167190 Canada inc. (Pacific National Construction) c. Dubé |
2007 QCCS 941 |
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J.L. 3769 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-019700-049 |
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DATE : |
Le 9 mars 2007 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JACQUES A. LÉGER, J.C.S. |
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167190 Canada Inc. (Pacific National Construction) |
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Demanderesse |
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c. |
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Jean Dubé |
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et |
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Lucie Farmer |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Pacific réclame de Dubé/Farmer, la somme de 106 986,26 $, pour la résiliation du contrat de construction de leur résidence, après des reports successifs pendant deux ans, consentis mutuellement. Les dommages sont réclamés pour des travaux que Pacific allègue avoir faits, pour le temps consacré à la préparation du projet et en raison de ses engagements envers les sous-contractants.
[2] De leur côté, Dubé/Farmer réclament à Pacific des honoraires extrajudiciaires de 15 000 $, à titre de dommages résultant d'abus de droit, dans le cadre des procédures instituées.
[3] Au début de novembre 2000, Dubé/Farmer sont mis en relation avec Jimmy Zaharopoulos, président de Pacific, par l'intermédiaire de leur architecte, Martin Carrier.
[4] Le 28 novembre 2000, les parties signent un contrat d'entreprise pour la construction d'une résidence, au prix forfaitaire de 476 000 $ plus taxes. L'échéancier prévoit la mise en chantier le 28 novembre, et la fin des travaux au 30 avril 2001, avec toutefois la possibilité pour Dubé/Farmer d'arrêter les travaux en tout temps, sujet au paiement des coûts encourus jusqu'alors.
[5] Peu de temps après la signature, les parties conviennent ensemble de reports successifs de la mise en chantier, et, finalement, le 14 décembre 2002, Dubé/Farmer informent Pacific de leur décision de réduire substantiellement l'enveloppe budgétaire, ce à quoi Pacific répond n'être pas intéressée à poursuivre avec un budget ainsi réduit.
[6] À la même occasion, Dubé/Farmer confirment avoir pressenti un nouvel entrepreneur qui accepte de rencontrer leurs contraintes budgétaires, et remercie Pacific pour l'aide et la patience dont elle a su faire preuve.
[7] Au printemps 2003, un autre entrepreneur commence la construction de la résidence Dubé/Farmer. Ils sont sans nouvelle de Pacific jusqu'au 29 septembre 2003, alors qu'ils reçoivent une mise en demeure leur réclamant 191 469, 03 $ à titre de dommages-intérêts, incluant un montant de 43 801, 52 $ à titre de perte de gains futurs occasionnée à Pacific ainsi que les sommes engagées auprès de ses sous-traitants.
[8] S'ensuivent des négociations entre les avocats, jusqu'au 23 décembre, date à laquelle le procureur de Pacific envoie une réclamation révisée à 77 276 $. L'action judiciaire suit.
[9] Pacific soutient avoir dû retenir ses principaux sous-contractants[1] le jour même de la signature du contrat de manière à parachever les travaux dans le temps imparti, au 30 avril 2001. Elle admet toutefois que Dubé/Farmer lui a demandé de surseoir à la construction, afin de leur permettre de faire certaines modifications aux plans préliminaires.
[10] Suite aux modifications apportées aux plans préliminaires, en janvier 2001, Pacific soutient avoir repris ses démarches pour obtenir les matériaux requis, refaire la cédule de travail avec ses sous-contractants de manière à tenir compte des modifications apportées aux plans, afin de se conformer avec l'échéancier initial.
[11] Elle affirme qu'à l'occasion d'une conversation téléphonique tenue le 14 décembre 2002, Dubé/Farmer lui auraient demandé d'utiliser pour leurs nouveaux plans à budget réduit, certains matériaux fabriqués selon des devis d'origine, ce à quoi elle aurait répondu que la plupart des matériaux étant faits sur mesure, cela ne serait pas possible.
[12] Enfin, Pacific soutient que c'est en raison des bonnes relations d'affaires qu'elle entretenait avec ses sous-contractants que ces derniers ont accepté de suspendre l'envoi de leurs factures pendant plus de trois ans, confiants qu'ils étaient d'être payés éventuellement pour les travaux prévus dans leur sous-contrat. Mais finalement, elle soutient avoir dû les payer à compter de novembre 2003, dans le but de maintenir ses relations avec eux, et éviter des procédures judiciaires.
[13] Dès la signature du contrat, ils n'autorisent pas Pacific à commencer les travaux le même jour, puisqu'il leur faut un permis de construction. Selon eux, ce ne serait pas le 5 mai 2001 qu'ils ont avisé Pacific verbalement de surseoir de nouveau aux travaux, mais aussi tôt que le 5 février 2001; ils auraient alors avisé Pacific ne pas prévoir être en mesure de prendre une décision avant l'automne.
[14] Ils soutiennent que la clause prévoyant «la possibilité d'arrêter les travaux en tout temps» a été exigée compte tenu de l'insécurité d'emploi qui régnait dans le monde de la haute technologie, dans lequel travaillait M. Dubé.
[15] Ils soutiennent également que Pacific fut informée par téléphone dès le 11 mars 2001, du report indéfini de la mise en chantier à une date ultérieure.
[16] Finalement, en décembre 2002, ils décident de ne pas donner suite à leur projet initial, en raison de contraintes budgétaires, ce dont ils informent Pacific non pas par téléphone, mais lors d'une rencontre le 14 décembre 2002. À la même occasion, ils l'informent avoir en main de nouveaux plans, avec un prix substantiellement réduit, pour vérifier si Pacific pouvait être intéressée à leur faire une soumission dans ces nouvelles conditions.
[17] Peu après, ils confirment par écrit leur conversation et leur intention de payer les factures dès réception, de façon à pouvoir utiliser les matériaux disponibles, et reçoivent de Pacific une lettre du 17 mars[2]. Pacific ne leur envoie pas de factures pour les coûts encourus, et se contente de faire état du problème qu'elle a à envisager dans ses relations avec ses sous-contractants suite à l'arrêt des travaux.[3]
1) Dubé/Farmer sont-ils responsables des coûts encourus et des dommages réclamés par la demanderesse suite à l'annulation du contrat d'entreprise?
2) Le cas échéant, quel est le montant dû?
3) Pacific a-t-elle commis une faute équivalant à un abus de droit, et dans l'affirmative, en résulte-t-il un dommage?
