Décision

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Banque de Montréal c. TMI-Éducaction.com inc. (Syndic de)

2014 QCCA 1431

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007758-128

(200-11-009438-014, dans l’affaire de la faillite de TMI-Éducaction.com inc.)

 

DATE :

 11 septembre 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PAUL VÉZINA, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLÉMENT GASCON, J.C.S.C.[1]

 

 

 

BANQUE DE MONTRÉAL

APPELANTE / INTIMÉE-INCIDENTE - défenderesse

c.

 

DANIEL ADAM, syndic à l’actif de TMI-Éducaction.com inc., faillie

INTIMÉ / APPELANT-INCIDENT - demandeur

 

 

ARRÊT RECTIFICATIF

 

 

[1]           L’Appelante demande la rectification de l’arrêt rendu le 28 juillet 2014.

[2]           Avec raison, elle précise que le montant de 6 M$ mentionné aux paragraphes 118 et 120 de l’arrêt doit plutôt être de 6 085 000 $, réduisant la condamnation de 15,745 M$ à 15 660 M$.

[3]           En conséquence, le paragraphe 5 de l’arrêt est remplacé par le suivant :

[5]        ACCUEILLE l’appel incident, avec dépens, à la seule fin de remplacer le paragraphe [360] du dispositif du jugement par le suivant :

[360]    CONDAMNE la Banque de Montréal à payer au syndic demandeur la somme de 15,660 M$, à titre de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la date de signification de l'action et l'intérêt additionnel à compter de la même date.

 

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.S.C.

 

Me Suzanne Côté

Me Éric Préfontaine

Me Alexandre Fallon

Osler, Hoskin

Pour l’appelante

 

Me Jacques Larochelle

Jacques Larochelle Avocat inc.

Pour l’intimé

 


Banque de Montréal c. TMI-Éducaction.com inc. (Syndic de)

2014 QCCA 1431

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007758-128

(200-11-009438-014, dans l’affaire de la faillite de TMI-Éducaction.com inc.)

 

DATE :

 28 juillet 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PAUL VÉZINA, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLÉMENT GASCON, J.C.S.C.[2]

 

 

 

BANQUE DE MONTRÉAL

APPELANTE / INTIMÉE-INCIDENTE - défenderesse

c.

 

DANIEL ADAM, syndic à l’actif de TMI-Éducaction.com inc., faillie

INTIMÉ / APPELANT-INCIDENT - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 5 juillet 2012 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Suzanne Hardy-Lemieux), qui la condamne à payer des dommages-intérêts à l’intimé pour cause d’abus de droit. Ce dernier en appelle aussi pour obtenir une indemnité plus élevée que les 12,57 M$ adjugés en sa faveur.

[2]           Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges St-Pierre et Gascon;  

[3]           LA COUR :

[4]           REJETTE l’appel principal, avec dépens;

[5]           ACCUEILLE l’appel incident, avec dépens, à la seule fin de remplacer le paragraphe [360] du dispositif du jugement par le suivant :

[360]    CONDAMNE la Banque de Montréal à payer au syndic demandeur la somme de 15,745 M$, à titre de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la date de signification de l'action et l'intérêt additionnel à compter de la même date.

 

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.S.C.

 

Me Suzanne Côté

Me Éric Préfontaine

Me Alexandre Fallon

Osler, Hoskin

Pour l’appelante

 

Me Jacques Larochelle

Jacques Larochelle Avocat inc.

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

24, 25 et 26 mars 2014



 

 

 MOTIFS DU JUGE VÉZINA

 

 

[6]           L’appelante, la Banque de Montréal (la BMO), se pourvoit contre le jugement qui la condamne à payer des dommages-intérêts à l’intimé, le syndic à l’actif de la faillie TMI-Éducaction.com inc. (Éducaction), pour cause d’abus de droit. Le syndic en appelle aussi pour obtenir une indemnité plus élevée que les 12,5 M$ adjugés en sa faveur par la juge de première instance (la Juge).

[7]           L’abus de la BMO se réalise en deux temps. En juillet 2001, alors qu’Éducaction est sur le point de s’inscrire à la Bourse et de faire un PAPE (un premier appel public à l’épargne), elle y fait obstacle en retirant sans motif valable son support financier. Puis, en janvier 2002, lorsque les créanciers d’Éducaction votent en faveur d’une proposition pour la relance de l’entreprise, elle manœuvre pour en retarder l’homologation.

[8]           Éducaction comptait sur le PAPE pour réaliser un projet prometteur déjà en bonne voie de réalisation. Le premier obstacle repousse le projet, mais les créanciers y croient toujours. La seconde manoeuvre y met fin abruptement. Éducaction fait faillite.

[9]           Je suis d’avis que la conclusion de la Juge sur l’abus préjudiciable de la BMO est fondée. Par contre, il y a lieu de revoir le calcul de l’indemnité adjugée.

PARTIE I - L’ABUS PRÉJUDICIABLE

[10]        Si le pourvoi ne portait que sur l’abus préjudiciable, mes motifs seraient brefs, car la BMO ne soulève que des questions de fait alors que les constats et les inférences de fait de la Juge sont étayés sur la preuve, sans « erreur manifeste et déterminante » suivant la formule consacrée. Toutefois, pour revoir l’indemnité, il est nécessaire de reprendre le récit des événements.

A-        L’obstacle à l’inscription en Bourse

[11]        Au début, la BMO agit comme banquier pour une entreprise, Multipartn’r, qui offre de la formation pour l’utilisation de logiciels informatiques et aussi des services de conseil dans le domaine.

[12]        Depuis 15 ans, cette entreprise dispense cette formation dans des collèges ou en salle. En 1999, elle acquiert, au prix de 8,3 M$, « Learnix », une entreprise qui la dispense par Internet. Elle entreprend alors le développement d’une plateforme informatique pour multiplier la formation en ligne, partout, en tout temps et pour quiconque. C’est la formule de l’avenir, le cyberapprentissage (le e-learning).

[13]        En 2000, son chiffre d’affaires est de 55 M$. Le développement tarde toutefois à produire ses fruits et crée un problème de liquidités. Elle recherche des fonds.

[14]        En août 2000, des investisseurs, dont Monsieur L…, voient là une occasion. Leur projet est de scinder l’entreprise, ne conserver que le secteur de la formation et exploiter tout le potentiel du cyberapprentissage en accélérant la mise au point de la plateforme grâce à des capitaux additionnels obtenus par un PAPE, lequel présuppose l’inscription en Bourse d’Éducaction.

[15]        Dès septembre, une « entente de principe » est signée avec Multipartn’r et une somme de 2,3 M$ lui est versée comptant. La scission de l’entreprise nécessite toutefois l’accord de la BMO qui détient en gage tous ses biens. Après négociation, elle accepte et le contrat de vente de Multipartn’r à Éducaction est signé en janvier 2001 avec effet rétroactif au 1er octobre 2000. La valeur des actifs est de 30 M$. Et Multipartn’r détient alors 57 % du capital-actions d’Éducaction.

[16]        Le 24 janvier, la BMO consent à Éducaction une marge de crédit de 3,5 M$ garantie par une hypothèque mobilière sur ses comptes débiteurs. Les « engagements et conditions d’octroi de crédit » exigent le respect de divers ratios, dont les suivants : « la valeur corporelle nette consolidée ne doit pas être inférieure à 400 000 $; le fonds de roulement [devra] atteindre un surplus de 900 000 $; et les fonds auto générés consolidés devront être d’au moins 1 500 000 $ » (ci-après les ratios).

[17]        Revenons sur d’autres événements antérieurs à ce 24 janvier 2001.

[18]        En cours de négociation, la BMO exige d’Éducaction qu’elle cautionne la dette de Multipartn’r de 6,5 M$. Éducaction refuse. Elle se déclare même prête à faire affaire avec une autre banque, mais la BMO exige qu’elle demeure sa cliente, ce qu’Éducaction accepte.

[19]        Dès lors, pour Éducaction, la situation est claire, elle est en fait et en droit une société distincte de Multipartn’r. Pour la BMO la séparation n’est pas aussi pleinement consommée. Certes, elle reconnaît l’existence de deux personnes morales et l’absence de cautionnement de la part d’Éducaction, mais elle conserve la volonté - à l’insu de celle-ci - de mettre de la pression pour amener ses « riches » investisseurs à payer la dette résiduelle de Multipartn’r (ci-après la stratégie occulte de la BMO). C’est pour les y contraindre qu’elle abusera de ses droits.

[20]        D’octobre à décembre 2000, les investisseurs injectent 4 M$, puis 7 M$ dans Éducaction.

[21]        Grâce à ces fonds, le projet progresse. Éducaction acquiert une entreprise qui détient déjà une plateforme de cyberapprentissage, ce qui facilite le développement de la sienne. Elle en acquiert une autre qui offre des services de traduction pour traduire les 600 cours et livres qu’elle possède déjà et ainsi offrir une formation plus étendue.

