Bareil et Sodexho Québec ltée-Cafétéria |
2012 QCCLP 3465 |
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[1] Le 18 janvier 2012, monsieur Guy Bareil (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision déposée par le travailleur le 20 décembre 2011 à l’encontre d’un avis de paiement du 17 septembre 2011.
[3] Une audience est tenue à Trois-Rivières le 23 mai 2012 en présence du travailleur, qui est représenté, ainsi que de la représentante de Sodexho Québec ltée-Cafétéria (l’employeur). L’affaire est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable la demande de révision du 20 décembre 2011 et que le montant de son indemnité de remplacement du revenu doit être établi sur la base d’un revenu brut annuel assurable de 65 682 $.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le travailleur doit être relevé du défaut d’avoir contesté la décision implicite de la CSST après le délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). En effet, ils considèrent que bien que l’avis de paiement constitue une décision, celle-ci est imparfaite et que les circonstances font en sorte que le travailleur a des motifs raisonnables qui lui permettent d’être relevé de son défaut de ne pas l’avoir contesté dans le délai.
[6] Par ailleurs, les membres sont aussi d’avis que la preuve démontre que le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur est de 65 682 $ de sorte que son indemnité de remplacement du revenu doit être fixée en fonction du revenu maximum assurable pour l’année 2011.
LES FAITS ET LES MOTIFS
Question préalable
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer dans un premier temps si le travailleur doit être relevé de son défaut d’avoir contesté l’avis de paiement du 7 juillet 2011 en dehors du délai prévu à la loi.
[8] En effet, selon l’article 358 de la loi, une demande de révision doit être produite dans les 30 jours de la notification d’une décision de la CSST :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[9] Toutefois, l’article 358.2 de la loi permet de relever une personne des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai précité si elle démontre l’existence d’un motif raisonnable :
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
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1997, c. 27, a. 15.
[10] En l’espèce, le travailleur a soumis une réclamation à la CSST pour un accident du travail survenu le 27 mai 2011.
[11] Le 7 juillet 2011, la CSST rend une décision l’informant que sa réclamation est acceptée. Son employeur est aussi avisé de cette décision d’admissibilité et les deux lettres se terminent par le paragraphe suivant :
Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous pouvez demander la révision de la décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.
[12] De fait, l’employeur a demandé la révision de cette décision, mais elle fut confirmée à la suite d’une révision administrative le 10 août 2011.
[13] Dans sa réclamation, le travailleur mentionne qu’il occupe un emploi de premier cuisinier pour l’employeur dans une cafétéria située à Fermont (qui sert à alimenter les employés d’une mine). Il y indique que son revenu brut annuel est de 60 000 $ et qu’il reçoit un revenu net de 1 100 $ par semaine.
[14] Toutefois, dans l’avis de l’employeur et demande de remboursement complété par l’employeur, ce dernier précise que le contrat de travail prévoit un salaire annuel brut de 45 996 $.
[15] Dans la note évolutive relative à la décision d’admissibilité qui est rédigée le 4 juillet 2011, on lit ce qui suit en ce qui a trait à la détermination de la base salariale :
N.B. : Base salariale: 45 996$ selon contrat de travail;
Situation familiale: célibataire sans personne à charge selon RTR.
[16] C’est dans ce contexte que le travailleur reçoit, le 7 mai 2011, un chèque de 1 488,06 $ représentant 18 jours d’indemnité de remplacement du revenu, du 13 juin au 30 juin 2011. Au recto de l’avis de paiement qui accompagne ce chèque, il est mentionné que « Le montant de vos indemnités a été établi sur la base du revenu brut assurable (45 996.00$) et en tenant compte de votre situation familiale ».