[18] Les défendeurs vivent au Texas jusqu'à la fin du mois d'août; lors d'un voyage d'affaires de Dubé au Québec en juin 2000, ils communiquent avec l'architecte Martin Carrier pour lui demander de préparer un plan de résidence.
[19] Ce n'est qu'en début novembre que Dubé/Farmer sont mis en relation avec Zaharopoulos, par l'intermédiaire de leur architecte, qui le connaît bien. Le 16 novembre, Pacific leur soumet une estimation approximative (prix budgétaire) et peu de temps après, leur envoie une lettre énumérant la liste détaillée des matériaux ainsi que des travaux à être exécutés[4].
[20] Le 28 novembre, intervient le contrat d'entreprise selon l'art. 2098 et ss C.c.Q., pour la construction de leur résidence à Ville St-Laurent.
[21] Le contrat est préparé par Pacific; seules quelques notes manuscrites sont ajoutées par Dubé, notamment:
· Dans la section 1. Description des travaux, une référence à «offre novembre 27, 2000» c'est-à-dire la pièce P-3 qui contient une description détaillée;
· Toujours dans la section 1, la mention «Architect plans December 2000», ce qui pour lui est une indication que seuls les plans préliminaires sont disponibles au moment de la signature.
· Toujours dans la section 1. Description des travaux, la note: «possibilité d'arrêter les travaux en tout temps. Le client devra payer tous les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux».
[22] Toutes les autres annotations sont de Zaharopoulos, y compris à la section 5, dont la mention «progressive (sic) avec facturation de sous-traitants», pour les modalités de paiement, ainsi que les dates du début et de fin des travaux, (28 novembre 2000 et 30 avril 2001) qui, selon ses dires, devaient permettre de rencontrer les délais fixés par Dubé/Farmer.
[23] Le montant convenu dans le contrat à forfait, découle du souhait formulé par Dubé/Farmer d'avoir un prix fixe, puisqu’initialement, certains des prix apparaissant dans l'estimé budgétaire[5], pouvaient varier selon certaines options qui leur étaient ouvertes. Est également jointe une liste de matériaux et des travaux à être exécutés[6]. Le contrat découle d'une offre de service détaillée, initialement pour un coût de 519 321 $ plus taxes, qu'ils ont refusée, et le montant convenu est de 476 000 $ plus taxes.
[24] Il est également très clair du contrat que Dubé/Farmer se sont réservé «la possibilité d'arrêter les travaux en tout temps», sujet à payer les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux, et il est prévu une modalité de facturation dite progressive, avec à l'appui les factures des sous-traitants.
[25] Dans son argumentation, Pacific soutient que la note ajoutée par Dubé doit se lire avec les autres clauses du contrat, notamment celles portant sur la modification (para. 13) et la résiliation (para. 23). La mention «payer tous les coûts encourus», ferait référence à toutes les dépenses. Elle cite la définition de coûts dans le dictionnaire Robert «Somme que coûte une chose, coût d'une marchandise, d'un service».
[26] La demande soutient également que la mention «l'arrêt des travaux en tout temps» ne se réfère pas à une résiliation du contrat, mais à une suspension des travaux. De son côté, la défense soutient que cette note lui permet bel et bien de résilier le contrat à tout moment, sur simple avis, auquel cas elle n'est tenue que de payer les coûts réellement encourus.
[27] En outre, Dubé/Farmer soutiennent que de façon concomitante à la signature du contrat, ils ont avisé Pacific de ne rien entreprendre avant d'avoir obtenu les plans finaux de l'architecte, ceci pour s'éviter d'avoir à faire des modifications en cours de route et payer des extras additionnels. Cette intention serait confirmée par la référence aux plans de l'architecte (2000), ce qui laisse supposer qu'ils ne sont pas prêts à la signature, surtout que les plans finaux ne seront disponibles aux parties qu'en janvier 2001.
[28] Bref, pour la défense, nonobstant le fait que le contrat stipule une date de début des travaux au 28 novembre 2000, leur référence manuscrite aux plans de l'architecte «décembre 2000» dans le contrat, ainsi que leur témoignage à l'effet qu'ils ont avisé Pacific de ne rien entreprendre avant l'obtention des plans finaux, constitue bel et bien une clause suspensive.
[29] De surcroît, Dubé/Farmer ont expliqué que le même jour que la signature du contrat, Mme Farmer écrit à Ville St-Laurent pour demander la permission d'entreprendre les travaux d'excavation et de fondation, avant d'avoir reçu le permis de construction, et ce, à la demande de leur architecte, dans le but de prévenir le gel au sol qui allait bientôt arriver. Cette permission est refusée[7]. Cela montre néanmoins une intention d'agir rapidement.
[30] Le Tribunal est donc confronté à une contradiction: d'une part, un écrit valablement fait, stipulant une date de début des travaux, et d'autre part, le témoignage des défendeurs soutenant avoir établi une condition suspensive dès le départ.
[31] Le Tribunal n'est pas disposé à déroger à un écrit valablement fait, bien que Dubé/Farmer soient apparus tout au long de leur témoignage crédibles et cohérents. Il faut donner au contrat, librement consenti par les parties, son effet, que les travaux devaient commencer le 28 novembre, ce qui peut, eu égard aux circonstances, justifier certaines démarches préliminaires de Pacific.
[32] Par contre, l'interprétation restrictive que souhaite donner Pacific à la clause prévoyant «la possibilité d'arrêter les travaux en tout temps», ne vise qu'une suspension des travaux, n'est ni recevable, ni crédible puisqu'il y a également lieu, dans l'interprétation du contrat, de donner effet à l'intention des parties. Le Tribunal est d'avis qu'une fois cette intention d'arrêter les travaux clairement manifestée et établie, cela devient une véritable résiliation du contrat.
[33] Ces prémisses établies, qu'en est-il de la preuve soumise?
[34] Eu égard à l'ensemble de la preuve soumise, le Tribunal accepte que la soumission a été préparée par Zaharopoulos et son associé François Bruneau, pour tenir compte de l'échéancier serré, et que le prix des matériaux et travaux à être exécutés dans leur contrat sont ceux apparaissant à l'estimé budgétaire, y compris les frais d'administration de 10% de Pacific, pour une somme de 47 211 $, afin de couvrir son profit.
[35] Le Tribunal est également d'avis que, dès la signature du contrat, Pacific est justifiée d'entreprendre certaines démarches préliminaires en vue de rencontrer l'échéancier; elle doit cependant agir néanmoins avec prudence et diligence, au mieux des intérêts de ses clients.