[22]        Puis, en janvier 2001, Éducaction obtient sa marge de crédit de la BMO et prépare son inscription à la Bourse de Montréal. Elle approche divers investisseurs institutionnels ici et en Europe, où une tournée promotionnelle est effectuée en février.

[23]        La Juge constate que le projet suscite l’intérêt et que son financement augure bien. Elle retient entre autres que[3] :

[37]      Une réunion a lieu au cours de laquelle le projet Éducaction, incluant son inscription éventuelle à la bourse, est présenté et ce, en présence des membres du comité de sélection de Dundee Securities dont son président, monsieur G… Ce dernier est tellement impressionné par le projet que non seulement il accepte de le sélectionner mais il décide d'y investir 300 000$ de ses avoirs personnels. Monsieur G… offre à monsieur L… que sa firme s'occupe de l'émission du capital-actions pour Éducaction.

[…]

[39]      Entre les mois de septembre 2000 et de novembre 2000, monsieur  L… rencontre environ 60 investisseurs et leur présente le projet.  Partout le projet d'émission du capital-actions est très bien reçu pour les raisons suivantes:

•     il présente un volet sécurisant en raison de la base solide de cours diffusés en classes tant par [Multipartn’r] que par […] Learnix;

•     il y a la présence d'un réseau nord-américain établi de formation;

•     il y a le volet exclusivité de certains contrats détenus par […] Learnix quant aux systèmes Oracle et Sun;

•     l'équipe de direction est très, très solide;

•     finalement, l'ouverture au concept de cours à distance ou «e-learning», est très porteuse.

[40]      Certains courtiers, responsables d'investissements dans différentes firmes, y investissent personnellement, dès ce moment, tout comme le fait monsieur […].  Cependant, ils ne peuvent recommander à leurs clients d'effectuer des placements dans Éducaction tant que ses actions ne sont pas cotées en bourse.  Ils peuvent cependant réserver des blocs d'actions pour le moment de l'inscription à la bourse d'Éducaction.

[41]      Hampton Securities procède à une vérification diligente d'Éducaction.  Monsieur B… [son représentant] fait vérifier par l'analyste de cette firme, monsieur A…, l'aspect technologique d'Éducaction au cours de la vérification diligente.  Selon [ce dernier], tout est correct.  Les auteurs de la vérification diligente requise par Hampton Securities émettent tous une conclusion favorable à Éducaction.

[…]     

[43]      Au mois de décembre 2000, monsieur S…, [courtier], qui travaille alors au bureau de Montréal de Hampton Securities, s'implique aussi dans le projet d'Éducaction.  Il participe à la préparation de la tournée européenne de levée de fonds, donc de présentation du projet d'Éducaction.  Cette tournée a lieu en février 2001.  Son rôle est de provoquer des rencontres entre les représentants d'Éducaction, messieurs L… et A… et sa clientèle institutionnelle européenne.

[44]      Selon S… [courtier], l'intérêt des différents courtiers européens pour le capital-actions d'Éducaction à être émis suite à son inscription à la Bourse, est très élevé.

[…]

[49]      Le 22 janvier 2001, Hampton Securities s'engage à signer une entente de parrainage envers Éducaction.

[50]      Le 9 mars 2001, la Bourse émet l'acceptation conditionnelle à l'inscription d'Éducaction à son institution.

[24]        Même si, à la fin de février 2001, survient l’éclatement de la bulle technologique et la baisse des marchés boursiers, la Juge retient que les investisseurs demeurent intéressés :

[53]      Entre mai et juin 2001, malgré la turbulence du marché boursier, les investisseurs européens de S… sont toujours prêts à investir 10M$ dans Éducaction.

[54]      Monsieur […], président de SIPAR procède lui aussi avec ses professionnels à une vérification diligente d'Éducaction.  Il obtient lui aussi un avis favorable à cette dernière.

[55]      …SIPAR est prête à investir directement dans Éducaction lors de son inscription à cette bourse.

[25]        « L’ouverture au e-learning est porteuse », suivant le mot de la Juge, et le projet progresse, l’inscription en Bourse est fixée au 22 mai. Mais la BMO poursuit son propre plan.

[26]        Le 3 mai, elle envoie à Éducaction une lettre de défaut où elle fait état du non-respect des ratios et requiert « une nouvelle injection de 1,5 M$[4] pour le 18 mai 2011 au plus tard avant que la compagnie n’aille publique ». Les fonds ne sont pas disponibles et l’inscription en Bourse est reportée au 6 juin, puis au 6 juillet.

[27]        Il y a eu un long débat sur l’interprétation des clauses édictant les ratios; il n’est pas nécessaire de le reprendre ici. C’est un fait admis par Éducaction que « les ratios financiers imposés par BMO ne sont pas rencontrés le 3 mai 2011 ».  Encore qu’ils le sont moins que la BMO ne le prétende :

[204]    Le Tribunal constate que la base des affirmations de monsieur A… [un comptable dont la BMO a retenu les services] est totalement inexacte. Non seulement, les créditeurs ne diminuent pas de 60 000$ comme il l'affirme  mais au contraire, ils augmentent de plus de 500 000$.  Par ailleurs, les avances bancaires n'augmentent pas de 670 000$ au cours de cette période mais au contraire, elles diminuent de 25 000$.

[…]

[206]    Lors de l'audience, monsieur A... doit corriger un élément important de son rapport.  Ainsi, il estime qu'il y a un déficit de 255 000$.  Or, comme il doit le reconnaître, la réalité est toute autre puisqu'il ne s'agit pas d'un déficit mais plutôt d'un surplus estimatif.

[28]        L’important, et c’est un point crucial du jugement attaqué, le non-respect des ratios est sans pertinence car, en tout temps, la BMO est pleinement garantie par les comptes débiteurs. Ce n’est pas la crainte d’une perte éventuelle qui motive son envoi de la lettre de défaut, c’est la poursuite de sa stratégie occulte : elle veut encore et toujours forcer les investisseurs d’Éducaction à payer la dette résiduelle de Multipartn’r.

[29]        En mai et juin, Éducaction multiplie les démarches pour convaincre la BMO de retirer sa lettre, mais rien n’y fait; la BMO demeure inflexible, à moins qu’une proposition ne lui soit aussi soumise pour la dette de Multipartn’r. La Juge écrit :

[155]    La prépondérance de la preuve démontre nettement que BMO ne veut pas trouver une solution financière aux problèmes d'Éducaction et même examiner sérieusement les offres qui lui sont faites en ce sens si, au même moment, une solution pour la situation précaire de Multipartn'r, n'est pas l'objet d'une entente.

[30]        De fait, le 4 juillet, elle avisera formellement Éducaction de son intention d’exercer ses garanties conformément à l’article 244(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[5], ajoutant qu’elle « retire son support financier » à Éducaction et précisant que dès ce jour aucun chèque ne sera honoré « y compris toute paye des employés ».

[31]        Durant tout ce temps, la BMO sait que l’inscription en Bourse et le PAPE sont d’une importance vitale pour le projet d’Éducaction. Elle sait aussi que la lettre de défaut fait obstacle à l’inscription. Et c’est en pleine connaissance de cause qu’elle refuse de la retirer et donne son avis d’intention.

1-         La valeur de la garantie de la BMO

[32]        La Juge analyse la valeur des comptes débiteurs d’Éducaction et constate qu’ils sont en tout temps beaucoup plus élevés que sa dette envers la BMO. Voici ce qu’elle retient à quatre moments successifs[6].

[33]        Au 22 février :

[180]    Sur la base des états financiers du 28 février 2001, la situation d'Éducaction est la suivante :

•           La marge de crédit est utilisée à concurrence de 2 M$;

•           La compagnie a 0,9 M$ en banque;

•           Les comptes à recevoir (comptes débiteurs) s'élèvent à 8,5 M$.

[181]    Le Tribunal constate que le risque réel de BMO est de 1,1 M$ et qu'elle dispose de huit fois plus de garanties pour couvrir ce risque, soit la somme de 8,5 M$.

[…]

[184]    Le Tribunal conclut que BMO n'a, le 3 mai 2001, aucun motif raisonnable de craindre sérieusement des pertes financières car, comme on le sait, ses sûretés sont 8 fois supérieures aux sommes qu'Éducaction lui doit.

[34]        Au 31 mars :

[190]    Sur la base des états financiers du 31 mars 2001, transmis le 31 mai 2001 à BMO , la situation d'Éducaction est la suivante :

•           La marge de crédit est utilisée à concurrence de 2,4 M$;

•           La compagnie a 0,7M$ en caisse;

•           Les comptes à recevoir (débiteurs) s'élèvent à 7,6 M$.

