émission d’un bon de commande, qu’ils devaient payer les taxes (C.S., par. 29-30; voir également Chartier c. Meubles Léon ltée, 2003 CanLII 7749 (C.S. Qué.)). Cette correction peut donc s’effectuer après que le consommateur a, dans les faits, consenti à acheter le produit en question. Dans un tel contexte, il est certain que la pratique interdite contribue à entraîner le consommateur dans une relation contractuelle sur la base d’informations trompeuses.

[40]        L’effet dolosif de la pratique interdite est avéré et la présomption que le consommateur subit un préjudice est irréfragable.

[41]        Dans sa discrétion, et en l’absence d’autres éléments probants, le Tribunal évalue ce préjudice relié aux troubles et inconvénients découlant de la conduite de la Volkswagen Joliette à la somme de 1 000 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]        ACCUEILLE en partie la demande;

[43]        CONDAMNE Automobiles Pierre-A. St-Jean inc. fasn Joliette Volkswagen à payer à Geneviève Labelle 1 000 $ avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la demeure soit le 25 novembre 2018;

[44]        CONDAMNE Automobiles Pierre-A. St-Jean inc. fasn Joliette Volkswagen au paiement des frais judiciaires limités à la somme de 103 $ représentant les droits de greffe quant au dépôt de la demande.

 

 

__________________________________

PATRICK CHOQUETTE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

4 août 2021

 



[1]     RLRQ c. P-40.1.

[2]     D-1.

[3]     Voir également D-2 quant au PDSF.

[4]     D-1.

[5]     D-5.

[6]     P-3.

[7]     P-1.

[8]     D-2 et D-3.

[9]     2012 CSC 8.

[10]    Idem par. 123.

[11]    Ce que confirme la pièce D-2.

[12]    Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., 2002 CanLII 41120 (QC CA).

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