[36] Le Tribunal est d'avis que Pacific n'a pas agi avec suffisamment de prudence, vu la possibilité contractuelle que s'étaient réservée Dubé/Farmer d'arrêter en tout temps les travaux. Et à compter du 5 décembre, une fois qu'ils lui demandent d'attendre les plans finaux avant de poursuivre le projet, Pacific ne pouvait agir à sa guise.
[37] Dubé/Farmer reçoivent les plans de leur architecte en janvier, les soumettent à la ville le 5 février; et le permis de construction est émis le 27 mars 2001. L'architecte Carrier a pour sa part témoigné que les plans préliminaires disponibles à la signature du contrat, ne comportaient pas de mesures dimensionnelles de la maison.
[38] Carrier a aussi indiqué qu'il n'est pas impossible qu'il ait remis à Zaharopoulos une copie des plans préliminaires, qui, selon lui, ne pouvaient justifier le contractant d'aller de l'avant avec la construction de la maison, ou faire le plan d'implantation. En effet, la dimension de certaines fenêtres a été changée par la suite, de même que celle du balcon arrière.
[39] Carrier a aussi témoigné qu'outre la possibilité de changement dans les plans remis en janvier 2001, il fallait un permis de la ville avant de commencer. Selon lui, les plans préliminaires ne constituent qu'un concept, et il n'est pas prudent ni réaliste pour un contractant de faire des calculs précis, comme pour les poutres d'acier en vue de l'érection de la maison, à partir de tels plans.
[40] Selon Pacific, dès janvier 2001, elle était justifiée de reprendre la construction une fois toutes les modifications apportées aux plans préliminaires. De ce fait, elle a requis tous les matériaux nécessaires et refait sa cédule de travaux, avec chacun des sous-contractants.
[41] Sur ce point, le Tribunal ne peut donner raison à Pacific. En janvier 2001, il lui est alors impossible de suivre l'échéancier et de respecter la date de fin des travaux fixée au 30 avril 2001. Même l'excavation doit être reportée. Le Tribunal accepte donc, par prépondérance de preuve, le témoignage de Dubé/Farmer à l'effet qu'ils ont avisé Pacific, lors de la réception des plans finaux, d'attendre le permis de construction de la ville avant d’entreprendre quoi que ce soit, craignant des problèmes liés aux plans eux-mêmes ou l'implantation de la maison, vu l'envergure du projet.
[42] La preuve est également très claire: l'ingénieur retenu pour calculer les charges sur les plans finaux, ne les a signés que le 30 janvier; ces plans ne furent déposés à la ville que le 5 février. Le Tribunal accepte que c'est également à cette date que Dubé a contacté Zaharopoulos, après avoir constaté un tas de pierres concassées sur son terrain. Ce dernier lui aurait alors dit que la pierre était pour le projet d'un voisin.
[43] Le Tribunal accepte également la version de Dubé/Farmer qu'en date du 7 février, ils envoient à Zaharopoulos[8] la liste des extras, établie à partir des plans préliminaires en vue des plans finaux; certains sont d'ailleurs assez majeurs, notamment l'escalier vers le sous-sol, certaines fausses fenêtres et la chambre froide à l'arrière.
[44] Si Pacific était justifiée au 28 novembre 2000, d'exercer une certaine diligence, vu le très court délai prévu pour la terminaison des travaux, il s'infère également de l'ensemble de la preuve qu'une telle justification n'existait plus en février, puisque la date butoir ne pouvait d'aucune manière être rencontrée.
[45] Enfin, le Tribunal accepte le témoignage de Dubé, qu'ils ont indiqué à Zaharopoulos le 11 mars 2001, que l'ensemble du projet était reporté à une date indéterminée, après l'été, et qu'entre-temps, Pacific ne devait rien faire. Le Tribunal accepte également que cette décision ne résulte pas d'un simple caprice, mais découle de l'incertitude quant à son emploi dans le contexte de la crise vécue dans le milieu des télécommunications à cette époque.
[46] D'ailleurs, le permis de construction émis le 27 mars, est par la suite annulé plus tard en septembre faute par Dubé/Farmer d'aller le chercher auprès de la ville, et surtout d'entreprendre la mise en chantier pour les travaux dans le délai indiqué au permis.
[47] C'est dans ce contexte que Dubé/Farmer écrivent à l'APCHQ[9], à la demande de Zaharopoulos, pour lui éviter de devoir faire un chèque pour couvrir son assurance responsabilité, ce qu'il souhaitait s'éviter dans les circonstances:
«Re: délai du début des travaux.
À qui de droit,
La présente est pour vous aviser que nous avons retardé pour des raisons économiques le début de la construction de notre future maison qui sera située rue Roger Lemelin à Ville St-Laurent.
Les travaux de construction qui devaient débuter initialement vers le 28 novembre 2000 selon notre entente, devraient maintenant commencer durant l'automne 2001. Nous avons effectivement retardé d'une année complète la construction de notre maison.
Nous apprécions beaucoup la compréhension et coopération de notre contracteur Construction et Entretien Pacifique Nationale sur ce sujet. Ils furent avisés du délai des travaux suite à la réception des plans finaux de notre architecte. …»
[48] Par la suite, et jusqu'à l'été 2002, la situation d'emploi de Dubé se dégrade, ce dont il informe de temps à autre Zaharopoulos pour qu'il comprenne la situation; par la même occasion, Dubé lui réitère de ne rien faire. N'ayant toujours pas reçu jusque-là de factures de Pacific, il est conforté dans l'idée que rien n'a été entrepris.
[49] Le 14 décembre 2002, Dubé/Farmer rencontrent Zaharopoulos pour lui faire part de leur projet amendé, avec une superficie réduite à 2 800 pi2 et une enveloppe budgétaire oscillant entre 250 000 $ et 300 000 $. Par la même occasion, ils lui indiquent avoir rencontré un autre entrepreneur qui accepte de travailler avec les nouveaux plans et l'enveloppe réduite, mais souhaitent néanmoins vérifier avec Zaharopoulos s'il veut faire une soumission. Ce dernier n'est pas intéressé; il n'entend pas soumissionner sur le projet.
[50] Lors de cette rencontre, Pacific leur permet de faire affaire avec un autre entrepreneur, et leur souhaite bonne chance, précisant que les seuls frais encourus sont les frais d'arpentage du terrain, le coût des vitres et de la tuyauterie pour les eaux et égouts.