[191]    Le risque financier de BMO s'élève donc au 31 mars 2001, à la somme de 1,7 M$.  Les garanties sont supérieures au risque de BMO d'au moins [quatre] fois.

[35]        Au 30 avril :

[192]    Au 30 avril 2001, les états financiers d'Éducaction établissent la situation suivante :

•           La marge de crédit est utilisée à concurrence de 2,5 M$;

•           La compagnie dispose de 9,5 M$ en banque;

•           Les comptes à recevoir (débiteurs) s'élèvent à 6,4 M$.

[193]    Le Tribunal constate que le risque réel de BMO s'élève à la somme de 1,5 M$.  Au même moment, BMO dispose de garanties qui sont d'au moins [quatre] fois supérieures à son risque réel.

[36]        Au 30 juin, elle récapitule :

[209]    Il convient maintenant de reproduire les éléments du risque financier de BMO, en sa possession au 30 juin 2001 et fondé sur les états financiers réels disponibles à ce moment:

 

28-02-01

31-03-01

30-04-01

Encaisse

Comptes débiteurs

Avances bancaires

Risque BMO

0,9 M$

8,5 M$

 

2 M$

1,1 M$

0,7 M$

7,6 M$

 

2,4 M$

1,7 M$

9,5 M$

6,4 M$

 

2,5 M$

1,5 M$

[210]    De l'examen des états financiers ci-dessus reproduits, le Tribunal constate qu'en tout temps le risque financier de BMO est très faible pour ne pas dire inexistant et ce, en raison de l'importance des sûretés détenues sur les comptes débiteurs qui sont de [quatre] à 8 fois supérieures, selon les mois, au montant dû par Éducaction à titre d'avances bancaires.

[37]        De plus, la Juge constate que la BMO est consciente de la solidité de sa garantie et ne craint pas de perte. Elle cite trois extraits de la déposition de monsieur V…, le responsable du compte à la BMO :

[183]    Finalement, après avoir pris en considération la situation du bilan consolidé du 28 février 2001 et lui avoir fait reconnaître que le risque réel de BMO, au 3 mai 2001 sur la base des états financiers de février 2001, rappelons-le, est de 1 100 000$, monsieur V… doit reconnaître ce qui suit:

«Q. Vous avez vu.  Et pour protéger un million cent (1 100 000$), vous avez huit millions et demi (8,5 M$) de débiteurs, de comptes à recevoir qui vous sont disponibles, donc tous donnés en garantie, c'est exact?

R. Oui.

[…]

Q. Aviez-vous peur?

R. Non.»

[…]

[211]    Quelle est la vraie teneur des craintes de BMO au mois de juillet 2001, moment que son directeur des comptes spéciaux, monsieur V…, qualifie de plus critique.  Il l'explique ainsi:

«Q. […]  Est-ce qu'il est exact, monsieur V…, que dans ce dossier, la Banque, ni en mai, ni en juin, ni en juillet, ni en août deux mille un (2001) n'a jamais craint réellement de faire une perte, […]

R. Moi, …c'est ce que j'ai écrit, c'est que la Banque pensait perdre de l'argent, on l'a marqué même dans un des courriels que j'envoie aux gens du crédit et à mon patron le vingt-cinq (25) juin et je dis que la Banque est exposée à perdre de l'argent…

Q. Attention! …Si elle liquide?

R. C'est ça.»

[212]    Et monsieur V… d'ajouter

«Q. Bon. Et ne serait-il pas exact de dire que vous pouviez devenir à risque, mais qu'en aucun temps, vous ne l'avez été réellement, est-ce que c'est exact ça, oui ou non?

R. On pouvait devenir à risque s'il y avait une interruption d'affaires, oui.»

[213]    Le Tribunal retient que le risque de BMO est plus important s'il y a interruption d'affaires, comme le mentionne monsieur V… alors qu'il n'y en a pas si la compagnie continue d'opérer.

[214]    Cependant, BMO n'a jamais fait de provision en cas de perte dans Éducaction.

[38]        Et la Juge fait le lien avec la stratégie occulte de la BMO :

[215]    Pour tenter de comprendre l'entêtement des représentants de BMO à refuser de retirer leur lettre de défaut et à envoyer l'avis d'exercice des garanties du 4 juillet 2001, il convient d'examiner ses documents internes.

2-         La stratégie occulte de la BMO

[39]        La stratégie occulte de la BMO est de faire pression sur les investisseurs d’Éducaction pour obtenir d’eux le paiement de la dette de Multipartn’r. Sans reprendre la démonstration qu’en fait la Juge, il est opportun de revoir les extraits des documents internes qu’elle cite (l’accentuation en gras est d’elle).

[40]        Il y a d’abord un sommaire en date du 13 septembre 2000 - quatre mois avant l’octroi de la marge en janvier 2001 - de monsieur G…, le second représentant de la BMO, l’auteur de la lettre de défaut du 3 mai :

[219]    La première demande de crédit et le sommaire qui l'accompagne sont en date du 13 septembre 2000. […]

[220]    Dans la demande de crédit du 13 septembre 2000, monsieur G… constate que:

«Les engagements 2, 3, 4 et 5 ne sont pas respectés ils sont en dérogations aux ententes de prêts. Vu les circonstances, il serait malhabile de dénoncer ces défauts à ce stade-ci.  Nous maintenons ces conditions pour l'heure et nous aviserons en temps utile et lorsqu'il sera jugé opportun de les exercer et/ou de les renégocier.  Malgré le défaut, le compte ne sera pas rapporté en dérogation pour ces motifs.»

[…]

[222]    Dans le sommaire de crédit, monsieur G… mentionne que tous les ratios financiers imposés à Multipartn'r sont en défaut et que, sans y renoncer, il ne les rapporte pas.  Puis il précise la stratégie d'ensemble de BMO en ces termes:

«Obtenir réduction progressive du déficit de marge et obtenir dans un avenir proche remboursement des avances en forçant des entrées de fonds de nouveaux investisseurs dont l'objectif est d'effectuer un RTO[[7]] et ou IPO[[8]] sur le marché boursier d'ici déc.00, janv.01 pour [Éducaction].»

[41]        Quelques jours plus tard, au 18 septembre 2000 :

[224]    Le constat que monsieur G… fait du respect des engagements financiers est le suivant:

«Les engagements 2, 3, 4 et 5 ne sont pas respectés et sont en dérogations aux ententes de prêts.  Vu les circonstances, il serait malhabile de dénoncer ces défauts à ce stade-ci. Nous maintenons ces conditions pour l'heure et nous aviserons en temps utile et lorsqu'il sera jugé opportun de les exercer et/ou de les renégocier. Malgré ces défauts, le compte ne sera pas rapporté sur F549 pour ces dérogations jusqu'au 31-01 pour ces motifs. Aucune lettre de défaut ne sera expédiée au client

[42]        Le 12 janvier 2001 - quelques jours avant l’octroi de la marge - monsieur G… réitère l’objectif et note que dès le départ les ratios exigés d’Éducaction ne sont pas respectés :

[225]    Le 12 janvier 2001, un sommaire de crédit est de nouveau rédigé dans le contexte de modifications à apporter à la proposition de financement et ce, en raison de l'achat d'Édu-Performance.  L'entrée à la bourse serait alors prévue pour le mois de février 2001 et les sommes d'argent qui pourraient être investies le jour même de l'inscription pourraient atteindre 20 M$. Même si monsieur G… trouve cette somme «astronomique», il conclut que cela pourrait apporter «de bonnes liquidités additionnelles qui ne peuvent que réduire le risque pour la banque». Ces modifications sont donc approuvées même si Éducaction ne respecte pas alors les ratios financiers prévus à la convention de prêt.

[226]    À ce moment, monsieur G… précise ainsi la stratégie de BMO:

«La Banque pourra toujours exercer ses recours, si elle le juge encore nécessaire, avec de bonnes chances d'être repayée  rapidement vu l'enjeu des tiers investisseurs

 [227]   Lors de son contre-interrogatoire, monsieur G… insiste sur son mauvais choix de vocabulaire vu l'absence de pouvoirs de BMO sur les tiers investisseurs. Pourtant, monsieur V… qui, rappelons-le approuve les rapports de monsieur G…, doit reconnaître que :

«Q. Vous n'avez pas répondu à ma question.  Ma question est: l'enjeu des tiers investisseurs, c'est le fait qu'ils ont mis douze millions (12M$) et qu'ils ne veulent pas le perdre, c'est vrai ou c'est faux?  Puis si ce n'est pas vrai, dites-moi c'est quoi?

R. Bien, les investisseurs ont mis douze millions (12M$), puis effectivement je suis sûr qu'ils ne voulaient pas perdre cet argent-là.

