St-Hubert Express Verdun |
2011 QCCLP 4970 |
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[1] Le 27 mai 2010, St-Hubert Express Verdun (l’employeur) dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative, le 14 avril 2010.
[2] Par cette décision, la CSST maintient celle rendue initialement en imputation le 29 janvier 2010. Elle conclut que l’employeur n’a pas droit à un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Robert Ferland (le travailleur) le 7 avril 2009, puisque le motif invoqué par l’employeur ne permet pas de conclure qu’il est obéré injustement.
[3] Une audience était prévue, à Longueuil, le 28 avril 2011. Toutefois, entre-temps, l’employeur a avisé qu’il serait absent à l’audience et a demandé un délai pour produire son argumentation écrite, délai accordé jusqu’au 12 mai 2011.
[4] Le 12 mai 2011, le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit d’obtenir le transfert des coûts reliés à cet accident
du travail du 7 avril 2009, en vertu de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit d’obtenir le transfert des coûts reliés à la lésion professionnelle du 7 avril 2009 au motif qu’il est obéré injustement.
[7]
La demande de l'employeur relative à un transfert de l’imputation du
coût des prestations reliées à l’accident du travail trouve son assise sur
l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[8] D’emblée, la Commission des lésions professionnelles constate que l’employeur, en déposant sa demande de transfert d’imputation le 4 novembre 2009, respecte le délai prévu à la loi, puisque sa demande a été faite dans l’année suivant la date de l’accident du 7 avril 2009.
[9]
Le premier alinéa de l’article
[10]
L’employeur invoque plutôt l’exception prévue au deuxième alinéa de
l’article
[11] Plus précisément, l’employeur prétend qu’il ne devrait être imputé que pour le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur sur une base salariale de 15 366 $, représentant le salaire gagné par celui-ci au cours des douze derniers mois travaillés au sein de son entreprise.
[12] L’employeur a-t-il raison de prétendre qu’il est obéré injustement pour ce motif?
[13] Avant de disposer de cette question en litige, il y a lieu de procéder à un bref rappel des faits.
[14] Le 7 avril 2009, le travailleur, âgé de 57 ans, est victime d’un accident du travail dans le cadre de son emploi de livreur auprès de l’employeur, ainsi déclaré au formulaire de Réclamation du travailleur :
J’étais parti faire une livraison au retour il fallait que j’arrête à la S.A.Q. ramasser la commande de vin et en prenant la caisse de vin je me suis retourner pour sortir mais rentrer dans le cadrage de porte et la caisse de vin m’as rentrer dans les cotes et j’ai senti comme un os de poulet qui casse il était environ 15 hrs et je me suis dit ça va passer mais à 19 hrs je n’étais plus capable de travailler tellement que j’avais mal et j’ai dit à mon supérieur David Fafard que je m’en allais a l’hopital. [sic]
[Dossier C.L.P., page 15]
[15] Le 7 avril 2009, le diagnostic de contusion thoracique est posé. C’est ce diagnostic qui est accepté par la CSST dans une décision non contestée[2].
[16] Au moment de son accident du travail, le travailleur occupait cet emploi de livreur depuis janvier 2007 chez l’employeur au dossier. Il recevait alors une indemnité réduite de remplacement du revenu, à la suite de la détermination d’un emploi convenable, découlant d’une lésion professionnelle antérieure subie chez un autre employeur[3].
[17] Le 6 mai 2009, la CSST fixe ainsi la base salariale sur laquelle le travailleur va être indemnisé en détaillant ainsi ses calculs :
Détermination du revenu brut
Le T se trouve dans une situation particulière puisqu’il
reçoit déjà de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR réduite). Or, selon
l’article
· Contrat de travail actuel = 32 heures/semaine x $ 7.75/heure ($12 931.42 + pourboires déclarés)
· Base salariale de l’événement d’origine du dossier avec IRR réduites: $ 44 922.69 => c’est ce salaire qui sera retenu car le plus rémunérateur
[Dossier C.L.P., page 3]
[18]
Le 4 novembre 2009, l’employeur manifeste son désaccord avec la base
salariale retenue par la CSST pour le calcul de l'indemnité de remplacement du
revenu et soutient être obéré injustement en demandant l’application du
deuxième alinéa de l’article
[19] Le 14 avril 2010, la CSST, en révision administrative, refuse l'application de l’exception prévue au deuxième alinéa de l'article 326 pour permettre un transfert d’imputation en s’appuyant sur les motifs suivants :
Pour se prévaloir de cette exception, l’employeur doit démontrer des situations précises répondant aux deux critères suivants : soit une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter et que la proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident en cause.
Une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter est une situation qui peut être fortuite, inusitée, inhabituelle ou exceptionnelle. Pour la Commission, ces circonstances réfèrent à trois situations qui peuvent donner droit à un transfert d’imputation, soit : une maladie intercurrente, l’interruption de l’assignation temporaire ou bien encore la lésion causée par une négligence grossière et volontaire du travailleur.