[17] Dans le texte apparaissant au verso de l’avis de paiement, il est indiqué d’une part que les personnes qui désirent des renseignements supplémentaires au sujet « d’une décision de la CSST ou qui se croient lésées par cette décision devraient, avant d’en demander la révision, communiquer dans les meilleurs délais avec la personne dont le nom figure au recto du présent document. Elles obtiendront tous les renseignements utiles relativement à la décision ».
[18] Par ailleurs, dans la section relative au « calcul du revenu net retenu » qui apparaît aussi au verso de l’avis de paiement, on lit la phrase suivante : « Il faut noter que les renseignements fournis sur cet avis ne le sont qu’à titre d’information ni ne constituent pas une décision de la CSST ». [sic]
[19] À l’audience, le travailleur témoigne qu’il a simplement noté le montant du chèque à sa réception afin de « budgeter » pour la suite. Toutefois, après avoir eu l’occasion de discuter avec un collègue, qui est le sous-chef de la cuisine et qui agit comme son supérieur en l’absence du chef, il constate que l’indemnité de remplacement du revenu ne correspond pas au salaire qu’il a déclaré.
[20] Le 28 novembre 2011, le travailleur transmet à l’employeur une longue lettre dans laquelle il fait valoir (calculs à l’appui) que son revenu brut annuel devrait être fixé à 65 682 $. Il lui demande donc d’effectuer les démarches nécessaires auprès de la CSST afin de corriger l’erreur et faire en sorte que les renseignements qu’il a fournis à la CSST soient modifiés dans les meilleurs délais.
[21] La preuve révèle que cette lettre a été préparée par le conseiller syndical du travailleur qu’il avait contacté auparavant. Ce dernier lui a transmis par la poste la lettre qu’il a lui-même fait suivre à l’employeur.
[22] L’employeur ne s’étant pas conformé à la demande formulée par le travailleur, celui-ci, toujours sur les conseils de monsieur Réjean Bradley, transmet le 20 décembre 2011 une demande de révision dans laquelle il reprend l’essentiel des explications fournies à l’employeur auparavant et indique que l’employeur a refusé de corriger la situation malgré qu’il lui ait demandé de le faire. Comme la précédente, cette lettre est dans un premier temps rédigée par le conseiller syndical œuvrant sur la Côte-Nord qui la transmet au domicile du travailleur pour qu’il la signe et qu’il l’envoie directement à la CSST.
[23] L’article 354 de la loi prévoit qu’une décision de la CSST doit être écrite, motivée et notifiée aux parties intéressées dans les plus brefs délais :
354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.
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1985, c. 6, a. 354.
[24] De plus, l’article 4 de la Loi sur la justice administrative prévoit qu’une autorité administrative doit rendre des décisions dans des termes clairs et concis.
[25] De toute évidence, l’avis de paiement transmis au travailleur ne respecte pas les exigences législatives précitées puisqu’il n’est pas motivé. De plus, le texte que l’on retrouve au verso porte à confusion puisque d’une part, la CSST informe d’abord la personne à qui il est adressé qu’elle peut obtenir des renseignements supplémentaires au sujet d’une « décision » et que d’autre part elle est avisée que, si elle se croit lésée par cette « décision », elle devrait avant d’en demander la révision, communiquer avec un de ses agents.
[26] En outre, dans le même texte, la CSST souligne que les renseignements fournis sur cet avis ne le sont qu’à titre d’information et ne constituent pas une décision.
[27] Comme le rappelle notre collègue Montplaisir dans Bachar et Centre de santé et de services sociaux d’Antoine Labelle[2], la jurisprudence de notre tribunal a à maintes reprises reconnu que l'avis de paiement peut constituer une décision au sens de l'article 354 de la loi puisque ce document a une certaine portée sur les droits de la partie qui le reçoit, et ce, malgré le fait qu’il ne respecte pas les exigences de la législation.
[28] En effet, l’avis de paiement constitue une décision « bien qu’imparfaite, parce qu’il résulte d’un acte de pouvoir posé par la CSST en ce qui concerne la base salariale retenue et le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu[3] ». Cependant, comme cette décision ne satisfait pas aux exigences qu’impose la loi, il y a lieu de faire preuve de souplesse dans l’évaluation du motif présenté pour expliquer un retard à la contester.