Q. Bon, c'est ça l'enjeu des investisseurs, non?

[…]

R. Bien, les investisseurs ne veulent pas perdre leur argent

[228]    Dès ce moment, le Tribunal constate que BMO a l'intention d'exercer ses garanties lorsqu'elle le jugera opportun et de forcer l'entrée de fonds de nouveaux investisseurs.

[43]        Notons au passage que le non-respect des ratios au moment même de l’octroi de la marge de crédit fait bien voir leur importance toute relative pour la BMO et, a contrario, l’importance primordiale de sa garantie sur les comptes débiteurs.

[44]        Et on arrive en mai 2001, à la lettre de défaut :

[231]    Quant à la stratégie à adopter pour le mois de mai 2001, monsieur G… la décrit ainsi:

«Obtenir dans un avenir proche (un an) le remboursement des avances en forçant des entrées de fonds de nouveaux investisseurs dont l'objectif est d'effectuer un RTO et ou IPO sur le marché boursier [Éducaction] (cédulé en mai 01) et pour… »

[45]        Poursuivant sa stratégie, la BMO rencontre les dirigeants d’Éducaction et de Multipartn’r et elle insiste pour qu’une solution soit proposée en même temps pour les deux entreprises. La Juge écrit :

[242]    Comme on le sait, monsieur V… exige alors d'obtenir des solutions pour chacune des compagnies, soit Éducaction et Multipartn’r.

[…]

[260]    Le 22 juin 2001, un sommaire de crédit est rédigé par monsieur G…  Il concerne les deux compagnies, Multipartn'r et Éducaction alors que celles-ci sont toujours des entités juridiques distinctes.

[…]

[272]    Le premier volet est relatif au cautionnement juridiquement inexistant qu'impose BMO à Éducaction quant aux obligations de Multipartn'r envers elle […]

[…]

[274]    L'un des éléments principaux est l'exigence d'une «solution distincte pour les deux compagnies», comme le précise monsieur V… à de nombreuses reprises, lorsqu'il discute et refuse les offres proposées par Éducaction.  La teneur même de cette exigence ne repose sur aucun fondement juridique, d'une part et équivaut à exiger d'Éducaction qu'elle cautionne Multipartn'r, ce qu'elle refuse de faire, comme on le sait.  Le contrat intervenu entre BMO et Éducaction ne comporte aucun cautionnement de celle-ci pour Multipartn'r.

[46]        Sur réception de la lettre de défaut, Éducaction forme un comité d’experts dont un ancien directeur de banque à la retraite pour élaborer des solutions afin d’obtenir de la BMO le retrait de sa lettre. La Juge énumère les mesures envisagées par Éducaction et le refus de la BMO, incompréhensible pour les membres du comité :

[248]    Malgré l'absence de souvenirs concrets de messieurs A…[[9]] et G… à ce sujet, le Tribunal conclut que la prépondérance de la preuve révèle que les représentants d'Éducaction abordent aussi les éléments suivants:

•           L'inscription à la Bourse initialement prévue pour le 22 mai 2001 qui est alors reportée au 6 juin 2001;

•           L'offre de Hampton Securities conditionnelle seulement au retrait de la lettre de défaut de BMO et permettant une injection de 1 245 000$ ;

•           L'offre de 1 M$ de SIPAR conditionnelle à l'inscription à la Bourse et payable le jour de l'inscription à la Bourse;

•           L'offre de LBJ Partenaires de convertir 1 M$ de la dette d'Éducaction envers elle en capital-actions de la compagnie augmentée, au cours de la réunion, à 1,7 M$;

•           La possibilité que la conversion totale de dettes d'Éducaction en capital-actions atteigne la somme de 3 500 000$ en incluant celles de LBJ Partenaires;

•           De l'obtention d'une somme de 10 M$ le jour de l'inscription à la Bourse, ce qui est connu comme étant un IPO.

[249]    À la fin de la rencontre du 1er juin 2001, le Tribunal retient que BMO refuse de retirer sa lettre de défaut.  Malgré l'incompréhension des représentants d'Éducaction, ils continuent à travailler à leur projet pour faire leur inscription à la Bourse le 6 juillet 2001. 

[47]        Ce qui n’était pas compréhensible à l’époque le deviendra lorsque les documents internes de la BMO seront obtenus et ses représentants forcés à l’audience d’admettre sa stratégie occulte, arrêtée dès septembre 2000.

[48]        La position de la BMO est si incroyable qu’Éducaction et son comité d’experts demeurent convaincus que la BMO va retirer sa lettre. Ils poursuivent donc leurs démarches jusqu’à la réception de l’avis du 4 juillet de la BMO de son intention de réaliser ses garanties. Décision tout aussi incompréhensible pour eux.

[49]        La BMO sait, le 3 mai, au jour de l’envoi de la lettre de défaut, que l’inscription à la Bourse est prévue pour le 22 mai. Ses représentants commencent par le nier, mais sont forcés de l’admettre. La Juge cite d’autres extraits des dépositions :

[234]    Quand monsieur G… envoie la lettre de défaut, il sait très bien que l'entrée à la Bourse d'Éducaction est prévue pour le 22 mai 2001. Il nie être au courant qu'Éducaction ait déjà obtenu de la Bourse une approbation conditionnelle de son inscription.  Il ajoute alors :

Q. …est-ce que vous étiez au courant que la direction estimait - la direction d'Éducaction, évidemment, ou de TMI Learnix - estimait que lors de son entrée en Bourse, et vous saviez que la date prévue était le vingt-deux (22) mai, l'entrée en Bourse lui permettrait d'obtenir dix millions de dollars (10 M$)?

[…]

R. Non, je ne suis pas au courant de ça.

Q. Vous êtes sûr?

R. Je suis sûr.

[…]

Q. Est-ce que vous voyez comme moi une lettre de monsieur A… [président d’Éducaction] du vingt-trois (23) mars deux mille un (2001),…:

«Nous tenons à vous informer que la Bourse de Montréal a approuvé conditionnellement l'inscription à sa quote des actions ordinaires de la société.  Actuellement, avec l'aide d'un syndicat de courtiers en valeur mobilière, TMI-Learnix complète un financement d'environ dix millions de dollars (10 M$) qui nous permettra de finaliser son inscription à la Bourse, laquelle est prévue au plus tard le six (6) juin deux mille un (2001).»

[235]    En examinant le sommaire de BMO en date du début mai 2001, monsieur V… doit reconnaître qu'à ce moment, il sait que l'entrée à la bourse est prévue pour le 22 mai 2001.  Puis, au sujet de la stratégie de BMO à ce moment, voici ce qu'il doit reconnaître :

«Q. «Stratégie»

[…]

Je vous suggérais tout à l'heure que votre objectif en mai était d'obtenir le remboursement en forçant la main des investisseurs.  Est-ce que ce n'est pas noir sur blanc écrit dans le document?

R. C'est ce qui est écrit dans le document.»

[236]    Le Tribunal conclut qu'au mois de mai 2001, lorsque BMO envoie sa lettre de défaut, ses représentants détiennent les informations suivantes :

·         […]

·         Le risque réel de BMO est de 1,1M$ alors qu'elle a pour plus de 8M$ de comptes débiteurs en garantie. La situation ne fait pas peur à monsieur V…;

·         […]

·         L'inscription à la Bourse est prévue pour au plus tard le 6 juin 2001 et est annoncée publiquement pour le 22 mai 2001;

·         Ils savent que l'envoi d'une lettre de défaut constitue un obstacle à l'inscription à la Bourse d'Éducaction et déterminent qu'il s'agit du « moment opportun » pour exercer la pression nécessaire et obtenir le remboursement des avances bancaires.

[50]        D’où la conclusion générale de la Juge que le véritable objectif de la BMO est d’empêcher l’inscription d’Éducaction à la Bourse si les investisseurs ne règlent pas la dette de Multipartn’r :

[264]    Le Tribunal retient que l'attitude de messieurs G… et V… n'est certes pas empreinte de franchise et que, sans aucun fondement juridique, ils exigent qu'Éducaction règle les problèmes financiers de MultiPartn'r dont elle n'est pas caution. […]

[265]    Ils décident d'empêcher définitivement, par l'avis d'exercice des garanties   l'inscription à la Bourse dÉducaction, sachant très bien que ce geste lui est fatal. Ils refusent d'accorder un délai supplémentaire, le 13 juillet 2001.

[51]        En somme, la BMO, pleinement garantie, empêche sciemment Éducaction de s’inscrire à la Bourse et de lancer un PAPE, la privant par là des capitaux nécessaires pour compléter la réalisation de son projet de cyberapprentissage. D’où l’interrogation de la Juge à savoir s’il y a là abus de droit.