[51] Soucieux de rester en bons termes avec Pacific, Dubé lui demande les factures pour les coûts encourus ainsi que les matériaux pour qu'il puisse les utiliser dans son nouveau projet. Dubé/Farmer ne reçoivent jamais ces factures, non plus que les matériaux, et ce n'est que beaucoup plus tard que les factures font surface, concurremment avec le début des procédures judiciaires.
[52] Le 24 février 2003, Dubé/Farmer écrivent à Pacific[10] confirmant la réduction de leur budget à 250 000 $/300 000 $, et lui offre de rembourser certains frais encourus, sur réception des factures pertinentes, dont:
i) Les frais d'arpentage;
ii) Les vitres pour les fenêtres;
iii) Les tuyaux d'eau et d'égouts.
[53] Le 17 mars, Pacific leur écrit pour marquer son désaccord; il indique vouloir régler la question des sous-traitants et des coûts encourus jusque-là, et en même temps, leur demande de lui confirmer leur décision finale d'annuler le contrat, de même que leur volonté de ne pas utiliser ses sous-contractants ou fournisseurs.
[54] Dubé/Farmer répondent le 22 mars[11]:
«Suite à notre conversation téléphonique du 14 mars dernier, et tel que discuté auparavant, je vous re-confirme l'annulation de notre contrat de construction de maison.
Je tiens cependant à réitérer encore mon intérêt pour que vous me communiquiez les charges encourues jusqu'à l'arrêt des travaux communiqué le 5 février 2001.
À ce jour, vous m'avez mentionné qu'il pourrait y avoir des charges pour les fenêtres, pour l'arpenteur ainsi que pour les tuyaux utilisés pour la connexion d'égout et d'aqueduc.
J'ai tenté de communiquer à plusieurs reprises avec M. Frenette de Les fenêtres Afpec, je lui ai donné le plan de la nouvelle maison, car je tenais à réutiliser les matériaux qui avaient été préparés. Ce dernier ne m'a jamais soumis un prix pour les fenêtres et après quatre semaines d'attente, je suis retourné reprendre mes plans. Cette compagnie semble effectivement être très occupée et non intéressée à travailler avec moi.
Quant à l'arpenteur, je ne peux communiquer avec lui puisque je ne connais pas ses coordonnées.
C'est pourquoi, je vous redemande de me fournir, et ce le plus tôt possible, les factures pour tous les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux selon la clause établie dans notre contrat de construction de maison.»
[55] De l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que Pacific a passé outre, après le 5 décembre 2000, aux instructions de Dubé/Farmer de surseoir à l'exécution du contrat; ce faisant, elle a aussi amorcé des travaux qui n'étaient pas absolument nécessaires dans la mesure où le délai de terminaison était de facto reporté. Dans les circonstances, la plupart des coûts engendrés que Pacific réclame maintenant, en plus des honoraires pour elle-même, ne peuvent être retenus, dans leur ensemble, sinon quelques exceptions.
[56] En ce qui a trait à l'objection de la défense de rejeter la réclamation des sous-contractants qui ne sont pas venus témoigner, l'objection est maintenue puisqu'en l'espèce, le contrat est irrecevable sans la présence de son signataire.
[57] À l'appui de cette conclusion, le Tribunal a présent à l'esprit certaines incohérences qui sont apparues lors des témoignages entourant ces contrats, et qui leur enlèvent toute force probante, notamment:
· M. Bellemarre a signé le contrat, le 31 novembre (sic); il confirme avoir fait les calculs pour la fabrication des poutrelles d'acier pour le soutènement, alors que selon Carrier, l'architecte, cela n'est pas normal, puisqu'il y a tout lieu d'attendre les plans finaux. De manière non surprenante, ce témoin confirme être très familier avec Zaharopoulos, ce que feront d'ailleurs chacun des autres sous-traitants, ce qui rend plus difficile de croire le désintéressement de son témoignage.
· Le témoin François Bruneau, de FM Construction, et associé de Zaharopoulos, a dit garder espoir aussi tardivement qu'octobre 2003, que le projet pouvait aller de l'avant, puisque Zaharopoulos ne lui a pas fait part que le contrat avait été résilié. En contre-interrogatoire, il dit qu'en juin 2003, «I am still waiting to start this job»[12] alors que la preuve incontestable est qu'à cette date, Pacific n'est plus sur le contrat. Pas plus crédible est le libellé de sa facture pour des recherches de sous-traitants, alors que Zaharopoulos a témoigné que lui seul en était responsable. Il en est de même du montant de 6 500 $ réclamé pour des coûts administratifs, alors qu'en fait, il admet être l'associé de Zaharopoulos, avec lequel il doit partager les profits, si profits il y a. Enfin, ce témoin indique avoir fait des démarches, mais la preuve non contredite est à l'effet que la construction n'a jamais commencé; et son contrat était précisément de faire la supervision de la construction.
· Eracio Siino, entrepreneur-électricien confirme qu'il n'a pas d'entente écrite avec Pacific, et donc pas de contrat formel, il témoigne néanmoins sur la facture émise le 25 novembre 2003, sur laquelle la mention suivante apparaît: «Entente du contrat». Il explique de plus n'avoir jamais envoyé de facture durant trois ans, parce qu'il s'attendait à ce que les travaux commencent. Il soutient également avoir installé sur le terrain Dubé/Farmer un panneau électrique temporaire, non branché à Hydro-Québec, mais ne peut préciser pour combien de temps; or, aucun autre témoin n'a pu le constater. Enfin, c'est ce même témoin qui écrit le 10 juin à Pacific en anglais, une langue qu'il ne comprend pas: … «Please be advised that you have signed a contract to have work done on Roger-Lemelin … Since you have begun work and you hired another electrician to do the work, we are holding you to your contract»[13]. Cette lettre, conjuguée avec la facture et son témoignage, loin de confirmer la démarche de Pacific, fait planer un doute sur son stratagème, avec des sous-contractants, qui lui sont manifestement acquis, voire redevables.