[29] En l’espèce, la preuve révèle que le travailleur n’a certainement pas compris que l’avis de paiement qui a été transmis au mois de mai constituait une décision qu’il devait contester dans les 30 jours.
[30] De plus, comme son indemnité de remplacement du revenu avait été fixée à partir des informations transmises à la CSST par l’employeur, il a d’abord tenté de convaincre ce dernier de corriger les informations, suivant en cela les recommandations de son conseiller syndical.
[31] L’ensemble de ces circonstances amène le tribunal à conclure qu’il y a lieu de relever le travailleur du défaut d’avoir contesté la décision dans le délai prévu à la loi. Sa demande de révision du 20 décembre 2011 est donc recevable.
Le revenu assurable
[32] La preuve révèle que le travailleur a été embauché par l’employeur le 3 mars 2011 à titre de premier cuisinier pour œuvrer dans une cafétéria située dans la région de la Baie-James à LG3.
[33] Lors de sa lésion professionnelle, survenue le 27 mai 2011, le travailleur est transféré depuis le 1er mai 2011 à Fermont. Il relate qu’il a accepté de s’y rendre puisque l’employeur lui a offert un emploi permanent de premier cuisinier à cet endroit.
[34] En raison des conditions particulières de l’exercice de cet emploi en région éloignée, son horaire de travail fait en sorte qu’il travaille 28 journées consécutives sans congé, suivi de 14 jours de repos consécutifs non payés.
[35] Durant la période de 28 jours précitée, il travaille 80 heures par semaine, soit 40 heures à 18,25 $ de l’heure et 40 heures à un taux horaire majoré de 50 %, soit 27,37 $ de l’heure, pour une rémunération totale de 3 649 $ brute par période de paie de deux semaines.
[36] Comme l’année comporte 18 périodes de paie, son revenu brut annuel est de 65 682 $.
[37] Il découle par ailleurs de cette preuve que le travailleur, qui a accepté un emploi permanent à Fermont, ne peut être considéré comme un travailleur saisonnier ou sur appel.
[38] La représentante de l’employeur considère que le salaire annuel présenté par le travailleur est trop élevé et elle l’estime à 54 000 $ par année. Elle n’est toutefois pas en mesure d’expliquer la méthode de calcul employée ainsi que ses sources de sorte que le tribunal considère que la prépondérance de preuve est à l’effet que, n’eût été son accident de travail, le travailleur aurait reçu un salaire annuel de 65 682 $.
[39] Ce sont les articles 63 et suivants de la loi qui traitent du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. L’article 63 prévoit que le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d’emploi, moins le montant des déductions que la CSST détermine en fonction de la situation familiale du travailleur. De son côté, l’article 65 prévoit, qu’aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d’emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment. Pour l’année 2011, le maximum annuel assurable est de 64 000 $.
[40] C’est l’article 67 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui établit le principe suivant lequel doit être déterminé le revenu brut d’un travailleur :
67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance parentale (chapitre A-29.011) ou de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
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1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4; 2001, c. 9, a. 125.
[41] En l’espèce, comme le travailleur n’a pas le statut de saisonnier ou de travailleur sur appel, il y a lieu de déterminer le revenu brut servant à calculer l’indemnité de remplacement du revenu en fonction de celui établi à son contrat de travail, soit 65 682 $, lequel doit être toutefois réduit au maximum annuel assurable, c'est-à-dire 64 000 $.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Guy Bareil, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision déposée par le travailleur le 20 décembre 2011;
DÉCLARE que l’indemnité de remplacement du revenu doit être calculée sur la base du revenu brut annuel assurable de 64 000 $.
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Martin Racine |
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Me Denis Mailloux |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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