L’employeur allègue que le salaire annuel retenu, aux fins du versement des IRR reliées à la lésion professionnelle du 7 avril 2009, est supérieur à celui réellement versé au travailleur. Ainsi, il requiert que soient imputées à son dossier uniquement les sommes en lien avec les revenus qu’il a versés à ce dernier. À cet effet, la Révision administrative constate, des éléments au dossier, que la Commission a appliqué la Loi pour établir le revenu brut du travailleur servant au calcul des IRR. Ainsi, la Révision administrative rappelle qu’au moment de l’imputation des coûts, la Commission ne peut qu’appliquer les dispositions de la Loi et porter au compte de l’employeur le coût des prestations reliées à l’accident du travail et que l’application de la Loi ne permet pas de conclure que l’employeur est obéré injustement.
[Dossier C.L.P., page 52]
[20] Dans son argumentation écrite, l’employeur soutient que l’analyse de la CSST comporte plusieurs erreurs fondamentales en droit. Premièrement, son analyse repose sur des prémisses erronées qui ne font aucunement parties des dispositions législatives ou règlementaires mais reposent plutôt sur des politiques administratives. Or, la notion « d’obérer injustement » n’est aucunement limitée à l’une des situations dont a fait état la CSST.
[21]
Dans un deuxième temps, l’employeur soutient que la CSST a omis d’appliquer les dispositions relatives au financement du régime et qu’il ne faut
pas confondre les dispositions visant l’indemnisation des travailleurs avec
celles relatives à l’imputation au financement du régime. Il considère que ce
n’est pas parce qu’un travailleur a le droit d’être indemnisé conformément aux
dispositions de l’article
[22] L’employeur indique que le travailleur était à son emploi depuis le mois d’octobre 2008, à titre de livreur à temps partiel, et avait gagné, au cours des douze derniers mois, un revenu 15 366,00 $. Or, la CSST a imputé à son dossier l’ensemble des indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur, calculées sur la base salariale revalorisée de 44 922,69 $, établie en fonction du salaire qu’il gagnait chez son employeur au moment de la survenance de sa « première » lésion professionnelle.
[23] L’employeur soumet une injustice à lui faire supporter coût de ces indemnités excédant celles calculées sur une base salariale de 15 366,00 $, puisque ces indemnités ont déjà été imputées à l’employeur précédent du travailleur. Il estime qu’il ne devrait se voir imputer à son dossier financier que les indemnités calculées sur une base salariale de 15 366,00 $.
[24] L’employeur ajoute qu'il est en effet injuste de lui faire supporter le coût des prestations qui ont déjà été imputées à un autre employeur et pour lesquelles la CSST a déjà facturé à un employeur les provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées au travailleur, à la suite de sa nouvelle lésion professionnelle subie alors qu’il était à son emploi. En agissant ainsi, la CSST va à l’encontre même des objectifs du régime d’assurance que constitue la CSST et de la notion d’équité qui est à la base même du régime.
[25]
La Commission des lésions professionnelles constate que le calcul de l'indemnité
de remplacement du revenu versée au travailleur, à la suite de son accident du
travail du 7 avril 2009, a été effectué conformément aux dispositions prévues à
l'article
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 73.
[26] Ces dispositions permettent à la CSST de déterminer le revenu brut d'un travailleur à la suite de sa lésion professionnelle, alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu, tel que dans le présent cas. Le législateur a alors prévu que le revenu brut est le plus élevé de celui revalorisé qui a servi de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu initiale du travailleur et de celui qu'il tirait de son nouvel emploi.
[27]
L’interprétation de l'article
[28] Cette position jurisprudentielle quant à cette interprétation de l'article 73 est ainsi résumée en ces termes dans l’affaire Nettoyeurs Pellican inc.[6] :
[28] Selon la situation visée, le législateur prévoit
donc la façon de déterminer le revenu brut d’un travailleur. Et l’article
[29] Avec respect pour l’opinion contraire, on ne peut
qualifier l’article
[...]
[33] La travailleuse ayant droit à une indemnité de
remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle du 7 janvier
2008, survenue à la suite d’un accident du travail, il est compréhensible qu’en
regard du premier alinéa de l’article
[34] Avec respect pour l’opinion contraire, l’article 73 ne fait pas en sorte d’imputer à l’employeur une indemnité de remplacement du revenu découlant d’un autre dossier. Cet article sert plutôt au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle peut avoir droit la travailleuse, en raison de sa lésion professionnelle du 7 janvier 2008 subie chez l’employeur.
[...]
[37] Ce faisant, la CSST impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu à la travailleuse alors qu’elle était à son emploi le 7 janvier 2008, ce qui inclut l’indemnité de remplacement du revenu, calculée selon ce que prévoit la loi. Quant au second alinéa de l’article 326, l’employeur ne peut prétendre être obéré injustement du fait de l’application de la loi3.