· Le président de Plomberie René Benoît Inc., M. Benoît, vient témoigner sur le sous-contrat signé le 4 décembre 2000, et sur sa facture du 23 novembre 2003. Il indique avoir apporté sur place les tuyaux pour l'eau et les égouts, mais ils ne seront jamais installés, vu les annulations répétitives de Zaharopoulos. Encore une fois, Dubé/Farmer ne les ont jamais vus; sur sa facture, apparaît une somme de 1 800 $ pour les matériaux coupe d'eau, temps sur le chantier quatre heures, et perte de profit, bien que le travail n'ait jamais été effectué. Bien que spontané, naturel et crédible, ce témoin est néanmoins incapable d'expliquer pourquoi les matériaux ne sont jamais revenus chez lui, puisqu'ils n'ont jamais été utilisés.
· J.C. Lacroix de Construction Albe a été retenu pour les fondations; bien qu'il n'y ait jamais eu d'excavation, il indique avoir apporté sur les lieux les petites formes, ce que contredit Zaharopoulos qui a témoigné que des grandes formes avaient été mises sur place. Sa facture fait état du transport de formes ainsi que de l'annulation du contrat, ce qui représente une perte de profit pour un contrat jamais exécuté. Il n'a aucun souvenir des dates, mais surtout qu'il apparaît invraisemblable au Tribunal que les petites formes pour l'assise (footing) puissent avoir été apportées sur place avant même que ne commence l'excavation.
Dans contre-interrogatoire, sur la facture de Construction Albe Inc. du 26 novembre 2003, pour une somme de 1 450 $ représentant excavation et préparation du terrain - entrée gravier pour coupe d'eau, il précise que l'excavation, est du ressort de son frère. Bien qu'il n'ait aucune information utile à donner sur cette facture, non recevable suite à l'objection qui est accueillie, son témoignage soulève néanmoins un autre doute, puisqu'il est clair de l'ensemble de la preuve qu'il n'y a jamais eu de travaux d'excavation sur le terrain Dubé/Farmer.
· Laurent Frénette de Fenêtres Afpec confirme également qu'il n'a pas de contrat écrit autre que la soumission déposée; son estimation du 25 janvier 2001 et le prix total de 40 000 $ incluent un escompte de 25% en faveur de Pacific. Bien que cohérent, son témoignage n'aide pas non plus Pacific puisque, sans contrat écrit, il est difficile de conclure que Dubé/Farmer doivent lui payer une facture du 9 décembre 2003, au montant de 10 000 $ pour frais d'un contrat annulé, alors que ce même témoin a été informé durant l'hiver 2001 que le contrat était suspendu. Dès lors, il ne devait pas placer une commande. Frenette a répondu que c'est «probablement» parce qu'il a dû commander les thermos avant la date des travaux à effectuer, dans le but d'éviter une augmentation qui vient généralement en mars. De toute façon, cela reste une décision d'affaires entre lui et Pacific, et ne concerne pas les défendeurs. Enfin, sa facture, représentant clairement une perte de profit pour un contrat annulé, est inadmissible, vu la clause expresse d'annulation des travaux que ce sont réservée Dubé/Farmer.
· Assez curieusement, aucun sous-contractant ne peut produire une pièce ou des matériaux; pris individuellement cela peut se comprendre; mais collectivement, cela laisse songeur.
· Tout aussi curieuse est l'affirmation de la demande que, dans un premier temps, ses sous-contractants ont accepté de suspendre l'envoi de leurs factures en raison des bonnes relations d'affaires entretenues, mais qu'à compter de novembre 2003, collectivement, chacun envoie sa facture, sans qu'elle n'ait été réclamée par Pacific. Bref, la contemporanéité de toutes les factures paraît invraisemblable, surtout que chacun des sous-entrepreneurs a admis entretenir des relations étroites avec Pacific.
· Tout aussi incohérente est la position soutenue par Pacific au paragraphe 22 de sa requête introductive d'instance, que Dubé/Farmer auraient fait défaut de répondre à sa lettre du 17 mars, puisqu'il a clairement été établi qu'ils ont répondu[14].
[58] Le Tribunal a déjà statué que Dubé/Farmer ont bel et bien signé un contrat d'entreprise prévoyant une date de début et de terminaison du chantier, ce qui est incompatible avec leurs prétentions qu'il y a eu un effet suspensif dès le début des travaux de Pacific. Dès lors, on peut comprendre que, dans la mesure du raisonnable et du vraisemblable, Pacific ait entrepris certaines démarches et prit certaines initiatives pour exécuter son contrat d'entreprise, la difficulté restant toutefois à en évaluer l'ampleur, et la valeur.
[59] Pacific soutient que le contrat intervenu était un de «clés en main», mais le Tribunal est d'avis qu'il n'en est rien puisqu'un projet «clés en main» doit rencontrer certains critères, tels qu'énoncés dans Groupe Guy Pépin Inc. c. Nova PB Inc.[15].
«Pour être en présence d'un contrat clés en main, l'entrepreneur doit prendre l'entière responsabilité du projet:
Il s'agit d'un contrat où l'entrepreneur prend l'entière responsabilité de la réalisation du projet de A à Z pour essentiellement en remettre les clefs au propriétaire lorsque le tout est terminé.
L'entrepreneur s'engage à fournir tous les services professionnels de conception et de préparation des plans et devis nécessaires à la réalisation du projet. Le client a seulement le droit d'examiner ces documents pour s'assurer de leur conformité avec le contrat.
[60] Le Tribunal conclut donc qu'il s'agit plutôt d'un contrat à forfait, surtout que les défendeurs ont donné eux-mêmes le mandat à l'architecte, qu'ils devaient choisir les matériaux chez les fournisseurs et qu'ils se sont chargés d'obtenir le permis de construction; ce sont là des éléments qui permettent d'exclure le concept de contrat «clés en main».
[61] Dubé/Farmer ne doivent donc à Pacific que les coûts encourus avant la résiliation du contrat, incluant les matériaux, mais sur présentation de factures progressives des sous-traitants; or, aucune facture ne leur est présentée avant novembre 2003.
[62] En revanche, Dubé/Farmer ont accepté que la soumission, précédant le contrat, puisse servir à interpréter le contrat, ce qui semble approprié. Puisqu'elle prévoyait un profit de 10 % pour la demanderesse sur le total des matériaux et des travaux, ils savaient ou devaient savoir que les coûts de construction, incluaient un certain pourcentage de travaux à être réalisés, ce qui constitue un profit pour la demanderesse.