3-         L’abus de la BMO

[52]        La Juge énonce correctement le principe de droit qui doit la guider, d’ailleurs repris par la BMO dans son exposé :

[268]    Il est bien établi que pour décider si une institution financière abuse de ses droits envers son débiteur, il y a lieu d'examiner si la décision de BMO se fonde sur des facteurs économiques raisonnables en prenant en considération le risque réel de l'institution financière. […]

[53]        Puis, elle rappelle les faits : l’inexistence d’un cautionnement de la part d’Éducaction en faveur de Multipartn’r; la stratégie de la BMO « d’être repayée vu l’enjeu des tiers investisseurs »; le risque « presqu’inexistant » de la BMO durant toute la période.

[54]        Notons que la BMO ne conteste pas ces faits, ni sa pleine garantie en tout temps, ni sa stratégie occulte, ni les pressions exercées. Elle plaide plutôt que, peu importe ce qu’elle a fait, Éducaction n’aurait de toute façon jamais réussi à s’inscrire à la Bourse : « … entirely unrelated to the Bank’s actions, Education never met the criteria of the MSE required for the IPO to succeed ».

[55]        Ce moyen, la BMO l’a invoqué lors de sa plaidoirie en première instance, mais la Juge l’a rejeté faute de preuve pour le fonder, tout en rappelant les étapes réussies pour l’inscription en Bourse :

[339]    Le Tribunal abordera dans un premier temps l'argument de BMO relatif à l'impossibilité d'inscription à la Bourse par Éducaction en raison de son impossibilité d'établir auprès des dirigeants de cette institution sa capacité de survivre financièrement pendant les 18 mois suivant la date de son admission.

[340]    Il convient d'examiner la preuve faite à ce sujet. 

[341]    Deux firmes distinctes procèdent à une vérification diligente d'Éducaction et se déclarent satisfaites de celle-ci.  Il s'agit de Hampton Securities  et du témoignage de monsieur L.., lors de l'audience.  Aucune preuve de BMO ne contredit ces affirmations.

[342]    Le 9 mars 2001, la Bourse émet son acceptation conditionnelle.  Hampton Securities transmet à la Bourse le 9 mai 2001 un autre projet de lettre de parrainage.  Les demandes de prolongation de délai pour être inscrite à la Bourse formulées par Éducaction dans un premier temps pour la période du 6 juin 2001 au 6 juillet 2001 et par la suite du 6 juillet 2001 au 6 août 2001 sont accordées par la Bourse.  Aucune preuve ne contredit la teneur de ces documents.

[343]    En fait, l'argument de BMO est soulevé à l'occasion de sa plaidoirie.  Il ne repose sur aucun témoignage de personnes concernées par les demandes d'Éducaction à la Bourse.  Aucun analyste de la Bourse dont monsieur L… ne vient confirmer ou infirmer les possibilités que soulève BMO quant aux conditions d'admissions à cette institution, en 2001, d'une part et l'impossibilité en fait pour Éducaction d'y être inscrite réellement au mois de juillet 2001, d'autre part.

[344]    Or, une plaidoirie si bien faite soit-elle ne peut suppléer à l'absence de preuve directe à ce sujet.  Le Tribunal retient plutôt que la prépondérance de la preuve établit que, n'eut été des décisions intempestives et déraisonnables de BMO, l'inscription d'Éducaction à la Bourse aurait eu lieu.[…]

[56]        La BMO surenchérit. Selon elle, l’entreprise d’Éducaction était en si piteux état que, abus ou pas de sa part, elle était vouée à la faillite. C’est la thèse que viendra appuyer son expert dans le débat sur l’indemnité.

[57]        Cette thèse de la BMO va carrément à l’encontre des inférences de fait de la Juge : le projet de cyberapprentissage est « porteur »; l’inscription à la Bourse aurait réussi; les capitaux auraient suivi. Ces inférences sont étayées sur la preuve. La prétention de la BMO n’est que plaidoirie, certes savante, mais insuffisante pour pallier l’absence de preuve ou, à tout le moins, pour contrer celle retenue par la Juge.

[58]        Par ailleurs, la BMO ne fournit jamais d’explication acceptable pour le non-retrait de sa lettre de défaut et pour l’envoi de son avis d’intention le 4 juillet alors que l’inscription à la Bourse est prévue pour le surlendemain. Elle s’en tient au non-respect des ratios qui, selon elle, lui donnait le droit, peu importe les circonstances, d’exercer ses garanties.

[59]        Si on ignore la stratégie occulte, on ne peut comprendre la BMO. Elle est pleinement garantie par les comptes débiteurs, elle n’a qu’à attendre quelques jours et laisser les choses aller. Si jamais l’inscription ne réussit pas, les comptes débiteurs seront toujours là le lendemain. Et aujourd’hui elle n’aurait pas à plaider avec véhémence que l’inscription n’aurait jamais réussi. La Juge le voit ainsi :

[284]    L'inexistence du risque financier de BMO est confirmée par les éléments suivants que révèle la preuve:

•           Entre le moment où BMO donne l'avis d'exercice de garanties le 4 juillet 2001 et le sommaire de crédit qu'elle rédige deux semaines plus tard, la dette d'Éducaction à son égard diminue de 600 000$;

•           Entre le moment où BMO donne l'avis d'exercice de ses garanties, moment où elle réclame la somme de 2 126 126$ et le moment où elle subroge Finloc dans ses droits après avoir été payée par celle-ci, le 6 septembre 2001, la dette d'Éducaction n'est que de 75 624.58$.

[285]    Au sujet de son refus de retrait de la lettre de défaut - ce qui aurait permis l'inscription à la Bourse - monsieur V… ne peut expliquer pourquoi il n'accorde pas un délai additionnel, en ces termes:

«Q. ...Tenons pour acquis, là, que la Banque de Montréal d'une façon générale, soit vous, soit monsieur G…, peu importe, là, tenons pour acquis que vous saviez que c'était le vingt-deux (22) mai comme c'est évident, là, pourquoi alors ne pas retirer la lettre et donner à l'entreprise une (1) semaine ou deux (2) pour avoir un deux millions (2 M) assuré et peut-être un dix millions (10 M)?  Quelle est la raison qui vous empêche de faire ça, étant donné que vous ne courez aucun risque?

R. Selon ce que vous dites, il n'y a pas de raison

[60]        Force est de constater que la BMO a exercé ses droits « en vue de nuire à autrui »[10] pour obtenir un paiement qu’elle n’était pas en droit d’exiger d’Éducaction. Espérons que c’est un raté dans l’engrenage complexe de cette entreprise de large envergure.

B-        L’homologation de la proposition du concordat retardée

[61]        Menacée par l’avis d’intention, Éducaction se met sous la protection de la L.f.i. le 13 juillet et, dès lors, élabore une proposition pour assurer la relance de son entreprise.

[62]        En septembre, Finloc, nouveau bailleur de fonds, paie le solde dû à la BMO et avance 2 M$ à Éducaction sur la garantie des comptes créditeurs restants.

[63]        Les créanciers pressentis sont en faveur de la proposition. Le projet de développer le cyberapprentissage est toujours sur la table.

[64]        À l’assemblée des créanciers sur la proposition, la BMO, à l’étonnement de tous, dépose une réclamation de 3,9 M$. Elle est constituée pour partie d’une créance de Multipartn’r contre Éducaction dont la BMO est cessionnaire, et pour partie de la dette de Multipartn’r assumée par Éducaction, laquelle de fait a été portée à la marge de crédit d’Éducaction dont le solde, tel que ci-dessus mentionné, a été payé par Finloc.

[65]        Le mandataire de la BMO, qui dépose sa preuve de réclamation, fournit une explication boiteuse comme l’explique la Juge :

[302]    Une partie de cette réclamation est fondée sur les frais de services ou de gestion qu'Éducaction devrait à Multipartn'r.  Une autre partie serait due en raison de l'assumation d'une dette de Multipartn'r par Éducaction.  Or, monsieur R…, mandataire de BMO, cherche un chèque qui indiquerait les paiements faits par Éducaction à Multipartn'r pour établir la réclamation.  Il ne peut pas en trouver car l'assumation de la dette de Multipartn'r envers BMO par Éducaction apparaît sur le solde de la marge de crédit d'Éducaction.

[66]        À l’audience, une preuve non contredite établit la créance de la BMO à 330 000 $, soit moins de 10 % de la somme de 3,9 M$ réclamée. La Juge conclut :

[309]    De l'avis du Tribunal, monsieur R… de la firme…, en sa qualité de mandataire de BMO, omet de faire les vérifications appropriées pour établir les sommes qui sont susceptibles d'être dues à son mandant.

[67]        Sans surprise, le syndic rejette la réclamation de la BMO et déclare acceptée la proposition en faveur de laquelle 90 % des autres créanciers ont voté.