__________
3 Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke
(Hôtel-Dieu), C.L.P.
[29] Toutefois, l'employeur demande de s’écarter de cette position jurisprudentielle majoritaire et de plutôt retenir l’interprétation proposée dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils[7] également reprise dans Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[8] pour conclure qu’il était injuste de faire supporter à l’employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles d’ailleurs la CSST a déjà facturé cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.
[30] En résumé, dans la cause J.M. Bouchard et fils le juge administratif considère que l’interprétation majoritaire fait fi d’un principe fondamental en matière d’imputation voulant qu’un employeur doit supporter uniquement les coûts qui lui sont attribuables. Il exprime son désaccord avec cette interprétation majoritairement retenue, puisqu'il est d'avis qu’il s’agit d’une interprétation qui s'appuie sur une analyse grammaticale des dispositions de la loi au lieu de tenir compte du contexte global résultant de l’intention du législateur de voir à ce que les dispositions de la loi s’harmonisent entre elles. Afin de respecter la règle générale de l’imputation, d’éviter de pénaliser financièrement l’employeur et d’entraîner des conséquences défavorables à l’égard des travailleurs réadaptés, il considère que l’on doit imputer au dossier financier de l’employeur seulement la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur qui correspond au salaire qu’il gagnait au moment où il a été victime d’un accident du travail, alors qu’il était à son emploi.
[31] À la lumière des analyses effectuées au sein de ces deux courants jurisprudentiels, la soussignée, tout comme dans l'affaire Centre universitaire de santé McGill[9], considère qu'on ne peut conclure que l’employeur est obéré injustement dans un tel cas :
[34] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles en l’instance de retenir l’interprétation proposée par la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire et de conclure qu’il est obéré injustement en raison de l’imputation d’une partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur en regard d’un accident du travail antérieur.
[35] Malgré l’analyse développée par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc., le tribunal en l’instance estime qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la jurisprudence largement majoritaire qui retient qu’il n’y a pas lieu de soustraire une partie du coût des prestations à l’employeur en pareilles circonstances.
[36] Le tribunal ne retient pas non plus l’argument
voulant que l’employeur est obéré injustement suivant le deuxième alinéa de
l’article
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5. Groupe
C.D.P. inc., C.L.P.
[32] Dans l’affaire Centre universitaire de santé McGill précitée, la Commission des lésions professionnelles citait, d'ailleurs fort à propos, les extraits suivants dans l’affaire Fermes Rivest, Bourgeois inc.[10] ayant rappelé le principe, maintes fois énoncé par la jurisprudence, voulant qu'un employeur ne peut prétendre être obéré injustement par la simple application de la loi :
[19] La jurisprudence du tribunal2 enseigne qu’un employeur ne peut être obéré injustement en raison de l’application des dispositions de la loi.
[20] D’ailleurs, dans plusieurs affaires3 où il devait statuer sur des questions similaires à celle soumise dans le présent dossier, le tribunal a refusé de faire droit aux demandes d’employeurs.
[21] Le tribunal a alors conclu qu’un employeur n’est pas obéré injustement du fait qu’un travailleur à son service reçoive une indemnité de remplacement du revenu calculée sur un revenu brut plus élevé que celui du salaire qu’il gagnait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle. Un tel calcul résulte purement et simplement de l’application des dispositions de la loi à cet égard, ce qui peut difficilement être qualifié d’injuste.
__________
2 Centre hospitalier universitaire de
Sherbrooke (Hôtel-Dieu), C.L.P.
3 Marché Claude St-Pierre, C.L.P.
[33]
Tout comme l’a décidé la jurisprudence majoritaire, à laquelle souscrit
la soussignée, « le fait que le travailleur reçoive une indemnité de
remplacement du revenu dont la base salariale est plus élevée que le revenu
brut qu’il tirait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle
résulte de la simple application de l’article
[34] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a pas lieu de procéder à un transfert du coût des prestations découlant de la lésion professionnelle du travailleur le 7 avril 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par St-Hubert Express Verdun le 27 mai 2010;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative, le 14 avril 2010;
DÉCLARE que St-Hubert Express Verdun n'a pas droit à un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Robert Ferland le 7 avril 2009.
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Doris Lévesque |
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Me Éric Latulippe |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Le 5 mai 2009, la CSST rend une décision d’admissibilité confirmée par la suite, en révision administrative, le 26 juin 2009.
[3] Dossier C.L.P., page 3.
[4] Tel qu’indiqué par l’employeur qui n’a pas accès aux dossiers antérieurs du travailleur « Les notions de «première» et «seconde» ou «deuxième» ne sont utilisées qu’à titre de référence puisque nous ne savons pas si le travailleur avait subi une autre lésion professionnelle avant celle ayant servi à établir sa base salariale dans le présent dossier ».
[5] Services Kelly (Canada) ltée, C.L.P.
[6] C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] C.L.P.
[9] C.L.P.
[10] Précitée, note 5.
[11] Précitée, note 9.
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