[63] Le contrat d'entreprise est également clair: Dubé/Farmer peuvent, à leur gré, arrêter les travaux en tout temps. La question à résoudre est de savoir quand ils ont vraiment été arrêtés. À la lumière de l'ensemble de la preuve, le Tribunal n'accepte pas la prétention de Pacific, que la résiliation ne serait survenue qu'en décembre 2002. En effet, la preuve prépondérante est que, aussi tôt que le 5 décembre 2000, ils ont informé Pacific de la suspension des travaux. Dès lors, il devenait clair que la date butoir du 30 avril 2001 pour la fin des travaux était caduque.
[64] Par contre, au cours de l'hiver 2001, Dubé/Farmer ont continué de s'activer avec le projet, ils ont mobilisé les énergies de Pacific, et rencontrer certains fournisseurs, de telle sorte que Pacific était justifiée de maintenir un minimum d'activités pour la réalisation du contrat; en tout cas, au moins jusqu'au 11 mars 2001 lorsque que les travaux furent reportés indéfiniment par Dubé/Farmer, au-delà de l'été 2001.
[65] À la lumière de l'ensemble de la preuve, le Tribunal est d'avis que les premières instructions du 5 décembre furent d'abord de surseoir, et qu'après une reprise timide par la suite, les instructions de Dubé/Farmer à Pacific en mars sont plus claires, soit de suspendre jusqu'à avis contraire, de telle sorte que bien que la résiliation formelle ne survienne qu'au 14 décembre 2002, elle a un effet rétroactif à mars 2001. En effet, lors de leur rencontre du 14 décembre 2002, les parties sont tombées d'accord de ne plus suspendre, mais bien de résilier définitivement, ce qui justifie en l'espèce l'effet rétroactif au 11 mars 2001.
[66] Bien qu'il est généralement reconnu que le maître d'ouvrage a le pouvoir de résilier le contrat par sa seule volonté,[16]
«… les pouvoirs de direction et de contrôle existent de plein droit puisque le contrat d'entreprise est lié à une idée de direction. L'entrepreneur s'engage donc à réaliser un ouvrage pour un client que le Code civil qualifie de maître et à qui il reconnaît le pouvoir d'ordonner des modifications et de résilier le contrat par sa seule volonté.»
et que de ce fait Dubé/Farmer avaient la faculté d'ordonner à Pacific de ne rien faire dès la signature du contrat, cela reste une question de preuve.
[67] Le Tribunal est donc d'avis que Dubé/Farmer doivent être tenus responsables des coûts encourus jusqu'à leur arrêt définitif des travaux au 11 mars, mais non des dommages réclamés vu l'exclusion contractuelle du troisième alinéa de 2129 C.c.Q.
2129. «Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.
L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.
Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.»
[68] Il en résulte que durant toute la période de suspension indéterminée, devenue par la suite une résiliation de fait, Dubé/Farmer bénéficiaient d'un contrat à forfait, les protégeant contre les hausses de matériaux et de main-d'œuvre.
[69] Bien qu'il leur était loisible en tout temps de résilier le contrat, ce que de toute façon l'article 2125 C.c.Q. leur permet unilatéralement, ils ont, pour des raisons qui leur sont propres, choisi de garder le projet sur le respirateur artificiel, pendant un certain temps.
[70] Les parties ayant prévu contractuellement qu'en cas d'arrêt des travaux, Dubé/Farmer doivent payer les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux, ce qui reprend en quelque sorte les termes de 2129.1 C.c.Q., reste donc la question: quelle interprétation faut-il donner aux mots «coûts encourus»?.
[71] Les parties ont prévu au contrat une clause qui reprend l'essence des termes de 2129 C.c.Q. quant aux coûts encourus, et surtout, ont choisi de ne pas inclure le troisième alinéa, qui traite des dommages-intérêts en cas de résiliation de contrat. Le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, cette clause ne prévoit que les coûts encourus en cas d'interruption, et ne saurait comprendre les dommages-intérêts. Le troisième alinéa n'étant pas d'ordre public, les parties pouvaient donc prévoir autrement, ce qu'elles ont fait.
[72] Ces coûts doivent être interprétés comme ne comprenant que les travaux, services et matériaux facturés sur réalisation de ceux-ci, sur présentation à Dubé/Farmer d'une facture progressive.
[73] À cet égard, le Tribunal adopte la proposition énoncé dans Rémy c. Cam Construction Inc.[17]
«26. Lors de la résiliation unilatérale d'un contrat d'entreprise, l'entrepreneur n'a donc droit qu'au remboursement des frais et dépenses actuels, de la valeur des travaux exécutés et, le cas échéant, de la valeur des biens fournis, seules les dépenses que l'entrepreneur a effectivement engagées pour l'exécution du contrat avant sa résiliation peuvent être réclamées, ce sont les frais et dépenses qu'il a effectivement encourus avant la résiliation.»
[74] À la lumière de l'ensemble de la preuve, la détermination s'avère être un exercice assez difficile, puisque Pacific a été, d'une certaine manière, plus tolérante qu'elle n'aurait dû l'être, en ce qui a trait à la résiliation formelle; mais d'autre part, s'est montrée déraisonnablement exigeante, voire cupide à l'automne 2003.
[75] Il n'appartient pas au Tribunal de juger le quantum par rapport au comportement des parties, mais Pacific, comme professionnelle du métier, a sans doute été imprudente en laissant place au flou juridique qui est survenu durant toute la période entre mars 2001 et le printemps 2003, lorsque Dubé/Farmer ont commencé à construire leur résidence avec un autre contractant. À moins que tout cela n'ait fait partie d'un stratagème pour les piéger, coincé comme ils l'étaient alors avec un contrat avec Pacific, qui à son gré, pouvait leur être opposable.
[76] Faute de preuve, le Tribunal passe outre à ce dernier scénario, surtout qu'il ne lui appartient pas dans les circonstances d'apprécier la bonne ou mauvaise foi des parties, mais plutôt de fixer, dans un cadre juridique, les balises de ce que sont les coûts encourus par Pacific jusqu'à l'arrêt des travaux au 11 mars 2001.
[77] Et à ce sujet, la jurisprudence est claire: les coûts auxquels a droit l'entrepreneur ne sont que le remboursement des frais et dépenses actuels, de la valeur des travaux exécutés, et le cas échéant, la valeur des biens fournis[18].
[78] Seules donc les dépenses engagées raisonnablement par Pacific, et prouvées, pour l'exécution de son contrat d'entreprise, avant la résiliation effective au 11 mars 2001, peuvent en l'espèce lui être accordées.