[68]        La BMO a alors le choix. Elle peut contester le rejet de sa preuve de réclamation sans pour autant faire obstacle à l’homologation de la proposition; la proposition sera alors dûment homologuée par la Cour et la relance de l’entreprise pourra être réalisée. En parallèle, la BMO fera établir le montant de sa créance par le tribunal et elle partagera, avec l’ensemble des créanciers, la somme offerte dans la proposition (300 000 $).

[69]        Mais non, la BMO choisit plutôt de s’opposer à l’homologation tant que son appel du rejet de sa preuve de réclamation n’aura pas été tranché. Elle provoque ainsi un délai qui empêche la relance de l’entreprise, laquelle ne peut réussir que si l’homologation est obtenue promptement et qu’aucune incertitude ne demeure.

[70]        La Juge constate ce choix délibéré de la part de la BMO et fait le lien avec sa stratégie occulte :

[311]    À partir du moment où le syndic rejette la réclamation de BMO, deux options s'ouvrent aux parties. BMO peut interjeter appel de la décision [du syndic] devant la Cour supérieure. L'homologation de la transaction acceptée par les créanciers peut être faite sous réserve de la décision de la Cour quant au montant réellement dû à BMO.  Dans cette optique, la transaction est homologuée, le débat judiciaire établit la créance réelle de BMO qui obtiendra paiement selon la formule proposée par Éducaction après avoir obtenu jugement de la Cour.

[312]    Le Tribunal est d'opinion que Me P… ne fait preuve d'aucune mauvaise foi dans l'exercice de ses fonctions d'avocat de BMO. Simplement, les représentants de cette dernière et plus particulièrement, messieurs G… et V…, ne lui dévoilent jamais la stratégie qui est la leur depuis le mois de septembre 2000, d'une part et utilisent ses services à leurs fins, d'autre part.  Ils ne lui disent que ce qu'ils veulent bien lui dire pour qu'il rédige la lettre de défaut, l'avis d'exercice de garanties, la lettre de retrait de soutien financier ainsi que la preuve de réclamation.  Par ailleurs, monsieur R… l'induit en erreur.

[313]    Or, malgré que monsieur V… reconnaît qu'il est urgent que la transaction soit homologuée pour éviter la faillite d'Éducaction, BMO s'y oppose tant que la quotité de sa réclamation n'est pas déterminée… .  Les lettres de Me P… à ce sujet reflètent la position des représentants de sa cliente: messieurs G… et V….  Ils ne peuvent ignorer qu'en raison des sommes reçues de Finloc, leur réclamation ne peut tenir.  Malgré tout, ils continuent de s'entêter!!!

[71]        L’attitude des représentants à l’assemblée, dont monsieur V…, est sans équivoque : jamais la BMO n’acceptera la proposition. La Juge retient :

[318]    Messieurs B…, L… [d’Éducaction] et B…[de Finloc] mentionnent qu'en raison de l'attitude agressive des représentants de BMO, et plus particulièrement, celle de monsieur V…, ils comprennent tous que celle-ci ne permettra jamais à Éducaction de réussir.

[72]        Ce monsieur B… de Finloc s’étonne de « l’attitude agressive » des représentants de la BMO, dont monsieur V… Il s’approche de lui pour lui faire entendre raison, mais c’est en vain. La Juge relate cet épisode en citant sa déposition :

[321]    Le Tribunal n'a aucune raison pour ne pas croire le témoignage indépendant, pondéré et empreint de sincérité de monsieur B…, président de Finloc. Lors de l'audience, il mentionne ne pas comprendre l'attitude des représentants de BMO.  Il ne la comprend pas au point où il s'approche de monsieur V… et lui demande pourquoi il agit ainsi.  Il relate cet événement en ces termes :

R. …on a essayé de discuter avec les gens, avec V… et leur avocat, pour qu'ils puissent, enfin de compte: «oui, ça n'a pas de bon sens ce que vous faites là, vous êtes en train de tuer l'entreprise,  etc. 

Et là… ça a été clair, clair, clair: «on n'acceptera jamais ce règlement. 

[…]

R. …j'ai dit: «pour moi, c'est terminé…» 

[…]

Q. Le dossier est terminé?

R. Le dossier est terminé, le dossier est clos, on ne viendra pas mettre de l'argent à nouveau si on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

[73]        La Juge prend soin de souligner le montant abusif de la réclamation et l’attitude fermée de la BMO :

[323]    Le Tribunal n'aurait pas de raison normalement de retenir qu'une erreur de quelques dizaines, voire une ou deux centaines de milliers de dollars est génératrice de responsabilité extracontractuelle pour le mandant.

[…]

[325]    Le Tribunal conclut que les représentants de BMO commettent une faute génératrice de responsabilité extracontractuelle en déposant une preuve de réclamation grossièrement exagérée et dénuée, dans sa majeure partie, de bien-fondé.  Monsieur V… engage aussi la responsabilité extracontractuelle de BMO lorsqu'il affirme à monsieur B… qu'il «n'acceptera jamais ce règlement».  Comme on le sait, ses paroles et son attitude agressive convainquent monsieur B… au point où il recommande à monsieur D… que Finloc cesse le soutien financier d'Éducaction, d'une part et exerce ses garanties, d'autre part.

[74]        Pourquoi cette obstination de la BMO qui empêche le concordat et fait disparaître toute possibilité de relance du projet de cyberapprentissage? Aucune explication n’est fournie. Était-ce pour couvrir l’empêchement abusif de l’inscription en Bourse en espérant que l’affaire meure de sa belle mort avec la faillite? Ce qui aurait probablement été le cas n’eût été le principal investisseur, Monsieur L…, qui s’est entendu avec le syndic pour poursuivre.

[75]        Faute d’explication rationnelle, force est de conclure que la BMO a continué d’exercer ses droits dans le seul dessein de nuire à Éducaction si elle n’était pas payée de la dette de Multipartn’r.

C-        Prescription et objection à la preuve

[76]        Un mot sur deux points marginaux soulevés par la BMO : la prescription de l’action du syndic et l’objection du ouï-dire à la preuve de l’intérêt des investisseurs européens.

[77]        L’action est instituée à la fin du mois de juin 2004, soit dans les trois ans de l’avis d’intention de la BMO, du 4 juillet 2001, mais plus de trois ans après la lettre de défaut du 3 mai précédent. Où situer le point de départ du délai de prescription?

[78]        Pour la Juge, c’est le 4 juillet. Elle explique :

[115]    Ce n'est que lors de l'envoi de l'avis d'exercice d'une garantie, le 4 juillet 2001, que l'inscription à la Bourse prévue pour le 6 juillet 2001 devient impossible.  De l'avis du Tribunal, BMO cause alors le préjudice qui empêchera de façon irrémédiable, l'inscription à la Bourse prévue pour le mois de juillet 2001.  C'est donc à ce moment que le délai de prescription commence à courir.

[79]        Il ne faut pas oublier que le refus de la BMO de retirer la lettre de défaut du 3 mai, et d’ainsi permettre l’inscription en Bourse d’Éducaction, demeure incompréhensible pour Éducaction qui est toujours persuadée que le bon sens va prévaloir et que la BMO va accepter les solutions raisonnables qu’elle lui propose. L’espoir d’Éducaction est légitime et logique tellement l’attitude de la BMO détonne dans les circonstances. Il ne pouvait alors être question pour Éducaction de poursuivre la BMO avant le 4 juillet, alors que l’inscription en Bourse est toujours possible. Et même probable pour un observateur objectif ignorant la stratégie occulte de la BMO.

[80]        Éducaction ne réalise que le 4 juillet qu’elle subit un dommage. Du moins, cette façon de voir les choses, qui est celle de la Juge, est fondée sur la preuve et ne saurait être qualifiée d’ « erreur manifeste ».

[81]        D’ailleurs, la faute reprochée à la BMO est l’abus de droit. Si, jusqu’au 4 juillet, elle exerce ses droits de façon sévère et même menaçante pour Éducaction, il n’y a pas là d’abus tant qu’elle maintient le dialogue - du moins en apparence - pour trouver un terrain d’entente avec sa cliente. Le seuil de l’abus n’est franchi que lorsque la BMO met sa menace à exécution par l’arrêt de la négociation et l’exercice de ses garanties.

[82]        Quant à l’objection du ouï-dire à la preuve des capitaux attendus des investisseurs européens, la Juge en traite ainsi :

[125]    BMO soutient que le Tribunal ne peut accorder aucune crédibilité au témoignage de monsieur S… relatif à la quotité des mandats d'achat d'actions que lui confirme sa clientèle européenne. Il ne s'agirait, selon elle, que de ouï-dire non-admissible.

[126]    Qu'en est-il ?

[127]    Messieurs B… et S… travaillent tous deux pour la firme Hampton Securities. Or, monsieur V… de BMO ne remet aucunement en doute la probité de cette firme au point où il ne fait faire aucune vérification à son sujet.