[79] Cela exclut d'emblée la plupart des factures des sous-contractants puisqu’implicitement, elles incluent toutes une perte de profit découlant de la non-exécution du contrat. De toute façon, il n'y a aucun lien de droit entre ces sous-contractants et Dubé/Farmer qui s'étaient réservé une clause d'arrêt des travaux. Il appartenait à Zaharopoulos, en homme d'affaires averti et prudent, de répercuter cette clause avec chacun de ses sous-contractants.
[80] La preuve a aussi révélé que Dubé, était prêt à payer, en décembre 2002, les honoraires de l'arpenteur pour le plan d'implantation, les vitres des fenêtres de la maison, et les tuyaux pour le branchement de l'eau et des égouts, et donc la Plomberie Benoît[19].
Toutefois, cet engagement était conditionnel[20]:
«… Je vous ai alors mentionné que je vous rembourserais ces frais encourus selon les clauses de notre contrat, car je voulais les utiliser dans notre future maison. Vous m'avez de plus mentionné que les poutres d'acier ainsi que les fenêtres de la cave commandées avaient déjà été utilisées dans un autre de vos projets. Vous m'avez de plus mentionné que vous n'aviez aucun problème avec la cancellation du contrat et m'indiquiez votre intention de demeurer amis … »
… Durant notre entretien téléphonique du 18 février dernier, je vous ai avisé que nous avions trouvé un contracteur pour la maison et je vous demandais de me faire parvenir le plus rapidement possible toutes les factures pour les activités 1, 2 et 3 énumérées plus haut.
Je vous réitère mon intérêt pour que vous nous reveniez le plus rapidement possible avec ces factures de façon à ce que nous puissions utiliser ces matériaux pour la construction.»
[81] Cette condition n'ayant pas été remplie par Pacific, Dubé/Farmer n'ont donc pas pu utiliser ces matériaux ou services pour leur nouvelle construction. Or, 2129, alinéa 1 C.c.Q. est clair:
2129. «Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer …lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.»
[82] Ils ne sont pas tenus d'indemniser Pacific de ces coûts. Le Tribunal note avec approbation ce passage de Thérèse Rousseau-Houle dans Les contrats de construction en droit public et privé (supra), p. 202:
«Il supporte sans recours possible contre le maître de l'ouvrage les conséquences désavantageuses des sous-traités qu'il a conclu … »
[83] Qu'en est-il dès lors des coûts résiduels encourus par Pacific? Citant l'arrêt Construction Jag Inc. c. 9055-2274 Québec Inc.[21], un jugement de mon collègue John Bishop du 19 février 2002, la défense soutient que Pacific ne saurait réclamer des honoraires pour des heures de travail de son actionnaire et président Zaharapoulos. Le Tribunal n'est pas d'accord, les faits de la présente cause se distinguant assez bien de ceux de l'affaire Construction Jag Inc.
[84] En effet, la rémunération de Zaharopoulos, pour ses prestations de services, qui normalement allaient être incluses dans le pourcentage du profit réalisé sur l'ensemble de l'entreprise, n'a aucune chance de se matérialiser en raison de la résiliation prématurée. D'un autre côté, les défendeurs ont bénéficié de la bonne volonté de Pacific de surseoir aux travaux.
[85] C'est donc dire que durant toute cette période, Dubé/Farmer avaient tout le loisir de reprendre leur projet, auquel cas Pacific aurait pu être tenue d'honorer son contrat à forfait, malgré le passage du temps. Bien que cette dernière question n'est qu'hypothétique, la prestation des services dont ont néanmoins bénéficié Dubé/Farmer, elle, ne l'est pas.
[86] Le Tribunal arrive donc à la conclusion que Pacific a droit, dans les circonstances exceptionnelles de cette affaire, à ce que certains des frais inhérents à ses activités et celles de son président soient considérés comme des coûts couverts par la mention «possibilité d'arrêter les travaux en tout temps, le client devra payer tous les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux».
[87] Par contre, pour les services rendus par Pacific entre le 28 novembre 2000 et le 11 mars 2001, la demanderesse a produit un détail des heures travaillées sous P-12. Le Tribunal a bien noté l'argument de la défense que le détail y apparaissant avait été clairement compilé dans le cadre des procédures judiciaires instituées. Là toutefois n'est pas la question. En effet, cette liste, bien que manifestement erronée à plusieurs égards, permet néanmoins d'établir certaines balises; ainsi, la narration de ce qui a été fait entre le 28 novembre 2000 et le 11 mars 2001, est utile pour déterminer le montant raisonnable auquel Pacific a droit.
[88] Ce faisant, le Tribunal a à l'esprit l'affaire Rémy c. Cam Construction[22] qui exclut purement les coûts administratifs de Pacific. En l'espèce toutefois, le Tribunal a pondéré en conséquence le détail des heures invoquées par Pacific
[89] Le Tribunal est également conscient qu'à maints égards, ce détail est à la fois exagéré, voire farfelu, ne serait-ce qu'en raison des dix-sept heures trente minutes facturées entre février 2000 au 28 novembre 2000, alors que Zaharopoulos ne connaît même pas Dubé/Farmer. Le calcul d'un grand nombre d'heures y apparaissant est également injustifiable en l'espèce. Toutefois, avec tous les défauts qu'il comporte, ce détail des travaux, que la défense a utilisé à son avantage lors du contre-interrogatoire, a l'avantage de donner plusieurs points de repère qui sont utiles aux fins de l'exercice auquel le Tribunal a dû se prêter afin de déterminer un montant raisonnable pour prestation de services de Pacific entre le 28 novembre 2000 et le 11 mars 2001.
[90] En arrivant à une telle détermination, le Tribunal a également tenu compte des aléas inévitables que comporte un tel document confectionné plusieurs années après coup, surtout vu les incohérences mises en lumière lors du contre-interrogatoire de son auteur Zaharopoulos.
[91] Tenant en compte la pondération nécessaire, le Tribunal en arrive à la conclusion que, eu égard aux circonstances exceptionnelles mises en lumière, les prestations rendues par Pacific entre le 28 novembre 2000 et le 11 mars 2001, dont ont bénéficié Dubé/Farmer, nonobstant les reports successifs, s'élèvent à 6 500 $. Cela inclut notamment:
· Planification de la cédule de travail;
· Rencontres et discussions avec les sous-contractants;
· Rencontres et discussions avec Dubé/Farmer, l'architecte Carrier, et certains fournisseurs;
· Révision des extras et changements aux plans d'origine;
· Réarrangement de la cédule de travail après le 12 février;
· Discussions avec Fenêtres Afpec et Toitures Mauricienne.