[128]    Les propos de messieurs S… et B… sont modérés et pondérés.

[129]    Quant à la quotité des sommes dont ils reçoivent le mandat d'investissement, celle-ci apparaît régulièrement dans les «sommaires et demandes de crédit» rédigés par monsieur G… de BMO, d'une part et dans la lettre du 23 mars 2001 de monsieur A…, [président d’Éducaction] adressée à la BMO.

[83]        Plus loin, discutant du montant de l’indemnité, la Juge explique pourquoi elle juge la preuve satisfaisante :

[350]    BMO soutient que cette somme [de 10 M$] ne constitue qu'une possibilité d'investissement et non une certitude.  Le Tribunal ne peut retenir cet argument car la preuve révèle que le fonctionnement du monde du courtage en valeur mobilière repose sur des conversations téléphoniques, d'une part et que les commandes placées sont honorées à moins de force majeure, d'autre part.  Aucune preuve ne contredit ce mode de fonctionnement décrit par messieurs S… et B… de Hampton Securities.

[84]        Je partage son avis. Éducaction devait prouver qu’à l’époque le projet de cyberapprentissage était prometteur, c’est-à-dire que, selon les faits alors connus, sa mise en œuvre était en bonne voie de réalisation et sa réussite probable.

[85]        À quelques jours de l’inscription en Bourse, l’intérêt des investisseurs institutionnels européens constituait l’un de ces faits. Il n’était pas nécessaire de prouver des engagements fermes à cette étape du projet, l’intérêt démontré suffisait. Les courtiers qui avaient sollicité ces investisseurs et reçu des réponses positives pouvaient témoigner de l’intérêt qui leur avait alors été manifesté personnellement.

[86]        Je ne vois pas d’erreur sur ces deux points marginaux.

[87]        En conclusion sur cette première partie, je suis d’avis que la Juge a conclu avec raison à l’abus de droit de la part de la BMO pour empêcher l’inscription en Bourse et retarder l’homologation de la proposition. Cet abus a causé l’échec du projet de cyberapprentissage des investisseurs et, par la suite, la ruine de l’entreprise d’Éducaction.

PARTIE II - L’INDEMNITÉ

[88]        La Juge rappelle la position des parties fondée sur des prémisses contradictoires. Éducaction tient pour acquis que l’ « inscription à la Bourse réussit », alors que pour la BMO « l’entreprise ne pourra pas y être inscrite ». D’une manière plus générale, les experts de la BMO sont d’avis qu’Éducaction n’a pas d’avenir et que sa valeur doit donc être évaluée dans un contexte de liquidation. Ceux d’Éducaction sont optimistes et, selon le mot de la Juge, « tout réussit et aucun bémol n’est apporté à leur rapport ».

[89]        La Juge résume :

[337]    En d'autres termes, pour BMO, Éducaction ne valant rien aux mois de juin et juillet 2001, elle n'a droit à rien aujourd'hui à titre de dommages. 

[338]    Pour Éducaction, la position est le contraire: bien qu'elle éprouve des problèmes financiers, ceux-ci sont réglés par l'inscription à la bourse et la compagnie vaut au moins 30M$ sinon plus en prenant en considération la valeur estimée de son capital-actions au mois de janvier 2001 ainsi que celle de l'injection des sommes à venir.

[90]        La Juge revient sur la question de l’inscription en Bourse pour conclure que « n’eut été de l’envoi de l’avis d’exercice des garanties du 4 juillet... Éducaction aurait été inscrite à la Bourse ».

[91]        La Juge écarte donc les rapports d’experts qui, « très éloignés l’un de l’autre », « ne tiennent pas compte de la preuve profane faite au cours de l’audience ». Puis elle estime opportun d’évaluer l’indemnité « en date du 6 juillet 2001, soit après l’envoi de l’avis d’exercice des garanties ».

[92]        Je reviendrai plus loin sur les divers montants qui composent l’indemnité de 12,5 M$ adjugée par la Juge. Voyons d’abord le bien-fondé de la mise à l’écart des expertises sur la valeur des actions d’Éducaction.

[93]        Le principe est connu : un tribunal n’est pas lié par l’opinion des témoins experts. Ici, la Juge les écarte parce que les prémisses des uns sont trop optimistes et celles des autres trop pessimistes. Elle constate que leurs évaluations ne tiennent pas compte de la réalité, c’est-à-dire de la situation révélée par la preuve incluant l’inscription en Bourse et la réalisation du projet de cyberapprentissage, d’une part, et les étapes encore à franchir pour atteindre l’augmentation des ventes, d’autre part.

[94]        Les experts d’Éducaction utilisent trois méthodes d’évaluation pour des résultats qui varient beaucoup, de 23 M$ à 46 M$. Éducaction en rajoute en extrapolant, à partir d’offres de 1 $ à 1,50 $ l’action, une valeur de 60 M$ à 90 M$. Ces écarts considérables inspirent peu confiance. Deux des trois méthodes sont plutôt théoriques alors que la troisième, reconnue par l’Institut canadien en évaluation d’entreprises, est aussi celle des experts de la BMO.

[95]        Mais les experts d’Éducaction sont enthousiastes. Selon l’expression populaire, ils voient l’avenir avec des lunettes roses. Ainsi, ils fondent leurs calculs sur un flux de trésorerie (cash flow) pour l’année de juillet 2001 à juin 2002, de 2,3 M$ alors qu’Éducaction ne prévoyait que 0,5 M$. Un taux de croissance de 20 % pour cette période a quelque chose d’utopique alors que les ventes d’Éducaction chutent en 2001 tout comme celles des autres entreprises du domaine de l’informatique.

[96]        Pour la Juge, l’opinion des experts d’Éducaction n’est pas fiable; je ne vois pas là d’ « erreur manifeste ».

[97]        Les experts de la BMO pèchent par excès contraire : ils voient l’avenir avec des lunettes noires. Ils fondent leurs calculs sur l’année 2001 qui est atypique et non représentative des années à venir.

[98]        L’entreprise d’Éducaction est nouvelle même si elle est issue de celle de Multipartn’r. Le passage de la formation en salle à celle par Internet constitue un changement majeur d’exploitation; l’année, d’août 2000 à juillet 2001, s’éloignait de la tradition sans encore figurer l’avenir.

[99]        Les experts de la BMO endossent sa thèse qu’Éducaction n’aurait jamais été inscrite à la Bourse et n’aurait pas réussi son PAPE. Même leur rapport modifié de novembre 2011 reprend encore la thèse de l’ « absence d’un nouveau financement imminent » et favorise l’évaluation suivant la valeur en liquidation à 90 % plutôt que suivant une valeur d’exploitation.

[100]     La Juge a tranché et conclu que l’inscription en Bourse et le PAPE auraient réussi. L’évaluation de l’indemnité devait donc reposer sur ce fait. Certes la preuve était contradictoire, mais le constat de la Juge y trouve appui et ne saurait être qualifié d’ « erreur manifeste ».

[101]     On ne peut pas songer à une moyenne pour trouver le « juste milieu ». Même si la troisième méthode des experts d’Éducaction est aussi celle des experts de la BMO, leurs résultats diffèrent trop, de 43 M$ à 13 M$, conséquence de leurs prémisses opposées, un profit devenu réalité pour les premiers vs un projet mort-né pour les seconds.

[102]     À la décharge des experts, l’objet de l’évaluation est d’une nature particulière. Ce n’est pas vraiment une entreprise en plus ou moins bonne santé, avec un historique d’exploitation et un avenir assez prévisible, mais plutôt un actif intangible, un projet prometteur en voie de réalisation, qui assurait une nouvelle exploitation plus moderne par une entreprise rajeunie qui prenait son envol au moment où on lui a coupé les ailes.

[103]     Même si les expertises ne lui sont guère utiles et peu importe la difficulté de l’exercice, le tribunal doit fixer l’indemnité, si besoin est en faisant appel à une certaine approximation. Dans l’affaire Vidéotron ltée c. Bell ExpressVu, l.p.[11], le tribunal l’exprime avec justesse :

[734]    The quantification of compensatory damages in the context of the present proceedings presents considerable challenges. The various methods of calculating the loss of potential subscribers, the income generated therefrom and the resultant loss of profits are, at best contentious. Clearly, the significant differences in the evaluation of damages arrived at by the financial experts retained by each of the parties to assist the Court in the quantification of damages reflect the extent of the challenge.

[735]    However, the presence of these challenges does not negate the right of recovery of an aggrieved party when, as in the present case, fault, causation and the existence of damages has been adequately proven on the balance of probabilities. The Court’s role in such circumstances is to arbitrate the quantum of damages based upon whatever credible evidence may be available to it.