[92] Le Tribunal n'a toutefois pas tenu compte des extraits d'états financiers produits par Pacific, à l'audience, sous réserve de l'objection de la défense, puisqu’au cours de son délibéré le Tribunal accueille cette objection quant à la production desdits extraits.
[93] En concluant comme il le fait que Pacific a droit à certaines compensations, le Tribunal est d'avis que les faits de la présente affaire se distinguent de la décision Pelouse Agrostis Turf Inc. c. Club de Golf Balmoral[23]. En effet, il ne s'agit pas en l'espèce de rembourser à Pacific les dommages équivalant à ses pertes de profit, mais simplement de payer des services rendus, auxquels Pacific aurait eu droit, comme pourcentage de l'ouvrage réalisé, n'eût été de la résiliation de Dubé/Farmer. Et en ce sens, le Tribunal est d'avis que tels services ne sauraient constituer un préjudice au sens du troisième alinéa de 2129 C.c.Q.
[94] La défense reproche à Pacific d'avoir commis une faute constituant un abus de droit, car elle se devait de savoir qu'elle n'avait aucune chance de réussir, faute de n'avoir jamais eu l'autorisation de commencer les travaux.
[95] Ne serait-ce qu'en raison du fait que le Tribunal n'a pu donner droit à la clause suspensive du début des travaux invoqué par Dubé/Farmer, faute de preuve, le Tribunal rejette cette réclamation.
[96] La réclamation de Pacific est certes à maints égards exagérée, le Tribunal ayant déjà souligné certaines incohérences, contradictions et autres éléments discutables dans la preuve de Pacific. Mais ce volet de l'appréciation de la crédibilité des témoins de la demande, nécessaire pour permettre au Tribunal de déterminer quel poids accorder aux témoignages par rapport au fardeau qui incombait à la demanderesse, ne peut en tant que tel être tenu en compte, en l'espèce, pour ce qui est de l'abus de droit procédural, dont le fardeau incombe à Dubé/Farmer.
[97] L'arrêt Viel[24] est à l'effet qu'une partie qui abuse de son droit d'ester en justice et qui cause ainsi un dommage à la partie adverse qui paie inutilement des honoraires à son avocat pour combattre un tel abus, peut être condamnée à des honoraires extrajudiciaires; mais en l'espèce, le lien de causalité entre la faute et le dommage n'a pas été établi.
[98] Par conséquent, le Tribunal rejette, mais sans frais la réclamation de Dubé/Farmer pour une somme de 15 000 $ à titre de dommages-intérêts pour frais extrajudiciaires.
[99] Normalement, la partie qui triomphe a droit aux frais judiciaires prévus par le tarif ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q lorsque demandée. Toutefois, en raison des doutes et incohérences soulevés sur le bien-fondé des contrats des sous-traitants, et du temps inutilement long qui a été requis pour en disposer, de même que sur l'aspect exagéré de la réclamation initialement formulée par Pacific, ce qui a du coup fermé la porte à toute résolution amicale du litige, le Tribunal arrive à la conclusion que la demanderesse n'a droit à aucuns frais judiciaires.
[100] ACCUEILLE, mais pour partie seulement la réclamation de la demanderesse qui a droit pour ses prestations à un montant de 6 500 $, avec intérêts depuis l'assignation;
[101] REJETTE la demande de la demanderesse pour indemnité spéciale;
[102] REJETTE la réclamation de 15 000 $ de Dubé/Farmer à titre de dommages pour frais extrajudiciaires;
[103] LE TOUT SANS FRAIS de part et d'autre.
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__________________________________ Jacques A. Léger, j.c.s. |
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Me Robert Crépin |
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Kaufman Laramée |
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Pour la demanderesse |
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Me Martine Lord |
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Martel Cantin |
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Pour les défendeurs |
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Dates d’audience : |
29, 30 novembre, 1er, 4 et 20 décembre 2006 |
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[1] Voir la pièce P-4 en liasse, comportant les contrats avec différentes spécialités dont Construction F.M., la menuiserie, les planchers de bois franc, tous signés entre le 29 novembre et le 11 décembre 2000. L'un d'entre eux est même signé un 31 novembre! (sic).
[2] Voir pièce P-9.
[3] Voir la clause relative à la possibilité d'un arrêt des travaux en tout temps P-2. «Possibilité d'arrêter les travaux en tout temps. Le client devra payer tous les coûts encourus jusqu'à l'arrêt des travaux.»
[4] «Projet clés en main».
[5] Voir l'estimé budgétaire daté du 16 novembre 2000, soit la pièce D-1.
[6] Voir la pièce D-2 datée du 24 novembre 2000, avec la mention «projet clés en main».
[7] Voir pièce D-7, lettre de la ville datée du 22 décembre 2000. …«Il sera nécessaire d'obtenir un permis de construction pour procéder aux travaux.» …
[8] Voir pièce P-16, lettre du 7 février 2001.
[9] Voir pièce P-7, lettre de Dubé/Farmer à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), en date du 5 mai 2001.
[10] Voir pièce P-8.
[11] Voir pièce D-3.
[12] Traduction libre.
[13] Voir pièce D-5-E.
[14] Voir la pièce D-3 supra.
[15] Groupe Guy Pépin Inc. c. Nova PB Inc., [1999] AZ-00021171 (C.S.).
[16] Thérèse ROUSSEAU-HOULE, Les contrats de construction en droit public et privé, Sorel, Éditions Wilson & Lafleur, 1982, pp. 227, 228.
[17] Rémy c. Cam Construction Inc. REJB 2001-24824 (C.Q.).
[18] Voir Rémy c. Cam Construction Inc. (précitée dans la note 17), pp. 8 et 9.
[19] Voir factures de Alain Grégoire P-10-(c), de Afpec P-10-(e) et de Plomberie Benoît P-10-(g).
[20] Voir P-8.
[21] Construction Jag c. 9055-2274 Québec Inc., REJB 2002-32199 (C.S.).
[22] Rémy c. Cam Construction (supra).
[23] Pelouse Agrostis Turf Inc. c. Club de Golf Balmoral, REJB 2003-49418 (C.A.).
[24] Colette Viel c. Les Entreprises immobilières du Terroir Ltée, C.A. Montréal, no 500-09-007542-989, 22 octobre 2002, jj.Paul-Arthur Gendreau, André Forget et André Rochon
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