[Mon soulignement]

[104]     Dans Société du Parc des îles c. Renaud[12], notre cour décide dans le même sens :

[26]      Ce faisant, le juge arbitrait les dommages et intérêts comme il se devait de le faire dans les circonstances. Ayant conclu à l’existence de divers manquements à leurs obligations de la part des appelantes, manquements qui selon toute probabilité avaient été dommageables pour l’achalandage de l’entreprise exploitée par l’intimée, il lui fallait rechercher dans la preuve la démonstration probable du montant du préjudice financier subi par l’intimée. […]

[105]     Et encore dans Provigo Distribution Inc. c. Supermarché A.R.G. Inc.[13] :

La présence de nombreux facteurs difficilement prévisibles ou appréciables rendait l’évaluation du préjudice fort compliquée. La difficulté supplémentaire éprouvée par cette Cour d’évaluer le dommage en ne tenant compte que de la preuve constituée au dossier l’excusera sans doute de ne pas pouvoir y appliquer une rigueur strictement mathématique. Elle doit donc procéder à ce calcul en faisant appel à une certaine approximation, à un certain degré d’appréciation et à sa discrétion. C’est cependant là le rôle des juges.

[106]     Faute d’expertises utiles, la Juge se fonde sur « la preuve profane faite au cours de l’audience ». Pour ce faire, elle prend en considération certains éléments d’actifs perdus par Éducaction à cause de l’inscription en Bourse ratée, dont l’investissement de « 1 M$ de SIPAR payable le jour de l'inscription à la Bourse suivi de 500 000 $ dans les 90 jours de cette date » et celui de Hampton Securities de 945 000 $.

[107]     Elle y ajoute les investissements européens promis en février qu’elle réduit toutefois de moitié à cause du report de l’inscription en Bourse au 6 juillet. Elle écrit :

[347]    Comme on le sait, les nombreux rapports de «sommaires et demandes de crédit» rédigés par monsieur G… et approuvés par monsieur V… font état d'un investissement le jour même de l'entrée à la Bourse d'Éducaction, de l'ordre de 10M$. Cette somme provient des investisseurs européens de Hampton Securities.  Le Tribunal doit examiner si celle-ci est toujours disponible le 6 juillet 2001. 

[348]    La preuve révèle que certains investisseurs européens, las d'attendre après l'entrée en Bourse d'Éducaction qui leur est représentée comme étant imminente depuis la tournée européenne de février 2001, décident d'investir leurs capitaux ailleurs.  Combien le font et à concurrence de quel montant?  La preuve ne le révèle pas.

[349]    Dans ces circonstances, le Tribunal estime approprié d'utiliser sa discrétion et de ne retenir que la moitié de la somme des investisseurs européens de Hampton Securities, soit 5M$ à titre de dommages.

[108]     La Juge compte aussi « la conversion de dettes en capital-actions de 3,12 M$ ». La BMO plaide, avec raison, que cette opération « would not have brought any new funds to Educaction ».

[109]     Je suis tout de même d’avis que cette orientation de la Juge d’évaluer l’indemnité à partir de la valeur des actifs perdus est valable. Je m’explique.

[110]     L’essentiel à considérer est le succès anticipé du passage de la formation en salle au cyberapprentissage. Selon la preuve, le projet est en bonne voie de réalisation au 6 juillet. Le développement de la plateforme informatique est avancé et les capitaux requis pour terminer le travail sont disponibles dès l’inscription en Bourse.

[111]     L’article 1611 du Code civil du Québec établit que l’indemnité correspond à « la perte subie » par la victime, plus « le gain dont elle est privée ». Ici, la perte correspond à la valeur du projet de cyberapprentissage, réalisé en partie au 6 juillet, et le gain, au surplus de valeur correspondant à sa réalisation complète prévue à court terme.

[112]     De septembre à décembre 2000, l’actif d’Éducaction augmente en raison des sommes investies puis, jusqu’en juillet 2001, l’augmentation est transformée en un actif intangible, le projet de cyberapprentissage en voie de réalisation. Au début de juillet 2001, l’actif d’Éducaction est sur le point d’augmenter, grâce au PAPE, des capitaux additionnels requis pour terminer le projet et le porter à sa pleine valeur.

[113]     En somme, la valeur de l’actif dont Educaction a été spoliée équivaut au coût de réalisation du cyberapprentissage, qui comporte un certain degré d’approximation, inhérent à l’arbitrage obligatoire de la Cour « based upon [the] credible evidence […] available to it ».

[114]     Les investisseurs voudraient certes comme indemnité, outre le coût du projet,  une somme pour les bénéfices anticipés de l’exploitation à venir du cyberapprentissage. Mais cela nous ramène aux expertises d’Éducaction, écartées par la Juge. Avec raison à mon avis, car supputer l’avenir dans les circonstances comporte trop d’approximation et nous éloigne « de la suite immédiate et directe » de la faute, laquelle est la mesure de l’indemnité (C.c.Q., art. 1607).

[115]     La preuve révèle le coût du projet, soit les capitaux investis en septembre 2000, 2,3 M$; jusqu’au 16 octobre, 4 M$; en novembre et décembre, 7 M$; et ceux immédiatement disponibles au 6 juillet 2001 de SIPAR, 1,5 M$; de Hampton Securities, 0,945 M$; des Européens, 5 M$; pour un total de 20,745 M$.

[116]     À cette perte subie en juillet, il faut ajouter le million injecté par le principal investisseur, de juillet 2001 à janvier 2002, pour assurer la relance de l’entreprise, empêchée par la BMO.

[117]     En effet, après la faillite, le projet demeure bien vivant. Les créanciers y croient, ils votent à 90 % en faveur de la proposition. Finloc, qui a déjà investi 0,75 M$, accepte d’agir comme banquier et prête 2 M$. Et le principal investisseur réinjecte 1 M$ additionnel.

[118]     De ce total de 21,745 M$, les parties conviennent de soustraire l’actif résiduel d’Éducaction, soit 6 M$, pour une indemnité de 15,745 M$.

[119]     Le projet était prometteur, il a été réalisé ailleurs. Un directeur de service d’Éducaction, de vingt ans d’expérience dans le domaine, l’a constaté. Lui non plus n’a jamais compris l’échec du projet :

R. … Donc, moi, j’entrevoyais des jours meilleurs pour [Éducaction], pas l’année où je venais d’arriver, mais dans l’année suivante, les années qui s’en venaient.

Q. Pourquoi?

R. Parce que le temps que les clients se portent acquéreurs de ces nouvelles technologies-là, automatiquement ça va générer une grande demande de la part des développeurs d’application pour commencer qui eux autres développaient dans une… avec des anciens outils qu’ils n’auront pas le choix d’apprendre ça à travers des cours certifiés […]

Q. Je comprends. Vous dites que vous escomptiez ça pourquoi, l’année suivante et comme question de faits, est-ce que c’est arrivé ce que vous escomptiez?

R. Bien oui, je veux dire, les cours Microsoft, ça s’est envolé. Moi, j’ai travaillé par la suite pour une autre firme qui est numéro 1 aujourd’hui dans le domaine des cours Microsoft puis j’ai été à même de constater que ce que j’avais prévu est arrivé, mais pour une autre firme.

Q. O.K. Pour une autre firme?

R. Bien oui. [Éducaction] n’était pas là.

[…]

R. …Je n’ai jamais compris pourquoi [Éducaction] avait fermé.

[120]     Pour ces motifs, je suis d’avis que la Cour rejette l’appel principal, avec dépens, accueille l’appel incident, avec dépens, à la seule fin de remplacer le paragraphe [360] du dispositif du jugement par le suivant :

CONDAMNE la Banque de Montréal à payer au syndic demandeur la somme de 15,745 M$, à titre de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la date de signification de l'action et l'intérêt additionnel à compter de la même date.

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 



[1]     Juge à la Cour d’appel au jour de la mise en délibéré.

[2]     Juge à la Cour d’appel au jour de la mise en délibéré.

[3]     Les extraits du jugement sont cités sans les renvois.

[4]     Les chiffres sont arrondis pour alléger l’exposé.

[5]     L.R.C. (1985), ch. B-3 [L.f.i.].

[6]     Les chiffres cités sont arrondis au dixième de million près.

[7]     Reverse Take Over : une prise de contrôle inversée.

[8]     Initial Public Offering : premier appel public à l’épargne.

[9]     Un autre représentant de la BMO.

[10]     C.c.Q. :

      Art. 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

Q.C.C.:

Art. 7. No right may be exercised with the intent of injuring another or in an excessive and unreasonable manner, and therefore contrary to the requirements of good faith.

 

[11]     2012 QCCS 3492, AZ-50876923, J.E. 2012-1501, inscription en appel, no 500-09-022950-125, le 21 août 2012.

[12]    AZ-50227210, J.E. 2004-778 (C.A.).

[13]    AZ-98011010, J.E. 98-39, [1998] R.J.Q. 47, p. 84 (C.A.).

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